INSTITUTIONS LITURGIQUES : Foinard et Grancolas

Il en devait être ainsi dans l'Église romaine, dont la vie et la force consistent uniquement dans les traditions. Foinard et Grancolas jugèrent, dans leur sagesse, qu'il en pouvait être autrement dans l'Église de France.

 

Écoutons ces deux grands législateurs de nos sanctuaires ; Foinard est le plus explicite dans ses désirs. Le titre de son livre mérite tout d'abord notre attention : Projet d'un nouveau Bréviaire ; ainsi, le bréviaire et, parmi les institutions de l'Église catholique, la seule qui n'ait pas besoin d'antiquité, qui puisse être refondue, après les siècles, sur le plan donné par un simple particulier, — d'un nouveau Bréviaire dans lequel l'Office divin, sans en changer la forme ; — on consent donc à laisser dans ce bréviaire, les matines, les laudes, les petites heures, vêpres, complies, avec le même nombre de psaumes, d'hymnes, etc. Il y aura encore un psautier, un propre du temps, un propre et un commun des saints.  — Dans lequel   l'office  serait particulièrement composé   de   l'Écriture  sainte ; —   l'Église,    jusqu'ici, employait sa propre voix à célébrer ses mystères ; elle se croyait en droit de parler à son Époux ; l'élément traditionnel lui semblait divin comme l'Écriture; or le bréviaire, avec ses antiennes, ses répons et ses versets, qu'était-ce autre chose que la tradition ?

 

Le docteur   Foinard,  qui sait bien qu'un simple particulier ne fait pas   de la tradition, propose de farcir son œuvre de phrases bibliques qu'il choisira à son loisir et suivant les convenances. — Instructif ; — ainsi, la tradition n'apprend rien ; l'Église, dans ses œuvres, ne sait pas nous instruire, elle qui, a les paroles de la vie éternelle. Il nous faut pour cela avoir recours à certains prêtres de doctrine suspecte, qui nous initieront à la doctrine.— Édifiant ;— si l'Église instruit mal, elle ne peut guère édifier. Que ceux-là qui vont nous instruire daignent   donc  aussi  nous édifier. — Dans un ordre naturel, sans renvois ;— plus de ces rubriques compliquées qui obligent le prêtre à faire de l'office divin une étude sérieuse ; au reste, ces rubriques sont elles-mêmes des traditions, il est trop juste qu'elles disparaissent. — Sans répétitions ; — il est pourtant malheureux que ceux qui prient Dieu ou les hommes soient ainsi faits, qu'ils éprouvent le besoin de répéter souvent leurs demandes. — Et très court ; — voilà le grand moyen de succès ! C'est peu de tenter les hommes par la belle promesse de les éclairer et de les édifier ; c'est peu de les flatter par l'espérance que le livre qui contient la prière sera désormais réduit à un ordre naturel, sans renvois, que l'on ne perdra plus de temps à lire et étudier des rubriques ; la somme des prières sera diminuée, et afin qu'on puisse désirer un nouveau bréviaire avec connaissance de cause, l'engagement de le rendre très court est exprimé en toutes lettres sur  le titre  du livre destiné à propager en tous lieux une si merveilleuse nouvelle ! On prétend donc faire rétrograder l'Église de France, jusqu'au bréviaire de Quignonez (encore le Bréviaire de Quignonez était-il rempli de formules traditionnelles). Saint Pie V, les conciles du XVIe siècle, l'Assemblée du clergé de 1605 et 1606, tout est oublié, méprisé. On veut un bréviaire composé d'Ecriture sainte, et, pardessus tout, un bréviaire court ; on l'aura ; il se trouvera des jansénistes, des hérétiques pour le rédiger.

 

Entrons maintenant dans le détail des moyens choisis par notre improvisateur liturgique, pour réaliser le plan qu'il a daigné concevoir, et qu'il rédigera bientôt à l'usage de l'Eglise. D'abord, son élément constituant, c'est l'Écriture sainte, ainsi qu'il l'a annoncé sur le titre de son livre. Mais, dit-il, il ne la prendra que dans des sens autorisés (Projet d'un nouveau Bréviaire, page 66.). Rien de plus rassurant qu'une pareille déclaration ; mais si l'esprit de secte vient à s'emparer de la rédaction liturgique, au milieu de l'ébranlement général que ces brillants systèmes vont causer dans l'Église de France, quelle sera la garantie ? Les sens autorisés, aux yeux d'un janséniste, sont tout différents des sens autorisés à ceux d'un catholique.

 

Encore, si, dans ce triomphe de l'Ecriture sur la tradition, on voulait consentir à laisser dans nos bréviaires les nombreuses pièces empruntées à l'Écriture elle-même par saint Grégoire, nous n'aurions d'examen à faire que sur les nouvelles pièces substituées aux antiennes, versets et répons de style ecclésiastique. Mais cette retenue n'est pas du goût de Foinard, ni de ses successeurs. Les parties de l'office grégorien qui sont tirées de l'Écriture sainte pourraient ne pas s'harmoniser dans le plan d'offices inventé au XVIIIe siècle.  Il ne faudrait donc pas, dit notre docteur, se faire un scrupule  de substituer certains textes de l'Écriture sainte à ceux  qui sont employés dans les anciens bréviaires, pour  composer des antiennes, des répons, des capitules, etc. "Il semble, en effet, que c'est une  chose très indifférente en soi-même qu'un répons ou un capitule soit pris d'un  endroit de l'Écriture sainte plutôt que d'un autre, et  que, quand un texte convient mieux qu'un autre dont  on se servait anciennement, il est fort permis de le  prendre". (Projet d'un nouveau Bréviaire, page 178.) On le voit, nous n'exagérons rien ; au reste, depuis longtemps, en France, on n'en est plus aux théories. Les bréviaires ont été produits et sont là pour attester le dédain avec lequel l'œuvre grégorienne a été traitée sous tous les points.

 

Foinard dispose, avec une incroyable assurance, l'échelle de la proportion qu'on devra suivre désormais entre les fêtes du christianisme. Ce qui existe à ce sujet dans l'Église n'a que l'autorité du fait ; voici donc comment il entend régler pour l'avenir l'harmonie entre ces nobles parties de la Liturgie universelle. Former une classe supérieure de fêtes de Notre-Seigneur, dans laquelle on ne puisse admettre aucune fête de la sainte Vierge, ni des saints, ainsi que le pratique d'une manière si inconvenante le Bréviaire romain. Telle est l'idée de Foinard, celle aussi de Grancolas, et tous deux — le croirait-on, si on ne le lisait de ses propres yeux, si plus d'un bréviaire de France ne nous l'attestait encore ?— ils osent refuser à la fête du Saint-Sacrement une place parmi les grandes fêtes de Notre-Seigneur ! Languet a-t-il donc si grand tort de signaler les instincts calvinistes dans toute cette révolution liturgique, révolution, nous le répétons, venue d'en bas, entachée de presbytérianisme, et poussée par des hommes en rébellion contre le Siège apostolique ? Quant au refus d'admettre aucune fête de la sainte Vierge ou des saints dans la première classe, qu'est-ce autre chose, à part la leçon faite à l'Église mère et maîtresse, qu'une manière d'humilier la piété catholique sous le superbe prétexte de venger l'honneur de Dieu, comme si Jésus-Christ n'avait pas dit : Qui mihi ministrat me sequatur, et ubi sum ego, illic sit et minister meus ? (Joan. XII, 26.)

 

Foinard et Grancolas consentent néanmoins à ne pas faire descendre la Fête-Dieu, l'Assomption et la Fête du Patron, au-dessous de la seconde classe ; mais, en retour, saint Jean-Baptiste, et saint Pierre et saint Paul, n'étant pas jugés dignes de s'arrêter encore à ce second degré, tombent au troisième qu'on appellera solennel mineur. Ainsi ces docteurs voulaient-ils étendre à la France entière les audacieuses réformes de Le Tourneux et de dom de Vert. N'est-ce pas une chose profondément humiliante, et non moins désolante pour la piété, que de voir qu'ils y ont réussi ?

 

Toujours à la suite des auteurs du Bréviaire de Cluny, nous voyons nos deux docteurs s'imposer la tâche de diminuer, d'une manière plus efficace, le culte de la sainte Vierge et des saints, au moyen de certaines mesures liturgiques qui finirent par devenir propres à tous les nouveaux bréviaires. C'est d'abord leur grand principe de la sainteté du dimanche qui ne permet pas qu'on dégrade ce jour jusqu'à le consacrer au culte d'un saint, ni même de la sainte Vierge. Il ne pourra donc céder qu'à une solennité de Notre-Seigneur. Il sera désormais privilégié à l'égard même de l'Assomption de la sainte Vierge, de la Toussaint, etc. (Foinard, page 24. Grancolas, 346.). A plus forte raison, les doubles majeurs, ou mineurs, qui diversifiaient si agréablement pour le peuple fidèle la monotonie des dimanches, en lui rappelant les amis de Dieu, leurs vertus et leur protection, devaient-ils être pour   jamais renvoyés   à   des jours de férié dans lesquels leur fête s'écoulerait silencieuse et inaperçue ?

 

En outre, pour donner au temps du carême une couleur sombre et conforme, pensait-il, au génie de l'Église primitive, Foinard proposait de retrancher toutes les fêtes des saints qui tombent dans ce temps, même l'Annonciation. Grancolas, moins austère, daignait tolérer l'Annonciation et même saint Joseph, et n'admettait pas non plus l'idée qu'avait eue Foinard, de privilégier aussi contre les fêtes des saints les fériés du temps pascal. Cette dernière idée n'a été admise, que nous sachions, dans aucun bréviaire : mais toutes les autres réductions du culte des saints dont nous venons de parler, sont encore à l'ordre du jour dans la plupart des Eglises de France.

 

Une autre manière de relever la primitive Église dans le nouveau bréviaire, c'est la proposition que fait Foinard d'introduire de nouvelles fêtes de martyrs, divisées suivant les diverses persécutions. Nous allons bientôt voir cette idée en action. Pour achever ce qui a rapport au culte des saints, nous citerons cette phrase naïve de Grancolas :  "On devra abréger l'office des dimanches et  des fériés ; car dès que l'office de la férié ne sera pas  plus long que celui des fêtes, comme il est plus diversifié  et plus affectif que celui des saints, il n'y a personne  qui n'aime mieux le dire que celui des fêtes". Quant aux fêtes des saints, voici ce qu'on en fera. Saint Jean-Baptiste, saint Pierre et saint Paul descendront, comme on l'a déjà vu, au solennel mineur ; les autres apôtres ne seront que doubles, les saints docteurs semi-festifs, les martyrs simples. "Les fêtes des confesseurs,  ajoute notre docteur, n'auraient qu'une seule mémoire  dans l'office férial, et on renverrait leur office, s'ils sont évêques,  dans leurs diocèses ; s'ils sont moines, dans  leur ordre ; et les autres saints et saintes, dans les lieux  où ils se sont sanctifiés ; ne faisant aucune fête d'invention ou de  translation de reliques, que dans les lieux  où l'on croit avoir de ces reliques".

 

Le calendrier sera désormais épuré, comme l'on voit, et puisque le but avoué de Grancolas et de ses complices, est de faire que le clergé préfère l'office de la férié à celui des saints, on ne peut nier qu'il n'ait pris un excellent moyen d'assurer cette préférence, en réduisant à des bornes si étroites cet office des saints. Mais aussi, quel lamentable spectacle que de voir pénétrer dans nos églises des maximes entachées de calvinisme, et si grossièrement opposées à celles du Siège apostolique, qui n'a cessé depuis deux siècles de fortifier le calendrier de l'Église par l'accession de nouveaux protecteurs ! Nous n'avons pas besoin de dire que les idées de Foinard se rapprochent totalement de celles de Grancolas. Il déclare expressément que l'office sera de la même longueur aux fériés et aux fêtes, pour éviter l'ennui, et qu'on devra diminuer  autant que possible le  nombre des fêtes à neuf leçons.

 

Quant aux leçons des saints, nos deux docteurs s'accordent à dire qu'elles ne devront renfermer que des  histoires bien approuvées.

 

Nous verrons bientôt ce qu'on doit entendre par ces paroles.

 

DOM GUÉRANGER INSTITUTIONS LITURGIQUES : CHAPITRE XIX : SUITE DE L'HISTOIRE DE LA LITURGIE, DURANT LA PREMIERE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE. — PROJETS DE BREVIAIRE A PRIORI. — GRANCOLAS, FOINARD. — BREVIAIRES DE SENS, AUXERRE, ROUEN, ORLÉANS, LYON, ETC. — BRÉVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DU CARDINAL DE NOAILLES. — BREVIAIRE ET MISSEL DE PARIS, DE L'ARCHEVÊQUE VINTIMILLE. — AUTEURS DE CETTE LITURGIE. VIGIER. MÉSENGUY. COFFIN. — SYSTEME SUIVI DANS LES LIVRES DE VINTIMILLE. — RÉCLAMATIONS DU CLERGÉ. — VIOLENCES DU PARLEMENT DE PARIS. — TRIOMPHE DE LA LITURGIE DE VINTIMILLE.

 

autel des morts

Angoustrine -Villeneuve-des-Escaldes (66), église paroissiale, Autel des morts

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