Jésus, qui enseignait dans le Temple, s’écria :
« Vous me connaissez ?
Et vous savez d’où je suis ?
Je ne suis pas venu de moi-même :
mais il est véridique, celui qui m’a envoyé,
lui que vous ne connaissez pas.
Moi, je le connais
parce que je viens d’auprès de lui,
et c’est lui qui m’a envoyé. »
ÉVANGILE DE SAINT JEAN
Vendredi de la quatrième semaine
Il est constant, Chrétiens, que jamais la parole de Dieu n'a été plus souvent annoncée dans le christianisme qu'elle l'est de nos jours ; mais il est également vrai que ce bon grain semé dans le champ de l’Église n'y fut jamais plus stérile, et que jamais les chrétiens n'en ont tiré moins de fruit.
Il n'est point maintenant de prédicateurs de l’Évangile qui ne puissent se plaindre à Dieu, et lui dire avec Isaïe : Domine, quis credidit auditui nostro (Isa., LIII, 1.) ? Seigneur, c'est votre parole que nous avons prêchée ; nous avons paru dans le monde comme vos ambassadeurs ; on nous a reçus, et reçus même avec honneur ; mais s'est-il trouvé quelqu'un qui nous ait donné créance ? Après nous être épuisés pour représenter de votre part les vérités éternelles, quel en a été le succès ? Nous avons pu quelquefois remuer les consciences, exciter dans les cœurs la crainte de vos jugements ; mais, du reste, quel changement avons-nous vu dans les mœurs, et à quoi avons-nous pu connaître l'effet de votre sainte parole ?
Voilà, mes chers auditeurs, ce qui faisait autrefois l'étonnement des prophètes, et ce qui fait encore le mien. Je demande d'où peut venir cette inutilité de la parole de Dieu, et à qui elle doit être imputée ? Est-ce à la parole même de Dieu ? est-ce aux prédicateurs qui la débitent ? est-ce aux chrétiens qui l'écoutent ? car il faut par nécessité que ce soit à l'un de ces trois principes. Or, de vouloir en accuser la parole de Dieu même, ce serait une injustice ; car elle n'est pas moins puissante aujourd'hui qu'elle l'a été du temps des apôtres. De dire qu'elle s'est altérée dans la succession des siècles, ce serait tomber dans l'erreur de nos hérétiques. L'Eglise, dit Cassiodore, a toujours conservé et conservera jusqu'à la consommation des temps la parole de Dieu aussi pure que la foi. Nous prêchons le même Evangile que Saint Pierre prêchait, lorsque dans un seul discours il convertit trois mille auditeurs ; et quand le Saint-Esprit descendit visiblement sur les fidèles qui entendaient la parole de Dieu, comme il est rapporté par saint Luc, ce n'était pas une autre parole que celle dont nous vous faisons part tous les jours, et que vous écoutez dans nos temples. Quoi donc ! sont-ce les prédicateurs qui causent ce désordre ? J'avoue, Chrétiens, que tous ne la dispensent pas avec les mêmes dispositions ni la même édification. J'avoue qu'il s'en est trouvé, comme dit l'Apôtre, qui l'ont retenue captive ; qu'il s'en trouve encore qui la rendent mercenaire, et qui, par une espèce de simonie, en trafiquent pour acheter je ne sais quel crédit et une vaine réputation dans le monde. J'avoue même que quelques-uns ont déshonoré le saint ministère par le dérèglement de leurs mœurs ; semblables à ces pharisiens qui enseignaient, mais qui ne pratiquaient pas : Dicunt, et non faciunt.
Mais, après tout, ce n'est ni au mérite ni à la sainteté des prédicateurs que l'efficace de la parole de Dieu est attachée ; elle opère par sa propre vertu ; et elle a même cet avantage sur les sacrements, qu'elle ne dépend point de l'intention de ses ministres. S'ils la profanent, ils se pervertissent eux-mêmes; mais, en se pervertissant, ils ne laissent pas de sanctifier les autres ; et l'on peut dire de cette divine parole ce que saint Augustin disait du baptême conféré par les schismatiques : il est nuisible à ceux qui le donnent mal, et il est profitable à ceux qui le reçoivent bien : Nocet indigne tractantibus, sed prodest digne suscipientibus.
Si donc, mes Frères, la parole de Dieu fructifie si peu parmi vous, c'est à vous-mêmes que vous devez vous en prendre.
BOURDALOUE, SUR LA PAROLE DE DIEU