Aimer ses ennemis et pardonner les injures les plus atroces, ce n'est plus, dans leur estime, ni faiblesse, ni bassesse, puisque c'est par là qu'ils mesurent la grandeur et la force de l'esprit chrétien. Ils ne comptent plus pour un bien les richesses de la terre, puisqu'ils se font une béatitude d'être pauvres et de manquer de tout. Ils ne regardent plus la persécution comme un mal, puisqu'ils triomphent de joie d'en avoir été trouvés dignes.
BOURDALOUE
Enseigner la vérité, c'est une chose qui peut convenir à l'homme, et qui n'est point au-dessus de la portée de l'homme. Mais enseigner sans exception toute vérité, mais l'enseigner sans distinction à toute sorte de sujets, mais pouvoir l'enseigner en toutes manières, c'est ce qui n'appartient qu'à Dieu, et de quoi tout autre esprit que celui de Dieu est absolument incapable. Aussi est-ce le caractère le plus essentiel et le plus divin que Jésus-Christ, dans l'Evangile, ait attribué au Saint-Esprit : Quam autem venerit ille, docebit vos omnem veritatem (Joan., XVI, 13.) ; et c'est ce même caractère qui me semble d'abord avoir paru plus sensiblement en ce jour solennel, où cet Esprit de vérité descendit sur les apôtres et sur tous les disciples assemblés. En voici la preuve, que je vous prie d'écouter.
Non, dit saint Augustin, pesant ces paroles, Omnem veritatem, il n'appartient qu'à l'Esprit de Dieu d'enseigner et de persuader toute vérité. Car il y a des vérités que la chair et le sang ne veulent point, des vérités qui choquent et qui révoltent la raison humaine, des vérités dont la nature s'effraye, des vérités humiliantes, gênantes, mortifiantes, mais qui sont par là même des vérités salutaires et nécessaires ; en un mot, des vérités que l'homme, selon le terme de l'Evangile, ne saurait porter, beaucoup moins goûter, ni aimer. S'il arrive donc qu'il vienne à en être sincèrement et efficacement persuadé, ce ne peut être que l'effet d'un esprit supérieur, qui agit en lui et qui l'élève au-dessus de lui. Or il n'y a que l'Esprit de Dieu qui ait ce pouvoir.
L'esprit de l'homme, dit saint Chrysostome, apprend à l'homme et lui persuade ce qui satisfait l'amour-propre, ce qui flatte la vanité, ce qui excite la curiosité, ce qui favorise la cupidité : voilà ce qui est de son ressort. Mais ce qui combat nos passions, et ce qui est contradictoirement opposé à toutes les inclinations de l'homme, ne pouvant pas venir du fonds de l'homme, et d'ailleurs étant vérité, il faut nécessairement que ce soit l'Esprit de Dieu qui nous l'enseigne et qui nous le persuade. De même, c'est une marque sûre et infaillible de l'Esprit de Dieu, d'enseigner la vérité à toute sorte de sujets ; et la raison en est évidente : parce qu'il se trouve dans le monde des sujets si mal disposés, soit à comprendre la vérité, soit à s'y soumettre et à la croire, quand même ils la comprennent, qu'il n'y a que le Dieu de la vérité qui puisse les en rendre capables.
En effet, donnez au docteur le plus consommé, et au plus habile homme de la terre, certains esprits grossiers à instruire : avec toutes ses lumières, il ne les éclairera pas. Donnez-lui à persuader certains esprits obstinés et entêtés : avec toutes ses démonstrations, il ne les persuadera pas. Mais quand l'Esprit de Dieu s'en rend le maître, ni l'entêtement dé ceux-ci, ni la stupidité de ceux-là, n'est un obstacle aux impressions toutes-puissantes de la vérité : pourquoi ? parce que cet Esprit, qui est souverainement et par excellence l'Esprit de vérité, en se communiquant à nous, surmonte ou plutôt détruit dans nous tous ces obstacles : c'est-à-dire parce qu'un des effets de sa puissance est de corriger tous les défauts de nos esprits, et qu'ayant lui-même formé tous les esprits, il sait leur donner le tempérament qu'il lui plaît. Ainsi, de grossiers qu'ils étaient, il les rend, quand il veut agir en eux, spirituels et intelligents ; et, de rebelles à la vérité, souples et humbles pour lui obéir. Les autres maîtres cherchent des disciples, et qui par eux-mêmes aient déjà des dispositions pour entendre les vérités qu'on se propose de leur enseigner. Mais l'Esprit de Dieu n'a pas besoin de ce choix : toutes sortes de disciples, indociles, pesants, incrédules, opiniâtres, prévenus, lui peuvent convenir, dit saint Chrysostome, parce qu'il sait faire de tous autant de sujets propres à être instruits, et c'est la merveille que les prophètes nous ont distinctement marquée : Est scriptum in prophetis : Et erunt omnes docibiles Dei (Joan., VI, 45.).
Enfin, c'est l'ouvrage de l'homme d'enseigner la vérité d'une manière bornée et limitée ; je veux dire, de l'enseigner à force de leçons et de préceptes, et de la faire entrer dans les esprits jusqu'à un certain point de persuasion et de conviction. Ainsi les philosophes du paganisme imprimaient-ils peu à peu dans l'esprit de leurs auditeurs les vérités humaines qu'ils leur enseignaient, y employant de longs discours et bien des paroles. Mais enseigner dans un instant les vérités les plus profondes et les plus incompréhensibles de la religion ; mais les enseigner sans qu'il en coûte, pour les apprendre, ni étude ni travail ; mais les enseigner et les persuader jusqu'à déterminer les hommes à mourir et à se sacrifier pour elle, c'est les enseigner en Dieu, et d'une manière qui justifie parfaitement l'efficace et l'opération de l'Esprit de Dieu. Or voilà, mes chers auditeurs, ce qui s'est accompli à la lettre dans la personne des apôtres, et ce que je remarque comme un des plus grands miracles qui jamais apparu sous le ciel, comme le miracle qui a le plus contribué à l'établissement de notre foi, et dont nous devons pour cela conserver un éternel souvenir.
Car ne fut-ce pas un prodige bien étonnant, de voir les apôtres, au moment qu'ils reçurent le Saint-Esprit, aussi pénétrés des lumières de Dieu, et aussi consommés dans la science du royaume de Dieu, qu'ils avaient été jusque-là ignorants et remplis d'erreurs ? Ne fut-ce pas un changement de la main du Très-Haut, de les voir dans Jérusalem prêchant des vérités qu'ils avaient fait profession, non seulement de ne pas croire, mais de contredire ? Tandis qu'ils n'avaient eu pour maître que Jésus-Christ, (ô mystère adorable et impénétrable !) vous le savez, Jésus-Christ, tout Dieu qu'il était, n'avait pas suffi, ce semble, pour leur faire entendre cette doctrine céleste qu'il était venu établir sur la terre. Quelque soin qu'il eût pris de leur en donner une intelligence parfaite, après trois années d'instruction, tout ce qui regardait sa divine personne leur était encore caché ; son humilité les choquait, sa croix était pour eux un scandale, ils ne concevaient rien à ses promesses : au lieu de la vraie rédemption qu'ils devaient attendre de lui, ils s'en figuraient une chimérique, c'est-à-dire une rédemption temporelle, dont la vaine espérance les séduisait : et quand ce Dieu-Homme leur parlait de la nécessité des souffrances, des avantages de la pauvreté, du bonheur des persécutions, de l'obligation de pardonner les injures jusqu'à aimer ses ennemis, c'étaient, dit l'Ecriture, autant d'énigmes où ils ne comprenaient rien : Et ipsi nihil horum intellexerunt, et erat verbum istud absconditum ab eis (Luc, XVIII, 34.).
Pourquoi ? parce qu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit de Dieu, et que toutes ces vérités étaient de celles que le seul Esprit de Dieu peut enseigner. Mais dans l'instant même que le Saint-Esprit leur est donné, ces vérités, qui leur avaient paru si incroyables, se développent à eux : ils en comprennent le secret, ils en découvrent les principes, ils en voient clairement les conséquences. Renoncer à soi-même et porter sa croix, ce n'est plus dans leur idée une folie, puisqu'ils font consister en cela toute leur sagesse. Aimer ses ennemis et pardonner les injures les plus atroces, ce n'est plus, dans leur estime, ni faiblesse, ni bassesse, puisque c'est par là qu'ils mesurent la grandeur et la force de l'esprit chrétien. Ils ne comptent plus pour un bien les richesses de la terre, puisqu'ils se font une béatitude d'être pauvres et de manquer de tout. Ils ne regardent plus la persécution comme un mal, puisqu'ils triomphent de joie d'en avoir été trouvés dignes.
Je ne fais que rapporter ce que nous lisons dans le livre des Actes ; et voilà les saintes et admirables leçons que fit aux apôtres ce divin Maître, et dont il les rendit capables lorsqu'il descendit sur eux. Or, quand je dis que le Saint-Esprit les rendit capables de tout cela, je prétends, mes chers auditeurs, vous faire conclure avec moi que c'est donc un Esprit qui enseigne toute vérité.
BOURDALOUE SERMON POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE
LA PENTECÔTE, Portail Central de la Basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay