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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

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Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

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... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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SALVE REGINA

4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 11:00

C'est une vérité incontestable, que Dieu aveugle quelquefois les hommes ; et quand l'aveuglement des hommes entre dans l'ordre des divins décrets, il est de la foi que c'est un effet du péché, parce que c'est une des peines dont Dieu punit le péché. Ainsi le prophète Isaïe le faisait-il entendre, lorsqu'il disait, en parlant des Juifs infidèles : Excœcavit Deus oculos eorum ; C'est Dieu qui les a aveuglés : ce Dieu, le centre des lumières : ce Dieu, dans qui il n'y a point de ténèbres : ce Dieu qui éclaire tout homme venant au monde, c'est lui néanmoins qui les a précipités dans l'aveuglement où ils sont ; et leur aveuglement est tel, qu'ayant des yeux, ils ne voient plus, et qu'ayant des cœurs, ils ne comprennent rien ni ne sont touchés de rien : Ut non videant oculis, et non intelligant corde. Or, il est évident qu'Isaïe s'expliquant ainsi, considérait cet aveuglement comme un mystère de la justice de Dieu, comme un effet de sa colère, comme une vengeance du ciel. Il est donc vrai que non seulement Dieu aveugle les pécheurs, mais qu'il ne les aveugle qu'en conséquence et en haine de leur péché ; d'où il s'ensuit que l'aveuglement est alors l'effet du péché.

 

De savoir, Chrétiens, de quelle manière s'accomplit une punition en apparence si contraire à la sainteté de Dieu, et comment Dieu, qui est la lumière même, peut aveugler une créature raisonnable et intelligente, c'est un des secrets de la prédestination, ou, si vous voulez, de la réprobation des hommes, que nous devons révérer, mais qu'il ne nous appartient pas de pénétrer. A prendre les termes dans toute leur rigueur, on dirait que Dieu, par une action réelle et positive, opère lui-même cet aveuglement intérieur ; et je conviens de bonne foi qu'il y a sur ce point, dans le texte sacré, des expressions très fortes, et qui demandent du discernement et de la précision, pour ne s'y pas laisser surprendre. Car, quand saint Paul dit, par exemple, que Dieu enverra à ceux qui périssent, c'est-à-dire aux réprouvés, un esprit d'erreur pour croire au mensonge : Ideo mittet illis Deus operationem erroris, ut credant mendacio ; qui ne conclurait de là que Dieu agit en effet dans une âme criminelle, pour lui inspirer le mensonge, comme il agit dans une âme juste, pour y répandre la lumière de sa grâce ? Et quand nous lisons dans le livre des Rois, que Dieu, par un dessein formé, suscita un démon pour séduire Achab, qu'il lui en donna la commission expresse, et qu'au même temps il mit un esprit de mensonge dans la bouche des prophètes en qui cet infortuné monarque avait plus de confiance : Nunc igitur dedit Deus spiritum mendacii in ore omnium prophetarum ; prenant la chose à la lettre, ne dirait on pas que Dieu, par une providence à lui seul connue, est la cause immédiate qui produit l'aveuglement du pécheur ?

 

Mais, mes Frères, dit saint Augustin, il n'en va pas ainsi. Dieu, l'éternelle et l'essentielle vérité, ne peut jamais être l'auteur du mensonge ; et, tout Dieu qu'il est, il ne peut jamais nous tromper, parce qu'il ne peut jamais cesser d'être un Dieu fidèle. S'il nous aveugle, c'est par voie de privation, et non d'action ; c'est en retirant ses lumières, et non en nous imprimant l'erreur ; c'est en nous abandonnant à nos propres vues et aux suggestions des méchants, et non en nous donnant lui-même des vues fausses. Car, de quelques termes que l'Ecriture se soit servie, la foi nous oblige à les interpréter de la sorte. Il y a plus, et j'ajoute que suivant le sentiment du même saint Augustin, dont le concile de Trente nous a proposé, sur ce point, la doctrine pour règle, on doit conclure que Dieu n'aveugle jamais tellement les hommes en cette vie, qu'il les laisse dans une privation entière et absolue des lumières de sa grâce. Pourquoi ? parce que les hommes tomberaient par là dans une impuissance absolue et entière de garder sa loi, et qu'elle leur deviendrait impraticable. Or, c'est une maxime de religion d'autant plus sûre, qu'elle est nécessaire pour réprimer le libertinage, que Dieu, souverainement juste, souverainement sage, souverainement bon, ne nous demande jamais rien d'impossible : Impossibilia non jubet (ce sont les paroles de saint Augustin citées par le concile), sed jubendo monet, et facere quod possis, et petere quod non possis, et adjuvat ut possis. Il nous laisse donc toujours des lumières suffisantes, sinon pour marcher dans la voie du salut, au moins pour la chercher; sinon pour agir, au moins pour prier ; sinon pour savoir, au moins pour douter. Or, il n'en faut pas davantage, Seigneur, pour être en pouvoir d'accomplir votre loi, et pour faire que dans vos plus sévères jugements vous soyez irréprochable si nous ne l'accomplissons pas : Ut justificeris in sermonibus tuis, et vincas cum judicaris.

 

Que fait donc Dieu pour nous aveugler et pour nous punir ? rien autre chose, Chrétiens, que de s'éloigner de nous, et de nous livrer à nous-mêmes. C'est-à-dire que Dieu, en punition de nos infidélités et de nos désordres, ne nous donne plus certaines lumières qu'il nous donnait autrefois : lumières vives et pénétrantes, lumières de faveur et de choix ; lumières qui nous détacheraient du monde et qui nous en découvriraient sensiblement la vanité, qui nous feraient goûter Dieu et nous rendraient son joug aimable ; qui, dans la pénitence la plus austère, nous feraient trouver de saintes délices, et, dans les croix les plus dures, des sources de consolation ; lumières qui cent fois ont produit des miracles de pénitence dans les pécheurs les plus opiniâtres ; en tel et en tel, mon cher auditeur, dont vous avez connu les égarements, et que vous avez vu ensuite, touché de ces victorieuses lumières, prendre hautement le parti de la piété ; lumières dont nous avons nous-mêmes senti la vertu, tandis que nous vivions dans l'ordre, et qui ne se sont éclipsées que parce que le péché nous a séparés de Dieu. Ce sont là, Chrétiens, les lumières dont Dieu nous prive quand nous l'irritons, et c'est la perte de ces lumières qui fait notre aveuglement.

 

Or, je prétends, et voici la dernière pensée avec laquelle je vous renvoie, je prétends que cet aveuglement, ainsi expliqué est l'effet le plus redoutable de la justice de Dieu vindicative, le châtiment le plus rigoureux que Dieu puisse exercer sur les pécheurs, celui qui approche davantage de la réprobation, et que l'on peut dire être déjà une réprobation anticipée. C'est pourquoi, remarque saint Chrysostome, quand Isaïe, brûlé de zèle pour les intérêts de Dieu, semblait vouloir engager Dieu à punir les impiétés de son peuple, il se contentait de lui dire : Excœca cor populi hujus : Aveuglez, mon Dieu, le cœur de ce peuple. Car il savait que Dieu, dans les trésors de sa justice, n'a point de vengeance plus terrible que cet aveuglement du cœur. Vous me demandez en quoi elle surpasse toutes les autres ? En voici la raison, Chrétiens, que vous n'avez peut-être jamais comprise, et qui néanmoins est une des plus solides vérités de votre religion. C'est que l'aveuglement où Dieu permet que nous tombions, en conséquence de nos crimes, est un mal tout pur, sans aucun mélange de bien. Ecoutez-moi. Tous les autres maux de la vie sont, il est vrai, des châtiments du péché, mais ils ne laissent pas d'être, si nous le voulons, des moyens de salut ; et il n'y en a point, si nous en savons bien user, que nous ne puissions mettre au nombre des grâces, parce qu'au même temps que Dieu nous en fait porter la peine par sa justice, il nous les rend utiles par sa bonté.

 

Ce sont des maux, dit saint Chrysostome, qui nous purifient en nous affligeant qui nous corrigent, qui nous servent d'épreuves, qui nous aident à rentrer dans nous-mêmes, qui nous détachent des objets créés, et nous forcent de retourner à Dieu. Mais l'aveuglement est un mal stérile, dont nous ne pouvons tirer aucun profit. Il y a, disent les théologiens, des peines médicinales ; il y en a de satisfactoires ; il y en a de méritoires. De médicinales, pour nous préserver du péché ; de satisfactoires, pour l'expier ; de méritoires, pour nous sanctifier : mais dans l'aveuglement, ni précaution, ni satisfaction, ni sanctification. Quand Dieu m'envoie des adversités, une maladie, une humiliation, j'ai toujours de quoi me consoler. Car dans ma peine, je lui dis : Seigneur, soyez béni ; vous me châtiez en père : cette maladie, dans l'ordre de votre providence, est pour moi un purgatoire et un exercice de patience. Trop heureux si j'en fais un tel usage ! j'abusais de ma santé pour mener une vie mondaine et dissipée ; en me l'ôtant, vous m'avez, malgré moi, séparé du monde : peine médicinale. J'avais horreur de la pénitence ; vous me la faites faire par nécessité : peine satisfactoire. J'étais lâche dans votre service, et négligent dans les devoirs du christianisme ; mais si je ne vous honore pas en agissant, vous me donnez de quoi vous honorer en souffrant : peine méritoire. Voilà ce qui adoucit mes maux. Mais quand je tombe dans l'aveuglement, je ne puis rien penser de tout cela ; pourquoi ? c'est que, par ce genre de peine, je ne satisfais point à Dieu, je ne mérite rien devant Dieu, je ne deviens pas meilleur selon Dieu : Dieu me punit, et rien de plus.

 

Or en cela, Chrétiens, le châtiment dont je parle ressemble encore à celui des réprouvés. Car quel est pour les réprouvés le comble de la misère ? c'est que jamais Dieu ne sera satisfait de leurs souffrances ; et que plus ils souffrent, plus ils sont obstinés dans leur malice. De même, l'aveuglement, bien loin d'effacer nos péchés, les augmente ; bien loin de soumettre nos cœurs, les révolte ; bien loin d'apaiser Dieu, le courrouce : il a tout le mal de la peine, sans en avoir aucun effet salutaire. Peine éternelle, ajoute saint Chrysostome, aussi bien que celle des réprouvés. Tous les autres maux, quelque grands qu'ils soient, ont un tenue ; l'aveuglement n'en a point : la mort, qui finit tout le reste, au lieu de le faire cesser, lui donne, pour ainsi parler, un caractère de perpétuité ; et comme un saint en mourant passe, selon l'expression de saint Paul, de lumière en lumière et de clarté en clarté, c'est-à-dire de la lumière de la foi à la lumière de la gloire, et de la clarté des justes à celle des bienheureux : A claritate in claritatem ; aussi la mort fait-elle passer un mondain que Dieu réprouve, de ténèbres en ténèbres et d'aveuglement en aveuglement, je veux dire de l'aveuglement temporel à l'aveuglement éternel, et des ténèbres du péché aux ténèbres de l'enfer.

 

Après cela, conclut admirablement saint Augustin, dites que Dieu dès cette vie ne punit pas spécialement les pécheurs et les libertins. Dites qu'il n'a point pour eux de châtiment qui dès cette vie les distingue de ses élus, et qu'en toutes choses il les confond avec les gens de bien. Vous vous trompez, mes Frères, reprend ce saint docteur : Dieu juge les mondains dès cette vie, et dès cette vie il met entre eux et ses élus une terrible différence, par la différente manière dont il les châtie : Utique est Deus judicans eos in terra. Il n'attend pas jusqu'à la fin des siècles pour séparer le bon grain d'avec la paille ; mais il a dès maintenant une espèce de peine qui lui suffit pour ce triage, et c'est l'aveuglement dans le péché. Si nous ne l'appréhendons pas, si nous n'en avons pas autant d'horreur que de l'enfer même, malheur à nous ! Ah ! Seigneur, s'écriait le même Père, que vous êtes adorable et impénétrable dans vos jugements ! mais que vous l'êtes surtout dans cette loi fatale qui vous fait répandre de si affreuses ténèbres sur les hommes, pour punir les désirs injustes et déréglés de leurs coeurs ! Quam secretus es, habitans in excelsis, in silentio : Deus solus et Deus magnus, lege infatigabili spargens pœnales cœcitates super illicitas cupiditates !

 

Si ce Dieu vengeur n'a pas encore exercé sur vous, mes Frères, cette rigoureuse justice; s'il n'a pas encore permis que vous soyez tombés dans ce triste état, ce n'est pas peut-être que vous ne l'ayez déjà bien mérité : mais c'est qu'il a usé envers vous d'une plus grande miséricorde qu'à l'égard de tant d'autres. Cependant, prenez garde que cette bonté ne se lasse enfin, et craignez la patience même d'un Dieu, qui frappe d'autant plus rudement qu'il a plus longtemps arrêté ses coups. Qui sait s'il a résolu d'attendre davantage ? Qui sait si ce ne sera pas après le premier péché que vous allez commettre, qu'il éteindra pour vous ses lumières et qu'il vous aveuglera ? Qui ne doit pas être saisi de frayeur, en pensant qu'il y a un péché que Dieu a marqué comme le dernier terme de sa grâce ? je dis de cette grâce puissante sans laquelle nous ne nous sauverons jamais. Quel est-il ce péché ? je ne le puis connaître. Après quel nombre de péchés viendra-t-il ? c'est ce que j'ignore. De quelle nature, de quelle espèce est-il ? autre mystère pour moi. Est-ce un péché particulier et extraordinaire ? est-ce un péché ordinaire et commun ? abîme où je ne découvre rien.

 

Tout ce que je sais, ô mon Dieu ! c'est que je ne dois rien oublier, rien ménager pour prévenir le malheur dont vous me menacez. Heureux que vous m'ayez fait voir le danger, non moins heureux, que vous vouliez encore m'aider à en sortir ! Souverainement heureux, si je marche désormais à la faveur de vos divines lumières, jusqu'à ce que j'arrive à la gloire éternelle.

 

BOURDALOUE, SUR L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bourdaloue/

 

Le Christ et les vierges sages, Cathédrale de Strasbourg

Le Christ et les vierges sages, Cathédrale de Strasbourg

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3 avril 2014 4 03 /04 /avril /2014 11:00

J'appelle aveuglement cause du péché, quand l'homme ne pèche que parce qu'il est aveugle, et que, dans la disposition où il se trouve, il ne pécherait pas s'il avait certaines vues qu'il n'a pas en effet, mais qu'il pourrait, et par conséquent qu'il devrait avoir. Car il est vrai de dire alors que son aveuglement ou que son ignorance est la cause de son désordre, puisque son ignorance venant à cesser, son désordre cesserait de même.

 

En fut-il jamais un exemple plus authentique, et tout ensemble plus terrible, que le crime des pharisiens commis dans la personne du Sauveur du monde ? Un Dieu livré à la cruauté des hommes ; un Dieu moqué, outragé, condamné, crucifié ; voilà sans doute un péché dont la seule idée fait horreur, et cependant un péché dont l'ignorance a été le principe. Les pharisiens avaient entrepris de perdre Jésus-Christ, mais ils ne savaient pas que Jésus-Christ était le Messie et le Fils unique de Dieu. Oui, mes Frères, leur dit saint Pierre, prêchant dans leur synagogue, je sais que vous avez agi en cela, aussi bien que vos magistrats, par ignorance : Sed et nunc scio quia per ignorantiam fecistis, sicut et principes vestri. Vous avez opprimé le Juste, vous avez donné la mort à l'Auteur même de la vie, vous lui avez préféré un voleur public ; mais vous l'avez fait, parce que vous étiez dans l'erreur. Jésus-Christ ne le témoigna-t-il pas lui-même, lorsque sur la croix il dit à son Père : Pardonnez-leur, mon Père, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font : Ignosce illis, nesciunt enim quid faciunt. Cependant ils commettaient le plus abominable de tous les crimes : mais, encore une fois, d'où procédait ce crime si abominable ? de l'aveuglement où la passion et la haine les avait plongés.

 

Rien de plus commun dans le christianisme que ces ignorances qui font tomber les hommes dans le péché, ou que ces péchés causés par l'ignorance des hommes. Combien d'injustices dans le commerce, combien d'usures, de prêts où la conscience est blessée, faute de savoir ce que la loi de Dieu permet et ce qu'elle défend ? Si j'en avais été instruit, dit-on, je n'aurais eu garde de m'engager dans cette affaire ; car à Dieu ne plaise que, pour nul intérêt du monde, je risque jamais mon salut ! Vous le pensez de la sorte, mon cher auditeur, et je le veux croire ; mais cependant vous avez fait ce que le Seigneur condamne hautement dans l'Ecriture : d'un argent qui devait être le secours des pauvres et la matière de votre charité, vous avez retiré un profit injuste, et cette usure déguisée, palliée tant qu'il vous plaira, a été la suite de votre ignorance. De même, combien d'aversions, de haines secrètes, d'inimitiés même déclarées, qui n'ont point d'autre fondement que la prévention et l'erreur ? Voilà, disait Tertullien, faisant l'apologie des premiers fidèles, d'où viennent toutes les violences qu'exercent contre nous les païens. Ce qui les porte à ces extrémités, c'est la haine qu'ils ont conçue pour la religion chrétienne. Haine fondée sur l'ignorance. Car ils ne haïssent les chrétiens que parce qu'ils ne les connaissent pas ; et du moment qu'ils les connaissent ils commencent à les aimer : Haec causa iniquitatis illorum erga christianos : ubi desinunt ignorare, cessant odisse.

 

Or, de chrétien à chrétien, c'est ce qui arrive encore tous les jours. Car combien, par exemple, de péchés contre la charité, combien de discours injurieux et de médisances, combien même de calomnies dont l'ignorance est la source ? Si l'on s'était bien instruit de la vérité des choses, on aurait parlé sagement, équitablement, charitablement ; et, rendant justice au prochain, on aurait par là conservé la paix. Mais parce qu'on s'est prévenu, parce qu'on ne s'est pas mis en peine de démêler le vrai d'avec le faux ; parce que, sur un léger soupçon, ou sur un rapport infidèle, on a cru ce qui n'était pas ; en un mot, parce qu'on a ignoré la vérité, on a condamné l'innocence, on a blessé l'honneur et détruit la réputation de son frère, on s'est piqué, on s'est aigri, on s'est emporté ; et de là tous les désordres que l'animosité et la vengeance ont coutume de produire.

 

On vous l'a dit cent fois, femmes chrétiennes, et l'on ne peut trop vous le redire : en matière d'impureté, notre religion condamne mille libertés comme criminelles, qui, dans l'estime commune, passent pour de simples vanités, et pour des légèretés dont on ne peut croire que Dieu se tienne si grièvement offensé. Si l'on était bien persuadé que ce sont des péchés et souvent des péchés mortels, est-il croyable que tant de personnes élevées dans la piété fussent néanmoins là-dessus si peu régulières, et qu'elles voulussent exposer ainsi leur salut ? Non : mais parce que le monde, ou pour mieux dire, parce que le libertinage du monde s'est mis en possession de qualifier tout cela comme il lui plaît, sans consulter d'autre règle on se le permet sans scrupule, et ce sont ces erreurs du monde qui entretiennent dans les âmes le règne de l'esprit impur. Laissons ce détail qui serait infini, et venons au point important que j'ai présentement à développer.

 

On demande donc, et voici la grande règle d'où dépend, dans la pratique et dans l'usage de la vie, le jugement exact que chacun doit faire de ses actions ; on demande si cet aveuglement, qui est la cause du péché, peut toujours devant Dieu, notre souverain juge, nous tenir lieu d'excuse et nous justifier. Mais si cela était, répond saint Bernard, Dieu, dans l'ancienne loi, aurait-il ordonné des sacrifices pour l'expiation des ignorances de son peuple ? David, dans la ferveur de sa contrition, aurait-il dit à Dieu : Seigneur, oubliez mes ignorances passées : Delicta juventutis meœ , et ignorantias meas ne memineris ? N'aurait-il pas dû dire au contraire : Souvenez-vous de mes ignorances ; car, puisqu'elles me sont favorables, et qu'elles me doivent servir d'excuse auprès de vous, il est de mon intérêt que vous en conserviez la mémoire ? Est-ce ainsi qu'il parle ? Non ; mais il dit à Dieu : Oubliez-les, effacez-les de ce livre redoutable que vous produirez contre moi, quand vous viendrez me juger. Il n'est donc pas vrai que l'ignorance soit toujours une excuse légitime, lorsqu'il est question de péché.

 

Je vais encore plus loin, car je prétends qu'elle ne l'est presque jamais pour la plupart des chrétiens. Ceci vous surprendra, mais je l'avance sans hésiter, et je dis hautement que, dans le siècle où nous vivons, une des excuses les moins soutenables est communément l'ignorance : pourquoi ? parce que, dans le siècle où nous vivons, il y a trop de lumières pour pouvoir s'autoriser de ce prétexte : Si non venissem et non locutus fuissem, peccatum non haberent. Si je n'étais pas venu, disait le Fils de Dieu , et que je ne leur eusse point parlé, leur incrédulité serait excusable ; mais maintenant que je leur ai annoncé le royaume de Dieu, et que je ne leur ai rien caché des vérités éternelles, ils n'ont plus d'excuses dans leur péché : Nunc autem excusationem non habent de peccato suo. Appliquons-nous ce reproche que Jésus-Christ faisait aux Juifs. Si nous vivions au milieu de la barbarie, dans un siècle où la parole de Dieu fût aussi rare qu'elle l'était, selon l'Ecriture, du temps de Samuel ; si l'on nous avait déguisé les vérités de l'Evangile, si l'on ne nous les avait proposées qu'en énigmes et en figures, si l'on n'avait pas eu soin de nous les représenter dans toute leur force, peut-être aurions-nous droit de faire fond sur notre ignorance, et nous serait-elle de quelque usage devant le tribunal de Dieu. Mais dans un royaume aussi chrétien que celui où Dieu nous a fait naître ; mais dans un temps où la parole de Dieu, ce pain d'entendement et de vie, selon l'expression du Sage : Panem vitœ et intellectus, se distribue si amplement et si souvent ; mais dans une cour où ceux qui écoutent cette parole se piquent de tant d'esprit et de pénétration, dire : je n'avais pas assez de lumières, et j'ai péché par ignorance, c'est un abus, Chrétiens. Une telle excuse est vaine, et n'a point d'autre effet que de nous rendre encore plus criminels. C'est ce voile de malice dont saint Pierre nous défend de nous couvrir, en rejetant sur Dieu ce que nous devons avec confusion nous imputer à nous-mêmes.

 

Mais enfin, me direz-vous, malgré cette abondance de lumières, on ignore encore cent choses essentielles au salut, surtout à l'égard de certains devoirs. Ah ! mes chers auditeurs, je l'avoue; mais c'est justement sur quoi je gémis, que dans un aussi grand jour que celui où nous sommes, il y ait encore tant de choses que nous ne voyons pas, et qu'au milieu de tant de clartés qui nous environnent notre aveuglement subsiste : voilà ce qui me surprend, et ce que je condamne. Quand les pharisiens protestèrent qu'ils ne connaissaient pas Jésus-Christ, et qu'ils ne savaient pas même d'où il était : Hunc autem nescimus unde sit ; bien loin que cette raison fermât la bouche à l'aveugle-né, elle ne fit qu'allumer son zèle : C'est ce qui paraît bien étonnant, leur répliqua-t-il, que vous ne sachiez pas d'où il est, et que ce soit pourtant lui qui m'ait ouvert les yeux : In hoc mirabile est, quia vos nescitis unde sit, et aperuit oculos meos. Comme leur disant qu'après un miracle aussi visible que celui-là, ils ne devaient plus chercher d'excuse dans leur ignorance, parce que ce miracle que Jésus-Christ venait de faire l'avait hautement et pleinement réfutée. Je dis le même de vous et de moi. Oui, mes Frères, il est bien étonnant que, sans y penser et sans le savoir, nous péchions tous les jours par ignorance, et que Dieu néanmoins ait si abondamment pourvu à notre instruction, qu'il s'explique à nous par tant de voix, qu'il nous parle par tant d'organes, qu'il ait établi tant de ministres pour nous déclarer ses volontés, tant de docteurs pour nous interpréter ses commandements, tant de guides pour nous diriger et pour nous conduire : In hoc mirabile est ; voilà le prodige, mais le prodige de notre iniquité, dont il serait bien indigne qu'on osât se prévaloir contre Dieu. C'était une erreur du mauvais riche dans l'enfer, de croire que ses frères, qui vivaient encore sur la terre, et qui menaient une vie aussi corrompue que la sienne, pussent s'excuser sur leur ignorance, jusqu'à ce que Lazare ou quelqu'un des morts leur eût été envoyé pour leur parler de la part de Dieu, et pour les instruire du malheureux état où ils se trouvaient engagés. Non, non, lui répondit Abraham, il n'est pas besoin que Lazare, pour cela, sorte du lieu de son repos : ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent : s'ils ne les écoutent pas, il n'y a plus d'ignorance qui les justifie.

 

Voilà, Chrétiens, comment Dieu nous traite, quand notre ignorance nous fait tomber dans le désordre, et que notre infidélité présomptueuse et orgueilleuse nous fait souhaiter d'être instruits par des voies extraordinaires: Habent Moysen et prophetas : Ils ont Moïse et les prophètes, c'est-à-dire, ils ont ma loi d'un côté, et ils ont de l'autre des pasteurs, des prédicateurs, des confesseurs, pour leur en donner l'intelligence ; s'ils ne l'accomplissent pas, leur ignorance n'est plus pour eux une raison : Nunc autem excusationem non habent de peccato suo. Et en effet, quand après cela nous péchons par ignorance, nous sommes non seulement coupables, mais inexcusables ; pourquoi ? observez ceci : parce qu'alors nous agissons ou contre nos propres lumières, ou du moins contre nos doutes. Contre nos propres lumières ; car au milieu des ténèbres de notre ignorance, nous ne laissons pas d'avoir des lumières confuses qui nous suffisent pour éviter le péché, si nous voulions nous en servir, et qui ne nous deviennent inutiles que faute de réflexion. Or, nous est-il pardonnable de faire si peu de réflexion à l'affaire capitale du salut ? S'il s'agissait d'une affaire temporelle, l'esprit ne nous manquerait pas, et nous saurions bien trouver des lumières pour en venir à bout ; mais pour le salut, nous n'en trouvons point, et je dis qu'il n'y a pas d'apparence que Dieu se contente de cela. Contre nos doutes ; car, quand même nous n'aurions pas assez de lumières pour juger des choses, nous en avons souvent assez pour douter. Or, du moment que nous en avons assez pour douter, si nous passons outre, nous en savons assez pour juger. Je doute si cette affaire est selon les règles de la conscience, et néanmoins je m'y embarque : je ne suis pas moins coupable que si je commettais le péché avec une évidence entière du péché. Je doute si ce bien m'est légitimement acquis, et toutefois, sans nulle recherche, je le retiens et j'en dispose ; c'est comme si je l'enlevais par une violence ouverte ; pourquoi ? parce qu'il ne nous est pas permis d'agir sur une conscience douteuse, et qu'un doute que je ne veux pas éclaircir m'empêche d'être dans la bonne foi, sans laquelle il n'y a point d'ignorance qui me puisse disculper. Ainsi raisonnent les théologiens.

 

Ah ! Chrétiens, souvenons-nous que la première de toutes les obligations est de savoir. Souvenons-nous qu'un péché ne peut jamais servir d'excuse à un autre péché, et par conséquent qu'il est inutile de vouloir justifier nos omissions et nos transgressions par nos ignorances, qui sont elles-mêmes de véritables péchés. Souvenons-nous qu'on est souvent plus criminel devant Dieu, ou aussi criminel de dire : Je ne l'ai pas su ; que de dire : Je ne l'ai pas fait. C'est sur ce principe, mes chers auditeurs, que nous devons aujourd'hui nous examiner. Il ne suffit pas de nous l'appliquer personnellement à nous-mêmes ; il faut qu'il s'étende sur tous ceux dont Dieu nous a chargés, et dont il nous demandera compte. Car voici le désordre : permettez-moi de vous le reprocher. Vous avez des enfants à élever, et vous les élevez tous les jours dans une ignorance grossière des points les plus essentiels au salut. Vous leur apprenez tout le reste, hors à connaître Dieu et à le servir. Vous leur donnez des maîtres pour les former selon le monde, et vous ne leur pardonnez pas là-dessus les moindres négligences ; mais s'ils sont bien instruits de leur religion, mais s'ils ont la crainte de Dieu, mais s'ils s'acquittent exactement des exercices ordinaires du christianisme, c'est à quoi vous pensez très peu, et peut-être à quoi vous ne pensez jamais.

 

Vous, Mesdames, vous avez des jeunes filles qui vous doivent la naissance, et à qui vous devez l'éducation : qu'elles pèchent par ignorance contre les règles d'une civilité mondaine, vous les reprenez avec aigreur ; mais qu'elles pèchent par ignorance contre la loi de Dieu, c'est ce que vous leur passez aisément. Vous avez des domestiques : ils sont chrétiens, et à peine savent-ils ce que c'est que d'être chrétien ; ils viennent au tribunal de la pénitence, et à peine savent-ils ce que c'est que pénitence ; ils se présentent à nos sacrements, et ils y commettent des sacrilèges. Leur ignorance les excuse-t-elle ? non ; mais elle vous excuse encore moins qu'eux : car s'ils sont obligés de s'instruire, vous êtes obligées de pourvoir à ce qu'ils le soient, et c'est en partie pour cela que Dieu veut qu'ils dépendent de vous. Vous me demandez à qui vous les adresserez pour leur enseigner les éléments du salut ? Ne vous offensez pas de ce que je vais vous répondre. A qui, dites-vous, les adresser ? mais moi je vous dis : Pourquoi sera-ce à d'autres qu'à vous-mêmes, puisque Dieu vous les a confiés ? croiriez-vous donc vous déshonorer, en faisant auprès d'eux l'office même des apôtres ? Mais encore à qui aurez-vous recours si vous n'en voulez pas prendre le soin ? à tant de ministres zélés, qui se tiendront heureux de s'employer à un si saint ministère. Oserai-je le dire ? à moi-même : oui, à moi, qui me ferai une gloire de cultiver ces âmes rachetées du sang de Jésus-Christ.

 

D'autres s'appliqueront à vous conduire vous-mêmes, et vous en trouverez assez. Mais pour ces pauvres, aussi chers à Dieu que tout ce qu'il y a de grand dans le monde, je les recevrai, je serai leur prédicateur, comme je suis maintenant le vôtre. Je vous laisserai le pouvoir de leur commander, et je me réserverai la charge ou plutôt l'honneur de leur faire entendre les ordres du souverain Maître à qui nous devons tous obéir, et de leur expliquer sa loi. Je les tirerai de cette ignorance, qui, bien loin d'être, et pour vous et pour eux, un titre de justification, vous expose encore à tomber dans un troisième aveuglement, qui est l'effet du péché et le sujet de la dernière partie.

 

BOURDALOUE, SUR L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE

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L'hiver, Houdon, Musée Fabre, Montpellier

L'hiver, Houdon, Musée Fabre, Montpellier

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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 11:00

Car négliger cette lumière, beaucoup plus, la craindre et la fuir, c'est dire à Dieu que nous ne voulons pas qu'il nous prévienne de son amour, que nous ne voulons pas qu'il nous imprime la crainte de ses jugements, que nous ne voulons pas même qu'il nous donne de la confiance en lui, que nous ne voulons pas qu'il touche notre cœur, et qu'il en fasse un cœur pénitent et contrit : comment cela ? parce que, dans la doctrine de saint Augustin, la crainte de Dieu, l'amour de Dieu, la confiance en Dieu, la haine du péché, sont autant de grâces d'inspiration et d'affection, qui supposent essentiellement les grâces de lumière et de connaissance.

 

Du moment donc que nous renonçons par un aveuglement volontaire à cette grâce de connaissance , nous nous rendons incapables de tous les autres dons de Dieu, et de tous les sentiments qui pouvaient nous ramener à Dieu. Or, je vous demande si l'on peut rien concevoir de plus directement opposé au salut ? Prenez garde s'il vous plaît : tandis que nous avons ces connaissances qui nous règlent par rapport au salut, quelque pécheur du reste que nous soyons, Dieu agit encore dans nous ; et malgré la corruption de nos mœurs nous sommes toujours en quelque manière sous l'empire de sa grâce. D'où vient que le Sauveur disait : Marchez pendant que vous avez la lumière : Ambultate dum lucem habetis. Mais dès que cette lumière nous manque, toutes les opérations de la grâce cessent, et nous pouvons dire que nous cessons d'être nous-mêmes dans la voie du salut. Je dis plus : car non seulement ce péché d'un aveuglement volontaire nous ôte la lumière, mais il nous ôte même le désir d'avoir la lumière ; non seulement il nous fait sortir de la voie du salut, mais il nous fait perdre en quelque façon l'espérance d'y rentrer, puisqu'il est certain que le premier pas pour rentrer dans la voie du salut est de la chercher, de l'étudier, de vouloir l'apprendre.

 

Or, c'est à quoi ce péché a une essentielle opposition. Saint Chrysostome nous en donne la figure et la preuve dans l'exemple de l'aveugle de Jéricho. Cet aveugle eût-il jamais été guéri par le Fils de Dieu, s'il ne l'avait ardemment désiré ? non ; mais il cria, mais il pressa, mais il importuna, mais il témoigna une envie extrême de voir : Domine, ut videam : et c'est pour cela que Jésus-Christ lui rendit la vue. Nous ne faisons rien de semblable ; c'est-à-dire, nous n'avons pas même ce désir que Dieu nous éclaire, et nous ne pensons pas à l'exciter ni à le demander. Nous sommes donc dans le dernier éloignement où nous puissions être du royaume de Dieu. Je me trompe, il y a encore quelque chose de plus affreux dans ce péché; et quoi ? c'est que souvent, bien loin d'avoir cette volonté sincère d'être éclairés de Dieu, nous en avons une toute contraire ; et qu'au lieu de dire à Dieu : Seigneur, que je voie; nous nous disons secrètement à nous-mêmes, par un attachement opiniâtre à notre désordre : Que je ne voie jamais ce qui me gène, et ce qui ne servirait qu'à me troubler. Péché que je n'appelle plus simple péché, mais, si j'ose le dire, une fureur pareille à celle de l'aspic, qui, selon la comparaison du Saint-Esprit, se bouche les oreilles pour n'entendre pas la voix de l'enchanteur : Furor illis secundum similitudinem serpentis : sicut aspidis surdœ , et obturantis aures suas. Avec cette différence, dit saint Bernard, que quand l'aspic bouche ses oreilles, c'est pour conserver sa vie, au lieu que quand nous fermons les yeux à la vérité, c'est pour notre ruine et pour notre mort.

 

J'ai dit que ce péché seul mettait Dieu dans une espèce d'impuissance de nous sauver, et l'obligeait à nous dire, quoique dans un autre sens, ce que Jésus-Christ dit à l'aveugle dont je viens de vous proposer l'exemple : Quid tibi vis faciam ? A quoi m'obliges-tu, pécheur ? et dans l'état malheureux où je te vois, que veux-tu que je te fasse ? que je te sauve sans grâce ? cela n'est pas dans mon pouvoir. Que je te donne des grâces sans lumières ? il n'y en eut jamais de la sorte. Que par des lumières forcées je te sanctifie malgré toi ? ce n'est point l'ordre de ma providence. Que par un miracle spécial je change pour toi les lois de cette providence ? ma justice s'y oppose, et ma miséricorde même ne l'exige pas. Il faut donc, en m'accommodant à tes dispositions, que je te laisse périr, et parce que tu veux t'aveugler, que j'arrête le cours de mes grâces, puisqu'il n'y en a aucune qui te puisse convertir, tandis que tu persisteras à ne vouloir pas connaître les vérités du salut.

 

Je sais, Chrétiens, que Dieu peut, indépendamment de nous , pénétrer nos esprits de ses lumières. Je sais qu'il est de leur essence, en tant que ce sont des grâces, d'être produites dans nous sans nous-mêmes : In nobis , sine nobis, dit saint Augustin. Je sais qu'il ne nous est pas libre de les recevoir ou de ne les pas recevoir quoiqu'il nous soit libre, après les avoir reçues, d'en bien ou d'en mal user. Mais il est toujours vrai que, quand nous haïssons, quand nous fuyons ces lumières, nous formons tout l'obstacle à notre salut qu'une créature de sa paix y peut former ; et que, pour surmonter cet obstacle, il faudrait que Dieu employât des grâces extraordinaires, et qu'il fît un miracle de sa toute-puissance. Or, cela me suffit pour avoir droit de dire que cette espèce d'aveuglement est donc de tous les péchés le plus opposé à la conversion et au salut de l'homme.

 

Péché, mes chers auditeurs, où nous devons tous craindre de tomber, mais encore plus ceux qui, dominés par leurs passions, se laissent emporter au torrent du monde. Et voilà pourquoi je voudrais que tous ceux qui m'écoutent se proposassent aujourd'hui de faire tous les jours à Dieu cette prière que faisait si souvent David, et qui marquait si bien la droiture de son cœur : Revela oculos meos : Seigneur, éclairez-moi, et ouvrez-moi les yeux. Illumina tenebras meas : Seigneur, dissipez les ténèbres de mon esprit. Illustra faciem tuam super servum tuum : Faites rejaillir l'éclat de votre visage sur votre serviteur. Détrompez-moi des erreurs et des fausses maximes du siècle. Je suis aveugle, il est vrai ; mais au moins par votre miséricorde, ô mon Dieu, je ne me plais pas dans mon aveuglement, puisqu'au contraire je le déplore et que je l'ai en horreur. Je marche dans l'obscurité d'une foi languissante et imparfaite ; mais au moins je désire vos saintes lumières, je vous les demande, je suis dans l'impatience de les obtenir, je les préfère à toute la sagesse mondaine, je veux me disposer à les recevoir. Et parce que je sais que ce n'est point dans le bruit et le tumulte du monde que vous les répandez, et qu'au contraire c'est là qu'elles s'évanouissent, je veux désormais me séparer du monde ; je veux régler mes occupations et mes conversations, et en retrancher le superflu ; je veux m'occuper de vous et de moi-même, afin que dans le silence d'une vie tranquille et intérieure je puisse entendre votre voix, et profiter de vos divines instructions. Ah ! mon Dieu, changez donc et purifiez mon cœur : Cor mundum crea in me, Deus. Et comme il ne peut être réglé que par les connaissances de l'esprit, renouvelez le mien : Et spiritum rectum innova in visceribus meis. Donnez-moi cette intelligence qui fait les prédestinés et les saints : Da mihi intellectum, ut sciam justificationes tuas.

 

Si je vous la demande, Seigneur, ce n'est point pour me rendre plus habile dans les affaires du monde, ce n'est point pour avoir l'estime et l'approbation du monde, ce n'est point pour me distinguer et pour m'élever dans le monde : je serai toujours assez distingué, Seigneur, quand je serai devant vous et auprès de vous ; je serai toujours assez grand, quand je vous craindrai. Mais donnez la-moi pour n'ignorer rien dans ma condition de tous mes devoirs, pour savoir toutes vos volontés, et pour les accomplir. Je puis me passer de tout le reste, et je renonce même absolument à tout le reste, s'il me conduit là : Ut sciam justificationes tuas.

 

C'est ainsi, Chrétiens, que vous vous préserverez de ce premier aveuglement, qui de lui-même est péché. Parlons maintenant du second, qui est la cause du péché. C'est la seconde partie.


 

BOURDALOUE, SUR L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL

 

 

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Frankish Psalter, 1279, Cathedral Library of Esztergom, Hungary

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1 avril 2014 2 01 /04 /avril /2014 11:00

Soit que nous consultions la foi, soit que nous en jugions par les principes de la droite raison, il est certain qu'il y a un aveuglement qui de lui-même est criminel, parce qu'il est volontaire et même affecté.

 

C'est-à-dire qu'il y a un aveuglement que nous entretenons dans nous, d'où nous ne voulons pas sortir, et que nous préférons secrètement à toutes les lumières de la vérité. Un aveuglement qui fait que le pécheur craint de trop voir, et qu'il évite de connaître, ou le mal qu'il fait, ou le bien qu'il ne fait plus, et qu'il est intérieurement déterminé à ne pas faire. Comme s'il disait : Je ne veux pas être plus éclairé que je suis ; j'ignore mes obligations, mais je veux bien les ignorer, ou du moins ne les pas approfondir ; mon aveuglement me plaît, il m'est commode ; et, bien loin d'en être en peine et de vouloir le corriger, je m'en fais un fonds de tranquillité et de paix, dont dépend toute la douceur et tout le bonheur de ma vie. Telle est la nature de ce péché.

 

Mais se trouve-t-il dans le monde des âmes assez insensées pour en venir jusque-là ? Oui, mes chers auditeurs, le monde en est plein ; et ce qui marque encore bien plus la corruption du monde, c'est que l'on en vient jusque-là sans passer pour insensé. Car si ce péché était, dans l'opinion des hommes, généralement décrié et reconnu pour folie, il serait plus rare et moins contagieux; mais aujourd'hui c'est un désordre commun que l'esprit perverti du monde a su même, en quelque façon, autoriser par le nombre et la qualité de ceux qui y sont engagés.

 

En effet, Chrétiens, prenez garde à cette induction qui va vous développer ma pensée, et qui me servira d'abord de preuve.

 

Je dis que cet aveuglement volontaire et affecté est le péché des libertins et des prétendus athées , qui, dans eux-mêmes et par les seules vues naturelles, ont des lumières plus que suffisantes pour connaître Dieu, et qui par conséquent ne peuvent l'effacer de leur esprit, ni cesser de croire en lui, que parce qu'ils ne veulent pas s'assujettir à lui, et qu'à force de l'offenser, ils parviennent enfin à l'oublier et ensuite à le méconnaître. Excellente idée que Tertullien donnait autrefois de l'athéisme, lorsque, après avoir démontré que Dieu en qualité de premier être est le plus connu de tous les êtres, il concluait que le désordre des impies était de ne vouloir pas reconnaître celui qu'ils ne pouvaient jamais absolument ignorer : Et hœc est summa delicti nolentium recognoscere quem ignorare non possunt. Où vous remarquerez que ce grand homme, bien éloigné de donner dans les vaines subtilités,de certains théologiens modernes, ni de raisonner comme eux, en faisant de dangereuses suppositions sur ce qui regarde l'existence et la foi d'un Dieu, n'admettait point d'ignorance de Dieu qui selon lui ne fût un crime monstrueux ; et cela fondé sur la parole expresse de saint Paul, lequel a toujours traité d'inexcusables ceux qu'une téméraire présomption aveugle jusqu'à douter de la Divinité : Invisibilia ejus per ea quœ facta sunt, intellecta conspiciuntur, ita ut sint inexcusabiles. L'insensé, dit le Saint-Esprit, a balancé entre sa raison et son cœur : sa raison lui a dit qu'il y avait un Dieu, et son cœur rebelle lui a dit qu'il n'y en avait point ; et parce que son cœur a malheureusement prévalu sur sa raison, malgré les vues de sa raison il a suivi le mouvement de son cœur, jusqu'à conclure, conformément à ses désirs, qu'il n'y a point de Dieu dans l'univers : Dixit insipiensin corde suo : Non est Deus. Aveuglement volontaire et affecté, qui dans la société des hommes fait les libertins de créance et de religion.

 

Je dis que c'est le péché de certains hérétiques de mauvaise foi, qui ne sont tels que parce qu'ils sont déterminés à l'être. Car il y en a dont la prévention va jusqu'à ne vouloir pas même s'instruire, jusqu'à rejeter indifféremment et sans choix tout ce qui serait capable de les convaincre, jusqu'à concevoir une secrète aversion pour la vérité, jusqu'à se faire un point de conduite et un principe de ne revenir jamais de leurs erreurs. Prévention que saint Augustin condamnait dans les manichéens, quand il leur reprochait qu'ils avaient moins de docilité pour les sacrés oracles de l’Écriture et pour la parole de Dieu, que pour les traditions humaines et pour les livres des profanes. Aveuglement volontaire et affecté, qui fait les schismatiques et les hérétiques.

 

Je dis que c'est le péché des sensuels et des voluptueux, qui, pour goûter avec moins de trouble leurs infâmes plaisirs, ne veulent pas même entendre parler des vérités éternelles, et ont l'audace de dire à Dieu ce que le saint homme Job leur mettait dans la bouche, pour exprimer le malheur ou plutôt le dérèglement de leur conduite : Et dixerunt Deo : Recede a nobis, scientiam viarum tuarum nolumus ; Ils ont dit à Dieu : Retirez-vous de nous, Seigneur, et cessez de répandre dans nos esprits cette science, quoique divine, qui nous découvre malgré nous les voies de salut. C'est une science importune ; et, dans la possession où nous sommes de vivre au gré de nos passions et de satisfaire nos sens, elle ne ferait que nous inquiéter et que nous alarmer. Réservez pour d'autres ces vives lumières qui sont les dons précieux de votre grâce : nous ne sommes pas encore disposés à les recevoir, il en coûte trop pour les suivre, et même il en coûterait trop, si nous les avions, pour ne les pas suivre : il vaut mieux pour notre repos que nous en soyons privés. Il est vrai que la science de vos commandements et de votre loi est la science des saints ; mais elle engage à des choses trop pénibles et trop contraires à toutes nos inclinations, pour souhaiter même que vous nous l'accordiez. Ce renoncement à soi-même, ce crucifiement de la chair, cette nécessité indispensable de la pénitence, tout cela, si nous y pensions, nous désolerait ; et la vue que nous en aurions empoisonnerait ce qu'il y a pour nous dans le monde de plus agréable et de plus doux. Nous aimons mieux passer nos jours dans une ignorance profonde, et être moins instruits, Seigneur, de ce que vous nous commandez, afin de pouvoir jouir sans remords des plaisirs que vous nous défendez. Car c'est ainsi que ces partisans du monde, esclaves de la passion et dominés par la sensualité, s'en expliquent, ou du moins c'est ainsi qu'ils le pensent. Aveuglement volontaire et affecté, qui fait les charnels et les impudiques.

 

Je dis que c'est le péché de certains esprits pleins d'eux-mêmes, qui, par un effet pitoyable de leur orgueil, ne peuvent supporter la Vérité, du moment que la vérité les humilie ; qui dès là s'opiniâtrent à la fuir, au lieu qu'ils devraient pour cela même la chercher ; qui, comme dit saint Augustin, aiment cette vérité quand elle leur est favorable, mais qui l'abaissent, qui la rejettent quand ils en craignent la censure : Amant lucentem, oderunt redarguentem. Le péché de ceux qui, possédés de leur amour-propre, ne veulent pas voir leurs défauts, quoique grossiers, et ne peuvent souffrir d'en être repris ; qui prennent pour offenses les plus charitables avis qu'on leur donne, et les plus salutaires remontrances qu'on leur fait ; qui, bien loin de les recevoir comme de bons offices, s'en font des sujets de ressentiment et d'aigreur, et ne se tiennent obligés qu'à ceux qui, par une fausse amitié ou par une lâche complaisance, ont soin de leur cacher tout ce qui les blesse, de leur dissimuler tout ce qui les mortifie, quelque vrai qu'il puisse être d'ailleurs, et quoiqu'il fût si utile et si nécessaire pour eux de le connaître. Le péché de ceux qui veulent même qu'on leur applaudisse jusque dans leurs faiblesses, et qu'on les loue, comme parle l’Écriture, jusque dans les désirs de leurs âmes, c'est-à-dire jusque dans leurs passions les plus violentes et dans leurs entreprises les plus injustes, qui mettent tout leur bonheur à être flattés et trompés ; qui comptent le mensonge pour un bienfait, et l'adulation pour une marque de respect : Hi nimirum ( ce sont les termes de saint Jérôme dans la belle peinture qu'il nous en a tracée) gaudent ad circumventionem suam, et illusionem pro beneficio ponunt. Aveuglement volontaire et affecté, qui fait les incorrigibles.

 

Enfin, je dis que c'est le péché d'une infinité de chrétiens qui, par une autre erreur encore plus damnable, ne veulent pas s'éclaircir sur certains faits, sur certains doutes, sur certains troubles de conscience, parce qu'ils sentent bien, pour peu qu'ils se sondent eux-mêmes, qu'ils ne sont pas dans la disposition d'accomplir des devoirs à quoi cet éclaircissement leur ferait voir qu'ils sont obligés. Et voilà ceux que le Prophète avait en vue dans le psaume trente-cinquième, et dont il disait : Noluit intelligere ut bene ageret : Le pécheur n'a pas voulu savoir le bien, parce qu'il ne l'a pas voulu faire. Ainsi un homme, auparavant obscur et inconnu, s'est poussé par ses intrigues dans ces emplois où, sans un miracle de la grâce, il est presque aussi impossible de se sauver qu'il est facile de s'enrichir en très peu d'années. On l'a vu s'élever de l'extrême indigence ou d'un état médiocre, à une prospérité qui scandalise le public. Chargé de l'administration du bien d'autrui, dans le maniement qu'il en a fait, il n'a eu ni l'exactitude, ni peut-être la bonne foi nécessaire pour ne pas confondre les intérêts du prochain avec les siens propres. Celui-ci, dans les fonctions de la magistrature, a cent fois montré, aux dépens du faible et du pauvre, ce qu'il pouvait en faveur de ses amis. Celui-là, pourvu dans l’Église de bénéfices, en a joui et en a dissipé les revenus, sans avoir égard aux obligations onéreuses qui y étaient attachées. Si, dans chacun de ces états, l'on venait, après quelque temps, à entrer dans la discussion des choses, et à peser tout dans la balance du sanctuaire, il est évident qu'on y trouverait bien des comptes à rendre, bien des injustices à réparer, bien des restitutions à faire. Or, tout cela embarrasserait et réduirait à des extrémités fâcheuses. Que fait-on ? Pour s'en ôter l'inquiétude et le scrupule, on s'en ôte la connaissance. On s'étourdit là-dessus, on prend le parti de n'y point penser. Faut-il cependant s'acquitter d'un devoir de religion ; faut-il, pour satisfaire au précepte de l’Église, approcher du tribunal de la pénitence, on cherche un confesseur commode, c'est-à-dire un confesseur peu habile ou peu zélé, qui, content de voir à ses pieds l'iniquité couverte des apparences de l'humilité, délie sur la terre ce que Dieu dans le ciel ne déliera jamais ; et, sans rien exiger davantage qu'une confession légère et superficielle, bénit encore Dieu d'une prétendue conversion, sur laquelle les anges de la paix et les vrais ministres du Seigneur ne peuvent assez amèrement pleurer. Aveuglement qui fait les insensibles et les endurcis.

 

Or, j'ai ajouté et je soutiens que, de tous les péchés dont l'homme est capable, il n'y en a point de plus contraire au salut. Pourquoi ? En voici la raison, qui est sans réplique : parce que cet aveuglement volontaire exclut la première de toutes les grâces, qui est la lumière divine ; et par l'exclusion de cette première grâce, nous met dans une espèce d'impossibilité de parvenir à aucune autre grâce. C'est la pensée de saint Augustin : d'où il s'ensuit que ce péché ferme, pour ainsi dire, à Dieu la porte de notre cœur, et réduit Dieu, tout Dieu qu'il est, à moins qu'il n'use de son souverain empire et qu'il ne fasse un dernier effort de sa miséricorde , comme dans l'impuissance de nous sauver. Ecoutez-moi, et vous en allez convenir. Point de péché plus contraire au salut que celui-là. Car, dans tous les principes de la théologie, la première grâce du salut, c'est la lumière qui nous découvre les voies de Dieu, et qui nous fait connaître nos devoirs : lumière absolument nécessaire, puisque dans l'ordre de la grâce aussi bien que dans l'ordre de la nature, pour agir librement il faut connaître, et pour connaître il faut être éclairé de Dieu.

 

Que faisons-nous donc quand nous rejetons cette lumière ? nous détruisons dans nous-mêmes le fondement du salut ; et par l'obstacle que nous apportons à cette seule grâce, nous renonçons, autant qu'il est en nous, à toutes les autres grâces que Dieu tenait en réserve dans les trésors de sa miséricorde, et par où il voulait nous convertir et nous attacher à Lui.

 

BOURDALOUE, SUR L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL

 

 

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Les pèlerins d'Emmaüs, Rembrandt, Musée Jacquemart-André, Paris

Les pèlerins d'Emmaüs, Rembrandt, Musée Jacquemart-André, Paris

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31 mars 2014 1 31 /03 /mars /2014 11:00

Prœteriens Jesus, vidit hominem cœcum a nativitate.

Lorsque Jésus passait, il vit un homme qui était aveugle dès sa naissance. (Saint Jean, chap. IX, 1.)

 

Ce fut un prodige bien surprenant que celui qui parut dans le monde, et qui est rapporté dans l'Ecriture au chapitre dixième de l'Exode, quand Moïse, disposant à son gré, ou plutôt selon l'ordre et le gré de Dieu, des ténèbres et de la lumière, partagea tellement l'Egypte, que tout ce qui était habité par les Egyptiens se trouva couvert d'une obscure et profonde nuit, en sorte qu'ils ne se distinguaient pas les uns les autres ; au lieu que les Israélites, dans l'étendue du même pays, jouissaient d'un air pur et serein : Et factœ sunt tenebrœ horribiles in universa terra Aegypti ; ubicumque autem habitabant filii Israël, lux erat .

 

Mais j'ose dire, Chrétiens, que voici encore quelque chose de plus prodigieux dans notre évangile, où le Saint-Esprit nous fait paraître des hommes aveuglés par le même miracle qui sert à ouvrir les yeux aux aveugles mêmes, et à leur rendre l'usage de la vue. En effet, le Sauveur du monde, usant de ce pouvoir absolu qu'il avait reçu de son Père, et qu'il exerçait comme Dieu, guérit un pauvre, aveugle depuis sa naissance ; et ce miracle produit tout à la fois deux effets bien opposés. Il éclaire l'aveugle-né, et il aveugle les pharisiens.

 

Il éclaire l'aveugle-né, en lui faisant connaître, beaucoup plus encore par les yeux de l'esprit que par les yeux du corps, l'auteur de son salut, et en l'engageant à l'adorer et à lui rendre hommage comme à son Dieu : Et procidens, adoravit eum. Et il aveugle les pharisiens, en leur servant d'occasion pour s'obstiner davantage dans leur incrédulité, et pour refuser plus opiniâtrement de se soumettre à la vérité connue. Deux effets en quoi consistait ce jugement adorable, mais redoutable, dont parlait le Fils de Dieu, et pour lequel il avait été envoyé. Car je suis venu dans le monde, disait-il ; et le jugement que j'y dois exercer est que ceux qui ne voient pas verront, et que ceux qui voient cesseront de voir : In judicium ego in hunc mundum veni, ut qui non vident videant, et qui vident cœci fiant. C'est-à-dire : Je suis venu pour guérir l'aveuglement intérieur des âmes humbles et dociles, qui cherchent Dieu de bonne foi, et pour redoubler au contraire, par la soustraction des dons de la grâce, l'aveuglement de ces âmes présomptueuses et superbes que leur orgueil éloigne de Dieu.

 

Or, voici, Chrétiens, ce jugement accompli ; car l'aveugle de notre évangile était un homme simple et ignorant, et les pharisiens étaient les sages et les spirituels du judaïsme. Cependant ces sages demeurent dans une infidélité criminelle, et ce pauvre est rempli des plus pures lumières de la foi. Ces spirituels et ces intelligents deviennent plus aveugles que jamais, et cet aveugle est tout à coup instruit, et pénètre ce qu'il y a de plus saint et de plus divin dans la religion : Ut qui non vident videant, et qui vident cœci fiant. Jugement qui se renouvelle encore tous les jours au milieu de nous. Mais sans m'arrêter à ce qu'il a de favorable pour les uns sur qui Dieu répand toutes les richesses de sa miséricorde, je veux seulement vous le représenter dans ce discours par ce qu'il a de terrible et d'effrayant pour les autres, sur qui Dieu déploie toute la sévérité de sa justice.

 

C'est donc, mes chers auditeurs, de l'aveuglement spirituel que je prétends vous entretenir ; de cet aveuglement intérieur qui va jusques à l'âme, et qui la tient plongée dans les plus grossières et les plus funestes erreurs ; de cet aveuglement, dont saint Augustin disait en s'adressant ci Dieu : Malheur à ces aveugles qui ne vous voient point, ô mon Dieu, et dont les yeux, couverts d'un nuage épais, ne découvrent point vos divines vérités ! Vœ caliginantibus ocidis qui te non vident ! Je vais vous en faire connaître les différentes espèces, après que nous aurons invoqué le Saint-Esprit par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Il n'y a point de matière sur laquelle l'Ecriture se soit expliquée dans des termes plus différents et même en apparence plus contraires, que sur l'aveuglement spirituel ; car tantôt elle l'impute à la malice des hommes : Excœcavit illos malitia eorum ; tantôt à la vengeance de Dieu : Excœca cor populi hujus ; tantôt au démon, qu'elle appelle le dieu du siècle : In quibus deus hujus sœculi excœcavit mentes infidelium. Quelquefois elle déplore cet aveuglement intérieur comme malheureux, et d'autres fois elle le déteste comme criminel ; quelquefois elle en fait un sujet d'excuse : Ignosce illis, nesciunt enim quid faciunt ; et d'autres fois un sujet de reproches : Vœ vobis, duces cœci et duces cœcorum. Or, c'est la diversité, ou, si vous voulez, l'apparente contrariété de ces expressions, qui a fait naître sur cette matière tant d'embarras, et qui l'a rendue si difficile à développer. Cependant, pour l'éclaircir autant qu'il m'est possible, et pour accorder ensemble tous ces textes de l’Écriture, voici le dessein que je nie propose, et que je vous prie de bien comprendre.

 

Je distingue, avec le docteur angélique saint Thomas, trois sortes d'aveuglements : un aveuglement qui de lui-même est péché, un aveuglement qui est la cause du péché, et un aveuglement qui est l'effet du péché. Aveuglement, péché ; c'est celui qui nous est marqué dans ces paroles de la Sagesse : Leur propre malice les a aveuglés : Excœcavit illos malitia eorum. Aveuglement, cause du péché; ce fut celui de saint Paul, qui disait de lui-même : J'ai été un blasphémateur, j'ai été un persécuteur de l’Église ; mais du reste, je l'ai été par ignorance : Ignorans feci. Aveuglement, effet du péché ; c'est celui dont parlait Isaïe, en demandant à Dieu qu'il aveuglât le cœur de son peuple : Excœca cor populi hujus. Vous verrez le rapport qu'ont à ces trois points toutes les questions qui regardent l'aveuglement de l'esprit.

 

Mais, auparavant, je fonde sur ces principes de saint Thomas trois propositions qui me paraissent d'une utilité infinie pour l'édification de vos âmes, et qui vont partager ce discours. Car je dis que l'aveuglement qui de lui-même est péché, est, de tous les péchés, le plus pernicieux et le plus contraire au salut ; c'est la première partie. Je dis que l'aveuglement qui est cause du péché, est communément, pour servir de prétexte au péché, l'excuse la plus frivole et la moins recevable ; c'est la seconde partie. Je dis que l'aveuglement qui est l'effet du péché, est la peine la plus terrible dont Dieu, dans cette vie, puisse punir le pécheur; ce sera la conclusion.

 

Aveuglement, comble du péché, vaine excuse du péché ; et dans cette vie, dernière vengeance du péché, donnez à ces trois points importants toute votre attention.

 

BOURDALOUE, SUR L'AVEUGLEMENT SPIRITUEL

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bourdaloue/

 

Ecclesia, Cathédrale de Strasbourg

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29 mars 2014 6 29 /03 /mars /2014 12:00

Si Dieu veut écouter nos prières, c'est à certaines conditions nécessaires et essentielles : mais de quelque manière, Chrétiens, que Dieu en use avec nous, et qu'il ait plu à sa providence de disposer les choses, ce serait une erreur, et une grossière erreur, de se persuader que les conditions de la prière fussent un obstacle à l'accomplissement de nos vœux, et un prétexte dont Dieu se servît pour avoir droit de nous refuser ses dons.

 

Ah ! mes Frères, disait saint Augustin, à Dieu ne plaise que nous entrions jamais dans ce sentiment, puisqu'il n'est rien de plus opposé à la conduite de notre Dieu ! Lui qui, selon l’Écriture, ne peut arrêter le cours de ses miséricordes, lors même que nous irritons sa colère : Numquid continebit in ira sua misericordias suas ? lui qui n'attend pas qu'on le prie, mais qui, dans la pensée du Prophète royal, se plaît à exaucer les simples désirs : Desiderium pauperimi exaudivit Dominus ; lui dont l'oreille est si délicate, qu'il entend jusqu'à la préparation des cœurs : Prœparationem cordis eorum audivit auris tua ; il n'a garde, si j'ose parler ainsi, d'être de si difficile composition quand on l'invoque de bonne foi ; et bien loin qu'il se prévale de sa grandeur, dans le commerce qu'il nous permet d'avoir avec lui par la prière, on pourrait plutôt douter s'il ne s'y relâche point trop de ce qui lui est dû, et s'il ne supporte point avec trop de condescendance nos faiblesses et nos imperfections. J'avoue que la prière, pour être efficace, doit être revêtue de certaines qualités : mais en cela je soutiens qu'on ne peut accuser Dieu, ni de restreindre ses promesses, ni d'enchérir ses grâces. Pourquoi ? parce qu'à bien examiner ses qualités, il n'y en a aucune qui ne soit aisée dans la pratique, aucune dont la raison ne nous justifie la nécessité, aucune que les hommes même n'exigent par proportion les uns des autres ; et ce que je vous ai déjà fait remarquer, aucune dont cette femme de notre évangile ne nous ait donné l'exemple, et dont elle ne soit pour nous le plus sensible modèle.

 

Car enfin, demande saint Chrysostome, dans l'excellente homélie qu'il a composée sur ce sujet, quelles conditions exige notre Dieu pour l'infaillibilité de la prière ? l'humilité, la confiance, la persévérance, l'attention de l'esprit, l'affection du cœur. Or y a-t-il rien là, je ne dis pas d'impraticable et d'impossible, mais de pénible et d'onéreux ? Prier dans la disposition d'un esprit humble, quoi de plus raisonnable et même de plus naturel ? Peut-on avoir une juste idée de la prière, et oublier en priant cette règle fondamentale ? Prie-t-on autrement les princes et les monarques de la terre ? Se fait-on une peine de leur rendre des hommages et des respects, lorsqu'on a des requêtes à leur présenter ? et si, par ces respects et par ces hommages, on vient à bout de ses prétentions, se plaint-on qu'il en ait trop coûté ? Dit-on qu'ils fassent acheter trop cher leurs grâces, quand ils les refusent à un téméraire qui les demande avec hauteur ? et pourquoi le dirait-on de Dieu, devant qui il est d'ailleurs bien plus raisonnable et par conséquent bien plus facile de s'humilier que devant les hommes ?

 

La Chananéenne dont parle saint Matthieu fit-elle difficulté de se prosterner en la présence de Jésus-Christ, et de l'adorer ? Fut-ce un grand effort pour elle de confesser à ses pieds son indignité, et compta-t-elle pour beaucoup d'essuyer les rebuts auxquels elle se vit d'abord exposée ? Non, non, lui dit le Sauveur du monde, il ne faut pas donner le pain des enfants aux chiens : Non est bonum numere panem filiorum, et mittere canibus. Est-il une comparaison plus humiliante ? mais tout humiliante qu'elle pût être, cette Chananéenne en parut-elle touchée et contrastée ? que dis-je ? ne reconnut-elle pas elle-même la vérité de ces paroles, en se les appliquant ? Il est vrai, Seigneur : Etiam, Domine. Ce fut ainsi qu'elle pria.

 

Mais comment prions-nous ? Elle était païenne, et cette païenne s'humilie ; nous sommes chrétiens, et nous apportons à la prière un esprit d'orgueil dont nous ne pouvons nous défaire, lors même que nous sommes forcés à reconnaître nos misères et nos besoins; et parce que cet esprit nous domine, nous prions avec présomption, comme si Dieu devait avoir des égards pour nous, comme s'il devait nous distinguer, comme s'il devait nous tenir compte de nos prières. Sans parler de ce faste extérieur qui souvent accompagne nos sacrifices, et qui, bien loin d'engager Dieu à nous écouter, l'engage à nous punir ; sans parler de ce luxe que nous portons jusque dans le sanctuaire, de cet air de grandeur et de suffisance que nous y retenons, de ces postures vaines et négligées que nous y affectons ; états bien contraires à l'action d'un suppliant, et qui, selon l'Ecriture, rendent nos prières abominables devant Dieu, puisque Dieu ne hait rien davantage qu'un pauvre orgueilleux : Pauperem superbum ; sans en venir à ce détail, nous demandons à Dieu des grâces, mais comment ? non point comme des grâces, mais comme des dettes, prêts à nous élever et à nous enfler s'il nous les accorde, prêts à murmurer et à nous plaindre s'il ne nous les accorde pas. Nous les demandons, pour oublier, après les avoir reçues, que nous les tenons de lui ; pour les posséder et en user sans les rapporter à lui. Or, devons-nous être surpris alors que Dieu nous ferme son sein ? voulons-nous qu'il nous exauce aux dépens de sa propre gloire ? et ne serait-ce pas prodiguer ses biens que de les répandre indifféremment et sur les superbes et sur les humbles ?

 

Prier dans le sentiment d'une vive confiance, quoi de plus juste ? C'est notre souverain et notre Dieu qui, par un effet de sa miséricorde, non seulement veut être prié de la sorte, mais se tient même honoré de cette confiance, qui, dans mille endroits de l’Écriture, lui attribue plutôt qu'à sa miséricorde (ne vous offensez pas de ma proposition, elle est saine et orthodoxe), qui, dis-je, en mille endroits de l’Écriture, attribue à cette confiance, plutôt qu'à sa miséricorde même, la vertu miraculeuse de la prière ; ne disant pas à ceux qui ont recours à lui et qui le réclament : C'est ma bonté et ma puissance, mais c'est votre foi et votre confiance qui vous a sauvés : Fides tua te salvam fecit. Pouvait-il nous proposer un parti plus avantageux ? Tout infidèle qu'était la Chananéenne, n'est-ce pas celui qu'elle embrassa d'abord ? Cette ouverture de cœur qu'elle marqua à Jésus-Christ, en lui portant elle-même la parole : Seigneur, ayez pitié de moi : Miserere mei, Domine ; ce motif tendre et affectueux par où elle l'intéressa, en l'appelant fils de David : Filii David ; ces cris qu'elle redoubla à mesure que les apôtres la reprenaient et lui ordonnaient de se taire : Dimitte eam, quia clamat post nos ; cette assurance qu'elle eut de renoncer volontiers au pain de la table, pourvu qu'on lui donnât seulement les miettes qui en tombaient ; c'est-à-dire, selon l'explication de saint Jérôme, de se contenter des moindres efforts de la puissance du Sauveur, convaincue que ce serait assez pour opérer le miracle qu'elle demandait : Nam et catelli edunt de micis quœ cadunt de mensa dominorum suorum.

 

Tout cela n'était-il pas d'une âme bien sûre du Dieu qu'elle invoquait ? Qu'eût-elle fait, si déjà chrétienne, elle eût connu Jésus-Christ aussi parfaitement que nous ; si, comme nous, au lieu de le connaître pour fils de David, elle l'eût connu pour Fils du Dieu vivant ? Et n'est-il pas néanmoins vrai qu'avec toutes les idées que notre religion nous donne de cet Homme-Dieu, nous ne le prions presque jamais de cette manière simple, mais héroïque, qui nous est marquée par l'Apôtre, je veux dire avec foi et sans aucun doute ? Postulet autem in fide, nihil hœsitans. Quoique Jésus-Christ ait pu faire pour nous y aider, et quoique, pour vaincre notre incrédulité et notre défiance, il se soit engagé à nous par le serment le plus solennel, et qu'il en ait juré par lui-même, lui, comme dit saint Paul, qui n'avait point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, notre défiance et notre incrédulité l'emportent. Nous croyons un homme sur sa parole, et nous ne croyons pas un Dieu ; nous prions, mais en même temps nous nous troublons, nous nous entretenons dans de vaines inquiétudes, nous nous abandonnons à de secrets désespoirs ; nous avons recours à Dieu, mais toujours dans l'extrémité, et quand tout le reste nous manque ; nous comptons moins sur Dieu que sur nous-mêmes, et nous faisons plus de fond sur notre prudence que sur nos prières. Aveuglement que déplorait saint Ambroise, et qui justifie bien la conduite de Dieu quand il raccourcit son bras à notre égard, et qu'il ne daigne pas l'étendre pour nous secourir.

 

Prier avec persévérance, quoi de plus convenable ? Dieu, maître de ses dons, et à qui seul il appartient d'en disposer, ne peut-il pas les mettre à tel prix qu'il lui plaît ; et ses grâces ne sont-elles pas en effet assez précieuses pour les demander souvent et longtemps ? Quand Jésus-Christ, par son silence, éprouva cette mère de l'Evangile, et qu'il ne lui répondit pas même une parole : Et non respondit ei verbum ; quand il sembla vouloir l'éloigner par un refus sévère et mortifiant, et que devant elle il déclara aux apôtres qu'il n'était point envoyé pour elle : Non sum missus, nisi ad oves quœ perierunt domus Israël, cessa-t-elle pour cela de prier, de solliciter, de presser ? Non, Chrétiens ; la résistance de Jésus-Christ augmenta sa persévérance, et sa persévérance triompha de la résistance de Jésus-Christ. Elle comprit d'abord le mystère et les inclinations de ce Dieu Sauveur ; et dans l'engagement où elle se trouva d'entrer, pour ainsi dire, en lice avec lui, opposant à une dureté apparente les empressements véritables d'une sainte opiniâtreté, elle força en quelque sorte les lois de la Providence ; elle mérita, quoique étrangère, d'être traitée en Israélite : elle obtint le double miracle, et de la délivrance de sa fille, et de sa propre conversion.

 

Ô charité de mon Dieu, s'écrie un Père, que vous êtes adorable dans vos dissimulations, et dans les stratagèmes dont vous usez pour combattre en apparence contre ceux mêmes pour qui vous combattez en effet! O dissimulatrix clementia, quœ duritiem te simulas, quanta pietate pugnas adversus eos pro quibus pugnas ! Ne désespérez donc point, ajoutait-il, ô âme chrétienne, vous qui avez commencé dans la prière à lutter avec votre Dieu ! car il aime que vous lui fassiez violence ; il se plaît à être désarmé par vous : Noli igitur desperare, o anima, quœ cum Leo luctari cœpisti ; amat utique vim abs te pati, desiderat a te superari. Et ne craignons pas, mes Frères, conclut-il, que ce Dieu de miséricorde puisse, être fort et invincible contre nous, lui qui, par le plus étonnant prodige, a voulu jusques à la mort être faible pour nous : Et absit, Fratres, ut fortis sit adversum nos, qui pro nobis usque ad mortem infirmatus est.

 

Ainsi le concevaient les Saints : mais nous, vous le savez, prévenus d'une erreur toute contraire, et emportés par un esprit volage et léger, nous cédons à Dieu malgré lui-même ; nous lui cédons lorsqu'il voudrait lui-même nous céder ; nous nous ennuyons de lui dire que nous sommes pauvres et que nous attendons son secours, et il veut être importuné. Cette assiduité nous fatigue, nous gêne, nous cause des dégoûts et des impatiences. Nous voudrions en être quittes, pour nous être une fois présentés à la porte ; et nous oublions la grande maxime du Sage, qui nous avertit de supporter les lenteurs de Dieu : Sustine sustentationes Dei. Nous ne pouvons nous accommoder de cette parole d'Isaïe : Expecta, attendez ; Reexpecta, attendez encore. Le moindre délai nous rebute ; et souvent sur le point même de voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le profit. A qui nous en devons-nous prendre ? Est-ce à Dieu ? ou n'est-ce pas à nous-mêmes ?

 

Enfin, prier avec attention, avec affection, je dis avec attention de l'esprit, avec affection du cœur, quoi de plus nécessaire et de plus essentiel à la prière? Je finis par ce point, le plus important de tous.

 

Attention de l'esprit, affection du cœur, c'est ce que j'appelle, après saint Thomas, l'âme de la prière, et sans quoi elle ne peut pas plus subsister qu'un corps sans l'esprit qui le vivifie et qui l'anime. Car qu'est-ce que la prière ? ne consultons point ici la théologie, mais le seul bon sens, et l'idée commune que nous avons de ce saint exercice ; qu'est-ce, encore une fois, que la prière ? un entretien avec Dieu, où l'âme admise, pour m'exprimer de la sorte, et introduite dans le sanctuaire, expose à Dieu ses besoins, lui représente ses faiblesses, lui découvre ses tentations, lui demande grâce pour ses infidélités. Or, tout cela ne suppose-t-il pas un recueillement et un sentiment intérieur ? Si donc il arrive qu'au moment que je traite avec Dieu, mon esprit s'égare jusques à perdre absolument et volontairement cette attention intérieure et cette dévotion, quoi que je fasse du reste, ce n'est plus une prière. Quand je chanterais les louanges du Seigneur, quand j'emploierais les nuits entières au pied des autels ; quand mon corps, selon l'expression et l'exemple de David, demeurerait comme attaché et collé à la terre ; dès que je cesse de m'appliquer, je cesse de prier. Et de là, Chrétiens, le Docteur angélique tirait trois grandes conséquences auxquelles je n'ajouterai rien, mais que je vous prie de bien méditer pour votre édification ; conséquences terribles, et qui vous feront pleinement connaître pourquoi nos prières ont si peu d'efficace auprès de Dieu.

 

Première conséquence. Puisqu'il est vrai que l'attention est de l'essence de la prière, on peut dire avec sujet, mais encore avec plus de douleur, que l'exercice de la prière est comme anéanti dans le christianisme ; pourquoi ? parce que si l'on y prie encore quelquefois, c'est sans réflexion. A quoi se réduit toute notre piété ? à quelques prières que nous récitons, mais du reste avec un esprit dissipé et presque toujours distrait. Nous remuons les lèvres, non pas comme cette mère de Samuel, dont le grand-prêtre Héli jugea témérairement ; mais comme les pharisiens, à qui Dieu reprochait que leur cœur était bien loin de lui, tandis qu'ils le glorifiaient de bouche. Ainsi nos prières ne sont plus communément qu'hypocrisie ; et Jésus-Christ pourrait bien nous redire ce qu'il disait aux pharisiens : Hypocrites, bene prophetavit de vobis Isaias : Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me.

 

Ce n'est pas seulement le peuple qui tombe dans ce désordre, et qui, par une fatale grossièreté, prie tous les jours sans prier, c'est-à-dire sans penser à qui il parle, ni à ce qu'il demande. Ce n'est pas seulement le sexe dévot, qui, plus adonné à la prière, fait son capital de dire beaucoup, mais sans fixer sa légèreté naturelle, et en l’appliquant très peu. Ce sont même les hommes les plus éclairés et les mieux instruits ; ce sont les personnes mêmes consacrées à Dieu, les ministres mêmes de Dieu, qui, par le plus déplorable renversement, à force de prier ne prient point du tout ; et au lieu de perfectionner une si sainte pratique par l'habitude, la corrompent et la détruisent.

 

Seconde conséquence. Puisque la prière renferme essentiellement l'attention, il s'ensuit que, dans les prières qui nous sont commandées, l'attention est elle-même de précepte, en sorte qu'il ne suffit point alors de prononcer, mais qu'une distraction notable et volontaire doit être considérée comme une offense griève et mortelle. Or, je dis surtout ceci, mes Frères, et pour vous et pour moi, parce que c'est en cela que consiste un des premiers engagements de votre profession et de la mienne, et que la prière vocale est comme le sacré tribut que l’Église chaque jour exige de nous. Car il serait bien étrange que cette action, si sainte d'elle-même, et qui doit nous-mêmes nous sanctifier, ne servît qu'à nous condamner ; et que ce qui doit être pour nous la source des grâces, devînt une des sources de notre réprobation. Souvenons-nous qu'en nous obligeant à l'office divin, nous nous sommes obligés à un acte de religion ; qu'un acte de religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que, comme l’Église, en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi nous commande-t-elle l'attention de l'esprit, en nous commandant la prière. Soit que cette obligation naisse immédiatement et directement du précepte de l’Église même, comme l'estiment de très habiles théologiens ; soit qu'elle vienne du précepte naturel qui accompagne celui de l’Église, en vertu duquel Dieu nous ordonne de faire saintement et dignement ce qui nous est prescrit, comme veulent quelques autres : quoi qu'il en soit, cette différence de sentiments n'est qu'une subtilité de l'école ; et dans l'une et l'autre opinion, l'on pèche toujours également.

 

Ah ! mes Frères, n'attirons pas sur nous cette malédiction dont le Prophète, dans l'excès de son zèle, menaçait le pécheur, quand il disait : Que sa prière devienne un péché pour lui : Oratio ejus fiat in peccatum. Or, à combien de ministres, ou de combien de ministres n'est-il pas à craindre qu'on en puisse dire autant ? Si saint Augustin s'accusait sur cela de négligence, nous avons bien encore plus lieu de nous en accuser nous-mêmes.

 

Troisième et dernière conséquence. Ce n'est donc pas sans raisons que Dieu rejette nos prières, puisque ce ne sont rien moins que des prières, et que, bien loin de l'honorer, nous l'offensons et l'irritons contre nous. Car quelle injustice, mon cher auditeur ? Vous voulez que Dieu s'applique à vous quand il vous plaît de le prier, et vous ne voulez pas, en le priant, vous appliquer vous-même à Dieu. Vous dites à Dieu comme le Prophète : Seigneur, prêtez l'oreille à mes paroles : Verba mea auribus percipe ; Seigneur, écoulez mes cris : Intellige clamorem meam ; Seigneur, soyez attentif à mes vœux : Intende voci orationis meœ ; mais au même temps vous portez votre esprit ailleurs. Vous demandez que Dieu vous parle, et vous ne lui parlez pas ; vous demandez que Dieu vous écoute, et vous ne l'écoutez pas, vous ne vous écoutez pas vous-même, vous ne vous comprenez pas.

 

Réformons-nous, Chrétiens, sur ce seul article, et nous réformerons toute notre vie ; car on sait bien vivre, dit saint Augustin, quand on sait bien prier : Recte novit vivere, qui novit orare. Pourquoi sommes-nous sujets à tant de désordres ? c'est parce que nous ne prions point, ou que nous prions mal ; et par un retour trop ordinaire, pourquoi ne prions-nous point, ou pourquoi prions-nous mal ? c'est parce que nous ne voulons pas sortir de nos désordres, et que nous craignons de guérir. Demandons à Dieu des choses dignes de lui et dignes de nous. Demandons-les d'une manière digne de lui et digne de nous. En deux mots, demandons-lui ses grâces, et demandons-les bien ; nous les obtiendrons : mais entre les autres grâces, demandons-lui surtout le don de la prière. Disons-lui comme les apôtres : Domine, doce nos orare.

 

Ah ! Seigneur, notre faiblesse est telle, que nous ne pouvons pas même, sans vous, vous bien exposer nos besoins, ni bien implorer votre secours. C'est à vous à nous faire sentir efficacement nos misères ; c'est à vous à nous attirer au pied de votre autel pour vous les représenter ; c'est à vous à nous inspirer ce que nous devons vous dire pour vous toucher.

 

Donnez-nous donc vous-même, ô mon Dieu, cette science si nécessaire, et par une grâce où sont en quelque sorte renfermées, comme dans leur source, toutes les autres grâces, apprenez-nous à nous servir de la prière pour faire descendre sur nous des grâces de conversion, des grâces de sanctification, des grâces de salut, qui nous conduisent à la gloire éternelle.

 

 

BOURDALOUE, SUR LA PRIÈRE

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE

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Vierge à L'Enfant entourée d'Anges et de Saints (détail), Domenico Ghirlandaio

Vierge à L'Enfant entourée d'Anges et de Saints (détail), Domenico Ghirlandaio

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28 mars 2014 5 28 /03 /mars /2014 12:00

Allons à la source ; et pour connaître plus à fond sur quoi l'importante vérité que je vous prêche est établie, comprenez ce principe de saint Cyprien, que nos prières n'ont de vertu qu'autant qu'elles sont unies aux prières de Jésus-Christ.

 

Car il n'y a que Jésus-Christ de qui l'on puisse dire avec saint Paul, qu'il a été exaucé pour le respect dû à sa personne : Exauditus est pro sua reverentia. Quand Dieu nous exauce, ce n'est point en vue, ni de ce que nous sommes, ni de ce que nous méritons, puisque par nous-mêmes nous ne sommes rien, et que par nous-mêmes nous ne méritons rien ; mais il nous exauce en vue de son Fils, et parce que son Fils a prié pour nous avant que nous fussions en état de prier nous-mêmes. Cela supposé, comment Dieu pourrait-il agréer des prières où, par préférence au salut, nous lui demandons des biens temporels, puisqu'elles n'ont alors nulle conformité, nulle liaison avec les prières de cet Homme-Dieu qui s'est fait notre médiateur ? Qu'a-t-il demandé pour nous ? vous le savez : que nous soyons unis par le lien de la charité : Rogo, Pater, ut sint unum ; que sans ostentation, sans déguisement, nous soyons saints en esprit et en vérité : Pater, sanctifica eos in veritate ; que vivant au milieu du monde, selon notre vocation et notre état, nous soyons assez attentifs sur nous-mêmes, et assez heureux pour nous préserver de son iniquité : Non rogo ut tollas eos de mundo, sedut serves eos a malo.

 

Mais que faisons-nous ? nous demandons à Dieu des richesses, des honneurs, une vaine réputation, une vie commode ; et sans les demander après le salut et par rapport au salut, nous ne les demandons, ces richesses, que pour être dans l'abondance ; ces honneurs, que pour être dans l'éclat ; cette réputation, que pour être connus et distingués ; cette vie commode, que pour en jouir : c'est-à-dire que nous demandons ce que Jésus-Christ n'a jamais demandé pour nous. Et pourquoi ne l'a-t-il jamais demandé ? appliquez-vous à ceci : parce qu'il n'a pu prier, ajoute saint Cyprien, que conformément à la fin pour laquelle il était envoyé. Or il était envoyé en qualité de Sauveur, et la mission qu'il avait reçue ne regardait que le salut de l'homme. C'est donc uniquement pour le salut de l'homme qu'il a dû travailler, qu'il a dû souffrir, qu'il a dû mériter ; et par une conséquence nécessaire, c'est uniquement pour le salut de l'homme et pour tout ce qui se rapporte au salut de l'homme, qu'il a dû prier.

 

De là, Chrétiens, vous demandez, mais vous n'obtenez rien, parce que vous ne demandez pas avec Jésus-Christ ; et que vous pourriez dire, si vos prières, indépendamment de cette union, étaient efficaces, que vous avez reçu des biens sans en être redevables à ce Dieu Sauveur : ce qui, dans les maximes de la religion que nous professons, est un blasphème. Et voilà sur quoi s'appuie saint Augustin, quand il prouve si solidement que l'espérance chrétienne n'a point pour objet les biens de cette vie. Non, disait ce saint docteur, ne vous y trompez pas, et que personne de vous ne se promette une félicité temporelle, parce qu'il a l'honneur d'appartenir à Jésus-Christ : Nemo sibi promittat felicitatem hujus mundi, quia christianus est. Ce n'est point pour cela que Jésus-Christ nous a choisis, ni à cette condition qu'il nous a appelés. Il peut, sans manquer à sa parole, nous laisser dans la pauvreté, dans l'abaissement, dans la souffrance. Il s'est engagé à présenter lui-même vos prières devant le trône de Dieu ; mais il a supposé que vous prieriez en chrétiens, et pour le ciel, où il a placé votre héritage. Excellente raison dont se servait encore le même Père contre les railleries des païens. Vous nous reprochez, leur répondait-il, que malgré nos prières nous vivons dans la disette et dans l'abandon de tontes choses. Mais pour nous justifier pleinement de ce reproche aussi bien que notre Dieu, il suffit de vous dire que quand nous le prions, ce n'est point précisément pour les biens de la terre, mais pour les biens de l'éternité. Si donc nous sommes pauvres en ce monde, non seulement cet état pauvre où nous vivons n'est point une preuve de l'inutilité de nos prières, mais c'est une assurance que le fruit nous en est réservé ailleurs, et dans une vie immortelle.

 

Telle était la réponse de saint Augustin, qu'il concluait par la pensée la plus touchante. Car c'est en cela, poursuivait-il, que nous devons admirer la libéralité de notre Dieu. Il ne borne pas ses faveurs à des biens temporels, parce que ce sont des biens au-dessous de nous, parce que ce sont des biens incapables de nous satisfaire, parce que ce sont des biens trop peu proportionnés, et à la noblesse de notre être, et à la valeur de nos prières. Il ne veut pas nous traiter comme des enfants, que l'on amuse par des bagatelles : il ne veut pas nous traiter comme les idolâtres, dont il récompense dans cette vie les vertus morales par un bonheur apparent. Mais il veut être lui-même tout notre bonheur, lui-même toute notre récompense. Ah ! mes Frères, ne prenons donc pas le change dans le choix des biens que nous demandons. Tenons-nous-en à la parole de notre Dieu, qui nous a promis de se donner à nous ; et pour l'engager à s'y tenir lui-même, nous ne lui demandons que lui-même. Il y en a plusieurs qui espèrent en Dieu, mais qui, sans nul égard à Dieu, espèrent tout autre chose que Dieu : Multi de Deo sperant, sed non Deum. Gardons-nous de faire une séparation si désavantageuse pour nous; et comme nous n'espérons rien que de Dieu, n'espérons rien aussi que Dieu, ou que par rapport à Dieu : A Deo mihi petunt prœter Deum; tu ipsum Deum pete.

 

Mais ce ne sont point en effet des grâces temporelles que je demande à Dieu : ce sont des grâces surnaturelles, des grâces de salut : et cependant je ne les ai pas. Non, mon cher auditeur, vous ne les avez pas, parce que sur cela même vous faites un troisième abus de la prière, dont vous ne vous apercevez pas peut-être, et que je vais vous découvrir.

 

C'est qu'au lieu d'envisager la prière comme l'instrument que Dieu nous a mis en main pour faire descendre sur nous les véritables grâces du salut, c'est-à-dire les grâces réelles et possibles, les grâces solides et nécessaires, les grâces réglées et mesurées selon l'ordre des décrets divins ; nous nous en servons pour demander des grâces chimériques, des grâces superflues, des grâces selon notre goût et selon nos fausses idées. Je m'explique.

 

Nous prions, et nous prions, à ce qu'il nous semble, dans un vrai désir de parvenir au salut : mais, par une confiance aveugle, nous faisons fond sur la prière, comme si la prière suffisait sans les œuvres, comme si tout le salut roulait sur la prière ; comme si Jésus-Christ en nous disant : Priez, ne nous avait pas dit au même temps : Veillez et agissez ; comme s'il y avait des grâces qui pussent et qui dussent nous sauver sans nous. Nous prions et nous demandons la grâce d'une bonne mort, persuadés que c'est assez de la demander sans se mettre en peine de la mériter, et sans s'y préparer par une bonne vie.

 

Nous prions et nous demandons des grâces de pénitence, des grâces de sanctification : mais des grâces pour l'avenir, et non pour le présent ; mais des grâces qui lèvent toutes les difficultés, et non qui nous laissent des efforts a faire et des obstacles à vaincre ; mais des grâces miraculeuses qui nous entraînent comme saint Paul, et non des grâces qui nous disposent peu à peu, et avec lesquelles nous soyons obligés de marcher ; mais des grâces qui nous suivent partout, qui nous soient assurées partout, qui nous permettent de nous exposer partout, et non des grâces que nous ayons soin de ménager : c'est-à-dire que nous demandons des grâces qui changent tout l'ordre de la Providence, et qui renversent toute l'économie de notre salut.

 

Concluons, Chrétiens, cette première partie, par la prière du Prophète : Unam petit a Domino : je ne demande plus proprement au Seigneur qu'une seule chose : Hanc requiram ; c'est ce que je dois uniquement rechercher. Et quoi ? Ut inhabitem in domo Domini : de demeurer dans sa sainte maison, et de le posséder éternellement dans sa gloire. Car, je le reconnais, ô mon Dieu ! ajoute saint Augustin ; et je vois bien maintenant pourquoi vous avez si souvent rejeté les prières de votre serviteur. C'est que pour répondre aux desseins de votre miséricorde, je devais vous demander des choses qui ne me fussent pas communes avec les païens et les impies : Ea quippe a te desiderare debui, quœ mihi cum impiis non essent communia.

 

Vous vouliez que mes prières me distinguassent des ennemis de votre nom ; cependant je trouve qu'entre leurs prières et les miennes il n'y a presque point eu jusqu'à présent de différence, sinon qu'ayant demandé comme eux des faveurs temporelles, ils les ont communément obtenues, et que vous me les avez ordinairement refusées, ou parce qu'elles étaient par elles-mêmes contraires à mon salut, ou parce que je ne les demandais pas pour mon salut. Mais en cela, Seigneur, je confesse encore que vous m'avez fait grâce, parce que ces faveurs temporelles que je vous demandais auraient achevé de me pervertir, au lieu que les fléaux de votre justice ont servi à me corriger.

 

En devenant heureux dans le monde, je vous aurais plus aisément oublié. J'aurais imité l'exemple des autres, si mes vœux eussent été suivis de la même prospérité. Ainsi, mon Dieu, bien loin de me plaindre de vos refus, je vous en bénis, et je compte pour un bienfait de ne m'avoir pas exaucé selon mes désirs, mais selon l'ordre de votre sagesse et pour mon salut : Et gaudeo quodnon exaudieris ad voluntatem, ut exaudires ad salutem. Mais maintenant, mon Dieu, vous écouterez mes demandes, parce que je ne veux plus vous demander que les biens éternels, parce que si je vous en demande d'autres, je ne veux plus vous les demander que par subordination, et par rapport aux biens éternels ; parce qu'entre les grâces du salut que je vous demanderai, je ne veux plus vous demander que celles qui me doivent être utiles, que celles qui peuvent plus sûrement, plus directement me conduire aux biens éternels.

 

Ainsi, Chrétiens, la parole de Jésus-Christ s'accomplira-t-elle à notre égard : nous demanderons, et nous recevrons. Au lieu que nous ne recevons pas, ou parce que nous ne demandons pas ce qu'il faut, ç’a été la première partie, ou parce que nous ne demandons pas comme il faut, c'est la seconde.

 

 

BOURDALOUE, SUR LA PRIÈRE

 

 

ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bourdaloue/

 

Santa Maria Novella, Florence

Santa Maria Novella, Florence

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