SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE : une version grecque des Actes de la martyre parut à Constantinople vers le dixième siècle

Son nom, inséré au Canon de la messe, rendait sa mémoire impérissable ; mais son apparition soudaine dans toute la majesté de son martyre sembla lui donner une nouvelle naissance.

 

 En 873, Willibert, archevêque de Cologne, transférait la basilique métropolitaine de ce grand siège, dédiée à la Mère de Dieu et à saint Pierre, au lieu où s'élève maintenant l'imposante cathédrale, et, afin d'honorer l'antique église qui avait été le siège de ses prédécesseurs, il lui ajoutait le titre de sainte Cécile, fondant en même temps, pour y célébrer les offices divins, un monastère de vierges. Plus tard, cette église est devenue une insigne collégiale desservie par un chapitre noble.

 

En Espagne, le même siècle vit construire, au sein des déserts sauvages du Mont-Serrat, l'un des plus célèbres monastères de la péninsule, dans cette partie de son sol déjà purgée de la présence des Sarrasins. Il fut dédié à la vierge romaine, dont la vaillance ne pouvait être qu'un exemple salutaire à cette race chrétienne, appelée à reconquérir une patrie sur les infidèles, au prix d'une lutte qui devait durer huit siècles. La miraculeuse découverte d'une célèbre image de la Mère de Dieu, que l'on vénère dans ce sanctuaire, amena plus tard le patronage de cette Reine des cieux sur l'église et le monastère ; mais le culte de Cécile n'y fut point totalement éclipsé, ainsi qu'on peut le voir par l'histoire de cette illustre abbaye.

 

L'église grecque prit part à l'avènement qui avait jeté tant d'éclat sur l'église romaine. Le schisme de Photius avait cessé, et le lien de l'unité se trouvait rétabli entre les deux églises. Une version grecque des Actes de la martyre parut à Constantinople vers le dixième siècle. Elle était due au fameux hagiographe Siméon Métaphraste, logothète de l'empereur Léon VI, dit le Philosophe, qui régna depuis l'année 886 jusqu'en 911. Nous ne nous sommes point imposé la tâche de défendre ce pieux personnage de toutes les accusations dont il a été l'objet ; mais nous devons attester que Métaphraste, au lieu d'enfler par de nouveaux récits et par ces amplifications qu'on lui a tant imputées, l'original qu'il traduisait, s'est borné strictement à faire passer dans la langue grecque, avec une minutieuse fidélité, ce qu'il trouvait sur le manuscrit romain des Actes de sainte Cécile. Nous avons même eu occasion de montrer ci-dessus l'importance de cette traduction, comme pouvant servir de contre-épreuve dans l'épuration du texte même des Actes latins.

 

Le Ménologe  des  Grecs,  qui  correspond au Martyrologe des Latins, lut définitivement compilé au dixième siècle, et tous les amateurs des antiquités liturgiques connaissent le célèbre manuscrit de ce livre qui fut exécuté, avec de nombreux dessins, par les ordres de l'empereur Basile Porphyrogénète, lequel monta sur le trône de Byzance en 976. Ce Ménologe, publié à Urbino en 1727, avec les curieuses vignettes des six premiers mois, qui commencent en septembre et vont jusqu'à février, contient, au 24 novembre, la notice sur sainte Cécile dans le style des martyrologes occidentaux. Nous avons voulu mentionner ce premier monument liturgique des Grecs sur la martyre romaine.

 

Mais l'église de Constantinople ne se borna pas à cet hommage purement historique envers Cécile. A cette époque, elle complétait ses Menées, qui sont comme le Propre des saints de la liturgie grecque et employait à cette oeuvre ses plus pieux et ses plus habiles hymnographes.

 

On lira sans doute ici avec plaisir quelques-unes des strophes qu'ils ont consacrées à la gloire de l'héroïne de Rome :  

" Tu as su conserver ton corps sans souillure et affranchir ton coeur de tout amour sensuel, ô Cécile, digne de toute louange ! Tu t'es présentée à ton Créateur comme une épouse immaculée, dont le martyre a comblé la félicité : il t'a admise aux honneurs d'épouse comme une vierge sans tache.

" Le Seigneur, dans les conseils de sa sagesse, a voulu couronner ton front de roses odorantes et suaves, ô vierge sacrée ! Tu as été le lien entre deux frères pour les réunir dans un même bonheur, et ta prière est venue à leur aide. Abandonnant le culte impur de l'erreur, ils se sont montrés dignes de recevoir la miséricorde de Celui qui est né de la Vierge, et qui s'est laissé répandre pour nous comme un parfum divin.

" Tu as méprisé les richesses de la terre dans ton ardeur de posséder le trésor du ciel ; dédaignant les amours d'ici-bas, tu as choisi ta place dans les choeurs des vierges, et ta sagesse t'a conduite à l'Epoux céleste. Tu as vaillamment combattu, tu as terrassé, par ton mâle courage, les assauts du démon pervers, ô toi, l'honneur des athlètes du Christ !

" Tu es le très saint temple du Christ, la demeure éclatante du Christ, la maison très pure du Christ, glorieuse Cécile, auguste martyre ! Daigne répandre la splendeur de ton intercession sur nous qui célébrons tes louanges.

" Eprise de la beauté du Christ, fortifiée par l'amour du Christ, soupirant après les délices du Christ, tu parus morte au monde, et tu fus trouvée digne de l'éternelle vie.

" Un amour immatériel te fit dédaigner l'amour des sens : tes paroles vivifiantes et remplies de sagesse engagèrent ton époux à demeurer vierge avec toi ; avec lui maintenant tu es associée au choeur des anges, ô martyre, digne de toute récompense !

" Un ange de lumière t'assistait toujours ; préposé à ta garde, il t'environnait d'une splendeur divine ; son bras écartait l'ennemi qui cherchait à te nuire ; il te conserva chaste et pure, toujours agréable au Christ par la foi et la grâce, ô Cécile !

" Tu cherchais le baptême, ô Valérien ! un envoyé d'en haut t'apparut ; il t'inscrivit pour les choeurs du ciel, lorsque tu combattais encore sur la terre.

" Tu as quitté, ô Tiburce ! l'erreur empestée, et tu as respiré l'odeur la plus excellente, la science divine. Foulant aux pieds cette vie périssable, tu t'es élancé avec ardeur vers la véritable vie ; tu as cru de toute ton âme à la Trinité, et tu as combattu pour elle comme un vaillant guerrier.

" Ô Cécile ! le désir de posséder Dieu, l'amour qui procède du plus intime de l'âme, l'ardeur divine, t'ont enflammée tout entière ; ces sentiments ont fait de toi un ange dans un corps. Intrépide, tu as tendu le cou au glaive, ton sang a consacré la terre qui le recevait, et ton âme, en traversant les airs, les a sanctifiés.

" Les trois jeunes hommes changèrent en rosée les flammes de la fournaise, et toi, ô Cécile ! par la vertu de la rosée baptismale, du milieu des ardeurs   de   ton  bain   enflammé,   tu   chantais comme eux : Soyez béni, ô le Dieu de nos pères !

" Tu es le jardin fermé, la fontaine scellée, la beauté réservée, l'épouse glorieuse qui brille sous le diadème, le paradis fleuri et divin du Roi des armées, ô Cécile pleine de Dieu !"

 

Au onzième siècle, entre les faits dont la série forme l'histoire du culte de la grande martyre, nous constaterons la dévotion particulière que l'illustre pontife saint Grégoire VII éprouva pour elle. Il renouvela l'autel de la basilique Transtibérine, l'orna d'une statue de la sainte en argent, et le dédia solennellement en 1075, troisième année de son glorieux pontificat.

 

L'inscription qui rappelle ce grand souvenir fut descendue dans la crypte où on la voit encore, lorsque l'on refit l'autel au treizième siècle. Elle est conçue en ces termes :

 

DEDICATVM  EST  HOC   ALTARE

DIE   III   MENSIS   IVNII   PER   DNVM

GREGORIVM   PP.   VII.   ANNO   DNI   MLXXV

 

Deux ans auparavant, le 17 septembre 1073, Hubald, évêque de Sabine, avait dédié l'autel renouvelé, dans la salle du bain où Cécile fut couronnée martyre.

 

Nous prenons acte de cette particularité qui maintient la tradition sur un lieu si sacré.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 298 à 303)

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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