A Sœur Constance, religieuse au monastère de Saint-Abundio, près
Sienne
Au nom de Jésus crucifié et de la douce Marie
Ma fille bien-aimée dans le Christ, le doux Jésus, moi, Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de
Jésus-Christ, je t’écris et t’encourage dans son précieux sang, avec le désir de te voir baignée, anéantie dans le précieux sang du Fils de Dieu, parce que je vois que dans le souvenir de ce
sang, se trouve le feu d’une ardente charité, et que dans la charité ne se trouvent jamais la tristesse et le trouble.
Je veux que tu mettes toutes tes affections dans ce sang. Oui, enivre-toi de ce sang, brûle et consume l’amour-propre qui peut être en toi, et que le feu de cet amour éteigne le feu de la crainte
et de l’amour de toi-même. O glorieux et précieux Sang ! tu es devenu pour nous un bain, un baume pour nos blessures. Oui, ma fille, c’est un bain, et dans ce bain tu trouves la chaleur, l’eau et
le lieu du repos. Je te dis que dans ce bain glorieux, tu trouves la chaleur de la charité divine, qui l’a donné par amour, tu trouves le lieu, c’est-à-dire le Dieu éternel ou est le Verbe,
et où il était dès le commencement, tu trouves l’eau dans le Sang, car du Sang sort l’eau de la grâce, et il y a un mur qui arrête nos regards.
O ineffable et très douce Charité ! vous avez pris le mur de notre humanité, qui a couvert l’éternelle et suprême divinité de l’Homme-Dieu, et cette union a été si parfaite, que la mort, que rien
n’a pu la faire cesser. Quelle douceur, quel repos, quelle consolation dans ce sang ! car on y trouve le feu de la divine charité et la vertu de la souveraine et éternelle Déité. Tu sais que
c’est la vertu de la divine Essence qui fait la valeur du sang de l’Agneau, tu sais que si l’homme seul eût été sans Dieu, son sang n’aurait pu nous sauver, mais c’est par l’union de Dieu à
l’homme que le sacrifice de son sang fut accepté.
Ce sang est donc bien glorieux ! C’est un parfum d’agréable odeur qui détruit l’infection de notre iniquité, c’est une lumière qui dissipe les ténèbres, non seulement les ténèbres extérieures du
péché mortel, mais encore les ténèbres de ce trouble déréglé qui s’empare souvent de l’âme sous l’apparence d’une fausse humilité, c’est ce trouble qu’excitent dans le cœur ces pensées. Peu à peu
le trouble augmente et obscurcit, sous l’apparence de l’humilité, la vue de l’âme, qui se dit : 'tu vois bien que tes péchés te rendent indigne de toute grâce, de toute faveur', et alors elle
s’éloigne souvent de la sainte Communion et des autres exercices spirituels. C’est le démon qui cause cette erreur et ces ténèbres. Je dis que si toi ou d’autres vous vous anéantissez dans le
sang de l’Agneau sans tache, ces illusions ne s’empareront pas de votre esprit, ou, si elles y entrent, elles n’y resteront pas, et elles seront chassées par la foi vive et l’espérance, placées
dans ce sang, tu les mépriseras en disant : 'je puis tout par Jésus crucifié, qui est en moi et qui me fortifie, et quand même je devrais tomber en enfer, je ne veux pas abandonner mes
exercices'. Ce serait une grande folie de se jeter avant le temps dans la confusion de l’enfer.
Excite donc en toi le feu de l’amour, ma très chère fille, ne te trouble pas et réponds-toi à toi-même : 'quelle comparaison y a-t-il entre mon iniquité et l’abondance de ce sang répandu avec
tant d’amour ?' Je veux bien que tu voies ton néant, ta négligence, ton ignorance, mais je ne veux pas que tu les voies dans les ténèbres de la confusion, mais à la lumière de la Bonté divine,
que tu trouves en toi. Apprends que le démon ne veut que vous arrêter à la seule connaissance de vos misères, tandis que cette connaissance doit toujours être accompagnée de l’espérance dans la
miséricorde divine. Sais-tu comment il faut faire ? ce que tu fais quand tu entres la nuit dans ta cellule, pour dormir : tu trouves d’abord ta cellule, puis tu vois ton lit, la première
chose est nécessaire, mais tu ne t’en contentes pas, et tu cherches des yeux le lit où tu dois prendre ton repos. Tu dois faire de même lorsque tu es entrée dans la cellule de la connaissance de
toi-même. Je veux que tu ouvres l’oeil de ton intelligence avec amour, que tu traverses ta cellule, et que tu ailles vers le lit de la douce Bonté que tu trouves en toi. Tu vois bien que l’être
t’a été donné par grâce, et non par obligation.
Vois, ma Fille, ce lit est couvert d’une couverture de pourpre teinte dans le sang de l’Agneau immolé et consumé pour nous, c’est lit le lit de ton repos, qu’il ne faut quitter jamais. Tu vois
qu’il n’y a pas de cellule sans lit, et de lit sans cellule. Que ton âme se nourrisse de cette Bonté de Dieu, elle peut s’y engraisser, car avec le lit tu trouves la nourriture, la table et le
serviteur. Le Père est la table, le Fils est la nourriture, le Saint-Esprit lui-même devient un lit de repos. Sois persuadée que si tu veux te borner à la connaissance de toi-même, tu seras
toujours dans la confusion, tu verras la table et le lit préparés, et tu n’en profiteras pas par la connaissance de la bonté divine, tu ne recevras pas la paix et le repos, tu en seras privée, et
tu ne porteras aucun fruit. Je te conjure donc par l’amour de Jésus crucifié de rester dans ce doux et glorieux lit de repos. Je suis certaine que tu le feras si tu te noies dans le précieux
sang. Aussi je t’ai dit que je désirais te voir baignée et noyée dans le sang du Fils de Dieu.
Je termine : demeure dans la sainte et douce dilection de Dieu.
Lettres de Sainte Catherine de Sienne (lettre 154)
Christ communiant
Sainte Catherine de Sienne (Giovanni di Paulo)