A la droite du Bazar, entre le Temple et le pied de la montagne de Sion, nous entrâmes dans le quartier des Juifs.
Ceux-ci, fortifiés par leur misère, avaient bravé l’assaut du pacha : ils étaient là tous en guenilles, assis dans la poussière de
Sion, cherchant les insectes qui les dévoraient, et les yeux attachés sur le Temple. Le drogman me fit entrer dans une espèce d’école : je voulus acheter le Pentateuque hébreu dans lequel un
rabbin montrait à lire à un enfant, mais le rabbin ne voulut jamais me le vendre. On a observé que les Juifs étrangers qui se fixent à Jérusalem vivent peu de temps. Quant à ceux de la Palestine,
ils sont si pauvres, qu’ils envoient chaque année faire des quêtes parmi leurs frères en Égypte et en Barbarie.
J’avais commencé d’assez longues recherches sur l’état des Juifs à Jérusalem depuis la ruine de cette ville par Titus jusqu’à nos
jours ; j’étais entré dans une discussion importante touchant la fertilité de la Judée : à la publication des derniers volumes des Mémoires de l’Académie des Inscriptions, j’ai supprimé
mon travail. On trouve dans ces volumes quatre Mémoires de l’abbé Guénée, qui ne laissent rien à désirer sur les deux sujets que je me proposais de traiter. Ces Mémoires sont de véritables
chefs-d’œuvre de clarté, de critique et d’érudition. L’auteur des Lettres de quelques Juifs portugais est un de ces hommes dont les cabales littéraires ont étouffé la renommée durant sa
vie, mais dont la réputation croîtra dans la postérité. Je renvoie le lecteur curieux à ces excellents Mémoires ; il les trouvera aisément, puisqu’ils viennent d’être publiés et qu’ils
existent dans une collection qui n’est pas rare. Je n’ai point la prétention de surpasser les maîtres ; je sais jeter au feu le fruit de mes études et reconnaître qu’on a fait mieux que
moi.
Du quartier des Juifs nous nous rendîmes à la maison de Pilate, afin d’examiner par une fenêtre la mosquée du Temple ; il est
défendu à tout chrétien, sous peine de mort, d’entrer dans le parvis qui environne cette mosquée : je me réserve à en faire la description lorsque je parlerai des monuments de Jérusalem. A
quelque distance du prétoire de Pilate, nous trouvâmes la piscine Probatique et le palais d’Hérode : ce dernier est une ruine dont les fondations appartiennent à l’antiquité.
Un ancien hôpital chrétien, aujourd’hui consacré au soulagement des Turcs, attira notre attention. On nous y montra une immense
chaudière appelée la chaudière de sainte Hélène. Chaque musulman qui se présentait autrefois à cet hôpital recevait deux petits pains et des légumes cuits à l’huile ; le vendredi on ajoutait à
cette distribution du riz accommodé au miel ou au résiné : tout cela n’a plus lieu ; à peine reste-t-il quelque trace de cette charité évangélique dont les émanations s’étaient comme attachées
aux murs de cet hôpital.
Nous traversâmes de nouveau la ville.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
Rue du Quartier Juif de Jérusalem
" On a observé que les Juifs étrangers qui se fixent à Jérusalem vivent peu de temps. Quant à ceux de la Palestine, ils sont si pauvres, qu’ils envoient chaque année faire des quêtes parmi leurs frères en Égypte et en Barbarie."