Cum venerit Filius hominis in majestate sua, et omnes angeli cum eo, tunc sedebit super sedem majestatis suœ, et congregabuntur ante eum omnes gentes.
Quand le Fils de l'homme viendra dans l'éclat de sa majesté, et tous les anges avec lui, alors il s'assiéra sur son trône, et toutes les nations se rassembleront devant lui. (Matth., chap. XXV, 31.)
Nous reconnaissons, mes Frères, deux avènements de Jésus-Christ, que l'Eglise nous propose comme deux grands objets de notre foi, et sur lesquels on peut dire que roule toute la religion chrétienne.
Car il est venu, cet Homme-Dieu, dans le mystère adorable de son incarnation ; et il doit encore venir au jour terrible de son jugement universel. Dans le premier avènement, il a pris la qualité de Sauveur ; mais dans le second, il prendra la qualité de juge. Dans l'un, il s'est revêtu d'une chair passible et sujette à la mort ; mais dans l'autre, il paraîtra sur le trône, et revêtu de tout l'éclat d'un corps glorieux.
Quand il commença à se faire voir au monde, ce fut sous un visage aimable et plein de douceur : Ecce rex tuus venit tibi mansuetus (Matth., XXI, 5.) ; mais quand il se montrera pour la seconde fois au monde, ce sera sous le visage le plus effrayant, et la foudre à la main : Ecce dies Domini terribilis (Joël., II, 11.). Enfin, dit saint Chrysostome, dans son incarnation, il semble que son humanité eût comme, anéanti toute la gloire de sa divinité ; et dans son jugement dernier, il semble que sa divinité doive comme absorber toutes les faiblesses de son humanité. Cum venerit in majestate sua, tunc sedebit super sedem majestatis suœ.
C'est, Chrétiens, de cet avènement de terreur, de ce jugement de Dieu, que je viens aujourd'hui vous entretenir.
Mais pour vous apprendre à le craindre, je ne vous parlerai ni de la chute des étoiles, ni des éclipses du soleil et de la lune, ni de cet incendie général qui embrasera toute la terre, ni de cette confusion de tous les éléments, qui fera retomber le monde dans un nouveau chaos. Au lieu de ces phénomènes prodigieux et de ces signes éclatants, qui surprendront toute la nature, mais qui ne doivent arriver qu'à la fin des siècles, je veux vous en donner de plus simples, de plus présents, de plus naturels, et par là même de plus propres à faire impression sur vos cœurs.
Je veux vous faire connaître la rigueur du jugement de Dieu, par la rigueur de certains jugements que vous craignez tant sur la terre, et que tous avez dès maintenant à subir dans la vie. Je veux vous convaincre par vous-mêmes, et n'employer ici point d'autres preuves que vos sentiments les plus ordinaires. Ce dessein est particulier ; mais il aura de quoi vous édifier et vous toucher.
Vierge sainte, il ne sera plus temps à ce dernier jour, à ce jour des vengeances divines, d'implorer votre secours ; mais vous êtes présentement encore le refuge et l'asile des pécheurs. C'est pour cela que nous nous adressons à vous, et que nous vous disons : Ave, Maria.
Quelque disproportion qu'il y ait entre Dieu et la créature, c'est par les créatures, dit le grand Apôtre, et par les choses visibles, que nous apprenons à connaître ce qu'il y a d'invisible en Dieu : lnvisibilia enim ipsius per ea quœ facta sunt intellecta conspiciuntur (Rom., 1, 20.).
Et moi je dis, Chrétiens, appliquant à mon sujet cet excellent principe de saint Paul : Quelque disproportion qu'il y ait entre le jugement de Dieu et le jugement des hommes, c'est par les jugements des hommes que nous devons mesurer, sonder, pénétrer, et non seulement apprendre à connaître, mais à craindre le jugement de Dieu. Vous me demandez, comme les apôtres à Jésus-Christ, des présages et des signes de ce jugement redoutable, dont le Fils de Dieu nous parle dans notre évangile : Et quod signum adventus tui (Matth., XXIV, 3.)
En voici deux, mes chers auditeurs, que je vous propose d'abord, et où je renferme tout ce que j'ai à vous dire dans ce discours. La censure du monde, dont nous ne pouvons nous parer ; et la censure de nos propres consciences, que nous ne pouvons éviter : les jugements que l'on fait de nous, et celui que nous en faisons nous-mêmes. Les jugements que l'on fait de nous, et que j'appelle la censure du monde ; le jugement que nous faisons nous-mêmes, et que j'appelle la censure de notre propre conscience.
Je m'explique. Il est certain que Dieu nous jugera ; c'est ce que nous attendons, et ce qui doit être la fin du second avènement de Jésus-Christ : mais sans attendre que Jésus-Christ vienne pour nous juger, dès maintenant le monde nous juge, et dès maintenant nous nous jugeons nous-mêmes. Le monde nous juge, et combien craignons-nous ce jugement du monde ? premier préjugé de la rigueur du jugement de Dieu, et le sujet de la première partie. Nous nous jugeons nous-mêmes, et rien ne nous trouble davantage que ce jugement de notre conscience : second préjugé de la rigueur du jugement de Dieu, et le sujet de la seconde partie. Tirons donc, Chrétiens, de ce double jugement, de celui que le monde fait de nous, et de celui que nous faisons nous-mêmes de nous-mêmes, une double conjecture de l'extrême sévérité du jugement de Dieu ; ou plutôt apprenons à craindre le jugement de Dieu, et par la crainte que nous avons des jugements du monde, et par les peines que nous cause le jugement de nos propres consciences.
Tout ceci donnera lieu à des réflexions bien sensibles et bien solides.
Nous craignons les jugements du monde, je dis les jugements que le monde fait de nous ; et qui nous doit être un grand sujet de confusion et de réflexion, dans l'idée que nous nous formons de ces jugements du monde, à quoi nous sommes exposés, nous n'en craignons pas seulement l'iniquité et la malignité, mais nous en craignons encore plus la vérité ; nous n'en pouvons souffrir la liberté, nous en rapportons avec peine la sincérité, nous en redoutons l'exacte et rigide sévérité ; et quand ces jugements s'accordent sur ce qui peut nous rendre odieux et nous décrier, c'est surtout alors qu'ils nous accablent, et que nous n'en pouvons soutenir l'uniformité.
Je le répète, et je dis en peu de paroles, qui vont faire tout le fond de cette première partie : nous craignons la censure des hommes, et nous la craignons parce qu'elle n'est souvent que trop juste ; nous la craignons parce qu'elle est libre, nous la craignons parce qu'elle est sincère, nous la craignons parce qu'elle ne nous fait nulle grâce, nous la craignons, parce qu'à force de se répandre, elle devient enfin contre nous un jugement public.
Tout cela, mes chers auditeurs, nul autant de conjectures de l'extrême rigueur du jugement de Dieu, et autant d'épreuves sensibles par où Dieu semble déjà nous y disposer. Ecoutez-moi, et tâchez à tirer de là des conséquences dignes, et du sujet que je traite, et de la sainteté du christianisme que vous professez.
BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT DERNIER
Manteau de cheminée, Niccolò dell' Abbate, Château d'Ecouen