Je vous assure, déclara Jésus, qu’aucun prophète n’est bien reçu en son pays.
Je vous le dis en vérité, il y avait beaucoup de veuves dans Israël au temps d’Élie, lorsque le ciel fut fermé durant trois ans et six mois, et qu’il y eut une grande famine dans toute la terre ; et néanmoins Élie ne fut envoyé chez aucune d’elles, mais chez une femme veuve de Sarepta, dans le pays des Sidoniens. Il y avait de même beaucoup de lépreux dans Israël au temps du prophète Élisée ; et néanmoins aucun d’eux ne fut guéri, mais seulement Naaman qui était de Syrie.
Tous ceux de la synagogue de Nazareth l’entendant parler de la sorte, furent remplis de colère ; et se levant ils le chassèrent hors de leur ville, et le menèrent jusque sur la pointe de la montagne sur laquelle elle était bâtie, pour le précipiter.
Mais il passa au milieu d’eux, et se retira.
ÉVANGILE DE SAINT LUC
lundi de la troisième semaine
Outre ses erreurs et ses douceurs, le monde a encore ses rigueurs. Ce sont ces persécutions qu'il suscite à la vertu, et où elle a besoin d'une force supérieure. Car l'Apôtre a bien eu raison de dire que ceux qui veulent vivre saintement selon Jésus-Christ doivent s'attendre à de rudes combats. On a des railleries à essuyer, et mille respects humains à surmonter. On refroidit un ami et on l'indispose, en refusant d'entrer dans ses intrigues, et de s'engager dans ses entreprises criminelles. On devient un objet de contradiction pour tonte une famille, pour toute une société, pour tout un pays, parce qu'on veut y établir la règle, y maintenir l'ordre, y rendre la justice : ainsi de tant d'autres sujets. Voilà ce qui fait un des plus grands dangers du monde, et ce qui cause dans la vie humaine tant de désordres.
Car il est difficile de tenir ferme en de pareilles rencontres, et nous voyons aussi qu'on y succombe tous les jours et presque malgré soi. Un homme gémit de l'esclavage où il est, et un fond d'équité, de droiture, de conscience, qu'il a dans l'âme, lui fait désirer cent fois de secouer le joug et de s'affranchir d'une telle tyrannie ; mais le courage lui manque, et quand il en faut venir à l'exécution, toutes ses résolutions l'abandonnent. Or qui peut le déterminer, l'affermir, le mettre à toute épreuve ? c'est la religion. Avec les armes de la Foi, il pare à tous les coups, il résiste à toutes les attaques, il est invincible. Il n'y a ni amitié qu'il ne rompe, ni société dont il ne s'éloigne, ni menaces qu'il ne méprise, ni espérances, ni intérêts, ni avantages qu'il ne sacrifie à Dieu et à son devoir.
Telles sont, dis-je, les dispositions d'un homme animé de l'esprit du christianisme et soutenu de la Foi qu'il professe. C'est ainsi qu'il pense, et c'est ainsi qu'il agit. La raison est qu'étant chrétien, il ne reconnaît point, à proprement parler, d'autre maître que Dieu, ou que, reconnaissant d'autres puissances, il ne les regarde que comme des puissances subordonnées au Tout-Puissant, lequel doit être mis au-dessus de tout sans exception. Ce sentiment sans doute est généreux ; mais il ne faut pas se persuader que ce soit un pur sentiment, ni une spéculation sans conséquence et sans effet. Il n'y a rien là à quoi la pratique n'ait répondu, et dont elle n'ait confirmé mille fois la vérité. Combien de discours et de jugements, combien de mépris et d'outrages ont essuyés tant de vrais serviteurs et de vraies servantes de Dieu, plutôt que de se départir de la vie régulière qu'ils avaient embrassée, et des saintes observances qu'ils s'y étaient prescrites ? Combien d'efforts, de reproches, d'oppositions, ont surmonté de tendres enfants, et avec quelle constance ont-ils résisté à des pères et à des mères qui leur tendaient les bras pour les retenir dans le monde, et les détourner de l'état religieux ? A combien de disgrâces, de haines, d'animosités, de revers, se sont exposés, ou de sages vierges qu'on n'a pu gagner par les plus pressantes sollicitations, ou des juges intègres qu'on n'a pu résoudre par les plus fortes instances à vendre le bon droit, ou de vertueux officiers, des subalternes, des domestiques que nulle autorité n'a pu corrompre, ni retirer des voies d'une exacte probité ? Quels tourments ont endurés des millions de martyrs ? Rien ne les a étonnés : ni les arrêts des magistrats, ni la fureur des tyrans, ni la rage des bourreaux, ni l'obscurité des prisons, ni les roues, ni les chevalets, ni le fer, ni le feu. Que l'antiquité nous vante ses héros, jamais ces héros que le paganisme a tant exaltés, et dont il a consacré la mémoire, firent-ils voir une telle force ? Or d'où venait-elle ? d'où venait, dis-je, à ces glorieux soldats de Jésus-Christ cette fermeté inébranlable, si ce n'est de la religion, qu'ils portaient vivement empreinte dans le cœur ? Elle les accompagnait partout, partout elle leur servait de bouclier et de sauvegarde : miracle dont les ennemis même de la Foi chrétienne et ses persécuteurs étaient frappés. Mais nous, de tout ceci, que devons-nous conclure à notre confusion ? La conséquence, hélas ! n'est que trop évidente, et que trop aisée à tirer. C'est qu'étant si préoccupés des erreurs du monde, si épris des douceurs du monde, si timides et si faibles contre les respects et les considérations du monde , il faut ou que nous ayons bien peu de foi, ou que, notre foi même soit tout à fait morte ?
Car le moyen d'allier ensemble, dans un même sujet, deux choses aussi peu compatibles entre elles que le sont une Foi vive qui nous détrompe de toutes les erreurs du monde, et cependant ces mêmes erreurs tellement imprimées dans nos esprits, qu'elles deviennent la règle de tous nos jugements et de toute notre conduite ? Comment avec une Foi qui, dans sa morale, ne tend qu'au crucifiement de la chair et à l'abnégation de soi-même, accorder une recherche perpétuelle des douceurs du monde, de ses fausses joies, et de ses voluptés même les plus criminelles ? Enfin, par quel assemblage une Foi qui nous apprend à tenir ferme pour la cause de Dieu contre tous les raisonnements du monde, contre tous ses mépris et tous ses efforts, peut-elle convenir avec une crainte pusillanime qui cède à la moindre parole, et qui asservit la conscience à de vains égards et à des intérêts tout profanes ? Sont-ce là ces victoires que la Foi a remportées avec tant d'éclat dans les premiers siècles de l’Église ? a-t-elle changé dans la suite des temps ; et, si elle est toujours la même, pourquoi n'opère-t-elle pas les mêmes miracles ? Car au lieu que la Foi était alors victorieuse du monde, il n'est maintenant que trop ordinaire au monde de remporter sur la Foi, d'imposer silence à la Foi, de triompher de la Foi. Nous n'en pouvons imaginer d'autre cause sinon que la Foi s'est affaiblie à mesure que l'iniquité s'est fortifiée ; et parce que l'iniquité jamais ne fut plus abondante qu'elle est, ni plus dominante, de là vient aussi que la Foi jamais ne fut plus languissante ni moins agissante. Encore combien y en a-t-il chez qui elle est absolument éteinte ? et doit-on s'étonner, après cela, que cette Foi qui produisait autrefois de si beaux fruits de sainteté soit si stérile parmi nous ? Prions le Seigneur qu'il la ranime, qu'il la ressuscite, et qu'il lui fasse reprendre dans nous sa première vertu.
Travaillons nous-mêmes à la réveiller par de fréquentes et de solides réflexions. Confondons-nous de toutes nos faiblesses, et reprochons-nous amèrement devant Dieu l'ascendant que nous avons laissé prendre sur nous au monde, lorsqu'avec une étincelle de Foi nous pouvions résister à ses plus violents assauts, et repousser tous ses traits. Le Fils de Dieu rendant raison à ses disciples pourquoi ils n'avaient pu chasser un démon, ni guérir un enfant qui en était possédé, leur disait : C'est à cause de votre incrédulité (Matth., XVII, 19.) ; puis, usant d'une comparaison assez singulière : Si votre Foi, ajoutait le même Sauveur, égalait seulement un grain de sénevé, quelque petite qu'elle fut, elle vous suffirait pour transporter les montagnes d'un lieu à un autre, et tout vous deviendrait possible.
Que serait-ce donc si nous avions une Foi parfaite, et de quoi ne viendrait-on pas à bout ?
BOURDALOUE, LA FOI VICTORIEUSE DU MONDE