Nous avons tous célébré la résurrection de Jésus-Christ ; mais je ne sais si nous avons tous éprouvé ce bienheureux changement que cette sainte solennité, par une grâce qui lui est propre, devait opérer dans nos âmes.
BOURDALOUE
C'est saint Paul qui l'a dit, et je n'ai rien moins prétendu, dans la première proposition que j'ai avancée, que d'établir un principe de religion dont il ne nous est pas permis de douter : Jésus-Christ est vraiment ressuscité, et sur ce modèle Dieu veut que nous soyons vraiment convertis.
Mais j'ajoute, comme la suite naturelle de ce principe, que Jésus-Christ, après être sorti du tombeau n'a plus vécu en homme mortel, mais en homme céleste et ressuscité ; et que c'est une loi pour nous qu'après notre conversion nous ne vivions plus en hommes charnels et mondains, mais d'une vie toute spirituelle, et conforme au bienheureux état où se trouvent élevés par la grâce des hommes sincèrement et solidement convertis. Deux pensées auxquelles je réduis ces admirables paroles de l'Epître aux Romains, dont je fais toute la preuve des vérités que je vous prêche : Consepulti sumus cum Christo per baptismum in mortem; ut quomodo surrexit a mortuis, ita et nos in novitate vitœ ambulemus (Rom., VI, 4.) ; Nous sommes, mes Frères, ensevelis avec Jésus-Christ par le baptême, pour mourir au péché, afin que, comme ce Dieu Sauveur est ressuscité par sa vertu toute-puissante, nous soyons animés du même esprit, et intérieurement ressuscités, pour mener cette vie nouvelle qui est l'effet d'une véritable conversion.
Appliquez-vous, Chrétiens, et ne perdez rien d'une instruction si nécessaire. Surrexit Dominus vere (Luc, XXIV, 34.) ; le Seigneur est vraiment ressuscité : principe, encore une fois, auquel vous et moi nous devons nous attacher d'abord, pour nous former une juste idée de la conversion du pécheur.
Ne vous étonnez pas, mes chers auditeurs, que Jésus-Christ, selon le rapport des évangélistes, s'intéressât tant à prouver, et à prouver par lui-même, sa résurrection. Les apôtres étaient saisis de frayeur en le voyant, parce qu'ils croyaient voir un esprit : Conturbati et conterriti existimabant se spiritum videre (Ibid., 37) ; et il ne pouvait souffrir qu'ils demeurassent dans cette incertitude et dans ce trouble. Non, leur disait-il pour les rassurer, ce n'est point un esprit, c'est moi-même. Regardez mes pieds et mes mains, touchez mes plaies, et vous apprendrez que je ne suis point un fantôme, mais un corps solide et réel.
Pourquoi, demande saint Chrysostome, ce soin si exact de leur faire connaître la vérité de sa résurrection ? Ah ! mes Frères, répond ce saint docteur, c'est qu'outre les autres raisons qu'il avait d'en user ainsi, il savait bien la loi qui nous était dès lors imposée, et l'engagement où nous devions être, en qualité de pécheurs, de ressusciter à la vie de la grâce, comme il était lui-même ressuscité à la vie de la gloire : Ut quomodo surrexit, ita et nos in novitate vitœ ambulemus. Or, il était à craindre que cette résurrection spirituelle de nos âmes, au lieu d'être une vérité, ne fût qu'une pure fiction, et que, passant pour des hommes convertis, nous ne fussions rien moins au dedans que ce que nous paraissions au dehors. De là vient qu'il n'omettait rien pour convaincre ses disciples qu'il n'était pas seulement ressuscité en apparence, mais en effet; voulant que cette résurrection véritable nous servît de modèle et d'exemple.
L'entendez-vous, Chrétiens, et aviez-vous jamais pénétré la conséquence de cette parole : Surrexit vere ? Voilà néanmoins à quoi elle se rapporte : à condamner tant de conversions imaginaires, qui n'ont d'une vraie conversion que l'extérieur et le masque, sans en avoir le fond et le mérite.
Car, permettez-moi de vous faire ici une réflexion toute semblable à celle que faisait saint Paul, instruisant les Corinthiens sur la résurrection des corps : Ecce mysterium vobis dico : omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur (1 Cor., XV, 51.) ; Voici, mes Frères, leur disait-il, un important secret que je vous déclare : nous ressusciterons tous à la fin des siècles, mais nous ne serons pas tous changés. Il voulait par là leur faire entendre que, quoique les réprouvés dussent avoir part à la résurrection future aussi bien que les élus , leurs corps n'y seraient pas transformés comme les corps des élus, ni rendus semblables au corps glorieux de Jésus-Christ ; différence terrible sur laquelle insistait l'Apôtre, pour donner aux fidèles une crainte salutaire du jugement de Dieu.
Mais quelque terrible que doive être cette différence des réprouvés et des élus dans le jugement de Dieu, en voici une autre qui, pour être plus intérieure, n'en est pas moins fatale au pécheur, et qui, sans attendre la fin des siècles, se trouve aujourd'hui dans le christianisme selon les différentes dispositions des chrétiens à cette fête. Nous avons tous célébré la résurrection de Jésus-Christ ; mais je ne sais si nous avons tous éprouvé ce bienheureux changement que cette sainte solennité,par une grâce qui lui est propre, devait opérer dans nos âmes. En recevant l'adorable sacrement du Sauveur, nous avons tous paru spirituellement ressuscités ; mais peut-être s'en faut-il bien que nous ayons tous été renouvelés, et que dans ce grand jour nous puissions tous également nous rendre ce témoignage devant Dieu, que nous ne sommes plus les mêmes bommes.
Voilà le mystère, mais le redoutable mystère que je vous annonce, et sur lequel chacun de nous doit s'examiner : Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur (1 Cor., XV, 51.).
BOURDALOUE
SERMON POUR LA FÊTE DE PÂQUES SUR LA RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST
La Résurrection, Le Greco, Église Santo Domingo el Antiguo, Tolède