N’affectez pas de parler beaucoup dans vos prières, comme font les païens qui s’imaginent que c’est par la multitude des paroles qu’ils méritent d’être exaucés.
Ne vous rendez donc pas semblables à eux ; parce que votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.
ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
mardi de la première semaine
Quelle misère, mon Dieu ! quelle contradiction ! Vous êtes pour moi la source de tous les biens : dans l'éternité Vous serez toute ma béatitude, et dès cette vie je ne puis prétendre de plus solide bonheur que d'approcher de Vous, que d'être en Votre présence et devant Vous, que de converser et de m'entretenir avec Vous : je le sais, j'en suis instruit, la foi me l'enseigne, la raison me le donne à connaître, l'expérience me l'apprend et me le fait sentir. Toutefois, Seigneur, comment est-ce que je vais à la prière, où je dois Vous parler, Vous écouter, Vous répondre ? Comment est-ce que je vais et que je demeure à l'oraison, qui ne doit être autre chose qu'un commerce intime entre Vous et moi ? Je dis entre Vous, tout grand que Vous êtes, ô souverain Maître de l'univers! et moi, tout méprisable, tout néant que je suis, vile et abjecte créature.
A peine ai-je plié le genou, à peine suis-je resté quelques moments au pied d'un oratoire pour Vous offrir mes hommages, que je pense à me retirer. Mon esprit volage et sans arrêt m'abandonne, et se porte partout ailleurs. Mon cœur, comme une terre sans eau, ou comme une herbe fanée et sans suc, n'a ni goût, ni sentiment, ni mouvement. D'où il arrive que je tombe dans une indifférence et une langueur qui me rend un des plus saints exercices insipide et onéreux. J'en devrais faire mon plaisir le plus doux, mais il me devient un fardeau et une peine. Voilà, Seigneur, le triste état où je me vois, et dont j'ai bien sujet de m'humilier.
Quoi ! mon Dieu, Vous daignez me recevoir auprès de Vous ; Vous me permettez de Vous exposer humblement et avec une espèce de familiarité mes pensées ; Vous trouvez bon que je Vous adresse mes vœux ; Vous prêtez l'oreille pour m'entendre, et mon âme stérile et aride ne m'inspire rien, ne produit rien, ne Vous dit rien ! Si c'était par une crainte respectueuse, qui tout à coup me saisît à la vue de Vos grandeurs, et qui m'interdît ; si c'était parmi principe de religion, par une vive impression de Votre adorable majesté, je ne laisserais pas de Vous honorer alors, et mon silence même Vous parlerait. Mais je dois à ma condamnation et à ma honte le confesser, c'est par une froideur mortelle, c'est par une lenteur oisive et paresseuse, c'est par un assoupissement que rien ne réveille. Ah ! Seigneur, ne finira-t-il point ? Il y a longtemps que je me le reproche, et que je souhaite d'en sortir : mais ce ne sera qu'avec Votre grâce, et de moi-même je ne le puis. Or cette grâce, je Vous la demande. Je viens à Vous pour cela, j'ai recours à Vous ; et dans la prière que je Vous fais, tout le fruit que je me propose est d'obtenir de Vous l'esprit de prière.
Don précieux que Votre prophète nous a promis de Votre part et en Votre nom. C'est par sa bouche que Vous avez dit : Je répandrai sur Jérusalem un esprit de prière (Zach., XII, 10.1) ; et c'est-à-dire que Vous répandrez sur l'âme fidèle un esprit d'intelligence, un esprit de recueillement, un esprit de piété. Un esprit de lumière et d'intelligence qui, dans la prière, lui découvrira Vos éternelles vérités, les lui fera creuser et approfondir jusqu'à ce qu'elle en soit remplie et toute pénétrée. Un esprit de recueillement, qui, pendant la prière, effacera de son souvenir toute idée du monde, la dégagera de toute vue humaine, la détournera de tout objet étranger et profane ; en sorte que des yeux de la Foi elle ne voie que Vous, et que toutes ses puissances intérieures ne soient occupées que de Vous. Un esprit de piété, qui lui donnera un attrait particulier à la prière, qui l'y affectionnera, qui lui en facilitera la pratique ; tellement qu'elle en fasse sa nourriture, son repos, sa joie, ses plus chères délices.
BOURDALOUE, DE LA PRIÈRE ; SÉCHERESSES ET ARIDITÉS DANS LA PRIÈRE ; ESPRIT DE PRIÈRE.