Deux hommes allèrent au temple pour prier : l'un était pharisien, l'autre publicain.
ÉVANGILE DE SAINT LUC
samedi de la troisième semaine
C'est au même temple qu'ils allèrent tous deux, c'est à la même heure et dans le même temps, c'est dans le même dessein , qui était de faire à Dieu leur prière : mais du reste, ce ne fut pas, à beaucoup près, dans la même disposition de l'âme, ni le même sentiment intérieur. De là vient que la prière de l'un eut un succès si favorable, au lieu que l'autre ne fut point écouté, et que sa prière devint un crime pour lui, et un sujet de condamnation. Car, avec la grâce, ce qui donne le prix à la prière, c'est la disposition intérieure de l’âme : c'est de là qu'elle tire toute sa vertu et tout son mérite.
Ces deux hommes n'étant donc pas également disposés par rapport à l'esprit et au cœur, ils ne devaient pas être également reçus de Dieu, qui ne s'arrête point au dehors, et n'a égard ni aux rangs, ni aux qualités, ni aux conditions, ni aux avantages de la naissance ou de la fortune, ni aux lieux, ni aux conjonctures, ni à quelque circonstance extérieure que ce soit ; mais qui pèse le cœur, et qui ne juge de tout le reste que par le cœur. Voilà pourquoi le Saint-Esprit nous avertit que notre premier soin avant l'oraison, notre soin le plus nécessaire et le plus essentiel, est de préparer notre âme (Eccli., XVIII, 23.). Toute autre préparation, sans celle de l'âme, ne peut qu'être de nulle efficace auprès de Dieu : et s'il ne se rend pas alors propice à nos vœux, c'est à nous que nous devons l'imputer, et dans nous que nous devons chercher le principe du mal, puisqu'en effet il est au dedans de nous-mêmes.
Mais ceci posé, il est question de savoir qui des deux (je dis du pharisien et du publicain), qui, dis-je, était dans la disposition convenable pour prier, et qui n'y était pas. A s'en tenir aux apparences, il semble qu'il n'y ait point là-dessus à hésiter, ni de comparaison à faire. Un pharisien d'une part, et de l'autre un publicain, quel parallèle !
Un pharisien, un homme de bonnes œuvres, un homme exemplaire et d'une merveilleuse édification dans toute sa conduite, un homme exact jusques aux plus petites observances, et implacable ennemi des moindres relâchements ; un homme révéré, vanté, canonisé du peuple ; en un mot, un saint, selon la commune opinion.
Au contraire, un publicain, un pécheur, et un pécheur par état, puisque son seul emploi de publicain le faisait regarder comme tel ; un homme noté et décrié pour ses injustices, ses fraudes, ses violences, ses concussions ; de plus, un homme sujet à bien d'autres désordres que ceux de sa profession, et ayant vécu jusque-là dans le libertinage et le scandale. Encore une fois, suivant les vues ordinaires, peut-on balancer un moment entre deux hommes dont la différence est si sensible ? et qui est-ce qui tout d'un coup ne prononce pas à l'avantage du premier, et ne conclut pas que l'autre doit être réprouvé de Dieu ?
Mais les jugements du Seigneur sont bien au-dessus des nôtres, et l'événement n'est guère conforme à nos idées. Ce pharisien est condamné, et ce publicain justifié : pourquoi ? c'est que ce pharisien, que ce juste est un orgueilleux dans sa prétendue justice ; et que ce publicain, que ce pécheur pénitent est humble dans sa pénitence. De sorte qu'en deux portraits raccourcis et opposés l'un à l'autre, la parabole nous représente admirablement, et les pernicieux effets de l'orgueil dans le pharisien, et les salutaires effets de l'humilité dans le publicain.
Instruisons-nous, et apprenons de là tout ensemble ce que nous devons éviter comme l’écueil le plus dangereux, et ce que nous devons nous efforcer d'acquérir et de pratiquer en toute rencontre comme une des plus excellentes et des plus solides vertus.
BOURDALOUE, PARABOLE DU PHARISIEN ET DU PUBLICAIN, OU CARACTÈRE DE L'ORGUEIL ET DE L'HUMILITÉ, ET LES EFFETS DE L'UN ET DE L'AUTRE