Dès que le jour eut paru, tous les Croisés, revêtus de leurs armes, s'avancèrent, conformément aux ordres qu'ils avaient reçus,
pour commencer l'attaque, animés d'un seul et même esprit, et chacun d'eux résolu à périr pour le Christ, ou à conquérir la liberté de la cité chrétienne.
Au milieu d'un peuple si nombreux, on ne voyait pas un vieillard, pas un homme faible ou jeune encore, que le zèle de sa cause
et la ferveur de sa dévotion n'entraînât au combat ; les femmes mêmes, oubliant leur sexe et leur faiblesse ordinaire, se mêlaient aux travaux des hommes, et se hasardaient au maniement des
armes, sans vouloir consulter leurs forces. Tous, s'avançant d'un commun accord pour engager le combat, s'appliquèrent d'abord à rapprocher des murailles les machines qu'ils avaient disposées,
afin de pouvoir attaquer plus facilement et avec plus d'avantage ceux qui leur étaient opposés sur les tours et les remparts. Les assiégés cependant, résolus de leur côté à résister de toutes
leurs forces à leurs adversaires, lançaient une quantité innombrable de flèches, de traits et de pierres de diverses dimensions qu'ils jetaient avec les mains, ou qui partaient de leurs machines,
et tombaient dans les rangs avec un horrible fracas, faisant ainsi tous leurs efforts pour défendre l'approche de leurs murs.
Les nôtres, à leur tour, protégés par leurs boucliers, et portant en avant les claies qu'ils avaient tressées, lançaient une
grande quantité de traits avec leurs arcs ou leurs balistes, faisaient rouler dans les airs des pierres grosses comme le poing, et s'avançaient avec intrépidité vers les murailles, ne laissant
aucun moment de repos aux assiégés, et cherchant à abattre leur courage. Enfermés dans leurs machines, les uns s'efforçaient avec de longs crochets à faire marcher la tour mobile ; d'autres
dirigeaient d'énormes masses de rochers contre les murailles pour les ébranler à force de coups, et parvenir ainsi à les renverser : d'autres encore, avec de plus petits instruments qu'on nommait
manganes, lançaient de plus petites pierres contre ceux qui garnissaient les remparts, pour arrêter l'activité de leurs efforts contre les assaillants.
Cependant ceux qui travaillaient à porter le camp en avant ne pouvaient parvenir à l'exécution de leurs desseins, à cause d'un
fossé large et profond qui se trouvait au dessous des remparts, et qui empêchait les machines d'aborder ; ceux qui lançaient toutes sortes de projectiles ne réussissaient pas non plus à les
ébranler, et les travaux des uns et des autres n'avaient que peu de résultats. Les assiégés avaient suspendu au haut de leurs remparts des sacs remplis de paille, des cordes, des tapis, des
matelas garnis de soie, qui portaient un peu en avant des-murailles, appuyant sur d'énormes poutres, en sorte que ces objets mobiles et élastiques en même temps défendaient les murs de la
violence des chocs qu'on dirigeait sur eux, et rendaient à peu près inutiles les efforts des assiégeants. Ils avaient en outre dressé, au dedans des remparts, des machines en plus grand nombre
que n'en avaient les Croisés, et s'en servaient pour lancer une grande quantité de flèches et de pierres qui interrompaient toutes les attaques.
Ainsi, de toutes parts, on combattait avec la plus grande ardeur, et tous faisaient à l'envi des efforts extraordinaires. Cette
horrible mêlée, dont il est difficile même de se faire une idée exacte, dura depuis le matin jusqu'au soir. Une grêle de traits et de flèches pleuvait sans relâche sur les deux armées ; les
pierres et les rochers lancés dans les airs s'entrechoquaient fréquemment, et répandaient la mort dans les rangs opposés avec une variété infinie d'accidents. Les mêmes fatigues, les mêmes
dangers se rencontraient également et dans le camp du duc de Lorraine, et dans celui du comte de Toulouse, et dans celui où commandaient les autres princes. Sur chacun de ces trois points
d'attaque, les Croisés combattaient avec le même zèle et la même ardeur. Leurs plus grands efforts avaient pour objet de combler les fossés à force de les remplir de décombres, de pierres et de
terre, afin de pouvoir se faire un chemin, et pousser leurs machines en avant ; et, de leur côté, les assiégés s'appliquaient principalement à faire échouer cette tentative, et ne négligeaient
rien pour y parvenir. Ils travaillaient avec la plus grande activité à repousser tous ceux qui s'avançaient vers les fossés, lançaient en même temps sur les machines des torches enflammées, des
traits trempés dans le soufre, dans l'huile, enduits de poix résine, et toutes sortes de matières propres à entretenir la flamme, afin de détruire par le feu ces instruments d'attaque.
Leurs machines, établies derrière les remparts, lançaient en outre contre les tours mobiles des Croisés une quantité de
projectiles dirigés avec tant d'habileté qu'elles en étaient ébranlées sur leurs bases ; leurs flancs résistaient avec peine à tant de chocs ; et ceux qui étaient montés sur la partie supérieure
pour livrer l'assaut, en étaient tout étourdis, et se voyaient sans cesse exposés à être renversés par terre. Pendant ce temps, tes soldats se précipitaient pour éteindre le feu, et versaient de
l'eau en abondance sur leurs machines.
GUILLAUME DE TYR, HISTOIRE DES CROISADES,
BnF - Gallica
The siege of Jerusalem (7th to 15th July 1099) during the first crusade, A. Hoffmann, 1933