Conscience droite, dont nous ne pouvons dès cette vie même, ni toujours, ni absolument nous défaire.
Ceci est remarquable.
Car il ne dépend pas de nous d'avoir ou de n'avoir pas cette lumière que Dieu fait luire sur nous, et, comme parle le Prophète, qu'il a gravée dans nos âmes, en nous imprimant ce caractère de raison qui est une partie de nous-mêmes : Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine (Psalm., IV, 7.). Il ne dépend pas de nous de l'effacer, ce divin caractère.
Dès qu'il a plu à Dieu de nous donner cette droiture d'esprit, comme la première grâce et le fondement de toutes les autres grâces, quoi que nous fassions, nous avons à compter avec nous-mêmes, et il ne nous est plus libre de vivre dans cette indépendance où le libertinage voudrait bien parvenir, mais où il ne parviendra jamais tandis que cette raison subsistera.
En vain voulons-nous éteindre ce rayon qui nous éclaire ; en vain faisons-nous des efforts pour secouer le joug de la conscience, pour en étouffer la voix qui nous importune, pour en émousser les pointes qui nous piquent, pour nous endurcir contre ses remords et nous affermir contre ses reproches. C'est un censeur qui nous suit partout, qui nous accuse partout, qui nous condamne partout : nous le trouvons au milieu de nos plaisirs, et il y répand l'amertume ; nous le trouvons dans les plus nombreuses compagnies, et, malgré le tumulte et le bruit du monde, il nous fait entendre ses cris ; nous nous disons mille fois à nous-mêmes, pour nous rassurer, comme les impies : Paix, paix : Dicentes : Pax, pax (Jerem., VI, 14.) ; et mille fois la conscience nous répond : Point de paix ; guerre et mort : Et non erat pax.
Or, de là, concluait saint Augustin, j'apprends, Seigneur, ce que je dois craindre de votre justice. Car je me dis à moi-même, ajoutait ce Père : Si je ne puis éviter le jugement de ma conscience, dont les lumières, quoique pures, ne sont néanmoins encore qu'obscurité et que ténèbres, comparées à celles de Dieu, comment me défendrai-je de ce jugement, où sera employée contre moi toute la sagesse, toute la vérité, toute la science, et, ce qui doit bien plus me faire trembler, toute la sainteté de Dieu même ?
Jugement inévitable ; rien qui puisse me dérober au pouvoir du juge qui me poursuit.
Jugement irrévocable ; rien qui lui fasse changer l'arrêt qu'il aura une fois prononcé.
Jugement éternel ; autant que Dieu sera Dieu (et il le sera toujours), autant sera-t-il mon juge ; et autant qu'il sera mon juge, autant me tiendra-t-il toujours dans sa puissance, et toujours soumis à ses coups.
Mais après tout, à force de se pervertir, ne peut-on pas se faire une fausse conscience : et du moins la fausse conscience n'affaiblit-elle pas alors ou même, ne détruit-elle pas entièrement ce préjugé que nous pouvons tirer de nous-mêmes pour connaître le jugement de Dieu ?
Ecoutez ma réponse : car je conviens du principe ; mais sur ce principe je raisonne bien autrement que vous, et je prétends qu'il en doit suivre une conséquence toute contraire.
Il est vrai que, par l'aveuglement où nous jette le péché, l'on se fait tous les jours dans le monde de fausses consciences ; mais je dis que ces fausses consciences sont elles-mêmes les plus sensibles et les plus tristes préjugés du jugement de Dieu. Comment cela ? Ah ! Chrétiens, que le temps ne me permet-il de donner à cette vérité toute l'étendue qu'elle demande ! mais il y faudrait un discours entier.
En effet, ces fausses consciences que nous nous faisons, et qui se forment en nous par la corruption du péché, ne sont jamais, ou presque jamais des consciences tranquilles ; et l'expérience surtout nous apprend qu'elles ne sont point à l’épreuve ni des frayeurs de la mort, ni de certaines conjonctures de la vie, où , malgré nous, leur apparente et prétendue tranquillité est nécessairement troublée.
Or, cela même, dans la pensée de saint Augustin, est une des plus fortes conjectures et une des plus incontestables preuves du jugement de Dieu que je vous prêche et de son extrême sévérité.
BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT DERNIER
Pilate se lavant les mains, Mattia Preti