Cependant tous ceux qui étaient demeurés au camp avaient fidèlement persévéré dans leurs efforts, et, continuant à travailler avec le plus grand zèle à la confection de leurs machines, ils avaient poussé leur entreprise fort avant.
Le duc de Lorraine et les comtes de Flandre et de Normandie choisirent un homme noble et illustre, le seigneur Gaston de Béarn, et lui confièrent la surveillance générale des travaux, avec mission d'employer tous ses soins à la direction des ouvriers, afin d'éviter toute négligence. Pendant ce temps ils sortaient eux-mêmes très souvent à la tête de forts détachements, conduisant le peuple à leur suite pour faire couper des bois et les faire transporter ensuite au camp pour les divers ouvrages dont on avait besoin. Les uns coupaient et entassaient ensuite des branches d'arbrisseaux ou de petits arbres et des liens d'osier pour faire tresser des claies destinées à servir d'enveloppe extérieure aux machines. Les autres cherchaient les cadavres des animaux tués ou morts par suite de la sécheresse et du défaut de boisson, prenaient tous ceux qu'ils trouvaient, sains ou malades indifféremment, et lès dépouillaient de leur peau pour en revêtir les claies qui devaient-être mises sur les machines, et pour les défendre par ce moyen du danger des feux que l'ennemi pourrait lancer.
Tandis que du côté du nord de la ville les travaux se poussaient avec activité par les soins du duc de Lorraine et des deux comtes, d'un autre côté et sur toute la ligne qui s'étendait depuis la tour angulaire jusqu'à la porte occidentale, située sous la citadelle de David, Tancrède et les autres nobles qui avaient dressé leurs tentes avec lui déployaient la même sollicitude et pressaient leurs ouvrages avec une égale ardeur.
Au midi, l'armée du comte de Toulouse et, tous ceux qui servaient sous ses ordres ne montraient pas moins d'empressement à suivre l'impulsion générale. Ils étaient même d'autant plus animés au travail que le comte avait plus de richesses que les autres et qu'il avait reçu dernièrement de nouveaux renforts, tant en hommes qu'en approvisionnements de tous les objets dont il pouvait avoir besoin. Les gens arrivés des vaisseaux étaient venus se réunir aux troupes qui formaient son camp et lui avaient apporté tous les matériaux ou les instruments nécessaires pour les constructions qu'il faisait faire. Ils avaient, en effet, des cordes, des marteaux, et beaucoup d'autres outils en fer ; de plus, les excellents ouvriers, qui étaient arrivés aussi, avaient une grande habitude de tous les travaux de constructions et de machines, et ils rendirent de grands services aux Croisés, en leur enseignant des procédés plus prompts. Les Génois qui avaient débarqué à Joppé étaient commandés par un noble, nommé Guillaume, surnommé l'Ivrogne, qui avait beaucoup d'habileté pour tous les travaux d'art.
Déjà l'armée entière travaillait depuis quatre semaines avec un zèle infatigable, et les ouvrages étaient terminés dans tout le camp. Les princes tinrent alors conseil et déterminèrent un jour pour livrer l'assaut. Mais comme il s'était élevé de graves querelles entre le comte de Toulouse et le seigneur Tancrède, et quelques autres nobles, à la suite de certains témoignages d'inimitié, les évêques, les princes et le peuple s'accordèrent pour désirer que la paix fût d'abord rétablie entre eux, afin que tous ensemble pussent implorer les secours divins dans toute la sincérité de leurs coeurs.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES, BnF - Gallica
La ville de Jérusalem au Moyen Âge, W. Turner, 1834