Nous parcourûmes les stations jusqu’au sommet du Calvaire

Les lecteurs chrétiens demanderont peut-être à présent quels furent les sentiments que j’éprouvai en entrant dans ce lieu redoutable.

 

Je ne puis réellement le dire. Tant de choses se présentaient à la fois à mon esprit, que je ne m’arrêtais à aucune idée particulière. Je restai près d’une demi-heure à genoux dans la petite chambre du Saint-Sépulcre, les regards attachés sur la pierre sans pouvoir les en arracher. L’un des deux religieux qui me conduisaient demeurait prosterné auprès de moi, le front sur le marbre ; l’autre, l’Evangile à la main, me lisait à la lueur des lampes les passages relatifs au saint tombeau. Entre chaque verset il récitait une prière : Domine Jesu Christe, qui in hora diei vespertina de cruce depositus, in brachiis dulcissimae Matris tuae reclinatus fuisti, horaque ultima in hoc sanctissimo monumento corpus tuum exanime contulisti, etc. Tout ce que je puis assurer, c’est qu’à la vue de ce sépulcre triomphant je ne sentis que ma faiblesse ; et quand mon guide s’écria avec saint Paul : Ubi est, Mors, victoria tua ? Ubi est, Mors, stimulus tuus  ? je prêtai l’oreille, comme si la Mort allait répondre qu’elle était vaincue et enchaînée dans ce monument.
 
Nous parcourûmes les stations jusqu’au sommet du Calvaire. Où trouver dans l’antiquité rien d’aussi touchant, rien d’aussi merveilleux que les dernières scènes de l’Evangile ? Ce ne sont point ici les aventures bizarres d’une divinité étrangère à l’humanité : c’est l’histoire la plus pathétique, histoire qui non seulement fait couler des larmes par sa beauté, mais dont les conséquences, appliquées à l’univers, ont changé la face de la terre. Je venais de visiter les monuments de la Grèce, et j’étais encore tout rempli de leur grandeur ; mais qu’ils avaient été loin de m’inspirer ce que j’éprouvais à la vue des lieux saints !
 
L’église du Saint-Sépulcre, composée de plusieurs églises, bâtie sur un terrain inégal, éclairée par une multitude de lampes, est singulièrement mystérieuse ; il y règne une obscurité favorable à la piété et au recueillement de l’âme. Des prêtres chrétiens des différentes sectes habitent les différentes parties de l’édifice. Du haut des arcades, où ils se sont nichés comme des colombes, du fond des chapelles et des souterrains, ils font entendre leurs cantiques à toutes les heures du jour et de la nuit ; l’orgue du religieux latin, les cymbales du prêtre abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du solitaire arménien, l’espèce de plainte du moine cophte, frappent tour à tour ou tout à la fois votre oreille ; vous ne savez d’où partent ces concerts ; vous respirez l’odeur de l’encens sans apercevoir la main qui le brûle : seulement vous voyez passer, s’enfoncer derrière des colonnes, se perdre dans l’ombre du temple, le pontife qui va célébrer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes où ils se sont accomplis.
 
Je ne sortis point de l’enceinte sacrée sans m’arrêter aux monuments de Godefroy et de Baudouin : ils font face à la porte de l’église et sont appuyés contre le mur du chœur. Je saluai les cendres de ces rois chevaliers qui méritèrent de reposer près du grand sépulcre qu’ils avaient délivré. Ces cendres sont des cendres françaises et les seules qui soient ensevelies à l’ombre du tombeau de Jésus-Christ. Quel titre d’honneur pour ma patrie !


Je retournai au couvent à onze heures et j’en sortis de nouveau à midi pour suivre la voie Douloureuse : on appelle ainsi le chemin que parcourut le Sauveur du monde en se rendant de la maison de Pilate au Calvaire.

 

Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem

 

Tombeau de Godefroy de Bouillon

Tombeau de Godefroy de Bouillon au Saint Sépulcre (aujourd'hui disparu)  

" Je ne sortis point de l’enceinte sacrée sans m’arrêter aux monuments de Godefroy et de Baudouin : ils font face à la porte de l’église et sont appuyés contre le mur du chœur."

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