SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST : Princeps pacis

Le fondement de notre paix avec Dieu a été cette justice que Dieu, usant de tous ses droits, a exercée contre le péché, en livrant son Fils pour nous. Or n'est-ce pas dès ce jour qu'il a commencé à le livrer, et pouvait-il le livrer d'une manière plus sensible qu'en le faisant naître dans l'état où la crèche nous le représente ?

BOURDALOUE

 

 

Et subito facta est cum angelo multitudo militiœ cœlestis laudantium Deum, et dicentium : Gloria in altissimis Deo, et in terra pax hominibus.

Au même instant que l'ange annonça aux pasteurs la naissance de Jésus-Christ, une troupe de la milice céleste se joignit à lui, et se mit à louer Dieu, en disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes sur la terre ! (Saint Luc, chap. II, 13.)

 

En deux paroles, voilà les deux fruits de la naissance du Sauveur : la gloire à Dieu, et la paix aux hommes. La gloire à Dieu, à qui elle est due par justice, et la paix aux hommes, à qui Dieu la donne par grâce. La gloire à Dieu, qui la possède comme un bien propre, et la paix aux hommes, qui la désirent comme le plus digne objet de leurs vœux. La gloire à Dieu, qui seul la mérite, parce qu'il est seul grand par lui-même ; et la paix aux hommes, qui doivent se mettre en état de l'obtenir, jusqu'à sacrifier tout pour l'avoir. C'est, dit saint Bernard, le partage le plus raisonnable, et même pour les hommes le plus favorable qui fut jamais.

 

Cependant, ajoute ce Père, on voit dans le monde des hommes qui ont peine à le goûter : et tel est l'ambitieux et le superbe. En effet, parce qu'il est superbe et ambitieux, ce partage fait par les anges, quoique favorable pour lui, ne le contente pas : Non placet ei angelica distributio, dans gloriam Deo, et pacem hominibus (Bernard). C'est-à-dire qu'aveuglé d'un injuste désir de s'élever au-dessus des autres, il ne se contente pas d'avoir la paix, mais qu'il veut encore avoir la gloire. Et quoique Dieu dans l'Ecriture se soit si hautement déclaré qu'il ne donnera sa gloire à personne : Gloriam meam alteri non dabo (Isai., XLII, 8.), il est assez téméraire pour répondre à Dieu dans son cœur : Et moi, sans attendre que vous me la donniez, je me l'attribuerai, et je l'usurperai : Et ego, inquit superbus, mihi illam, licet non dederis, usurpabo. (Bernard.)

 

Ayons, mes chers auditeurs, ce sentiment en horreur. Mieux instruits de nos véritables intérêts , tenons-nous-en au partage qui nous est offert dans l'Evangile : il nous est trop avantageux pour en souhaiter un autre. Disons à Dieu, comme David : Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam (Psalm., CXIII, 1.) : ne nous donnez pas la gloire, Seigneur ; la gloire ne nous appartient pas. Réservez-la pour vous tout entière, parce qu'elle est tout entière pour vous et pour votre saint nom. Mais donnez-nous cette paix salutaire que vos anges nous font espérer, et que Jésus-Christ votre Fils vient lui-même nous apporter. Parlant de la sorte, nous parlerons en chrétiens. Ainsi, l'auguste mystère que nous célébrons étant pour nous, dans le dessein de Dieu, le mystère de la paix, considérons-le uniquement sous cette idée. Rapportons là toutes nos vues, et attachons-nous aux divines instructions que nous fournit sur ce point important la naissance d'un Dieu fait homme. Mais d'abord rendons nos devoirs à la plus pure des vierges, à cette vierge incomparable, qui, par un prodige inouï, toujours vierge, est devenue la mère de son Dieu, et félicitons-la avec l'Eglise de cette glorieuse maternité, qui a été le principe de notre salut. Ave, Maria.

 

Un enfant nous est né, disait Isaïe, parlant en prophète et annonçant par avance ce qui devait arriver dans la plénitude des temps : Parvulus natus est nobis (Isai., IX, 6.). Et cet enfant, ajoutait le prophète, sera appelé l'admirable, le Dieu fort, le père du siècle futur, mais surtout le prince de la paix : Et vocabitur admirabilis, Deus fortis, pater futuri saeculi, princeps pacis ( Ibid.). C'est aujourd'hui, Chrétiens, que nous voyons a la lettre l'oracle accompli. C'est aujourd'hui que l'enfant Jésus a vérifié dans sa personne cette prédiction, qui ne pouvait convenir qu'à lui et que, dès son berceau, il a fait voir qu'il était souverainement et par excellence le prince de la paix : Princeps pacis : comment cela ? parce que dans le mystère de ce jour il a commencé à faire l'office de médiateur et d'arbitre de la paix ; qu'il a paru dans le monde pour y établir les vrais principes de la paix ; qu'il s'est servi du ministère des esprits célestes pour annoncer à ses élus l'Evangile de la paix : car, selon la parole de l'Apôtre, la paix a été le bienheureux terme et la fin principale de sa mission : Veniens evangelizavit pacem (Ephes., II, 17.).

 

Comme il naissait pour faire régner la paix (appliquez-vous à cette pensée ; elle est de saint Chrysostome, et elle va éclaircir ma proposition), comme il naissait pour faire régner la paix, tout devait concourir à son dessein ; et en effet, par une singulière providence, tout y concourut. Et voilà pourquoi ce divin Enfant voulut naître sous le règne d'Auguste, qui fut de tous les règnes le plus tranquille ; tout l'univers, c'est-à-dire tout l'empire romain, se trouvant, par une espèce de miracle, dans une paix profonde, pour confirmer par cette circonstance ce qui était écrit du Messie, que l'abondance de la paix naîtrait avec lui : Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis (Psalm., LXXI, 7.).

 

Mais, après tout, Chrétiens, cette paix extérieure et temporelle dont le monde jouissait alors n'était encore que pour servir de disposition à une autre paix bien plus avantageuse et bien plus sainte, que le Fils unique de Dieu nous apportait du ciel ; et c'est ici que j'entre dans le fond de notre mystère, et que je vous prie d'y entrer avec moi. Je m'explique. Maintenir la paix des nations, éteindre le feu des guerres et des dissensions qui les consument, pacifier les royaumes et les états, c'était, il est vrai, l'ouvrage de cette Providence générale qui préside au gouvernement du monde : mais rétablir la paix entre l'homme et Dieu, mais enseigner à l'homme le secret de conserver la paix avec soi-même, mais donner à l'homme des moyens sûrs et infaillibles pour entretenir une paix éternelle avec le prochain, c'était et ce devait être l'effet particulier, l'effet miraculeux de la sagesse de Dieu incarné, je veux dire de la naissance de Jésus-Christ et de sa venue au monde.

 

C'est donc lui, mes chers auditeurs, qui, par sa sainte nativité, et par toutes les circonstances qui l'accompagnent, nous procure aujourd'hui la paix avec Dieu, la paix avec nous-mêmes, et la paix avec nos frères : la paix avec Dieu, par la pénitence qu'il fait déjà pour nous dans ï'étable de Bethléem : c'est la première partie ; la paix avec nous-mêmes, par l'humilité et par le détachement des biens de la terre, qu'il nous prêche déjà si hautement, en choisissant une crèche pour son berceau : c'est la seconde partie ; la paix avec nos frères par la douceur, ou, pour mieux dire, par la tendre charité dont il est lui-même en naissant une leçon si vivante et si touchante, et dont il nous donne le plus parfait modèle : ce sera la conclusion : Veniens evangelizavit pacem ; venant au monde, il nous a annoncé la paix ; mais avec qui ? je le répète, avec Dieu, en se faisant notre victime par la réparation entière du péché ; avec nous-mêmes, en détruisant les deux principes de tous nos troubles intérieurs, l'orgueil et la cupidité; avec nos frères, en amollissant la dureté qui nous est si naturelle, ou du moins si ordinaire à leur égard, et en nous inspirant à son exemple la bénignité : Evangelizavit pacem. Oui, il a été, dès son entrée au monde, l'évangéliste et le prédicateur de cette triple paix, si désirable et si nécessaire pour nous ; de la paix avec Dieu, en nous apprenant à apaiser Dieu ; de la paix avec nous-mêmes, en nous apprenant à être humbles et pauvres de cœur ; de la paix avec le prochain, en nous apprenant à être doux et humains : c'est tout le sujet et le partage de ce discours. Je vous demande une favorable attention.

 

 C'est un principe de religion qui ne peut être contesté, et dont tout le monde convient : comme pécheurs, nous étions enfants de colère, et, en cette qualité, non seulement ennemis de Dieu, mais incapables par nous-mêmes de nous réconcilier avec Dieu. Il nous fallait donc un médiateur qui, venant au monde avec un pouvoir légitime, négociât et conclût entre Dieu et nous cette importante réconciliation ; c'est-à-dire qu'il nous fallait un médiateur qui, tout ensemble zélé pour nos intérêts et chargé des intérêts de Dieu, accordât l'homme et Dieu dans sa personne ; un médiateur en qui Dieu trouvât la plénitude de la satisfaction qui lui était due, et en qui l'homme trouvât la plénitude de la rémission et de la miséricorde dont nous avions besoin ; un médiateur qui, réunissant ces deux choses, pacifiât, comme dit saint Paul, le ciel et la terre, et qui, aux dépens de lui-même, sans aucun préjudice des droits de Dieu, nous remît en grâce avec Dieu. Or voilà, Chrétiens, ce que la foi nous découvre, et ce qui s'est heureusement accompli dans le mystère de ce jour ; car que voyons-nous dans l'étable de Bethléem ? comprenez bien cette vérité, sur quoi roule toute notre religion. Nous y voyons, dans la personne d'un Enfant-Dieu, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, et au même temps, par le plus surprenant de tous les miracles, la justice de Dieu satisfaite dans la rigueur et authentiquement vengée. Miséricorde de Dieu, justice de Dieu : deux attributs dont la parfaite alliance devait produire la paix entre Dieu et l'homme, mais qui ne pouvaient être unis de la manière intime dont ils l'ont été, que dans le Verbe fait chair. Ecoutez-moi, et vous en allez être convaincus.

 

Nous voyons, dis-je, dans cet enfant, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée. C'est ce qui nous paraît d'abord dans son adorable naissance, dont saint Paul comprend en un mot tout le mystère, quand il dit que ce fut alors que se fit la première apparition du Dieu Sauveur, et que la grâce du Dieu Sauveur, qui auparavant était quelque chose d'impénétrable et d'incompréhensible, se rendit palpable et sensible : Apparuit gratia Dei Salvatoris nostri (Tit., II, 11.). Prenez garde, mes Frères, dit saint Chrysostome expliquant ce passage de l'Apôtre : il y avait des siècles entiers que Dieu, quoique offensé, las d'être en guerre avec les hommes, méditait de faire avec eux un traité de paix pour lequel il avait réservé tous les trésors de sa miséricorde et de sa grâce. Il y avait des siècles entiers que ce Dieu de gloire disait aux hommes, par un de ses prophètes : Ego cogito super vos cogitationes pacis, et non afflictionis (Jerem., XXIX, 11.) : j'ai sur vous des pensées de paix, et non de colère et de vengeance. Mais ces pensées de paix, ajoute saint Chrysostome, étaient alors toutes renfermées dans le cœur de Dieu. Ce n'étaient que des pensées, des vues, des projets, qui, ne sortant point hors de Dieu, demeuraient sans exécution. Dieu était plein de ces pensées, mais le temps n'était pas encore venu où il avait résolu de les manifester et de les produire. Comme Dieu de miséricorde, il avait des pensées de paix, et cependant on ne voyait partout que des effets de sa justice, et d'une justice rigoureuse. Aujourd'hui ces pensées de paix, suspendues depuis tant de siècles, et cachées dans le sein de Dieu, commencent à éclater aux yeux des hommes : pourquoi ? parce que Jésus-Christ, Dieu et homme, c'est-à-dire la grâce même et la miséricorde même, se fait voir à eux : Apparuit gratia Dei. Ce ne sont plus des pensées de paix, mais des chefs-d'œuvre consommés, mais des miracles, mais des prodiges de paix ; et Dieu ne dit plus simplement : Je conçois, je médite : Ego cogito ; mais : J'accomplis, j'exécute ce que j'avais promis aux pécheurs. Ainsi nous l'a-t-il fait entendre quand il a fait paraître, dans le mystère que célèbre aujourd'hui l'Eglise, son Verbe revêtu de notre chair, et quand il a donné au monde un rédempteur.

 

Mais en le donnant au monde, ce rédempteur, Dieu n'a-t-il point oublié ses propres intérêts ? en choisissant un moyen si extraordinaire et si étonnant pour mettre au jour ces pensées de paix qu'il avait éternellement conçues, n'a-t-il point fait avec nous une paix désavantageuse et peu honorable pour lui ? Ah ! Chrétiens, voilà ce que nous ne pouvons assez admirer ; et c'est ici qu'il est juste qu'éclairés, comme nous le sommes, des lumières de la foi, nous rendions hommage à la sagesse de notre Dieu. Non, poursuit saint Chrysostome, Dieu, en choisissant ce moyen, n'a point oublié ce qu'il se devait à lui-même, et la preuve en est évidente. Car, tandis que je vois, dans le divin enfant qui vient de naître, la miséricorde de Dieu incarnée et humanisée, je vois dans la même personne de cet enfant la justice de Dieu pleinement vengée. Tandis que j'y vois la grâce et la rémission du péché offerte à l'homme, j'y vois une victime de propitiation offerte à Dieu pour l'expiation du péché. Comme le péché est la seule cause de la guerre qui met entre Dieu et nous une si fatale division, je vois dans la crèche un Sauveur déjà sacrifié comme une hostie vivante pour abolir le péché qui nous a séparés de Dieu. Comme la pénitence est le capital et le plus essentiel article de notre paix avec Dieu, j'y vois un Homme-Dieu commençant déjà à faire pénitence pour nous, et nous apprenant à la faire nous-mêmes pour nous-mêmes.

 

Mystère adorable de paix que David, par un esprit de prophétie, avait prétendu nous marquer quand il avait dit : Misericordia et veritas obviaverunt sibi (Psalm., LXXXIV, 11.) : la miséricorde et la vérité, c'est-à-dire, dans le sens littéral du psaume, la miséricorde et la justice, se sont rencontrées ; et où  demandait saint Bernard, se sont-elles rencontrées ? Dans l'étable où est né Jésus-Christ ; disons plutôt, dans Jésus-Christ. Jusque là elles avaient tenu des routes toutes différentes et tout opposées, et rien n'était plus éloigné de la miséricorde que la justice. Aujourd'hui elles se rapprochent, et l'une vient heureusement à la rencontre de l'autre : Obviaverunt sibi. Jusque là,   l'une  avait  paru absolument contraire à l'autre, car le propre de la justice était de punir, et le propre de la miséricorde de pardonner. Ici le pardon et la punition se joignent ensemble : la punition qui tombe sur l'innocent, les souffrances de Jésus-Christ dans la crèche méritant le pardon aux hommes coupables, et le pardon qu'obtiennent les hommes coupables n'étant fondé, conformément aux décrets éternels de Dieu, que sur les souffrances de Jésus-Christ et sur la punition que subit l'innocent, et à laquelle il veut bien se soumettre. D'où  il s'ensuit, ce qu'ajoute le texte sacré dans une autre expression encore plus forte, que la justice et la paix se sont mutuellement baisées comme deux sœurs : Justitia et pax osculatœ sunt (Ibid.). Paroles que le même saint Bernard appliquait, et avec raison, à la naissance du Fils de Dieu, puisqu'il est certain que le fondement de notre paix avec Dieu a été cette justice vindicative que Dieu, usant de tous ses droits, a exercée contre le péché, en livrant son Fils pour nous. Or n'est-ce pas dès ce jour qu'il a commencé à le livrer, et pouvait-il le livrer d'une manière plus sensible qu'en le faisant naître dans l'état où la crèche nous le représente ?

 

Quelle est donc l'idée naturelle que nous devons avoir de ce mystère ? la voici, mes chers auditeurs, telle que l'a eue le grand Apôtre, et dans les mêmes termes qu'il l'exprimait : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi (2 Cor., V, 9.) : Jésus-Christ était dans la crèche, et Dieu était dans Jésus-Christ réconciliant le monde avec soi. Pensée sublime, digne de saint Paul, et qui, pour être bien développée, demanderait un discours entier. Dieu était dans Jésus-Christ, réconciliant le monde avec soi et se réconciliant lui-même avec le monde : c'est-à-dire, Dieu était dans Jésus-Christ, recevant les satisfactions que Jésus-Christ lui faisait de tous les crimes du monde, et, en vue de ces satisfactions qu'il recevait de Jésus-Christ, oubliant, pardonnant, effaçant,  abolissant tous les crimes du monde.

 

Méditons ces paroles : Deus erat in Christo,   mundum reconcilians sibi ;   Jésus-Christ était dans la crèche, offrant à Dieu, comme souverain prêtre de la loi de grâce, le sacrifice de son humanité sainte, et Dieu était dans Jésus-Christ, acceptant ce sacrifice  pour réparation de toutes les impiétés, de tous les blasphèmes, de tous les sacrilèges, de tous les scandales, de toutes les profanations qui devaient se commettre dans le monde, à la honte du nom chrétien : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche, humilié et anéanti, et Dieu était dans Jésus-Christ, se dédommageant par là de tous les attentats que l'orgueil des hommes avait formés ou devait former contre sa gloire, de tout ce que leur ambition démesurée, de tout ce que leur extravagante vanité, de tout ce que leur maligne jalousie devait produire dans le monde d'injustice et de désordres : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche, rendant à son Père les premiers hommages de cette obéissance sans bornes qui devait bientôt s'étendre jusques à la mort, et jusques à la mort de la croix ; et Dieu était dans Jésus-Christ, vengé par là, mais hautement, de tous les mépris que les hommes devaient faire de sa loi, de tout ce que l'esprit d'indépendance, de tout ce que l'insolence du libertinage, de tout ce que la présomption du relâchement devait leur inspirer contre ses ordres, et au préjudice de la soumission qui lui est due : Deus erat in Christo ; Jésus-Christ était dans la crèche immolant sa chair virginale par les misères d'une extrême pauvreté, et Dieu était dans Jésus-Christ, se faisant justice par là de tout ce que la sensualité et la mollesse, de tout ce que l'excès du luxe, de tout ce que l'amour du plaisir, de tout ce que l'abus des commodités et des délices de la vie devait causer de dérèglement et de corruption dans les mœurs : je veux dire, de toutes les impudicités, de tous ces vices abominables que saint Paul défend de nommer,  de tous ces monstres de péchés qui déshonorent l'homme, et qui le dégradent jusqu'à le mettre au rang des bêtes : Deus erat in Christo ; en un mot, Jésus-Christ était dans la crèche faisant pénitence pour nous, et Dieu était dans Jésus-Christ, agréant cette pénitence, mais en même temps nous la proposant pour modèle, comme s'il nous eût dit à tous : Voyez, et faites de même : Inspice, et fac secundum exemplar (Exod., XXV, 40).

 

C'est, dis-je, à cette condition que Dieu était dans Jésus-Christ, nous réconciliant avec soi, et, par un effet réciproque de son amour, se réconciliant avec nous : Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi. Car, tout irrité qu'il était par la grièveté de nos offenses, comment aurait-il pu, reprend saint Bernard , n'être pas fléchi par la pénitence de ce Fils bien-aimé, dont il put bien dire dès lors ce qu'il devait déclarer solennellement dans la suite : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi complacui (Matth., III, 17.) ? de ce Fils qui, quoique naissant avec l'apparence de pécheur, était non seulement le Saint des Saints, mais la sainteté même ? de ce Fils qui, quoiqu'anéanti dans une crèche, était aussi puissant que lui, égal à lui, et, sans usurpation, Dieu comme lui ? Comment, encore une fois, aurait-il pu ne l'accepter pas, cette pénitence d'un Dieu ? et, satisfait par la pénitence d'un Dieu, comment aurait-il pu rejeter la nôtre ?

 

Tel est donc d'abord, mes chers auditeurs, le fruit précieux de la naissance d'un Dieu sauveur, notre paix avec Dieu par la pénitence. Mais du reste, ne nous y trompons pas, et, pour approfondir par rapport à nous cette même vérité, quand je dis par la pénitence, j'entends par une pénitence sincère, solide, efficace ; j'entends par une pénitence fervente, exacte , sévère : car il n'y a que celle-là seule qui soit capable de nous réconcilier avec Dieu et de pacifier nos consciences devant Dieu, parce qu'il n'y a que celle-là seule qui ait de la conformité avec la pénitence de l'Homme-Dieu. Une pénitence imparfaite, tiède, languissante ; une pénitence lâche, où le pécheur s'écoute, se flatte, se ménage ; une pénitence commode, et que l'on veut accorder avec toutes les douceurs de la vie ; une pénitence qui ne crucifie point la chair, qui n'humilie point l'esprit; une pénitence stérile et sans œuvres, c'est une pénitence vaine, et une pénitence vaine, bien loin d'apaiser Dieu, outrage Dieu ; bien loin de calmer nos consciences, les déchire de mille remords ; bien loin d'en faire cesser les inquiétudes, est elle-même le sujet des reproches intérieurs les plus piquants et des plus cruelles alarmes. Il nous faut, dit saint Chrysostome, une pénitence qui puisse être unie à celle de Jésus-Christ, une pénitence qui puisse être le supplément de celle de Jésus-Christ, une pénitence dont le pécheur puisse croire et se rendre témoignage qu'elle accomplit, comme parle l'Apôtre, ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ : or, pour cela, il faut qu'elle ait tous les caractères que je viens de marquer, sincérité, solidité, intégrité, sévérité, et qu'ainsi elle participe à toutes les qualités de la pénitence de Jésus-Christ.

 

Si telle a été la vôtre, et si, dans l'esprit de cette véritable pénitence, vous avez eu le bonheur d'approcher dignement des saints mystères, c'est, mes chers auditeurs, ce qui doit aujourd'hui vous consoler, et de quoi je dois vous féliciter. Vous êtes en paix avec Dieu ; vous avez trouvé grâce devant Dieu. Dieu a ratifié dans le ciel la sentence d'absolution que le ministre de son sacrement a prononcée sur la terre en votre faveur. On vous a dit, comme à ce paralytique de l'Evangile : Allez, ne péchez plus : Ecce sanus factus es, jam noli peccare (Joan., v, 14.) ; mais aussi vivez en repos sur tout le passé ; il vous est remis. Heureux état ! préférable à toutes les fortunes du monde ! je suis en paix avec Dieu. Dieu était mon ennemi, et j'étais ennemi de Dieu ; mais enfin voilà Dieu réconcilié avec moi, et me voilà réconcilié avec Dieu. Paix de Dieu, que le Saint-Esprit compare à un repas somptueux, à un repas délicieux, tant elle remplit l'âme d'une onction abondante et consolante. Paix de Dieu, souverainement désirable au pécheur, puisque par elle le pécheur rentre auprès de Dieu dans tous les droits de l'innocence et de la justice.

 

Que si néanmoins, mon cher auditeur, vous êtes assez malheureux pour n'avoir fait qu'une pénitence défectueuse, et pour être encore, malgré votre pénitence, dans le désordre du péché, écoutez ce que je vous annonce ; et, tout malheureux que vous êtes, ce que je vous annonce doit vous inspirer une humble et une généreuse confiance : Convertere ad Dominum Deum tuum (Lament.) ; convertissez-vous à votre Dieu. Faites pénitence ; et, en la faisant, conformez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus ; unissez votre pénitence à la pénitence de l'enfant Jésus. Touché de ce que lui ont coûté vos péchés, ressentez-les comme lui ; pleurez-les comme lui ; joignez vos larmes à ses larmes, votre douleur à sa douleur, et je vous réponds de la part de Dieu d'une prompte et d'une parfaite réconciliation.

 

Telle est la grâce qui vous est offerte. Serez-vous assez aveugles, assez insensés, assez réprouvés pour la refuser ? Cependant, outre la paix où nous rentrons avec Dieu, le mystère de Jésus-Christ naissant nous apprend encore à conserver la paix avec nous-mêmes ; et c'est le sujet de la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR LA NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST

 

Nativité, Altdorfer, 1513

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