Nous descendîmes de la montagne des Oliviers, et, remontant à cheval, nous continuâmes notre route.
Nous laissâmes derrière nous la vallée de Josaphat, et nous marchâmes par des chemins escarpés jusqu’à l’angle septentrional de la
ville ; de là, tournant à l’ouest et longeant le mur qui fait face au nord, nous arrivâmes à la grotte où Jérémie composa ses Lamentations. Nous n’étions pas loin des sépulcres des rois, mais
nous renonçâmes à les voir ce jour-là, parce qu’il était trop tard. Nous revînmes chercher la porte de Jaffa, par laquelle nous étions sortis de Jérusalem. Il était sept heures précises quand
nous rentrâmes au couvent.
Notre course avait duré cinq heures. A pied, et en suivant l’enceinte des murs, il faut à peine une heure pour faire le tour de
Jérusalem.
Le 8 octobre, à cinq heures du matin, j’entrepris avec Ali-Aga et le drogman Michel la revue de l’intérieur de la ville. Il faut
nous arrêter ici pour jeter un regard sur l’histoire de Jérusalem.
Jérusalem fut fondée l’an du monde 2023, par le grand-prêtre Melchisédech : il la nomma Salem, c’est-à-dire la Paix ; elle
n’occupait alors que les deux montagnes de Mora et d’Acra.
Cinquante ans après sa fondation, elle fut prise par les Jébuséens, descendants de Jébus, fils de Chanaan. Ils bâtirent sur le mont
Sion une forteresse, à laquelle ils donnèrent le nom de Jébus, leur père : la ville prit alors le nom de Jérusalem, ce qui signifie Vision de paix. Toute l’Ecriture en fait un magnifique éloge :
Jerusalem, civitas Dei, luce splendida fulgebis. Omnes nationes terrae adorabunt te, etc. (Tobie)
Josué s’empara de la ville basse de Jérusalem, la première année de son entrée dans la Terre Promise : il fit mourir le roi
Adonisédech et les quatre rois d’Ebron, de Jérimol, de Lachis et d’Eglon. Les Jébuséens demeurèrent les maîtres de la ville haute ou de la citadelle de Jébus. Ils n’en furent chassés que par
David, huit cent vingt-quatre ans après leur entrée dans la cité de Melchisédech.
David fit augmenter la forteresse de Jébus, et lui donna son propre nom. Il fit aussi bâtir sur la montagne de Sion un palais et un
tabernacle, afin d’y déposer l’arche d’alliance.
Salomon augmenta la cité sainte : il éleva ce premier temple dont l’Ecriture et l’historien Josèphe racontent les merveilles, et
pour lequel Salomon lui-même composa de si beaux cantiques.
Cinq ans après la mort de Salomon, Sésac, roi d’Égypte, attaqua Roboam, prit et pilla Jérusalem.
Elle fut encore saccagée cent cinquante ans après par Joas, roi d’Israël.
Envahie de nouveau par les Assyriens, Manassès, roi de Juda, fut emmené captif à Babylone. Enfin, sous le règne de Sédécias,
Nabuchodonosor renversa Jérusalem de fond en comble, brûla le temple et transporta les Juifs à Babylone. Sion quasi ager arabatur, dit Jérémie ; Hierusalem ut, lapidum erat.
Saint Jérôme pour peindre la solitude de cette ville désolée dit qu’on n’y voyait pas voler un seul oiseau.
Le premier temple fut détruit quatre cent soixante-dix ans six mois et dix jours après sa fondation par Salomon, l’an du monde 3513,
environ six cents ans avant Jésus-Christ : quatre cent soixante-dix-sept ans s’étaient écoulés depuis David jusqu’à Sédécias, et la ville avait été gouvernée par dix-sept rois.
Après les soixante et dix ans de captivité, Zorobabel commença à rebâtir le temple et la ville. Cet ouvrage, interrompu pendant
quelques années, fut successivement achevé par Esdras et Néhémie.
Alexandre passa à Jérusalem l’an du monde 3583, et offrit des sacrifices dans le temple.
Ptolémée, fils de Lagus, se rendit maître de Jérusalem ; mais elle fut très bien traitée par Ptolémée Philadelphe, qui fit au temple
de magnifiques présents.
Antiochus le Grand reprit la Judée sur les rois d’Égypte, et la remit ensuite à Ptolémée Evergète. Antiochus Epiphane saccagea de
nouveau Jérusalem, et plaça dans le temple l’idole de Jupiter Olympien.
Les Machabées rendirent la liberté à leur pays, et le défendirent contre les rois de l’Asie.
Malheureusement Aristobule et Hircan se disputèrent la couronne ; ils eurent recours aux Romains, qui par la mort de Mithridate
étaient devenus les maîtres de l’Orient. Pompée accourut à Jérusalem : introduit dans la ville, il assiège et prend le temple. Crassus ne tarda pas a piller ce monument auguste, que Pompée
vainqueur avait respecté.
Hircan, protégé de César, s’était maintenu dans la grande sacrificature. Antigone, fils d’Aristobule, empoisonné par les Pompéiens,
fait la guerre à son oncle Hircan, et appelle les Parthes à son secours. Ceux-ci fondent sur la Judée, entrent dans Jérusalem, et emmènent Hircan prisonnier.
Hérode le Grand, fils d’Antipater, officier distingué de la cour d’Hircan, s’empare du royaume de Judée par la faveur des Romains.
Antigone, que le sort des armes fait tomber entre les mains d’Hérode, est envoyé à Antoine. Le dernier descendant des Machabées, le roi légitime de Jérusalem, est attaché à un poteau, battu de
verges et mis à mort par l’ordre d’un citoyen romain.
Hérode, demeuré seul maître de Jérusalem, la remplit de monuments superbes, dont je parlerai dans un autre lieu. Ce fut sous le
règne de ce prince que Jésus-Christ vint au monde.
Archélaüs, fils d’Hérode et de Mariamne, succéda à son père, tandis qu’Hérode Antipas, fils aussi du grand Hérode, eut la tétrarchie
de la Galilée et de la Pérée. Celui-ci fit trancher la tête à saint Jean-Baptiste et renvoya Jésus-Christ à Pilate. Cet Hérode le tétrarque fut exilé à Lyon par Caligula.
Agrippa, petit-fils d’Hérode le Grand, obtint le royaume de Judée ; mais son frère Hérode, roi de Chalcide, eut tout pouvoir sur le
temple, le trésor sacré et la grande sacrificature.
Après la mort d’Agrippa, la Judée fut réduite en province romaine. Les Juifs s’étant révoltés contre leurs maîtres, Titus assiégea
et prit Jérusalem. Deux cent mille Juifs moururent de faim pendant ce siège. Depuis le 14 avril jusqu’au 1er de juillet de l’an 71 de notre ère, cent quinze mille huit cent quatre-vingts cadavres
sortirent par une seule porte de Jérusalem. On mangea le cuir des souliers et des boucliers ; on en vint à se nourrir de foin et des ordures que l’on chercha dans les égouts de la ville : une
mère dévora son enfant. Les assiégés avalaient leur or ; le soldat romain qui s’en aperçut égorgeait les prisonniers, et cherchait ensuite le trésor recélé dans les entrailles de ces malheureux.
Onze cent mille Juifs périrent dans la ville de Jérusalem, et deux cent trente-huit mille quatre cent soixante dans le reste de la Judée. Je ne comprends dans ce calcul ni les femmes, ni les
enfants, ni les vieillards emportés par la faim, les séditions et les flammes. Enfin il y eut quatre-vingt-dix-neuf mille deux cents prisonniers de guerre ; les uns furent condamnés aux travaux
publics, les autres furent réservés au triomphe de Titus : ils parurent dans les amphithéâtres de l’Europe et de l’Asie, où ils s’entretuèrent pour amuser la populace du monde romain. Ceux qui
n’avaient pas atteint l’âge de dix-sept ans furent mis à l’encan avec les femmes ; on en donnait trente pour un denier. Le sang du Juste avait été vendu trente deniers à Jérusalem, et le peuple
avait crié : Sanguis ejus super nos et super filios nostros. Dieu entendit ce vœu des Juifs, et pour la dernière fois il exauça leur prière : après quoi il détourna ses regards de la
Terre Promise et choisit un nouveau peuple.
Le temple fut brûlé trente-huit ans après la mort de Jésus-Christ ; de sorte qu’un grand nombre de ceux qui avaient entendu la
prédication du Sauveur purent en voir l’accomplissement.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
La Destruction de Jérusalem par Titus, Wilhelm von Kaulbach
" Le temple fut brûlé trente-huit ans après la mort de Jésus-Christ ; de sorte qu’un grand nombre de ceux qui avaient entendu la prédication du Sauveur purent en voir l’accomplissement."