Tandis que tous ceux qui faisaient partie de l'armée chrétienne travaillaient avec ardeur à construire des machines, à tresser des claies, à fabriquer des échelles de cordes, et s'adonnaient ainsi sans relâche à leurs diverses occupations, de leur côté, les habitants de Jérusalem ne déployaient pas moins d'activité pour repousser l'adresse par l'adresse, et cherchaient, avec une égale ardeur, tous les moyens imaginables de résister avec succès.
Comme ils possédaient une grande quantité de bois et de beaux arbres, qu'ils avaient fait couper et transporter, par précaution, dans la ville avant l'arrivée des Chrétiens, ils faisaient construire aussi des machines pareilles à celles des nôtres, et faites même avec de meilleurs matériaux. Ils mettaient tous leurs soins à ne demeurer en arrière de leurs ennemis dans les travaux de ce genre, ni pour l'art, ni pour la solidité des constructions.
Des hommes placés par eux sur les tours et sur les remparts y demeuraient constamment comme en sentinelles et observaient avec la plus grande attention tout ce qui se faisait dans le camp des Chrétiens, principalement ce qui se rapportait aux diverses espèces de construction, puis ils allaient en rendre compte aux principaux habitants de la ville, afin de pouvoir répondre à toutes les entreprises de l'ennemi par des travaux du même genre, et se montrer de dignes rivaux, habiles à tout imiter. Il ne leur était pas difficile de réussir. Ils avaient dans la ville beaucoup plus d'ouvriers, d'instruments de fabrication, de fer, d'acier, de cordes, et enfin de tous les autres approvisionnements nécessaires que n'en possédaient les assiégeants, et non seulement les citoyens étaient obligés, en vertu d'un édit, à s'employer à tous ces travaux mais en outre, les fidèles, qui habitaient avec eux et se trouvent réduits à une condition tout à fait servile et déplorable, étaient aussi soumis en ces circonstances à des corvées extraordinaires, et l'on en exigeait toutes sortes de services fâcheux. Non seulement on les exténuait en leur imposant des travaux extrêmement forcés, mais, de plus, on les chargeait de fers, on les jetait dans les prisons, dans la crainte qu'ils ne voulussent favoriser les entreprises des Croisés et leur faire connaître l'état et les secrets de la ville ; aussi nul fidèle n'osait monter sur les murailles ni paraître en public ; si ce n'est, cependant, lorsqu'on les tirait comme des bêtes de somme, chargés des objets qu'il fallait transporter d'un lieu à l'autre, car c'était là le travail auquel on les employait habituellement ; en même temps, tous ceux qui avaient quelques connaissances pratiques d'un métier étaient contraints à l'exercer pour les besoins publics.
Sur la moindre calomnie d'un délateur, on envoyait les fidèles au supplice. On les forçait aussi à donner l'hospitalité aux étrangers accourus de tous les bourgs et de toutes les villes des environs pour chercher un refuge à Jérusalem, et à leur fournir ce dont ils avaient besoin ; et, tandis que le peu qu'ils possédaient ne suffisait pas pour entretenir misérablement eux et les gens de leur maison et de leur famille, on leur imposait encore de force l'obligation de partager avec des hommes venus du dehors, en sorte qu'eux-mêmes devenaient bientôt les plus indigents. Aussitôt qu'on avait besoin de quelque chose pour les travaux publics, on commençait par aller visiter les maisons des fidèles, on enfonçait les portes, et, si l'on y trouvait ce qui était nécessaire, on l'enlevait de vive force à celui qui y demeurait. Si un accident quelconque empêchait ceux que l'on avait convoqués sur un lieu ou en un moment déterminé, de nuit ou de jour, de se rendre sans retard et sur le premier avertissement, on allait les enlever ignominieusement chez eux, on les traînait en dehors par la barbe ou par les cheveux ; enfin leur condition était tellement misérable qu'elle eût dû arracher des larmes à leurs plus grands ennemis, et ces malheurs de tout genre, ces fatigues et ces travaux excessifs n'avaient ni trêve ni fin. Excédés de tant de souffrances, ils étaient parvenus au comble de leurs maux, en sorte qu'ils souhaitaient ardemment de mourir dans le sein du Seigneur, plutôt que de vivre en ce monde d'une telle vie. Leur misérable existence ne différait que trop du calme de la mort, car on ne leur donnait pas même, une fois le jour, le loisir convenable pour réparer leurs forces par la nourriture, et souvent encore, dans la nuit, on ne leur accordait qu'un temps insuffisant pour le repos.
Tout ce qui arrivait de fâcheux dans la ville leur était constamment imputé ; ils ne pouvaient sortir de leur propre maison, se montrer en public, ni rentrer chez eux sans exciter les soupçons, et les calomnies d'un individu quelconque suffisaient pour leur attirer des accusations.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
LE SAINT SEPULCRE (1847)