Sur la Conversion : diversité de conversions

On cesse de pécher, parce que l'occasion du péché nous quitte, et non pas parce que nous quittons l'occasion du péché.

BOURDALOUE

 

 

Conversion surnaturelle et dans la vue de Dieu : car, que peuvent tous les respects humains et toutes les considérations du monde, quand il s'agit de nous faire revivre à Dieu, et de reproduire en nous tout de nouveau l'esprit de la grâce, après que nous l'avons perdu ?

 

On nous dit que le désordre où nous vivons peut être un obstacle à notre fortune, que cette attache nous rend méprisables, que ce scandale nous rend odieux, et sur cela précisément nous nous corrigeons ; on nous fait entendre que la piété pourrait servir à notre établissement, et pour cela nous nous réformons. Qu'est-ce qu'une telle conversion, eût-elle d'ailleurs tout l'éclat de la plus exacte et de la plus sincère régularité ?

 

On s'éloigne du monde par un dépit secret, par impuissance d'y réussir, par désespoir de parvenir à certains rangs que l'ambition y cherche ; on se détache de cette personne parce qu'on en est dégoûté, parce qu'on en a découvert la perfidie et l'infidélité ; on cesse de pécher, parce que l'occasion du péché nous quitte, et non pas parce que nous quittons l'occasion du péché : tout cela, ombres de conversions.

 

Il faut qu'un principe surnaturel nous anime, comme Jésus-Christ ressuscita par une vertu divine ; il faut que sur le modèle de Jésus-Christ, qui, dans sa résurrection, selon le beau mot de saint Augustin, parut entièrement Dieu : In resurrectione totus Deus ; parce qu'en vertu de ce mystère l'humanité fut tout absorbée dans la divinité ; aussi que dans notre conversion il n'y ait rien qui ressente l'homme, rien qui tienne de l'imperfection de l'homme, rien qui participe à la corruption de l'homme ; que l'intérêt n'y entre point, que la prudence de la chair ne s'en mêle point, et que si la créature en est l'occasion, le Créateur en soit le motif. Ainsi le pratiquait l'Apôtre, quand il disait : Loin de moi cette fausse justice que je pourrais trouver dans moi et qui serait de moi, parce que Dieu, dès lors, n'en serait pas l'objet ni le principe ! Il ne me suffit pas même d'avoir cette justice qui vient de la loi ; mais il me faut celle qui vient de Dieu par la foi, celle qui me fait connaître Jésus-Christ et la vertu de sa résurrection, afin que je parvienne, s'il est possible, à cette résurrection bienheureuse qui distingue les vivants d'avec les morts, c'est-à-dire les pécheurs justifiés d'avec ceux qui ne le sont pas : Ut inveniar in illo non habens meam justitiam quœ ex lege est, sed illam quœ ex fide est Christi Jesu : ad cognoscendum illum et virtutem resurrectionis ejus, si quomodo occurram ad resurrectionem quœ est ex mortius.

 

Ainsi, après l'Apôtre, en ont usé tous les vrais pénitents en se convertissant à Dieu. Ils ont fermé les yeux à tout le reste, ils n'ont consulté ni la chair ni le sang, ils ont foulé le monde aux pieds, ils se sont élevés au-dessus d'eux-mêmes ; et pourquoi ? parce qu'ils cherchaient, dit saint Paul, une résurrection plus solide et plus avantageuse que celle qui nous est figurée dans la conversion prétendue des mondains : Ut meliorem invenirent resurrectionem (Heb., XI, 35.).

 

Car encore une fois, il y a maintenant une diversité de conversions, comme à la fin des siècles il y aura une diversité de résurrections ; et comme, selon l'Evangile, les uns sortiront de leurs tombeaux pour ressusciter à la vie, les autres pour ressusciter à leur condamnation et à la mort : Et procedent qui bona fecerunt, in resurrectionem vitœ ; qui vero mala egerunt, in resurrectionem judicii (Joan., V. 29) ; de même voit-on des pécheurs sortir du tribunal de la pénitence, les uns vivifiés par la grâce et réconciliés avec Dieu, les autres par l'abus du sacrement, encore plus endurcis dans le péché et plus ennemis de Dieu. Heureux, conclut le Saint-Esprit dans l'Apocalypse, heureux et saint quiconque aura part à la première résurrection ! Il parle de la résurrection des justes : Beatus et sanctus qui habet partem in resurrectione prima (Apoc., XX, 6.) !

 

Je dis, par la même règle : Heureux et saint quiconque a eu part à la première conversion ! Heureux et saint celui qui, ressuscitant avec Jésus-Christ, selon la maxime de l'Apôtre, n'envisage dans sa conversion que les choses du ciel, détourne sa vue de tous les objets de la terre, ne cherche point les prospérités, s'élève au-dessus des adversités, est content de posséder Dieu, et s'attache à Dieu pour Dieu même !

 

Or, c'est cette conversion, Chrétiens, que Dieu vous demande aujourd'hui, et dont il vous propose le modèle dans la personne de son Fils. 

 

BOURDALOUE

SERMON POUR LA FÊTE DE PÂQUES SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST

 

Hymnaire de la Compagnie Sainte Agnès, Pacino di Buonaguida

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