Au reste, le nouveau missel n'avait pas su se défendre d'une contradiction éclatante avec les principes mêmes de sa rédaction.
Dans la messe du jour de la Pentecôte, on n'avait pas osé remplacer, par un texte biblique, l'antique verset alléluiatique, bien qu'il ne fût que d'une simple composition humaine. Soit défaut d'audace, soit respect invincible, soit injonction de l'autorité supérieure, Mésenguy avait conservé ces grandes et touchantes paroles : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende !
Avec cette seule exception, nous sommes en mesure de réclamer, ligne par ligne, tout l'Antiphonaire de saint Grégoire. Y a-t-il, par hasard, moins de piété ou d'autorité dans les autres formules si arbitrairement sacrifiées ? Il nous semble que si, dans la Liturgie régénérée, on peut encore chanter sans inconvenance : Alleluia. Veni, sancte Spiritus, reple tuorum corda, etc., on pourrait bien aussi chanter, pour honorer la Mère de Dieu, l'introït suivant :
Salve, sancta Parens, enixa puerpera Regem qui cœlum terramque regit in sœcula sœculorum !
Et le graduel :
Benedicta et venerabilis es, Virgo Maria, quœ sine tactu pudoris inventa es Mater Salvatoris.
Et l’alléluia :
Assumpta est Maria in cœlum : gaudet exercitus Angelorum.
Et le trait :
Gaude, Maria Virgo, cunctas haereses sola interemisti, quœ Gabrielis Archangeli dictis credidisti, etc.
Et cet autre alléluia :
Virga Jesse floruit; Virgo Deum et hominem genuit : pacem Deus reddidit, in se reconcilians ima summis.
Et l'offertoire :
Felix namque es, sacra Virgo Maria, et omni laude dignissima : quia ex te ortus est sol justitiœ, Christus Deus nos ter.
Et la communion :
Beata viscera Mariœ Virginis quœ portaverunt œterni Patris Filium !
Mais, qu'est-il besoin d'insister sur la contradiction d'avoir conservé le verset alléluiatique de la Pentecôte, quand nous avons si ample matière à un argument ad hominem, bien autrement embarrassant ? Le nouveau missel était rempli de proses nouvelles, pour toutes les fêtes possibles. Ces compositions n'étaient pourtant ni tirées de l'Écriture sainte, ni empruntées aux anciennes Liturgies. Elles étaient à la fois une parole humaine et une parole nouvelle. Bien plus, on ne s'était pas contenté de faire des proses nouvelles ; une des anciennes avait été retouchée d'après les idées modernes. Ainsi on ne lisait plus la première strophe de la prose des morts, comme autrefois :
Dies irœ, dies illa,
Solvet seclum in favilla,
Teste David cum sibylla.
Mais bien :
Dies irœ, dies illa,
Crucis expandens vexilla,
Solvet seclum in favilla.
Après la fameuse censure de la Sorbonne contre les jésuites auteurs des Mémoires de la Chine, Mésenguy ne pouvait plus souffrir qu'on chantât,dans l'Église de Paris, un verset de séquence dans lequel était invoqué le témoignage d'une sibylle des gentils à côté des oracles du peuple juif. Il est, en effet, bien étonnant que l'Église romaine et le reste de l'Occident s'obstinent à chanter toujours cette strophe, même après le jugement souverain de la Sorbonne !
Mésenguy avait trouvé l'occasion de faire une autre justice dans le Dies irœ. On y confondait encore, en dépit des progrès de la critique, sainte Marie-Madeleine avec Marie, sœur de Lazare : Qui Mariam absolvisti ;
Mésenguy voulut que Ton chantât et l'on a chanté depuis :
Peccatricem absolvisti !
Mais revenons à la lettre pastorale : " C'est donc à ces sources si pures, et principalement dans les sacramentaires de l'Église romaine qui est la Mère et la Maîtresse des autres, que nous avons puisé les oraisons de notre missel. On peut même dire que ce n'est pas sans une conduite de la divine Providence qu'a eu lieu, pour notre grande consolation et celle de notre troupeau, la découverte récente du plus ancien de tous les sacramentaires de l'Église romaine, qui avait été inconnu depuis plusieurs siècles. Ce livre d'or, écrit sur un manuscrit en parchemin de plus de mille ans, a été publié à l'imprimerie Vaticane, sous les auspices du Souverain Pontife Clément. XII, qui conduit aujourd'hui, avec non moins de sainteté que de sagesse, la barque de saint Pierre. C'est à ce monument considérable que nous avons emprunté un grand nombre de prières qui respirent une piété excellente et rappellent, pour le style et la doctrine, saint Léon le Grand, à qui on les attribue comme à leur auteur très certain."
Nous avons déjà dit un mot de ce prétendu Sacramentaire de saint Léon, qui parut en 1735, à la tête du quatrième tome de l'édition du Liber pontificalis, dit d'Anastase, par Bianchini. Nous y reviendrons dans notre prochain volume. Mais ce manuscrit eût-il été réellement le Sacramentaire de saint Léon, était-ce, pour l'Église de Paris, une manière bien efficace de témoigner de son accord parfait avec la Mère et la Maîtresse des Églises, que de répudier le missel qu'elle promulgue et garantit de son autorité, pour s'en fabriquer un nouveau, dans la composition duquel on ferait entrer quelques lambeaux d'un ancien sacramentaire qui a été l'objet d'une réforme il y a tant de siècles ? Ce n'est pas que nous désapprouvions dans une Eglise qui, comme celle de Paris, se trouve en droit de reformer sa liturgie, qu'on prenne dans les anciens sacramentaires certaines prières bien approuvées, pour enrichir encore le romain d'aujourd'hui ; mais cette conduite est toute différente de celle qu'on a tenue. On s'est débarrassé du missel romain, qui est le Sacramentaire et l'Antiphonaire grégoriens combinés, et ensuite, parmi les pièces anciennes que l'on a consenti à recevoir de nouveau, on a daigné remonter jusqu'au prétendu Sacramentaire léonien, conservant même la plupart des oraisons de saint Gélase et de saint Grégoire, parce qu'on le jugeait ainsi à propos. C'est une manière de procéder fort large ; mais il ne faudrait pas lui donner la couleur d'un zèle pour la liturgie romaine. Clément XII, en faisant les frais du quatrième tome de l'Anastase de Bianchini, comme ses prédécesseurs avaient fait les frais des trois premiers, n'avait pas, assurément, la pensée que le sacramentaire tel quel, publié parmi plusieurs autres monuments dans ce volume, dût fournir à l'Église de Paris un prétexte de se débarrasser du Missel romain que les Harlay et les Noailles avaient encore respecté.
" Nous avons largement distribué dans tout notre missel ces richesses liturgiques ; d'où il est arrivé qu'en plusieurs endroits de ce missel, on trouvera des collectes différentes des oraisons qu'on aura récitées dans le bréviaire ; inconvénient léger et même nul en soi. Il nous eût semblé plus fâcheux de priver notre Église de tant d'excellentes prières des anciens Pères."
On dira ce qu'on voudra, mais ce n'en est pas moins une chose inouïe dans la Liturgie, que la discordance de l'oraison des heures avec la collecte de la messe, dans un même office. Ce défaut d'harmonie qu'on voudrait excuser ici ne montre que trop la précipitation avec laquelle les nouveaux livres furent fabriqués. Jamais cette Liturgie romaine dont on s'est défait si cavalièrement ne fournit d'exemple de ces anomalies, parce que les choses du culte divin sont toujours disposées à Rome avec le sérieux, la gravité, la lenteur, qui seuls peuvent faire éviter de pareilles fautes.
La lettre pastorale contient ensuite ces paroles remarquables : " Cependant, nous voulons vous avertir que, dans plusieurs oraisons des anciens sacramentaires, il a été fait certains changements, soit dans le but de les abréger, soit dans celui d'ôter l'obscurité et d'aplanir le style, soit enfin pour les accommoder à la forme spéciale des collectes, secrètes et postcommunions. Cet exemple nous était donné par toutes les églises de tous les temps, dans les livres desquelles on rencontre beaucoup de prières transférées d'une Liturgie dans une autre, et qui ont subi quelques légers changements dans les paroles, tout en conservant le même sens. Nous avons pensé que la même chose nous était permise, à la même condition, à savoir, que le changement ne tomberait pas sur le fond des choses, mais seulement sur les expressions. Nous pouvons affirmer que les vérités du dogme catholique, exprimées dans ces prières, ont été religieusement conservées par nous dans toute leur intégrité et inviolabilité."
Voilà donc un évêque catholique réduit à affirmer solennellement à son clergé, en tête d'un missel, qu'il n'a pas altéré frauduleusement le dépôt de la tradition sur les vérités catholiques ! Que s'était-il donc passé qui nécessitât cette humiliante déclaration ? quel événement avait excité à un si haut point les susceptibilités du clergé orthodoxe, que le pasteur fût ainsi obligé de courir au-devant, sans nul souci des convenances les plus sacrées ? Cette déclaration sans exemple avait pour but de prévenir de nouvelles réclamations dans le genre de celles qui s'étaient élevées sur le bréviaire, et, dans le fait, l'on doit convenir que le missel était généralement plus pur que le bréviaire, bien qu'il renfermât encore une somme immense de nouveautés. On a dû remarquer plus haut que l'archevêque, en parlant de la commission pour le missel, ne s'était pas borné, comme dans la lettre pastorale du bréviaire, à désigner en termes généraux les hommes sages et érudits auxquels il avait confié cette délicate opération, mais qu'il avoue simplement le concours de plusieurs chanoines de la métropole. C'était mettre totalement hors de cause la coopération de Mésenguy, de Boursier et leurs semblables.
On trouvait encore, dans les clauses de la promulgation du missel, une particularité qui faisait voir que le prélat avait eu en vue de ménager sur plus d'un point les susceptibilités catholiques. Le lecteur doit se rappeler que la lettre pastorale sur le bréviaire déclarait ce livre obligatoire pour toutes les églises, monastères, collèges, communautés, ordres, enfin pour tous les clercs astreints à l'office divin, sans exception aucune ; la lettre pastorale du missel, beaucoup moins absolue, n'exigeait cette soumission que de ceux qui, par le droit et la coutume, sont tenus de célébrer et réciter l'office parisien.
Nous ne nous appesantirons pas davantage, pour le moment, sur les particularités de ce nouveau missel ; il nous suffira ici d'en avoir exposé le plan, d'après la lettre pastorale qui lui sert comme de préface. Au reste, nous le répétons, ce livre était en soi moins répréhensible que le bréviaire. Les réclamations des catholiques avaient du moins eu l'avantage de réprimer l'audace de la secte qui s'était vue à la veille de triompher par la Liturgie. Toutefois, soit lassitude, soit découragement, les répugnances se calmèrent peu à peu : le Bréviaire et le Missel de Vintimille s'implantèrent profondément, et c'en fut fait de la Liturgie romaine dans l'Église de Paris.
Bien plus, cette Église que Dieu, dans ses conseils impénétrables, avait ainsi soumise à la dure humiliation de voir des mains hérétiques élaborer les offices divins qu'elle aurait désormais à célébrer, eut le triste honneur d'entraîner grand nombre d'autres Églises du royaume, dans la malheureuse voie où on l'avait poussée. Déjà l'exemple qu'elle avait donné au temps de François de Harlay avait été contagieux ; celui qu'elle offrit au temps de Charles de Vintimille eut bien d'autres conséquences. Trente ans après l'apparition du Bréviaire de 1736, la Liturgie romaine avait disparu des trois quarts de nos cathédrales, et, sur ce nombre, cinquante et plus s'étaient déclarées pour l'œuvre des Vigier et des Mésenguy. La sainte Église de Lyon était de ce nombre.
Quel événement donc que l'apparition des livres de Vintimille ! Comment n'a-t-il pas laissé plus de place dans l'histoire ? C'est que l'indifférence, le mépris, l'oubli même du passé était la grande maladie qui travaillait les hommes du XVIIIe siècle ; et cependant, quand les jansénistes et les philosophes eurent totalement miné la société religieuse et civile, beaucoup d'honnêtes gens s'étonnèrent de voir crouler pêle-mêle, en un instant, tant d'institutions que les mœurs ne soutenaient plus. Le récit de cette catastrophe n'est pas de notre sujet : nous avons seulement à raconter comment une des formes principales de la civilisation religieuse du moyen âge, la forme liturgique, a péri en France ; poursuivons notre histoire.
Il serait par trop minutieux d'enregistrer ici successivement les divers diocèses qui acceptèrent tour à tour les nouveaux livres parisiens. Il suffira de dire que partout où cette adoption eut lieu, on fondit le calendrier et le propre diocésains avec ceux de Paris, et qu'on mit en tête du bréviaire et du missel le titre diocésain, le nom de l'évêque qui faisait cette adoption, et une lettre pastorale composée d'ordinaire sur le modèle de celle de Vintimille. Les premières Églises qui entrèrent dans cette voie, furent celles de Blois, d'Évreux et de Séez. On fit dans ces diocèses quelques légères rectifications au bréviaire, et même les Nouvelles ecclésiastiques se plaignent amèrement qu'à Évreux on ait osé changer quelque chose dans la fameuse strophe de l'hymne de Santeul, pour l'office des évangélistes. Elle avait été mise ainsi :
Insculpta saxo lex vetus
Prœcepta, non vi res dabat ,
Inscripta cordi lex nova
Dat posse quidquid prœcipit.
On avait donc adouci le dernier vers : Quidquid jubet dat exequi ; mais les trois premiers exprimaient encore les propositions de Quesnel, 6, 7 et 8.
Le nouveau Bréviaire de Paris fut aussi adopté, en 1764, par les chanoines réguliers de Sainte-Geneviève, dits de la congrégation de France. Nous ne ferions que mentionner simplement ce fait, si une des circonstances de son accomplissement n'offrait matière à une observation très grave. Le P. Charles-François de Lorme, abbé de Sainte-Geneviève et général de la congrégation, avait placé en tête du bréviaire, suivant l'usage, une lettre pastorale adressée à tous les abbés, prieurs, curés et chanoines de sa juridiction, et, dans cette pièce, il rendait compte des motifs qui avaient présidé à la rédaction de ce nouveau Bréviaire de Paris, qui allait devenir désormais celui des chanoines réguliers de la congrégation de France. Après avoir parlé de la correction du Bréviaire romain par saint Pie V, et du mérite de cette œuvre pour le temps où elle fut accomplie, l'abbé de Sainte-Geneviève en venait au détail des inconvénients qui avaient porté plusieurs évêques de France à renoncer à ce bréviaire :
" Autant il était vrai, dit la Lettre pastorale, que le Bréviaire romain l'emporte sur tous les autres, autant on devait regretter que cette œuvre n'eût pas atteint sa perfection, moins par la faute de ses auteurs que par le malheur des temps. Il y était resté beaucoup de choses qui, soumises depuis à un examen sévère, ont été trouvées incertaines et même fausses. Il s'y était introduit plusieurs choses contraires aux maximes de notre église gallicane."
La voilà donc révélée par un témoin grave et contemporain, l'intention qu'on a eue en se défaisant du Bréviaire romain, d'aider à l'établissement du gallicanisme. Certes, un pareil aveu n'était plus nécessaire après les faits que nous avons rapportés : mais il ne laisse pas que de réjouir grandement, surtout à cause de la naïveté avec laquelle il est produit.
Tandis que le désir de consolider les maximes de notre Église gallicane portait une grande partie du clergé du royaume à rejeter le Bréviaire romain, l'esprit catholique, dont nous avons vu les résistances à Paris, se révoltait dans d'autres diocèses. Nous avons malheureusement peu de faits à citer ; mais c'est une raison de plus de les arracher à l'oubli. Nous dirons donc qu'à Marseille, l'héroïque évêque Henri de Belzunce adressa un mandement à son peuple, pour l'engager à redoubler de zèle dans le culte de la sainte Vierge et des saints, qui était menacé par de téméraires innovations. Des considérations de haute convenance l'empêchèrent d'expliquer plus clairement les attentats qu'il avait en vue ; mais des curés, tels que ceux des Accoules et de Saint-Martin, crurent pouvoir annoncer en chaire, à leurs peuples, que le prélat avait voulu signaler le récent Bréviaire de Paris, et l'on ne tarda pas à entendre retentir, dans les Nouvelles ecclésiastiques, tous les sifflets du parti contre l'illustre prélat à qui la secte n'a jamais pardonné son zèle ardent contre les dogmes jansénistes.
Ceci se passait quelques mois après l'apparition du Bréviaire de Vintimille. En 1762, un fait du même genre consola les amis des saines doctrines liturgiques. Jean-Georges de Souillac, évêque de Lodève, augustinien zélé, avait été du nombre des prélats qui les premiers adoptèrent le nouveau parisien. Il eut pour successeur, en 1750, un évêque célèbre pour la pureté de sa doctrine, et dont nous aurons prochainement occasion de parler. Ce prélat était Félix-Henri de Fumel. Un des premiers actes de son autorité fut de rétablir le Bréviaire romain et de supprimer le parisien qu'il avait trouvé en vigueur. Cet acte de courage lui attira, comme à Belzunce, les injures du parti ; mais de pareils outrages de la part des hérétiques sont la plus noble récompense que puisse ambitionner un évêque.
Tirons maintenant les conclusions qui résultent, pour la doctrine liturgique, des faits exposés dans ce chapitre.
D'abord, sur les douze caractères que nous avons signalés dans les œuvres de la secte antiliturgique, dix sont visibles dans les divers produits de la grande révolution que nous venons de raconter.
1° Eloignement pour les formules traditionnelles. Foinard, Grancolas, dans leurs Projets ; les Bréviaire et Missel de Paris de 1736, etc. Partout, on crie qu'il faut prier Dieu avec ses propres paroles : Deum de suo rogare.
2° En conséquence, remplacement des formules de style ecclésiastique par des passages de la Bible. C'est l'intention expressément avouée et mise à exécution. C'est le génie de l'œuvre tout entière.
3° Fabrication de formules nouvelles. Les hymnes de Coffin, dont nous avons relevé quelques traits. La Préface de la Toussaint, par Boursier. Une immense quantité de proses nouvelles.
4° Contradiction des principes avec les faits, rendue patente dans ces milliers de nouveautés introduites par des gens qui ne parlent que de rétablir la vénérable antiquité, et qui non seulement fabriquent de nouvelles hymnes, de nouvelles proses, de nouvelles oraisons, de nouvelles préfaces, mais, de plus, débarrassent le Bréviaire et le Missel d'une immense quantité de pièces grégoriennes non seulement anciennes, mais empruntées à l'Ecriture sainte elle-même.
5° Affaiblissement de cet esprit de prière appelé Onction dans le catholicisme. Tout le monde convient que les nouveaux bréviaires, avec tout leur art, ne valent pas, pour la piété, les anciens livres. Continuelle attention, de la part de Vigier et Mésenguy, à introduire dans leur œuvre des phrases bibliques à double sens, comme autant de mots d'ordre pour le parti : ce serait un grand miracle qu'il fût demeuré beaucoup d'onction dans tout cela.
6° Diminution du culte de la sainte Vierge et des saints. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les projets de Foinard et de Grancolas, qui sont réalisés dans le Calendrier et le Propre des Saints du nouveau parisien, pour se convaincre que telle a été l'intention. Les résultats sont venus ensuite, et on ne doit pas s'en étonner..
7° Abréviation de l'office et diminution de la prière publique. On a vu avec quelle impudeur Foinard l'avait affiché jusque sur le titre de son livre. Dans les nouveaux bréviaires, rien n'a été épargné pour cela.
8° Atteintes portées à l'autorité du Saint-Siège. Qu'on se rappelle la collecte de saint Damase, la réunion des deux chaires de saint Pierre en une seule, l'extinction de l'octave de la fête même du prince des apôtres, etc.
9° Développement du presbytérianisme dans l'innovation liturgique, œuvre de simples prêtres, à laquelle ont pris part notable de simples acolytes, des laïques même : sujet de grande déconsidération pour la hiérarchie, et bientôt pour tout l'ordre ecclésiastique.
10° Intervention de la puissance séculière dans l'affaire du nouveau Bréviaire de Paris. Sentences contre un prêtre dont les sentiments n'étaient que catholiques. Nulle réclamation de l'autorité compétente contre un si énorme scandale.
C'est donc une déplorable forme liturgique que celle à laquelle sont devenues applicables, et en si grand nombre, les notes auxquelles on reconnaît la secte antiliturgiste. En outre, c'est une chose bien étrange que le remaniement total de la Liturgie ait eu pour auteurs et promoteurs des hérétiques jansénistes, séparés de la communion, même extérieure, de l'Église, tels que Le Brun Desmarettes, Coffin et Boursier, et d'autres non moins déclarés, appelants des jugements de l'Église, et, malgré cela, par une inexplicable contradiction, honorés de la confiance des prélats qui avaient promulgué ces mêmes jugements.
C'est aussi un fait bien instructif que celui d'un archevêque de Paris obligé d'admettre de nombreux cartons dans un bréviaire dont il a garanti l'excellence dans une lettre pastorale, et réduit à protester, deux ans après, en tête d'un missel, qu'il y a maintenu la foi dans sa pureté, et qu'en retouchant le style de certaines oraisons, il n'a point altéré la doctrine catholique qu'elles renfermaient.
C'est une chose bien humiliante, qu'en donnant la liste des réformateurs de la Liturgie, il nous faille ajouter, aux noms de Sainte-Beuve, Le Tourneux, de Vert, Santeul, Ledieu, Ellies Dupin, Beaudoin, Bossuet, évêque de Troyes, Petitpied et Jubé, tous jansénistes, ou fauteurs de cette hérésie, ceux de Caylus, évêque d'Auxerre, Le Brun Desmarettes, Vigier, Mésenguy, Cofin et Boursier, tous fameux à divers degrés pour leur zèle et leur indulgence envers la secte. Nous serions injuste de ne pas leur adjoindre l'intrépide champion du nouveau Bréviaire parisien, l'avocat général Gilbert de Voisins, dont nous signalerons encore, au chapitre suivant, le zèle pour les maximes françaises sur la Liturgie. Notre impartialité nous oblige, tout en laissant les docteurs Foinard et Grancolas au rang des hommes les plus téméraires qui aient jamais écrit sur les rites sacrés, à ne pas les faire figurer expressément sur la liste des partisans ou fauteurs du jansénisme. Il est prouvé que Grancolas, du moins, avait accepté sans arrière-pensée les jugements de l'Église.
Sur la liste si peu nombreuse des réclamants contre la destruction de toutes les traditions liturgiques, nous inscrirons à la fin de ce chapitre, à côté de Languet et de Saint-Albin, Belzunce, évêque de Marseille ; de Fumel, évêque de Lodève ; les séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; les abbés Regnault et Gaillande, et surtout ce courageux jésuite, le P. Hongnant, qui confessa, malgré la rage du parlement, ces pures traditions romaines dont sa société, toujours fidèle aux enseignements de saint Ignace, ne s'est jamais départie. Nous ne parlons point de Robinet, qui a eu trop de part à l'innovation, à Rouen et ailleurs, pour être recevable à la condamner à Paris.
DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.