SUR LE JUGEMENT DERNIER : ce tribunal où toutes les nations du monde comparaîtront

Achevons.

 

Ce qu'il y a d'insoutenable dans la censure du monde, c'est qu'elle soit générale, et qu'elle devienne contre nous un jugement public.

 

Qu'il me soit encore permis de m'expliquer.

 

Nous voir décriés dans l'opinion d'un petit nombre de personnes, c'est une peine ; mais une peine que nous soutenons, parce que nous trouvons de quoi nous dédommager dans l'estime de plusieurs autres dont les jugements nous sont ou plus favorables, ou moins contraires.

 

Mais quand le décri est universel, et que tous les sentiments s'accordent contre nous ; quand notre réputation est absolument ruinée, que notre conduite est en horreur à tous les gens de bien, qu'on n'ose plus prendre dans le monde notre parti, que les plus modérés et les plus sensés nous condamnent ; que nos amis même, réduits à se taire, en disent plus par leur silence que ceux qui se déclarent ouvertement : ah ! Chrétiens, ce déchaînement général est une espèce de réprobation à laquelle nous succombons, et qui nous paraît plus affreuse que la mort.

 

Je sais qu'il y a des âmes peu sensibles à tout ce qui s'appelle honneur, et peut-être me direz-vous qu'il y en a même sans pudeur ; je sais qu'il y a des pécheurs qui ne rougissent de rien, et qui se sont fait un front sur tout : mais, outre que ce sont des monstres qui ne peuvent servir d'exemple ; outre que nul de ceux qui m'écoutent ne voudrait avoir part à ce honteux privilège d'insensibilité, et, pour user des termes propres, d'impudence et d'effronterie ; toujours est-il vrai, même pour le plus hardi pécheur, que ce qu'il soutiendrait le moins, ce serait d'être regardé comme l'objet de l'abomination et de la haine publique ; d'être méprisé, abhorré, détesté de tout ce qui l'environne : toujours est-il vrai que pour les âmes bien nées, ce serait le comble de tous les maux.

 

Or, maintenant, dans quelque décri que nous soyons, il n'est jamais complet ni uniforme. En perdant l'estime des uns, nous conservons encore celle des autres ; pour un qui sait notre désordre, cent l'ignorent, cent ne le croient pas, cent le pardonnent et l'excusent. Tel à la cour est abîmé, qui garde ailleurs tout son crédit ; tel est diffamé dans un pays, qui marche dans un autre la tête levée ; et il n'y a point enfin de réputation tellement détruite, qu'elle ne trouve encore dans le monde quelques partisans pour en sauver les débris.

 

Mais au jugement de Dieu, nulle ressource pour le pécheur : pourquoi ? parce que Dieu, réprouvant le pécheur, répandra dans tous les esprits l'horreur qu'il en a lui-même conçue ; parce que toutes les créatures intelligentes, prenant contre le pécheur le parti de Dieu, non seulement le condamneront avec Dieu, mais s'uniront avec Dieu pour le haïr, selon cet arrêt prononcé par le Saint-Esprit : Et pugnabit cum illo orbis terrarum contra insensatos (Sap., V, 21.).

 

Un criminel que l'on conduit au supplice après la sentence de mort portée contre lui est une image, quoique imparfaite, de la réprobation de Dieu, parce qu'alors il est juridiquement et publiquement diffamé, et qu'on a droit de le regarder comme un sujet de malédiction et d'opprobre.

 

La justice des hommes va jusque-là.

 

Que sera-ce donc quand Dieu aura ouvert ce tribunal, où toutes les nations du monde comparaîtront, et qu'il y produira le réprouvé, pour en faire l'objet éternel de leur mépris et de leur exécration ?

 

Ah ! mes chers auditeurs, nous ne le comprenons pas ; mais il faut que ce soit quelque chose de bien, terrible, puisque Dieu lui-même affecte si souvent de nous en menacer par la bouche de ses prophètes : Ostendam gentibus nuditatem tuam et regnis ignominiam tuam (Nahum, III, 5.).

 

 BOURDALOUE, SUR LE JUGEMENT DERNIER

 

Le Jugement Dernier, Hieronymus Bosch

 

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