SUR LE JUGEMENT DERNIER : la vérité, et la vérité toute nue, la vérité avec toute son amertume

Poursuivons.

 

Comme nous craignons la vérité et la liberté des jugements du monde, nous n'en pouvons supporter la sincérité, ni même la fidélité.

 

Je m'explique : un ami sincère et fidèle, à force d'être fidèle et sincère, nous devient odieux. Nous le voulons fidèle, mais fidèle avec discrétion, fidèle avec circonspection, fidèle avec précaution : nous voulons qu'il soit sincère, mais sincère jusqu'à un certain point. Où est celui qui le voulût autrement et sincère et fidèle, qu'à ces conditions ? c'est-à-dire, où est l'homme assez sûr de lui-même, ou assez solidement humble, qui, touché du désir de se connaître, s'accommodât d'un ami fidèle sans prudence, d'un ami dont l'ingénuité allât jusques à la simplicité, jusques à l'importunité ? Un ami de ce caractère, pour peu que nous nous sentions faibles, et que la vérité nous blesse, nous est plus incommode qu'un ennemi. Car, au moins, sommes-nous en droit de n'en pas croire un ennemi ; s'il nous condamne, nous pouvons penser que c'est prévention, aversion, jalousie ; mais d'un ami dont on ne peut ni accuser ni soupçonner les intentions, certain trait de sincérité est comme un coup de foudre qui nous écrase.

 

Appliquons ceci, mes Frères, au jugement de Dieu.

 

Nous voulons dans nos amis de la fidélité ; mais nous prétendons, bien ou mal, qu'une partie de leur fidélité doit consister à nous être quelquefois un peu moins fidèles. Nous prétendons que s'il s'agit de certaines vérités assommantes (pardonnez-moi cette expression), le devoir d'un ami, quoique sincère, est de nous les adoucir, de les envelopper, de nous y préparer, de bien prendre et son temps et le nôtre pour nous les faire entendre.

 

Telles sont les lois de la société.

 

Or, Dieu, mes chers auditeurs, indépendamment de ces lois, nous jugera selon les siennes. Car, sans adoucissement, sans déguisement, il nous fera voir la vérité, et la vérité toute nue, la vérité avec toute son amertume, la vérité avec tout son poids, la vérité avec tout ce qu'elle aura de plus douloureux et de plus désolant pour nous.

 

Vue affligeante par où Dieu punira ces délicatesses, ou, pour mieux dire, ces honteuses faiblesses à ne la pouvoir écouter, quand elle mortifiait notre orgueil ; ces artifices à l'éluder, quand elle troublait notre repos ; cette obstination à vouloir l'ignorer, quand elle avait de quoi nous déplaire.

 

Vue par où Dieu confondra ces erreurs grossières où nous aurons vécu, ce profond oubli de nous-mêmes, où le mensonge et la flatterie nous aura entretenus. Existimasti, inique, quod ero tui similis ; arguam te, et statuam contra faciem tuam (Psalm., XLIX, 21.).

 

Vous vous promettiez, dira Dieu (paroles foudroyantes), vous vous promettiez, et vous étiez assez insensé pour croire que je serais d'intelligence avec vous ; que, comme vous preniez plaisir à vous aveugler, en éteignant toutes les lumières qui vous éclairaient, j'aurais assez d'indulgence pour favoriser votre aveuglement, sans vous forcer jamais à ouvrir les yeux. Mais en cela vous ne m'avez pas connu. Car étant ce que je suis, et comme juge souverain ne pouvant me dispenser de vous faire voir ce que vous êtes et de vous en convaincre, je vous reprendrai, arguam te ; et, par la censure de mon jugement, je suppléerai aux conseils fidèles que vous avez rejetés, aux sages remontrances que vous avez négligées, aux répréhensions salutaires de ceux qui voulaient et qui devaient vous redresser, mais dont votre indocilité a refroidi et comme anéanti le zèle.

 

Arguam te, je vous reprendrai, et parce que vous n'avez pas voulu profiter de la sincérité des hommes, ni pour vous corriger, ni pour vous instruire, je vous exposerai, je vous produirai vous-même devant vous-mêmes : Et statuam contra faciem tuam.

 

Ce n'est pas assez, Chrétiens ; et ce préjugé, dont le fond est inépuisable, me fournit encore quelque chose de plus essentiel.

 

BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT DERNIER

 

La vérité, Le Bernin, Galleria Borghese, Rome 

 

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