La vallée de Josaphat semble avoir toujours servi de cimetière à Jérusalem

Nous avançâmes jusqu’à l’angle oriental du mur de la ville. et nous entrâmes dans la vallée de Josaphat.

 

Elle court du nord au midi, entre la montagne des Oliviers et le mont Moria. Le torrent de Cédron passe au milieu ; ce torrent est à sec une partie de l’année ; dans les orages ou dans les printemps pluvieux il roule une eau rougie.
 
La vallée de Josaphat est encore appelée dans l’Ecriture vallée de Savé, vallée du Roi, vallée de Melchisédech. Ce fut dans la vallée de Melchisédech que le roi de Sodome chercha Abraham pour le féliciter de la victoire remportée sur les cinq rois. Moloch et Béelphégor furent adorés dans cette même vallée Elle prit dans la suite le nom de Josaphat, parce que le roi de ce nom y fit élever son tombeau. La vallée de Josaphat semble avoir toujours servi de cimetière à Jérusalem ; on y rencontre les monuments des siècles les plus reculés et des temps les plus modernes : les Juifs viennent y mourir des quatre parties du monde ; un étranger leur vend au poids de l’or un peu de terre pour couvrir leur corps dans le champ de leurs aïeux. Les cèdres dont Salomon planta cette vallée, l’ombre du temple dont elle était couverte, le torrent qui la traversait, les cantiques de deuil que David y composa, les lamentations que Jérémie y fit entendre, la rendaient propre à la tristesse et à la paix des tombeaux.

 

En commençant sa Passion dans ce lieu solitaire, Jésus-Christ le consacra de nouveau aux douleurs : ce David innocent y versa, pour effacer nos crimes, les larmes que le David coupable y répandit pour expier ses propres erreurs. Il y a peu de noms qui réveillent dans l’imagination des pensées à la fois plus touchantes et plus formidables que celui de la vallée de Josaphat : vallée si pleine de mystères que, selon le prophète Joël, tous les hommes y doivent comparaître un jour devant le juge redoutable : Congregabo omnes gentes, et deducam eas in vallem Josaphat, et disceptabo cum eis ibi. "Il est raisonnable, dit le père Nau, que l’honneur de Jésus-Christ soit réparé publiquement dans le lieu où il lui a été ravi par tant d’opprobres et d’ignominies, et qu’il juge justement les hommes où ils l’ont jugé si injustement."
 
L’aspect de la vallée de Josaphat est désolé : le côté occidental est une haute falaise de craie qui soutient les murs gothiques de la ville, au-dessus desquels on aperçoit Jérusalem ; le côté oriental est formé par le mont des Oliviers et par la montagne du Scandale, mons Offensionis, ainsi nommée de l’idolâtrie de Salomon. Ces deux montagnes, qui se touchent, sont presque nues et d’une couleur rouge et sombre : sur leurs flancs déserts on voit çà et là quelques vignes, noires et brûlées, quelques bouquets d’oliviers sauvages, des friches couvertes d’hysope, des chapelles, des oratoires et des mosquées en ruine. Au fond de la vallée on découvre un pont d’une seule arche, jeté sur la ravine du torrent de Cédron.

 

Les pierres du cimetière des Juifs se montrent comme un amas de débris au pied de la montagne du Scandale, sous le village arabe de Siloan : on a peine à distinguer les masures de ce village des sépulcres dont elles sont environnées. Trois monuments antiques, les tombeaux de Zacharie, de Josaphat et d’Absalon, se font remarquer dans ce champ de destruction. A la tristesse de Jérusalem, dont il ne s’élève aucune fumée, dont il ne sort aucun bruit ; à la solitude des montagnes, où l’on n’aperçoit pas un être vivant ; au désordre de toutes ces tombes fracassées, brisées, demi-ouvertes, on dirait que la trompette du jugement s’est déjà fait entendre et que les morts vont se lever dans la vallée de Josaphat.
 
Au bord même, et presque à la naissance du torrent de Cédron, nous entrâmes dans le jardin des Oliviers ; il appartient aux Pères latins, qui l’ont acheté de leurs propres deniers : on y voit huit gros oliviers d’une extrême décrépitude, L’olivier est pour ainsi dire immortel, parce qu’il renaît de sa souche : on conservait dans la citadelle d’Athènes un olivier dont l’origine remontait à la fondation de la ville. Les oliviers du jardin de ce nom à Jérusalem sont au moins du temps du Bas-Empire ; en voici la preuve : en Turquie, tout olivier trouvé debout par les musulmans, lorsqu’ils envahirent l’Asie, ne paye qu’un médin au fisc, tandis que l’olivier planté depuis la conquête doit au grand seigneur la moitié de ses fruits : or les huit oliviers dont nous parlons ne sont taxés qu’à huit médins.

 

Nous descendîmes de cheval à l’entrée de ce jardin, pour visiter à pied les Stations de la montagne. Le village de Gethsémani était à quelque distance du jardin des Oliviers. On le confond aujourd’hui avec ce jardin, comme le remarquent Thévenot et Roger.
 
Nous entrâmes d’abord dans le sépulcre de la Vierge.

 

Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem

 

Jewish tombs on Kedron, 1898 

Cimetière au Cédron, Vallée de Josaphat, Jérusalem, 1898 

 " Au désordre de toutes ces tombes fracassées, brisées, demi-ouvertes, on dirait que la trompette du jugement s’est déjà fait entendre et que les morts vont se lever dans la vallée de Josaphat."   

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