Le pays où est situé la cité servante de Dieu est appelé Judée et aussi première Palestine. Le premier de ces noms lui fut donné après que les dix tribus se firent séparées de Roboam, fils de Salomon, pour suivre Jéroboam, fils de Nabath. Les deux tribus de Benjamin et de Juda restèrent seules fidèles à Roboam, et le pays qui formait le territoire de ces deux tribus fut appelé Judée, du nom de l'une d'elles. Aussi lit-on dans l'Évangile : Retourne dans la terre de Juda. Dès lors Roboam et ses successeurs furent nommés rois de Juda, tandis qu'on désignait sous le titre de rois d'Israël ou de Samarie, les rois qui gouvernaient les dix autres tribus.
On dit que le nom de Palestine est dérivé de celui de Philistine, ou pays des Philistins. On dit encore qu'il y a trois Palestine : la première qui est la Judée proprement dite, avec Jérusalem pour métropole ; la seconde a pour métropole Césarée, ville maritime ; la troisième avait d'abord pour métropole Bethséan ou Scythopolis, mais cette dignité a été maintenant transférée à l'église de Nazareth. Quoi qu’il en soit de l'origine réelle ou imaginaire de ces dénominations, il est certain que la Judée fait partie de la Terre-Promise et de la Syrie, ainsi qu'on le trouve attesté par cette homélie, dans laquelle il est dit : "Il est d'usage chez les Syriens, et principalement dans le pays de Palestine, qui fait partie de la Syrie, et où le Seigneur daigna apparaitre aux hommes en chair et en os, de mêler des paraboles dans presque tous les discours."
La Judée est située comme au centre de la Terre-Promise, conformément à la délimitation que Josué en a tracée, en disant : Vos limites seront depuis le désert et le Liban jusqu'au grand fleuve d'Euphrate ; tout le pays des Hethéens jusqu'à la grande mer qui regarde le soleil couchant.
Le lieu sur lequel est bâtie la ville de Jérusalem est aride et dépourvu d'eau ; on n'y trouve ni ruisseaux, ni fontaines, ni rivières, et les habitants en sont réduits à ne se servir que des eaux pluviales. Pendant les mois d'hiver, ils rassemblent les eaux du ciel dans des citernes qui sont en très grand nombre dans la ville, et les conservent ensuite pour s'en servir pendant tout le cours de l'année. Aussi j'ai lieu d'être fort étonné que Solin ait dit que la Judée était fort célèbre par ses eaux. On trouve dans son Polyhistor : "La Judée est célèbre par ses eaux, mais elles ne sont pas de la meme nature que les autres". Je ne puis même m'expliquer cette assertion qu'en pensant ou que cet écrivain n'a pas dit la vérité, ou que ce sol antique a changé complètement de face depuis cette époque.
Il est juste cependant de dire qu'Ézéchias, roi de Juda, cet ami fidèle du Seigneur, lorsqu'il apprit la prochaine arrivée de Sennachérib, fils de Salmanazar, roi des Assyriens, fit boucher les fontaines qui étaient hors de la ville. On lit à ce sujet dans le second livre des Paralipomènes : Ézéchias voyant que Sennachérib s'avançait ; et que tout l'effort de la guerre allait tomber sur Jérusalem, il tint conseil avec les principaux de la cour et les plus braves officiers, s'il ne fallait point boucher les sources des fontaines qui étaient hors de la ville, et tous en ayant été d'avis, il assembla beaucoup de monde, et ils bouchèrent toutes les sources et le ruisseau qui coulait au milieu du pays, afin, disaient-ils, que, si les rois des Assyriens viennent, ils ne trouvent pas beaucoup d'eau. La principale de ces sources était celle qu'on appelait la source de Gion, dont il est fait mention en ces termes dans le même endroit : C'est ce même roi Ézéchias qui boucha la haute fontaine des eaux de Gion, et les fit couler sous terre, à l'occident de la ville de David. Gion était situé au midi, dans la vallée d'Ennom, et au milieu même de Jérusalem, sur le lieu où est maintenant une église construite en l'honneur du bienheureux Procope le martyr. Ce fut là, à ce qu’on rapporte, que Salomon fut oint en qualité de roi, ainsi qu'on le trouve raconté dans le troisième livre des Rois : Prenez avec vous les serviteurs de votre maître ; faites monter sur ma mule Salomon, mon fils, et menez-le à Gion, et que Sadoch, grand-prêtre, et Nathan, prophète, le sacrent vers ce lieu pour être roi d'Israël; et vous sonnerez aussi de la trompette, et vous crierez : vive le roi Salomon ! Il est cependant certain que les choses furent telles avant le temps où vécut Solin ; et il est également sûr que cet écrivain exista après que Titus, empereur des Romains, eut renversé la ville de Jérusalem, et avant le règne d'Ælius Adrien qui la fit relever ; ainsi qu'on peut s'en convaincre d'après ce que dit cet auteur dans le quarante-troisième chapitre de son Polyhistor : "Jérusalem fut la capitale de la Judée; mais elle a été détruite et remplacée par Hiéricho (Jéricho), et celle-ci a aussi cessé d'être la capitale lorsqu'elle a été conquise dans la guerre d'Artaxerce."
En dehors de la ville et à deux ou trois milles de distance, il y a quelques fontaines; mais elles sont peu nombreuses, et ne fournissent d'ailleurs qu'une très petite quantité d'eau. Cependant vers la porte méridionale, au point où se réunissent les deux vallées dont j'ai déjà parlé, et à un mille tout au plus de la ville, il y a une fontaine très fameuse, dite Siloé. Le Seigneur y envoya un homme qui était aveugle dés sa naissance, afin qu'il se lavât et recouvrât la vue. La source est peu abondante, et jaillit dans le fond de la vallée ; elle donne des eaux qui n'ont point de goût et ne coulent pas toujours ; on assure que c'est une fontaine intermittente, et qui ne donne de l'eau que de trois en trois jours.
Les habitants de Jérusalem, dès qu'ils avaient été informés de l'approche de notre armée, avaient fait boucher les fontaines et les citernes qui étaient en dehors et jusqu'à cinq ou six milles de distance de la ville, afin que notre peuple ne pût résister à la soif, et se trouvât forcé par là de lever le siège. Aussi les Croisés éprouvèrent-ils de cruelles souffrances durant tout le cours du siège, comme on le verra par la suite de ce récit.
Les assiégés, pendant ce temps, indépendamment des eaux pluviales qu'ils avaient en grande abondance, recevaient encore du dehors les eaux des sources qu'ils faisaient arriver par des conduits et des aqueducs, et qui se jetaient dans deux piscines très vastes, situées auprès de l'enceinte du temple, â l'extérieur par rapport â celle-ci, et â l'intérieur par rapport aux murailles de la ville d'une de ces piscines, appelée encore aujourd'hui piscine probatique, était employée autrefois pour laver les victimes qu'on devait immoler. Jean-l'Évangéliste dit qu'il y avait cinq galeries, qu'un ange y descendait et agitait l’eau, et que lorsqu'elle était ainsi troublée, celui qui entrait le premier dans la piscine était guéri de ses maux. Le Seigneur y trouva un paralytique, auquel il ordonna de se lever et d'emporter son lit.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
La Fontaine de Siloé, Luigi Mayer (1804)