Seigneur, ayez pitié de mon âme !

 

Écoutez cette parabole : Il y avait un père de famille, qui ayant planté une vigne, l’enferma d’une haie, et creusant dans la terre, il y fit un pressoir, et y bâtit une tour : puis l’ayant louée à des vignerons, il s’en alla en un pays éloigné. Or le temps des fruits étant proche, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour recueillir le fruit de sa vigne. Mais les vignerons s’étant saisis de ses serviteurs, battirent l’un, tuèrent l’autre, et en lapidèrent un autre. Il leur envoya encore d’autres serviteurs en plus grand nombre que les premiers, et ils les traitèrent de même. Enfin il leur envoya son propre fils, disant en lui-même : Ils auront quelque respect pour mon fils. Mais les vignerons voyant le fils, dirent entre eux : Voici l’héritier ; venez, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage. Ainsi s’étant saisis de lui, ils le jetèrent hors de la vigne, et le tuèrent.

Lors donc que le seigneur de la vigne sera venu, comment traitera-t-il ces vignerons ?

On répondit à Jésus : Il fera périr misérablement ces méchants, et il louera sa vigne à d’autres vignerons, qui lui en rendront les fruits en leur saison.

ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU

Vendredi de la deuxième semaine

 

 

Ce n'est point un paradoxe, mais une vérité certaine, que nous n'avons point d'ennemi plus à craindre que nous-mêmes : comment cela ? parce que nul ennemi, quel qu'il soit, ne nous peut faire autant de mal, ni causer autant de dommage , que nous le pouvons nous-mêmes. Que toutes les puissances des ténèbres se liguent contre moi, que tous les potentats de la terre conjurent ma ruine, ils pourront me ravir mes biens, ils pourront tourmenter mon corps, ils pourront m'enlever la vie , et là-dessus je ne serai pas en état de leur résister ; mais jamais ils ne m'enlèveront malgré moi ce que j'ai de plus précieux, qui est mon âme. Ils auront beau s'armer, m'attaquer, fondre sur moi de toutes parts et m'accabler, je la conserverai, si je veux : et, indépendamment de toutes leurs violences, aidé du secours de Dieu, je la sauverai. Car il n'y a que. moi qui puisse la perdre ; d'où il s'ensuit que je suis donc plus redoutable pour moi que tout le reste du monde , puisqu'il ne tient qu'à moi de donner la mort à mon âme, et de l'exclure du royaume de Dieu.

 

D'autant plus redoutable que je me suis, toujours présent à moi-même, parce que je me porte partout moi-même, et avec moi toutes mes passions, toutes mes convoitises, toutes mes habitudes et mes mauvaises inclinations. Aussi, quand je demande à Dieu qu'il me défende de mes ennemis, je lui demande, ou je dois surtout lui demander qu'il me défende de moi-même. Et de ma part, pour me mettre moi-même en défense, autant qu'il m'est possible, je dois me comporter envers moi comme je me comporterais envers un ennemi que j'aurais sans cesse à mes côtés, et dont je ne détournerais jamais la vue ; dont j'observerais jusqu'aux moindres mouvements ; sur qui je tâcherais de prendre toujours l'avantage, sachant qu'il n'attend que le moment de me frapper d'un coup mortel. Celui qui hait son âme dans la vie présente, disait en ce sens le Fils de Dieu, la gardera pour la vie éternelle (Joan., XII, 25.1). Triste , mais salutaire condition de l'homme, d'être ainsi obligé de se tourner contre soi-même, et de ne pouvoir se sauver que par une guerre perpétuelle avec soi-même, que par la haine de soi-même !

 

Nous disons quelquefois à Dieu, dans l'ardeur de la prière : Seigneur, ayez pitié de mon âme ! Les plus grands pécheurs le disent a certains moments où les pensées et les sentiments de la religion se réveillent dans eux, et où ils voient le danger et l'horreur de leur état : Ah ! Seigneur, ayez pitié de mon âme. Mais Dieu, par la parole du Saint-Esprit et par la bouche du Sage, nous répond : Ayez-en pitié vous-même de cette âme que j'ai confiée à vos soins, et qui est votre âme  : Miserere animae tuae. (Eccli., XXX, 24) ! Je l'ai formée à mon image, je l'ai rachetée de mon sang, je l'ai enrichie des dons de ma grâce, je l'ai appelée à ma gloire, je veux la sauver ; et si elle s'écarte de mes voies, des voies de ce salut éternel que je lui ai proposé comme sa fin dernière et le terme de ses espérances, je n'omets rien pour la ramener de ses égarements, pour la relever de ses chutes, pour la purifier de ses taches, pour la guérir de ses blessures, pour la ressusciter par la pénitence, et pour lui rendre la vie. N'est-ce pas là l'aimer ? n'est-ce pas en avoir pitié ? Mais vous, vous la défigurez, vous la profanez, vous la sacrifiez à vos passions, vous la perdez, et tout cela par le péché. N'est-ce donc pas a vous-même qu'on doit dire: Ayez pitié de votre âme ? Ayez-en pitié, d'autant plus que c'est la vôtre. Quand ce serait l'âme d'un étranger, l’âme d'un infidèle et d'un païen, l’âme de votre ennemi, vous devriez être sensible à sa perte, et vous souvenir que c'est une âme pour qui Jésus-Christ est mort. Mais outre cette raison générale, il y en a une beaucoup plus particulière à votre égard, dès que c'est de votre âme, que c'est de vous-même qu'il s'agit. Est-il rien de plus misérable qu'un misérable qui n'est pas touché de sa misère, et qui n'a nulle pitié de lui-même : Quid miserius misero non miserante seipsun (Aug.) ?

 

BOURDALOUE, PENSÉES SUR DIVERS SUJETS DE RELIGION ET DE MORALE

La chaire de Saint Paul - Saint Louis à Paris où prêchait Bourdaloue

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