C'est dans ce sentiment, mon cher auditeur, que vous devez entrer aujourd'hui. Comme le prince des apôtres, vous reconnaissez, et vous êtes obligé de reconnaître, qu'en mille occasions où le torrent du monde vous entraînait, vous avez renoncé votre Dieu ; vous confessez que votre vie, si je puis parler de la sorte, a été un sujet perpétuel de confusion pour Jésus-Christ : n'est-il donc pas juste qne vous vous mettiez en état de lui faire honneur, et que, par une vie chrétienne, vous effaciez au moins les impressions que votre impiété a pu donner contre sa loi ? N'est-il pas juste (autre pensée bien touchante), n'est-il pas juste que vous honoriez la grâce même de votre conversion ?
BOURDALOUE
Obligation de paraître converti, prise de l'intérêt de Dieu qu'on a offensé ; autrement, Chrétiens, quelle réparation ferez vous à Dieu de tant de crimes, et comment lui rendrez-vous la gloire que vous lui avez ravie en les commettant ? Quoi ! pécheur qui m'écoutez, vous avez outragé mille fois ce Dieu de majesté, et vous rougirez maintenant de paraître humilié devant lui ? Vous avez méprisé hautement sa loi, et vous croirez en être quitte pour un secret repentir ? Votre libertinage, qui l'irritait, a été public, et votre pénitence, qui doit l'apaiser, sera obscure et cachée ? Est-ce traiter Dieu en Dieu ? Non, non, mes Frères, dit saint Chrysostome, en user ainsi, ce n'est point proprement se convertir. Quand nous n'aurions jamais péché, et que nous aurions toujours conservé l'innocence de notre baptême, Dieu veut que nous nous déclarions ; et en vain lui protestons-nous dans le cœur qu'il est notre Dieu, si nous ne sommes prêts à nous en expliquer devant les hommes, et même devant les tyrans, par une confession libre et généreuse : Quicumque confessus fuerit me coram hominibus (Luc, XII, 8.).
Telle est la condition qu'il nous propose, et sans laquelle il nous réprouve comme indignes de lui. Or, si le juste même, quoique juste, reprend saint Chrysostome, est sujet à cette condition, combien plus le pécheur qui se convertit, puisqu'il s'agit pour lui non seulement de confesser le Dieu qu'il sert et qu'il adore, mais de faire justice au Dieu qu'il a déshonoré ? Et comment la lui fera-t-il cette justice, si ce n'est par une conversion qui édifie, par une conversion dont on voit les fruits, par une conversion aussi exemplaire qu'elle doit être de bonne foi et sincère ? Il faut donc, conclut saint Chrysostome, que la vie de ce pécheur, dans l'état de sa pénitence, soit désormais comme une amende honorable qu'il fait à son Dieu. Il faut que son respect dans le lieu saint, que son attention à l'adorable sacrifice, que son assiduité aux autels, que sa fidélité aux observances de l'Eglise, que ses discours modestes et religieux, que sa conduite régulière, que tout parle pour lui, et réponde à Dieu de la contrition de son âme : pourquoi ? afin que Dieu soit ainsi dédommagé, et que ceux qui, voyant autrefois cet homme dans les désordres d'une vie impure et libertine, demandaient où était son Dieu, et doutaient presque qu'il y en eût un, non seulement n'en doutent plus, mais le glorifient d'une conversion si visible et si éclatante : Nequando dicant gentes : Ubi est Deus eorum (Psalm., CXIII, 2.) ? Car voilà ce que j'appelle l'intérêt de Dieu.
En effet, quand saint Pierre, après la résurrection du Sauveur, paraissait dans les synagogues et dans les places publiques, prêchant le nom de Jésus-Christ avec une sainte liberté, d'où lui venait surtout ce zèle ? de la pensée et du souvenir de son péché. J'ai trahi mon maître, disait-il dans l'amertume de son cœur, et mon infidélité lui a été plus sensible que la cruauté des bourreaux qui l'ont crucifié : il faut donc qu'aux dépens de tout je fasse voir maintenant ce que je lui suis, et que je me sacrifie moi-même pour effacer de mon sang une tache si honteuse. Voilà ce qui l'excitait, ce qui le déterminait à tout entreprendre et à tout souffrir pour cet Homme-Dieu qu'il avait renoncé.
Or, c'est dans ce sentiment, mon cher auditeur, que vous devez entrer aujourd'hui. Comme le prince des apôtres, vous reconnaissez, et vous êtes obligé de reconnaître, qu'en mille occasions où le torrent du monde vous entraînait, vous avez renoncé votre Dieu ; vous confessez que votre vie, si je puis parler de la sorte, a été un sujet perpétuel de confusion pour Jésus-Christ : n'est-il donc pas juste qne vous vous mettiez en état de lui faire honneur, et que, par une vie chrétienne, vous effaciez au moins les impressions que votre impiété a pu donner contre sa loi ? N'est-il pas juste (autre pensée bien touchante), n'est-il pas juste que vous honoriez la grâce même de votre conversion ? Car savez-vous, Chrétiens, quel sentiment la grâce de la pénitence vous doit inspirer ? savez-vous ce que vous devez être dans le monde en conséquence de cette grâce, si vous y avez répondu ? Je dis que vous devez être dans le monde ce que furent les apôtres et les premiers disciples, après la résurrection du Fils de Dieu. L'Ecriture nous apprend que leur principal, ou plutôt leur unique emploi, fut de lui servir de témoins dans la Judée, dans la Samarie, et jusques aux extrémités de la terre : Eritis mihi testes in Jerusalem et in omni Judœa et Samaria (Act., I, 8. ).
Ainsi, mes Frères, devez-vous être persuadés qu'en qualité de pécheurs convertis et réconciliés avec Dieu par la grâce de son sacrement, Dieu attend de vous un témoignage particulier, un témoignage que vous lui pouvez rendre, un témoignage qui lui doit être glorieux. Comme s'il vous disait aujourd'hui : Oui, c'est vous que je choisis pour être mes témoins irréprochables, non plus dans la Samarie ni dans la Judée, mais dans un lieu où il m'est encore plus important d'avoir des disciples qui soutiennent ma gloire ; mais à la cour, où ce témoignage que je vous demande m'est beaucoup plus avantageux : Eritis mihi testes. Vous, hommes du monde, qui vous êtes livrés aux passions charnelles, mais en qui j'ai créé un cœur nouveau, vous à qui j'ai fait sentir les impressions de ma grâce, à tous que j'ai tirés de l'abîme du péché, c'est vous qui me servirez de témoins ; et où ? au milieu du monde, et du plus grand monde ; car c'est là surtout qu'il me faut des témoins fidèles : Eritis mihi testes. Il est vrai, vous avez jusques à présent vécu dans le désordre ; mais bien loin que les désordres de votre vie affaiblissent votre témoignage, c'est ce qui le fortifiera et ce qui le rendra plus convaincant ; car en vous comparant avec vous-mêmes, et voyant des désordres si publics, suivis d'une conversion si édifiante, le monde, tout impie qu'il est, n'en pourra conclure autre chose sinon que ce changement est l'ouvrage de la grâce, et un miracle de la main toute-puissante du Très-Haut : Eritis mihi testes.
Et en effet, Chrétiens, si vous aviez toujours vécu dans l'ordre, quelque gloire que Dieu en tirât d'ailleurs, il n'en tirerait pas le témoignage dont je parle. Vous seriez moins coupables devant lui ; mais aussi seriez-vous moins propres à faire connaître l'efficace de sa grâce. Pour lui servir à la cour de témoins, il fallait des pécheurs comme vous ; et c'est ainsi qu'il vous fait trouver dans votre péché même de quoi l'honorer.
Obligation de paraître converti, fondée sur l'intérêt du prochain, que vous avez scandalisé ; car, comme disait saint Jérôme, je me dois à moi-même la pureté de mes mœurs, mais je dois aux autres la pureté de ma réputation : Mihi deheo meam vitam, aliis debeo meam famam. Or, ce sentiment convient encore plus à un pécheur qui se convertit : Je me dois à moi-même ma conversion, mais je dois aux autres les apparences et les marques de ma conversion : et pourquoi les apparences ? pour réparer par un remède proportionné les scandales de ma vie ; car ce qui a scandalisé mon frère, peut-il ajouter, ce n'est point précisément mon péché, mais ce qui a paru de mon péché. Je ne fais donc rien si je n'oppose à ces apparences criminelles de saintes apparences; et je me flatte si je me contente de détester intérieurement le péché, et que je n'en retranche pas les dehors.
Il faut, mon cher auditeur, que ce prochain pour qui vous avez été un sujet de chute profite de votre retour, et. qu'il soit absolument détrompé des idées qu'il avait de vous ; il faut qu'il s'aperçoive que vous n'êtes plus cet homme dont les exemples lui étaient si pernicieux ; que vous n'entretenez plus ce commerce, que vous ne fréquentez plus cette maison ; que vous ne voyez plus cette personne, que vous n'assistez plus à ces spectacles profanes, que vous ne tenez plus ces discours lascifs, en un mot que ce n'est plus vous : car, d'espérer, tandis qu'il vous verra dans les mêmes sociétés, dans les mêmes engagements, dans les mêmes habitudes, qu'il vous croie, sur votre parole, un homme changé et converti, ce serait à lui simplicité de le penser, et c'est à vous une présomption de le prétendre.
Ne sortons point de notre mystère : la résurrection du Fils de Dieu, que nous avons devant les yeux, sera pour vous et pour moi une preuve sensible de ce que je dis.
BOURDALOUE
SERMON POUR LA FÊTE DE PAQUES SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST