Oui, c'est par nos propres consciences que Dieu déjà nous fait notre procès, et il n'a pas besoin pour nous juger d'un autre tribunal.
Ce sont nos propres consciences qui lui fournissent contre nous des témoignages et des preuves ; et quand ma conscience me reproche que je suis un criminel, que j'ai péché contre la loi, que ce que je fais est injuste, c'est comme si Dieu me disait ce que le maître de l’Evangile dit à ce mauvais serviteur : De ore tuo te judico (Luc., XIX, 22.) ; je vous condamne par votre bouche.
Il s'ensuit donc qu'à prendre la chose dans un sens, et dans un sens très naturel, le jugement de Dieu à notre égard est déjà fait, et qu'il n'est point nécessaire que nous attendions pour cela ce dernier jour, où le Fils de l'Homme, assis sur le trône de sa gloire, portera des arrêts de vie et de mort. Car ce jugement extérieur et public que Dieu fera de nous à la fin des siècles, n'ajoutera rien à ce jugement secret et intérieur de nos consciences que l’appareil et la solennité ; et supposé la justice que nous nous serons rendue, et que nous nous rendons malgré nous dans le fond de l'âme, il ne restera plus, ce semble, au Sauveur du monde, que de produire au jour ce que nous irons caché dans les ténèbres.
C’est pourquoi l'Apôtre parlant du jugement dernier, l'appelle si souvent le jour de la manifestation des cœurs, le jour de la révélation, où le livre des consciences sera ouvert ; comme si tout le jugement de Dieu devait consister à ouvrir ce livre, et à nous faire voir que nous sommes déjà jugés par nous-mêmes et dans nous-mêmes.
Mystère que saint Augustin avait bien compris, lorsque, expliquant ces paroles de Jésus-Christ : Qui non credit jam judicatus est (Joan., III, 18.), celui qui ne croit pas est déjà jugé, il en tire cette admirable conséquence : Nondum apparuit judicium, et jam factum est judicium, le jugement de Dieu ne paraît pas encore, et il ne paraîtra qu'à la consommation des temps ; mais sans paraître, il est néanmoins déjà fait pour nous. Nous le prévenons, ou plutôt, nous n'en attendons pour ainsi dire, que la publication, parce que nous en trouvons déjà dans nous l’instruction et la décision : Nondum apparuit judicium, et jam factum est judicium.
Ah ! mes chers auditeurs, avec quelle attention, avec quelle crainte, avec quel respect ne devons-nous pas écouter la voix de la conscience, puisque c'est la voix de Dieu même, non seulement qui nous menace, mais qui nous juge ?
Cependant si cette voix secrète que Dieu nous fait entendre, sans se montrer encore à nous, toute secrète qu'elle est, nous saisit néanmoins si vivement, et nous cause tant de frayeur et d'épouvante, que sera-ce quand Dieu éclatera ? quand, au son de la trompette fatale qui réveillera les morts, et qui des quatre parties du monde rassemblera tous les hommes, il nous appellera nous-mêmes devant son tribunal ? quand, assis sur le trône, non point seulement de sa majesté, mais de sa justice, au milieu de ses ministres, et armé de son tonnerre, il se présentera lui-même à nous comme un Dieu irrité, comme un Dieu ennemi, comme un Dieu vengeur ? quand aux yeux de tout l'univers, également attentif à l'écouter et à nous considérer, il tirera de notre cœur notre condamnation pour la rendre juridique et solennelle, et que, par un dernier jugement, il viendra confirmer et, pour user de cette expression, sceller l'arrêt que nous aurons tant de fois déjà porté contre nous ?
C'est là, dit le Sage, que les pécheurs sentiront plus que jamais tout le poids de leurs péchés.
C'est là qu'ils en gémiront plus amèrement que jamais : Et erunt gementes (Sap., IV, 19.).
C'est là qu'ils en verront avec plus d'horreur que jamais et toute l'énormité et toute la honte : Et erunt in contumelia inter mortuos in perpetuum (Ibid.).
C'est là qu'ils en craindront plus que jamais les suites affreuses : Venient in cogitatione peccatorum suorum timidi (Ibid., 20.) ; qu'ils en seront accablés, qu'ils en seront désolés : Usque adsupremum desolabuntur (Ibid., 19.) ; et que la conscience, si grièvement blessée et si souvent méprisée, témoin et juge, mais témoin alors et juge public, vengera pleinement sur eux et authentiquement ses droits : Et traducent illos ex adverso iniquitates ipsorum (Ibid., 20.).
BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT DERNIER
Le Jugement Dernier (détail), Hieronymus Bosch