SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE : Le succès du plaidoyer de Paul dans le prétoire amena son acquittement

Après deux ans environ de captivité, vers la fin de l'année 57, on accorda enfin à Paul l’audience à laquelle lui donnait droit l'appel qu'il avait interjeté à César.

 

 Il comparut au prétoire, et il atteste lui-même, dans son Epître aux Philippiens, que sa présence produisit une véritable sensation. (Phil., 1.) Burrhus était à ce moment préfet du prétoire, et les consuls assistaient en personne aux audiences de cette nature. M. de Rossi a démontré, d'après un monument des frères Arvales, que Sénèque était consul durant le dernier semestre de l'année 37. Le philosophe fut donc à portée de connaître et d'entendre l'apôtre. Celui-ci, dans le prétoire, comme autrefois à Athènes dans l'aréopage, sut trouver des accents dignes de sa cause, et de nature à faire impression sur un éclectique du genre de Sénèque. Le nom de Paul pouvait être déjà connu du philosophe par ses relations avec son frère Gallion, proconsul d'Achaïe, devant lequel nous avons vu qu'une émeute de juifs à Corinthe avait entraîné l'apôtre.

 

 Le succès du plaidoyer de Paul dans le prétoire amena son acquittement, et l'apôtre, débarrassé de ses liens, put se livrer, avec plus d'aisance encore, à la prédication de l'Evangile. La persuasion assez générale a été, dans la haute antiquité chrétienne, que Paul et Sénèque ont eu ensemble des relations au dehors du prétoire. On ne saurait, il est vrai, apporter en preuve la correspondance de l'un et de l'autre qui avait cours au quatrième siècle, et qui fait partie du cycle des apocryphes chrétiens ; mais il faut avouer en même temps que ces relations entre l'apôtre et le philosophe ont leur vraisemblance, lorsque, sans appuyer davantage sur la rumeur si ancienne qui les atteste, on rencontre dans les écrits de Sénèque un nombre si considérable de passages reproduisant les textes mêmes des livres juifs et chrétiens, et quelquefois jusqu'aux propres paroles des Epîtres de Paul. Ces emprunts, qui ont fait dire à Tertullien, dans son livre de Anima, ce mot significatif : Seneca saepe noster, ne sauraient tous s'expliquer par la lecture assidue que Sénèque avait faite des philosophes, chez lesquels on rencontre parfois des passages empreints de spiritualisme et d'une morale pure, à côté d'autres sentences qui les neutralisent. Les traits de Sénèque auxquels nous faisons allusion retracent trop expressément le style employé dans les saintes écritures chrétiennes pour qu'il soit possible de n'y voir que des centons de Cicéron et autres moralistes, grecs ou latins, qui n'ont ni cette allure ni cette couleur.

 

Personne ne songe à revendiquer Sénèque pour le christianisme ; ce que l'on peut dire seulement sans invraisemblance, c'est qu'il aurait reconnu dans le juif Paul un homme avec lequel on pouvait, sans déroger, lier quelques relations, et en cela Sénèque aurait imité bon nombre de personnes de distinction qui, ainsi qu'on a pu le remarquer, goûtaient les entretiens de l'apôtre.

 

 Que ces rapports aient amené Sénèque à lire nos livres sacrés, avec assez de soin pour en extraire certains passages qu'il encadre dans ses écrits, sans en indiquer la provenance, rien n'a lieu d'étonner, et d'autant moins, que le philosophe n'a pas coutume d'indiquer les sources où il puise ses sentences de morale, trop souvent contradictoires. Nous laissons donc bien volontiers au stoïcisme le philosophe qui, avec son ami Burrhus, eut le courage de faire, en plein sénat, l'apologie du meurtre d'Agrippine par Néron, leur élève, et qui ensuite eut le lâche orgueil de s'ouvrir les veines sur l'ordre de César. Nous tenons seulement à prendre acte d'un fait qui fournit une nouvelle preuve de l'attention que la société romaine portait de plus en plus au christianisme.

 

 La famille Annea, à laquelle appartenait Sénèque, semble avoir eu dans la suite quelques membres agrégés à l'Eglise chrétienne, si c'est à cette gens qu'il faut attribuer un marbre du commencement du troisième siècle, découvert à Ostie en 1867. L'inscription funéraire, publiée par M. de Rossi, est ainsi conçue :

 D. M.

M. ANNEO

PAVLO PETRO

M. ANNEVS PAVLVS

FILIO CARISSMO

 

 On voit ici un personnage nommé M. Anneus Paulus, et son fils appelé M. Anneus Paulus Petrus. Le surnom de Paulus, que portent à la fois le père et le fils, ne déciderait rien à lui seul ; mais le cognomen surajouté de Petrus, nom entièrement inconnu dans l'épigraphe latine, annonce visiblement une intention chrétienne, et semble même donner un sens à l'emploi du surnom de Paulus. Ne serait-ce pas le vestige d'une tradition de famille chez les Annei, selon laquelle leur aïeul aurait eu des rapports avec l'apôtre Paul ?

 

Nous avons dit que Paul avait annoncé son acquittement aux Philippiens. Auparavant, durant le cours de sa captivité, il écrivit aux Ephésiens et aux Colossiens. C'est aussi à la même époque qu'il faut placer la lettre si touchante à Philémon, en faveur de l'esclave Onésime. L'Epître aux Hébreux, qui se termine par une salutation au nom des frères "qui sont en Italie", se rapporte également au séjour de l'apôtre dans Rome. Son ardeur pour l'extension de la foi chrétienne ne lui permettait pas d'oublier, au milieu de ses labeurs dans la capitale de l'Empire, ces chères églises de l'Asie et de la Grèce, qu'il avait fondées avec tant d'efforts et au prix de tant d'épreuves. Il lui tardait de les revoir. Avant de repartir pour l'Orient, visita-t-il l'Espagne, comme il en avait annoncé l'intention ? Plusieurs écrivains de l'antiquité l'affirment ; il est néanmoins étonnant que pas une des églises d'Espagne n'ait revendiqué l'honneur d'avoir été fondée par l'apôtre des gentils.

 

Quoi qu'il en soit, Paul ne dut pas beaucoup tarder à retourner en Orient. Nous l'y retrouvons occupé aux travaux apostoliques dans cette dernière période de sa vie si laborieuse. Il remplit les promesses qu'il avait faites durant sa captivité, en visitant de nouveau Colosses et même Ephèse, où il établit évêque son disciple Timothée. Il évangélisa la Crète, où il laissa son disciple Tite pour pasteur, le chargeant d'organiser l'église dans cette île.

 

Paul avait longtemps désiré voir l'église romaine ; il l'avait vue, il l'avait illustrée par son séjour, il l'avait accrue et fortifiée par sa prédication ; maintenant, il la quittait pour quelques années ; mais il devait revenir pour l'illuminer des derniers rayons de son apostolat, et l'empourprer de son sang glorieux.

 

DOM GUÉRANGER

SAINTE CÉCILE ET LA SOCIÉTÉ ROMAINE AUX DEUX PREMIERS SIÈCLES (pages 97 à 101) 

 

Cecilia

SAINTE CÉCILE - Santa Cecilia in Trastevere, Rome

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