INSTITUTIONS LITURGIQUES : il n'en demeurait pas moins évident que le bréviaire était une œuvre janséniste, par ses auteurs, son esprit et son exécution

Il était plus aisé de condamner au feu la pièce qu'on vient de lire que de la réfuter.

 

On ne pouvait refuser à son auteur le zèle de la foi, la connaissance de la matière ; on était obligé de convenir que c'était un homme dévoué à son archevêque, attaché à la hiérarchie, un digne compagnon de Languet dans la guerre contre les antiliturgistes. Nonobstant toutes ces raisons, l'archevêque résolut de maintenir le bréviaire avec les corrections ; on pensa que le temps calmerait cette agitation.

 

Cependant on eut la prudence de ne rien faire contre les deux Lettres et la Remontrance. Il n'eût pas été facile, en effet, de rédiger une censure contre ces pièces vraiment orthodoxes, et d'ailleurs, c'eût été accroître la déconsidération du bréviaire, en provoquant une réplique ; peut-être même le Siège apostolique eût-il été contraint d'intervenir dans cette question épineuse. Quant à l'opposition des séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas, elle dut céder enfin devant l'injonction expresse de la Lettre pastorale, surtout depuis les cartons mis au bréviaire qui, tout en attestant l'impure origine de ce livre, donnaient à l'autorité diocésaine une raison de plus de presser l'acceptation de la nouvelle Liturgie.

 

Ainsi l'œuvre de Vigier, Mésenguy et Coffin, s'implanta pour de longues années dans l'Église de Paris, et par suite dans une grande partie du royaume. Les jansénistes, quoique mortifiés par les cartons, se rangèrent autour du bréviaire, et trouvèrent des éloges pour l'archevêque Vintimille qui demeurait, malgré tout, le patron de leur œuvre. Rien n'est plus curieux que le langage des Nouvelles ecclésiastiques sur ce prélat : tour à tour la feuille janséniste gémit de son aveuglement et exalte son zèle providentiel dans la publication du bréviaire.

 

Cependant, si on n'osait censurer, à l'archevêché, les Lettres sur le nouveau bréviaire, ce bréviaire ne demeura pas néanmoins tout à fait sans apologie. Le P. Vigier entreprit une défense de son travail, sous le point de vue de l'orthodoxie. Son intention était de prouver que le bréviaire renfermait un nombre suffisant de textes favorables au dogme catholique de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, au culte de la sainte Vierge et à la primauté du Siège apostolique. Quand il en eût été ainsi, cette démonstration n'eût pas infirmé les reproches des catholiques sur la suppression de tant de choses respectables, sur la frauduleuse insertion d'un si grand nombre de particularités suspectes, reproches d'autant plus fondés, que les cartons étaient là pour attester l'existence du mal. Il n'en demeurait pas moins évident que le bréviaire était une œuvre janséniste, par ses auteurs, son esprit et son exécution ; que les cartons n'avaient atteint, après tout, qu'une faible portion des choses répréhensibles, soit comme exprimant   des ambiguïtés sur  le dogme,   soit comme renversant, en tant d'endroits, les plus sacrées des traditions liturgiques.

 

D'ailleurs, pour qui connaît l'histoire du jansénisme, rien n'est moins étonnant que ce soin qu'avaient eu les rédacteurs du bréviaire, d'insérer dans leur œuvre un certain nombre de textes qu'on aurait à faire valoir, en cas d'attaque. Vigier était placé tout à son aise pour remplir ce personnage : il n'avait point appelé de la bulle comme Mésenguy et Coffin ; mais, d'un autre côté, il ne la regardait que comme simple règle de police. Dans cette heureuse situation, sa conscience ne lui défendait point de glisser dans son bréviaire ses sympathies janséniennes ; et du moment que des réclamations s'élèveraient, il pouvait, sans contradiction, en présence du public,revoir son œuvre, la bulle Unigenitus en main, et soutenir la thèse de la non-contrariété du bréviaire avec cette bulle.

 

Cependant, le parti ne s'accommodait pas trop de cette condescendance de Vigier. Les Nouvelles ecclésiastiques expriment hautement leur mécontentement sur l'Apologie :  "Tout ce que nous pouvons dire de cet écrit, dit le  gazetier, c'est que, malgré la protection dont M. l'archevêque a jugé à propos de l'honorer, le public (ce public est principalement celui du journal) ne  lui a pas fait un accueil bien favorable. Il se sent partout de l'étrange contrainte où l'on est, lorsqu'en recevant la constitution Unigenitus, on se trouve obligé de  défendre les Vérités que cette même constitution condamne, et cette malheureuse nécessité y a répandu d'un  bout à l'autre une teinture de molinisme qui a fait dire  à plus d'un lecteur que cette apologie fait peu d'honneur au bréviaire, qui n'en avait pas besoin et qui se  défend assez par lui-même. En un mot, on sait que  ceux qui ont eu le plus de part à la composition du  nouveau Bréviaire de Paris,  n'ont point goûté cette première Lettre". (Nouvelles ecclésiastiques. 24 novembre 1736.)

 

Ces collègues de Vigier, qui furent mécontents de l'apologie du bréviaire, n'étaient autres que Mésenguy et Coffin, auxquels leur caractère officiel d'appelants interdisait toute rétractation même apparente. Vigier était donc comme l'intermédiaire entre le nouveau bréviaire et les catholiques. L'Apologie qu'il avait publiée consistait en trois Lettres de M. l'abbé * * à un de ses amis, en réponse aux libelles qui ont paru contre le nouveau Bréviaire de Paris. Ces trois Lettres, qui forment ensemble cinquante-quatre pages in-4°, sont datées des 1er et 15 octobre, et du 30 décembre 1736, et parurent avec approbation et privilège du roi.

 

Le courageux Père Hongnant avait publié, vers la fin de la même année, une troisième Lettre sur le nouveau Bréviaire, dans laquelle il s'efforçait de renverser les subterfuges de Vigier et de faire voir que l'Apologie, pas plus que les cartons, ne parviendrait à faire du bréviaire une œuvre catholique. Nous ignorons si cette troisième Lettre obtint, comme les deux précédentes, les honneurs d'une condamnation au Parlement de Paris. Quoi qu'il en soit, la controverse demeura close pour le moment et le bréviaire resta, comme sont restées beaucoup d'autres choses, que le XVIIe et le XVIIIe siècle ont vues naître, et que le nôtre, peut-être, ne transmettra pas à ceux qui doivent le suivre.

 

Le bréviaire étant inauguré, il devenait nécessaire de donner un nouveau missel qui reproduisît le même système. On sent que le Missel de Harlay, revu par le cardinal de Noailles, était encore trop conforme à la Liturgie romaine pour se plier au calendrier et aux autres innovations du moderne bréviaire ; or il fallait un rédacteur au nouveau missel. L'acolyte Mésenguy fut choisi pour ce grand travail, sans doute par la protection de l'abbé d'Harcourt, qui disposait totalement de la confiance de l'archevêque, dans tout ce qui tenait à la Liturgie. Ce fut, au reste, une étrange influence que celle de Mésenguy dans toute cette opération. Il était auteur en partie du nouveau bréviaire, et, quand on forma la commission pour juger des réclamations que ce livre avait excitées, on ne lui avait pas fait l'honneur de le convoquer. Sans doute, sa qualité d'appelant et d'hérétique notoire avait exigé qu'on rendît du moins cet hommage à la pudeur publique. Maintenant qu'il s'agit d'un livre plus important, plus sacré encore que le bréviaire, du missel, du Sacramentaire de l'Église de Paris, on vient chercher cet homme, cet hérétique, étranger même au caractère de prêtre ; ce sera lui qui déterminera, pour cette Église, les prières, les rites, les mystères avec lesquels les prêtres, désormais, auront à célébrer le grand sacrifice. Au reste, cette confiance inouïe donnée à un hérétique par un prélat catholique, Mésenguy continua d'en jouir pendant toute la durée de l'épiscopat de Charles de Vintimille ; car, en 1745, peu avant la mort de l'archevêque, il présida à la nouvelle édition du bréviaire et aux changements, d'ailleurs assez légers, qui y furent faits.

 

Il paraît que Mésenguy avait, depuis plusieurs années, commencé le travail du missel, car ce livre fut en état de paraître dès 1738, et fut annoncé par une Lettre pastorale de l'archevêque, en date du 11 mars. Nous allons parcourir cette pièce importante, qui fut placée en tête du missel lui-même.

 

Elle commence par  des réflexions sur   la dignité   du sacrifice de la messe, considéré sous ses différents rapports,  et arrive bientôt à parler des efforts tentés dans plusieurs diocèses de France pour la correction et le perfectionnement des missels. On rappelle ensuite les travaux des archevêques de Harlay et de Noailles, qui ont cependant encore laissé beaucoup à désirer pour l'entière perfection de ce livre ; mais le nouveau missel est rédigé d'après des principes totalement conformes à ceux que suivirent ces deux prélats dans leur réforme liturgique : c'était assez dire que la partie romaine avait presque entièrement disparu.

 

La Lettre pastorale déclare ensuite que le nouveau bréviaire ayant rendu nécessaire un nouveau missel, l'archevêque s'est fait aider dans ce travail par plusieurs chanoines de la métropole. A leur tête naturellement le doyen, l'abbé d'Harcourt, qui ne travaillait pas par lui-même, mais par son protégé, Mésenguy. Nous ignorons quels sont les autres chanoines désignés ici, et la mesure de leur influence dans la composition du missel.

 

Venant au détail des modifications introduites dans ce livre, l'archevêque parle ainsi :

" On ne trouvera presque  aucun changement dans les évangiles et les épîtres des  dimanches et des fériés, non plus que dans ceux des  fêtes chômées par le peuple. On a fait davantage de  changements dans les pièces chantées aux messes du  propre du temps ; en sorte, toutefois, que nous avons  retenu ce qu'il y avait de meilleur en ce genre dans le  missel précédent, nous réservant quelquefois de le placer plus à propos."

Charles de Vintimille confesse ici, sans scrupule, une des plus graves infractions faites à la Liturgie, sous le point de vue de la popularité du culte divin. Sans parler ici des graduels, versets alléluiatiques, offertoires et communions, choisis par saint Grégoire et ses prédécesseurs, et qu'il eût pourtant été fort à propos de ne pas perdre, à une époque surtout où l'on se piquait si fort d'un zèle éclairé pour l'antiquité, n'était-ce pas une grande faute d'oser violemment changer, dans un grand nombre de messes, les introït eux-mêmes, qui, de toute antiquité, servaient à distinguer entre eux les divers dimanches de l'année ? Comment désormais lire et comprendre nos chroniques nationales, les chartes et les diplômes de nos ancêtres, dans lesquels les dimanches sont sans cesse désignés par les premières paroles de cette solennelle antienne ? Il faudra donc, et c'est à quoi on est réduit aujourd'hui, que le prêtre lui-même ne puisse plus expliquer ces monuments, s'il ne s'est muni d'un Missel romain, à l'effet de comprendre des choses que le peuple lui-même savait autrefois ?

 

Qu'il est pourtant triste de voir l'ardeur avec laquelle, à cette époque,on se ruait sur tout ce qui pouvait creuser un abîme entre le présent et le passé ! Au reste, sous ce rapport, comme sous les autres, on était tombé dans toutes les contradictions où entraîne d'ordinaire une conduite arbitraire. Ainsi, on avait daigné conserver les introït : Ad te levavi, du premier dimanche de l'Avent ; Dominus dixit ad me, de Noël, à la messe de minuit ; Invocabit, Reminiscere, Oculi, Lœtare, des quatre dimanches de carême ; Judica me, de la Passion ; Domine, ne longe, du dimanche des Rameaux ; Quasi modo, de l'octave de Pâques, et quelques autres encore des dimanches après la Pentecôte. On avait retranché Populus Sion, du second dimanche de l'Avent ; le fameux Gaudete, du troisième dimanche ; Rorate, qui est au quatrième ; Dum medium, au dimanche dans l'octave de Noël ; In excelso throno, au dimanche dans l'octave de l'Epiphanie ; Omnis terra, au deuxième dimanche après cette fête ; Adorate Dominum, au troisième et suivants ; Resurrexi, au jour même de Pâques ; Misericordia, au second dimanche après Pâques ; Jubilate, au troisième ; Exaudi, Domine, au dimanche dans l'octave de l'Ascension ; Factus est Dominus, au second dimanche après la Pentecôte ; Exaudi,  Domine, au cinquième ; Omnes gentes, au septième ; Suscepimus, Deus, au huitième ; Ecce Deus adjuvat me, au neuvième ; Deus in loco, au onzième ; Deus in adjutorium, au douzième ; Protector noster, au quatorzième ; Inclina, au quinzième ; Justus es, au dix-septième ; Da pacem, au dix-huitième ; Salus populi, au dix-neuvième ; Omnia quae fecisti, au vingtième ; Si iniquitates, au vingt-deuxième ; Dicit Dominus, aux vingt-troisième et vingt-quatrième.

 

Outre ces suppressions, plusieurs des introït conservés avaient été transposés d'un dimanche à l'autre ; ce qui n'était propre qu'à accroître la confusion et à rendre de plus en plus impraticable l'étude des chroniques et des diplômes. Ainsi, le Gaudete du troisième dimanche de l'Avent, se trouvait transplanté au vingt-quatrième après la Pentecôte, le Vocem jucunditatis, du cinquième dimanche après Pâques, était anticipé au troisième, etc. Nous ne parlons pas des introït du propre des saints ; comme ils ne sont pas employés ordinairement dans le style de l'Europe du moyen âge, leur suppression n'offensait que les convenances liturgiques. Quant à ce que disait la Lettre pastorale, qu'on avait conservé les épîtres et les évangiles des fêtes chômées par le peuple, il eût fallu dire : moins l'évangile de la fête de saint Pierre et saint Paul. Cet évangile avait disparu, avec son fameux texte : Tu es Petrus, et super hanc petram œdificabo. Ecclesiam meam, pour faire place au passage du XXIe chapitre de saint Jean, où Jésus-Christ dit à saint Pierre : Pasce oves meas ; texte important, sans doute, pour l'autorité du Saint-Siège, mais moins clair, moins populaire, moins étendu que Tu es Petrus, qu'on avait lu pendant mille ans, ce jour-là, à Paris comme à Rome.

 

La lettre pastorale continue : " Nous avons choisi les  passages de l'Écriture qui nous ont semblé les plus propres à exciter la piété, les plus faciles à mettre en chant et les plus en rapport avec les lectures sacrées qui se  font à la messe. Cependant, nous ne nous sommes point tellement enchaînés à une méthode quelconque que nous  ne nous soyons proposés, par-dessus tout, de rechercher ce qui pouvait élever le cœur à Dieu et l'aider à  concevoir le feu sacré de la foi, de l'espérance et de la charité."

Saint Grégoire s'était bien aussi proposé la même fin dans le choix des pièces de son antiphonaire, et passait même pour y avoir réussi. Il est étonnant que le XVIIIe siècle ait eu cette surabondance d'onction et d'esprit de prière, et qu'un janséniste, comme l'acolyte Mésenguy, ait été appelé à devenir ainsi, pour l'Église de Paris, l'organe de l'Esprit-Saint. Nous devons seulement remarquer ici que, dans ce nouveau missel, on avait conservé généralement un plus grand nombre de formes romaines que dans le bréviaire, par exemple, la presque totalité des épîtres et des évangiles, et que si on avait suivi le système de mettre les parties chantées en rapport avec ces lectures, en substituant de nouveaux introït, graduels, etc., quand les anciens ne s'harmonisaient pas, on n'avait pas cependant pressé, avec la dernière exagération, l'application de cette méthode. Nous aurons bientôt à signaler d'autres missels fabriqués sur un plan bien plus rigoureux.

 

Reprenons la lettre pastorale : " La même raison nous a portés à ajouter plusieurs préfaces propres qui manquaient, savoir, pour l'Avent et  certaines solennités plus considérables, comme la Fête-Dieu, la Dédicace, la Toussaint et autres. Ainsi, nous  sommes-nous efforcés de nous rapprocher, autant que  nous avons pu, de l'ancienne coutume de l'Église  romaine, qui avait autrefois presque autant de préfaces  propres que de messes, comme cela est encore d'usage  aujourd'hui dans les Églises du rite ambrosien."

Pourquoi donc n'avoir pas pris dans les anciens sacramentaires les préfaces de l'Avent, de la Dédicace,  de la Toussaint, de saint Denys même ? Pourquoi en faire rédiger de si longues, de si lourdes, par des docteurs de Sorbonne dont le style a si peu de rapport avec la phrase châtiée et cadencée de saint Léon et de saint Gélase ? Pourquoi, surtout, admettre à l'honneur de composer des prières d'un usage si sacré, un hérétique comme le docteur Laurent-François Boursier, expulsé de la Sorbonne en 1720, pour avoir écrit contre le concile d'Embrun ? C'est à un pareil homme que l'Eglise de Paris doit la préface de la Toussaint, qui se chante aussi à la fête du patron. Dans cette préface, Boursier dit à Dieu qu'en couronnant les mérites des Saints, il couronne ses propres dons, eorum coronando merita, coronas dona tua ; expression très catholique dans un sens, et très janséniste dans un autre. Nous manquerions à notre devoir d'historien liturgiste, si nous ne disions ici que Boursier mourut le 17 février 1749, sur la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, sans avoir rétracté son appel. Le curé de cette paroisse, quoique opposé à l'appel, s'étant montré moins ferme sur la foi que ne le fut plus tard, à l'égard de Coffin, celui de Saint-Étienne-du-Mont, et ayant cru pouvoir administrer les sacrements à Boursier, fut exilé à Senlis, en punition de cet acte de schisme, par l'archevêque de Beaumont. Et on a continué depuis à chanter la préface de Boursier !

 

" Nous avons apporté le même soin, continue la Lettre  pastorale,aux oraisons qui sont propres à chaque messe,  et qui tiennent un rang considérable dans la Liturgie ;  nous voulons parler des collectes, secrètes et postcommunions. Nous avons tiré des anciens sacramentaires la  plupart de ces oraisons si remplies de l'onction de la  piété. Nous en avons inséré quelques nouvelles, en très petit nombre, composées autant que possible sur le modèle des anciennes, et formées en grande partie des  paroles mêmes des sacramentaires. En effet, si, comme nous en avertit saint Célestin, la règle de la foi dérive  de celle de la prière, avec quelle pieuse et affectueuse  vénération ne devons-nous pas embrasser ces formules  de prières   que  nous ont laissées, par tradition,  ces  antiques témoins de la doctrine chrétienne, ces docteurs  excellents de la vénérable antiquité ! Nous voulons parler de ces hommes saints, dans lesquels habitait l'Esprit  d'intelligence et de prière,  les Léon, les Gélase, les  Grégoire, les Hilaire, les Ambroise, les Salvien,  les  Léandre, les Isidore.  Quelle imposante et sainte nuée  de témoins ! C'est par leur autorité, que, dans ces anciens temps, on avait la même foi que  nous professons aujourd'hui ; que les   mêmes vérités  catholiques ont été, depuis les siècles les plus reculés,  crues et défendues à Rome, à Milan, dans les Gaules, en  Espagne, en un mot dans tout l'Occident."

Cette doctrine liturgique de la lettre pastorale est, il est vrai, celle de tous les siècles chrétiens ; mais pourquoi faut-il qu'elle ne soit ici qu'une contradiction de plus ? En effet, si l’on doit embrasser avec une pieuse et affectueuse vénération ces formules de prières que nous ont laissées par tradition ces antiques témoins de la doctrine chrétienne,  ces docteurs excellents de la vénérable antiquité, comment justifier le missel en tête duquel on lit ces belles paroles, puisqu'il est clair comme le jour qu'un nombre considérable de formules de ce genre sont abolies par le seul fait de sa publication ? Si saint Célestin doit être loué d'avoir dit que la règle de la foi dérive de celle de la prière, pourquoi cette règle de la foi ne dérive-t-elle pas tout aussi pure des paroles d'une prière appelée introït ou graduel, que de celles d'une prière appelée collecte ou postcommunion ? Bien plus, ces introït, ces graduels, étant destinés à être chantés par le chœur des prêtres,  auquel s'unit la voix du peuple, n'aideront-ils pas plus puissamment encore à la perpétuité du dogme ? ne rendront-ils pas plus solennel et plus éclatant le témoignage des siècles, que ces oraisons que la seule voix de l'officiant fait retentir au fond du sanctuaire ?

 

Si l'on reconnaît que l'Esprit d'intelligence et de prière a animé les Pères de la Liturgie, les Grégoire et les Ambroise, par exemple, comment se justifiera-t-on d'avoir expulsé leurs hymnes du bréviaire ? Si les traditions liturgiques de l'Église de Milan et de celle d'Espagne sont dignes de notre respect, n'est-ce pas, après cela, se condamner soi-même que de rejeter les formules chantées de style ecclésiastique, quand on sait (et on doit le savoir) que les bréviaires et les missels de ces Églises gardent avec honneur la plupart de ces mêmes pièces de la Liturgie romaine que François de Harlay, Le Tourneux, de Vert, Vigier et Mésenguy ont si lestement effacées ? Est-il permis de parler de la Liturgie de l'Église des Léandreet des Isidore, et d'oublier le fameux canon du quatrième concile de Tolède, que nous avons cité ailleurs, et dans lequel sont si expressément condamnés ceux qui veulent chasser des offices divins les formules de composition humaine, pour ne chanter que des paroles de l'Écriture ?

 

Au reste, le nouveau missel n'avait pas su se défendre d'une contradiction éclatante avec les principes mêmes de sa rédaction.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

François Philippe Mésenguy

François Philippe Mésenguy

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