Ne vous scandalisez pas de ce que je vais dire, puisque c'est une vérité des plus constantes de la foi.
BOURDALOUE
Enseignez-nous ce que vous enseignâtes aux apôtres. Faites que nous commencions enfin à être vraiment vos disciples ; et soyez pour nous, non seulement un Esprit de vérité, mais un Esprit de sainteté : c'est la seconde partie.
Comme Dieu est absolument et souverainement saint, parce qu'il est saint par lui-même, aussi l'Esprit de Dieu, par une propriété même personnelle, est-il appelé dans l'Ecriture, non seulement l'Esprit saint, mais Esprit sanctificateur, c'est-à-dire source et principe de sainteté dans tous les sujets à qui il se communique. Ce n'est donc pas sans raison que le Sauveur du monde, sur le point de monter au ciel, et parlant du Saint-Esprit, qu'il devait envoyer sur la terre, se servit d'une expression bien mystérieuse en apparence, quand il dit à ses disciples que ce divin Esprit leur tiendrait lieu d'un second baptême, et qu'au moment que ces promesses s'accompliraient en eux, ce qui devait arriver peu de jours après, ils seraient baptisés par le Saint-Esprit : Vos autem baptizamini Spiritu Sancto, non post multos hos dies (Act, VII, 1, 5.).
Car l'effet propre du baptême est de purifier et de sanctifier ; et le Saint-Esprit étant particulièrement descendu pour purifier les cœurs des hommes, quelque mystérieuse que paraisse cette expression, elle ne laissait pas d'être, dans l'intention de Jésus-Christ, très naturelle. Mais il est maintenant question d'en bien pénétrer le sens ; et puisque ce baptême du Saint-Esprit a été généralement promis à tous les fidèles, il s'agit, pour vous et pour moi, d'en reconnaître l'excellence d'une part, et de l'autre les obligations. Deux points d'instruction dont vous allez comprendre la conséquence, et que je vous prie de n'oublier jamais.
Il est donc vrai que le Saint-Esprit descendant sur les apôtres fut comme un baptême solennel, dont chacun d'eux sentit l'impression salutaire ; et c'est ce qui a fait dire à Tertullien que ces bienheureux disciples furent alors comme inondés de l'Esprit de Dieu : Spiritu Dei inundatos ; parole emphatique, mais qui dans le fond se réduit littéralement à la promesse du Sauveur : Vos autem baptizabimini Spiritu Sancto ; puisque dans l'usage des premiers siècles du christianisme on baptisait par immersion, qui était une espèce d'inondation. Or qu'est-ce que d'être baptisé dans le Saint-Esprit, une pureté toute céleste et toute divine ? Je sais, Chrétiens, que les apôtres, dès leur vocation à l'apostolat, avaient été baptisés par Jésus-Christ : et je sais que, par la vertu de ce premier baptême, ils étaient déjà purs devant Dieu, selon le témoignage de Jésus-Christ même : Et vos mundi estis (Joan., XIII, 10.).
Mais aussi vous n'ignorez pas que ce premier baptême conféré aux apôtres avait été le baptême de l'eau ; au lieu que le second, dont le Saint-Esprit, par son ineffable mission et par sa présence immédiate, leur imprima le caractère, fut, d'une façon toute particulière, le baptême du feu : différence que le saint Précurseur avait annoncée, en parlant aux Juifs du Messie, et leur disant : Ipse vos baptizabit in Spiritu Sancto, et igni (Matth., III, 11.). C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu : différence qui se vérifia pleinement, lorsque le Saint-Esprit, en forme de langues de feu, se partagea et s'arrêta sur chacun des disciples : Et apparuerunt illis dispertitœ linguœ tanquam ignis, seditque supra singidos eorum (Act., II, 3.).
Pourquoi ce symbole du feu ? Pour marquer, dit saint Chrysostome, que comme le feu a une vertu infiniment plus agissante, plus pénétrante et plus purifiante que l'eau, aussi, par la venue du Saint-Esprit, les cœurs des hommes devaient être purifiés d'une manière bien plus parfaite qu'ils ne l'avaient été par le premier baptême de Jésus-Christ. En effet, après le baptême de Jésus-Christ, les apôtres, tout sanctifiés et tout régénérés qu'ils avaient été par ce sacrement, ne laissaient pas d'être encore très imparfaits. Selon le rapport que nous en fait l'Evangile, quoique baptisés par Jésus-Christ, ils étaient encore ambitieux, intéressés, jaloux ; on voyait encore parmi eux des dissensions, et ils tombaient dans des faiblesses dont cette grâce, quoique sanctifiante, du baptême du Fils de Dieu, ne les avait pas entièrement préservés. Mais à peine ont-ils reçu le Saint-Esprit, qu'ils deviennent des hommes tout spirituels, des hommes détachés du monde, des hommes au-dessus de tout intérêt ; des hommes non seulement saints, mais d'une sainteté consommée ; des hommes pleins de Dieu et vides d'eux-mêmes ; en un mot, des hommes parfaits et irrépréhensibles. Ils ne sont plus, dit saint Chrysostome, cet or de la terre, grossier et informe, tel que la terre le produit, mais cet or purifié et éprouvé, qui a passé par le feu : Igne examinatum, probatum terrœ, purgatum septuplum (Psalm., XI, 7.). Or le feu par où ils ont passé, c'est, ajoute saint Paul, notre Dieu lui-même : non plus notre Dieu irrité, et faisant éclater comme autrefois le feu de sa colère sur les pécheurs, mais le Saint-Esprit répandant avec profusion ses dons et ses grâces, et consumant par le feu de son amour tout ce qu'il y a dans ses élus d'impur et de terrestre : Deus enim noster ignis consumens est (Hebr., XII, 29.).
Voulez-vous savoir, Chrétiens, jusqu'à quel degré de perfection et de pureté alla ce baptême de feu ? Ne vous scandalisez pas de ce que je vais dire, puisque c'est une vérité des plus constantes de la foi. Peut-être croyez-vous que ce baptême se termina, dans les apôtres, à leur ôter certains restes de leurs premières attaches, ou au monde, ou à eux-mêmes : vous vous trompez ; j'ai quelque chose encore de plus important à vous déclarer : et quoi ? le voici : car la perfection de ce baptême de feu alla jusqu'à purifier leurs cœurs d'un certain genre d'attache qu'ils avaient eue et qu'ils conservaient pour Jésus-Christ. Oui, cette attache trop humaine pour le Sauveur du monde était dans la personne des apôtres un obstacle à la descente du Saint-Esprit ; et si Jésus-Christ, pour rompre cette attache, ne s'était séparé d'eux, jamais le Saint-Esprit ne leur eût été donné : Si enim non abiero, Paracletus non veniet ad vos (Joan., XVI, 7.).
Quelle incompatibilité y avait-il entre l'un et l'autre, et pourquoi les apôtres ne pouvaient-ils pas recevoir le Saint-Esprit, pendant qu'ils étaient attachés à leur divin Maître ? Ecoutez la réponse de saint Augustin, et tirez-en vous-mêmes les conséquences : Parce que les apôtres, dit ce saint docteur, en s'attachant à Jésus-Christ, ne l'envisageaient pas, comme ils devaient, avec des yeux assez purs : parce que, dans l'amour qu'ils lui portaient, ils le considéraient trop selon l'humanité et selon la chair. Il est vrai, cette humanité était sainte, et cette chair était consacrée par son union intime avec le Verbe : mais parce que la grossièreté de leur esprit ne faisait pas un assez juste discernement de ce mystère ; parce qu'en s'attachant à Jésus-Christ, ils ne s'élevaient pas assez au-dessus de l'homme : quoique ce fût l'Homme-Dieu, l'Esprit de Dieu, dont la sainteté surpasse infiniment toutes les idées que nous en avons, ne pouvait, dans cet état d'imperfection, les honorer de sa présence. Il fallait donc, poursuit saint Augustin, que les apôtres perdissent Jésus-Christ de vue, pour pouvoir être remplis du Saint-Esprit ; et il fallait que le Saint-Esprit, prenant, si j'ose ainsi parler, les intérêts de Jésus-Christ contre Jésus-Christ même, arrachât du cœur des apôtres les sentiments trop naturels qu'ils avaient pour ce Dieu-Homme.
Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, quelle a été, dans les apôtres, l'excellence de ce baptême de feu, et d'où nous devons conclure quelles en doivent être les obligations par rapport à nous ; je veux dire, jusqu'à quel point le Saint-Esprit doit être pour nous un Esprit de pureté et de sainteté.
BOURDALOUE SERMON POUR LA FÊTE DE LA PENTECÔTE