Une conversion, pour être complète, doit embrasser sans exception tous les devoirs de l'homme chrétien. Or, un des devoirs de l'homme chrétien est de paraître ce qu'il est.
BOURDALOUE
C'est un mystère, Chrétiens, mais ce n'est point un mystère obscur ni difficile à pénétrer, savoir, pourquoi Jésus-Christ après sa résurrection voulut encore demeurer parmi les hommes durant l'espace de quarante jours.
Dans l'ordre naturel des choses, du moment qu'il était ressuscité, le ciel devait être son séjour, et la terre n'était plus pour lui qu'une demeure étrangère. Pourquoi donc diffère-t-il cette ascension triomphante qui le devait mettre en possession d'un royaume dû à ses mérites ; et pourquoi suspend-il en quelque sorte cette félicité consommée, qui lui était si légitimement acquise, et par tant de titres ? Pourquoi ? une raison supérieure le fait consentir à ce retardement : la voici, mes chers auditeurs, prise de l'Evangile même. C'est qu'il veut soutenir toujours son caractère de Sauveur, et rapporter à notre justification aussi bien les mystères de sa gloire que ceux de ses humiliations et de ses souffrances, afin qu'il soit vrai de dire en toute manière : Traditus est propter delicta nostra, et resurrexit propter justificationem nostram (Rom., IV, 25.).
Or, pour cela, dit saint Chrysostome, il ne se contente pas d'être ressuscité, mais il veut paraître ressuscité ; il veut se faire voir au monde dans l'état de cette nouvelle vie où il est entré ; il veut, par ses apparitions, répandre au dehors les rayons de cette divine lumière dont il vient d'être revêtu. Voilà, dis-je, pourquoi il emploie quarante jours à se montrer, tantôt à tous ses disciples assemblés, tantôt à quelques-uns en particulier, tantôt dans une pêche miraculeuse, tantôt dans un repas mystérieux, tantôt sous la forme d'un jardinier, tantôt sous celle d'un voyageur, agissant, parlant, se communiquant, et donnant partout des preuves sensibles du miracle opéré dans sa personne, et de son retour d'entre les morts. Excellente leçon pour nous, Chrétiens, si nous en savons profiter. Tout ceci nous regarde, et nous apprend que, comme ce n'est point assez de paraître convertis si nous ne le sommes en effet, aussi ne suffit-il point de l'être et de ne le pas paraître.
Car, pour développer cette importante morale, ce sont, mes chers auditeurs, deux obligations différentes que d'être converti et de paraître converti ; et notre erreur est de ne les pas assez distinguer. Comme ce sont deux espèces de désordres que d'être impie et de paraître impie (car être impie, disait Tertullien, c'est un crime, et le paraître, c'est un scandale) ; aussi devons-nous être bien persuadés qu'il y a deux préceptes dans la loi divine, dont l'un nous oblige à nous convertir, et l'autre à donner des marques extérieures de notre conversion ; en sorte que d'obéir à l'un de ces deux préceptes, sans se mettre en devoir d'accomplir l'autre, ce n'est qu'une justice imparfaite. En effet, si Jésus-Christ, après être sorti du tombeau, s'était tenu caché dans le monde, et qu'il n'eût point paru ressuscité, il n'aurait, si je l'ose dire, exécuté qu'à demi le dessein de son adorable mission ; il aurait laissé notre foi dans le trouble, et par rapport à nous, la religion qu'il voulait établir n'aurait point eu de solide fondement. De même, si nous négligeons après notre conversion, ou si nous craignons de paraître convertis, nous ne faisons qu'imparfaitement l'œuvre de Dieu ; et, bien loin de lui plaire, nous encourons la malédiction prononcée par l'apôtre saint Jacques, quand il dit que quiconque viole un commandement, quoiqu'il en observe un autre, est censé coupable, comme s'il avait transgressé toute la loi : Qui peccat in uno factus est omnium reus (Jac., II, 10.).
Je dis plus : être et paraître converti, sont tellement deux obligations différentes, qu'elles sont néanmoins inséparables, et qu'à prendre la chose dans la rigueur, il est impossible de s'acquitter de la première sans satisfaire à la seconde, parce qu'il est constant, comme l'ange de l'école, saint Thomas, l'a judicieusement remarqué, que paraître converti est une partie de la conversion même. Je m'explique.
Vous avez pris enfin, dites-vous, là résolution de changer de vie et de renoncer à votre péché, mais vous avez du reste, ajoutez-vous, des mesures à garder, et vous ne voulez pas qu'on s'aperçoive de votre changement. Mais moi, je soutiens qu'il y a de la contradiction dans ce que vous vous proposez, parce qu'une des circonstances les plus essentielles de ce changement de vie, qui doit faire votre conversion, est qu'on s'en aperçoive et qu'il paraisse. Je dis que tandis qu'il ne paraîtra pas et qu'on ne s'en apercevra pas, quelque idée que vous en ayez, c'est un changement équivoque et suspect, ou même chimérique et imaginaire : pourquoi ? parce qu'une conversion, pour être complète, doit embrasser sans exception tous les devoirs de l'homme chrétien. Or, un des devoirs de l'homme chrétien est de paraître ce qu'il est ; et s'il a été pécheur et rebelle à Dieu, un de ses devoirs les plus indispensables est de paraître obéissant et soumis à Dieu.
Je dis que ce devoir est fondé sur l'intérêt de Dieu que vous avez offensé, sur l'intérêt du prochain que vous avez scandalisé, sur votre intérêt propre, j'entends l'intérêt de votre âme et de votre salut, que vous avez ouvertement abandonné ; trois preuves invincibles de la vérité que je vous prêche , et dont je puis me promettre que vous serez touchés.
BOURDALOUE
SERMON POUR LA FÊTE DE PAQUES SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST