« Si vous demeurez fidèles à ma parole,
vous êtes vraiment mes disciples ;
alors vous connaîtrez la vérité,
et la vérité vous rendra libres. »
ÉVANGILE DE SAINT JEAN
mercredi de la cinquième semaine
Quis nos separabit a charitate Christi ?
Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ ? écrivait Saint Paul aux Romains (Rom., VIII, 35.)
Sera-ce l'affliction, le danger, la persécution, la faim, la nudité, le fer, la violence ?
Sera-ce l'injustice et la plus barbare cruauté ?
Non, répondait ce vaisseau d'élection : car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni la grandeur, ni l'abaissement, ni la pauvreté, ni les richesses, ni les principautés, ni les puissances, ni toute autre créature, ne pourra jamais nous détacher de l'amour qui nous lie à notre Dieu.
Ainsi parlait cet homme apostolique.
Qu'en pensez-vous, Chrétiens ?
ne vous semble-t-il pas que c'était un excès de zèle qui le transportait ?
et, pour l'intérêt même de sa gloire, ne croyez-vous pas qu'il renfermait dans ces paroles toute la perfection de la charité divine ?
Vous vous trompez.
Il n'a exprimé que l'obligation commune d'aimer Dieu.
En faisant ce défi et en y répondant, il ne parlait pas en apôtre, mais en simple fidèle.
Il disait beaucoup, mais il ne disait rien à quoi tous les hommes ne soient tenus dans la rigueur ;
et quiconque n'en peut pas dire autant que lui n'a point de part à l'héritage du royaume de Dieu et de Jésus-Christ :
Non habet hœreditatem in regno Dei et Christi (Ephes., V, 5.2).
Appliquez-vous à ma pensée.
Car c'est justement comme si chacun de nous se disait à lui-même (et plût à Dieu qu'à l'exemple de ce grand saint nous voulussions nous le dire souvent !) :
Eh bien ! de toutes les choses que j'envisage dans l'univers, et qui pourraient être les objets de mon ambition et de ma cupidité, en est-il quelqu'une capable de m'ébranler, s'il s'agissait de donner à Dieu une preuve de mon amour et de la fidélité que je Lui dois ?
Quis nos separabit a charitate Christi (Rom., VIII, 25.) ?
Venons au détail aussi bien que saint Paul.
Si j'étais réduit à soutenir une violente persécution, et qu'il fût en mon pouvoir de m'en délivrer par une vengeance permise selon le monde, mais condamnée de Dieu, le voudrais-je à cette condition ?
An persecutio ? Si, par un renversement de fortune, je me voyais dans l'extrémité de la misère, et qu'il ne tînt qu'à moi, pour en sortir, de franchir un pas hors des bornes de la justice et de la conscience, oserais-je le hasarder ?
An angustia ? Si, pour acquérir ou pour conserver la faveur du plus grand prince de la terre, il ne dépendait que d'avoir pour lui une complaisance criminelle, l'aurais-je en effet au préjudice de mon devoir ?
An principatus ? Si, violant pour une fois la loi chrétienne, il m'était aisé par là de m'élever à un rang d'honneur où je ne puis autrement prétendre, le désir de m'avancer l'emporterait-il ?
An altitudo ? Si la voie de l'iniquité était la seule par où je pusse me sauver dans une occasion où il irait de ma vie, succomberais-je à la crainte de la mort ?
An periculum ? Ah ! mes Frères, sachez que si l'amour que vous croyez avoir pour votre Dieu n'est pas d'une qualité à prévaloir au-dessus de tout cela, quelque ardent et quelque affectueux d'ailleurs qu'il puisse paraître, ce n'est point l'amour que Dieu vous demande ; et souvenez-vous que vous êtes dans l'erreur, si, comptant sur un tel amour, vous pensez en être quittes devant Lui.
Non seulement vous n'aimez point Dieu avec ce surcroît de charité qu'ont eu les âmes parfaites, mais vous ne l'aimez pas même selon la mesure précise de la loi ;
pourquoi ?
parce que cet amour prétendu ne donne point à Dieu dans votre cœur la place qu'Il y doit occuper, c'est-à-dire ne L'y met pas au-dessus de mille choses qui néanmoins y doivent être dans un ordre bien inférieur.
Car, supposez même cet amour dont vous vous flattez, vous faites encore plus d'état de votre vie, de vos biens, de votre crédit, de votre repos, que de l'héritage de Dieu, ou, pour mieux dire, que de Dieu même ; d'où il s'ensuit que cet amour n'est point l'amour de préférence que Dieu attend de vous et que la loi vous ordonne :
Diliges ex toto corde tuo, et ex omni mente tua.
Amour de préférence, premier devoir de l'homme par rapport à Dieu.
Amour de plénitude, second devoir de l'homme par rapport à la loi de Dieu
BOURDALOUE, SUR L'AMOUR DE DIEU