Homélie de Frère Pierre-Marie à la Fête de Tous les Saints, en l'église Saint Gervais à Paris le 1er novembre
2012
Nous célébrons aujourd’hui une fête solennelle.
Une grande fête remplie d’espérance et d’allégresse. Une fête qui nous concerne tous, puisque est celle de tous ceux qui nous ont
précédés et qui peuplent déjà le Royaume de Dieu où nous sommes appelés à entrer un jour.
Vivant désormais près de Dieu, où ils intercèdent pour nous, ils constituent tous ensemble l’Église du ciel. Cette Jérusalem
d’en haut, ouverte à tous ceux et celles qui auront vécu les béatitudes. Ces béatitudes proclamées par Jésus (Mt 5,1-11) et qui sont comme le joyau et la source de tout
l’Évangile.
Par sa Révélation, le visionnaire de l’Apocalypse nous ouvre tout d’abord un peu du ciel. C’est pour nous que le Seigneur lui
a montré ce qui nous attend au-delà de notre passage ici-bas. C’est dire avec quelle attention nous pouvons écouter ces paroles !
J’aperçus d’abord quatre anges debout aux quatre coins de la terre
retenant les quatre vents (c’est-à-dire toute espèce de mal) (Ap 7,1).
Le premier ciel et la première terre, où nous sommes, auront disparu
pour laisser la place à un ciel nouveau et une terre nouvelle.
De mort, de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus (Ap 21,1-4).
Manière poétique de dire les choses, certes ; mais quelle vision pleine d’espérance pour le monde à venir !
Et la vision se poursuit par la révélation du nombre des enfants d’Israël, marqués du sceau du salut.
Cent quarante quatre mille de toutes les tribus (7,4).
Ce qui est une façon de dire que tout le peuple biblique, une fois converti à la parole du Christ, sera appelé au salut. Car
Dieu est fidèle à ses promesses et ne renie pas ses alliances.
Après quoi voici qu’apparut à nos yeux une foule immense
impossible à dénombrer, de toute nations,
races, peuples et langues, devant le trône de l’Agneau rédempteur.
Ce qui est aussi une très belle façon de rappeler la promesse du salut universel. On est confondu d’optimisme et
d’allégresse devant ce que Dieu destine à ses enfants. Pourvu, bien sûr, qu’ils restent ou deviennent enfin fidèles à sa parole. Et cela au-delà de tout espace et de toute durée
dans le temps !
Voilà, frères et sœurs, ce qu’il nous faut savoir contempler, quand, déjà sur cette terre, nous regardons vers le Royaume des
cieux. Ce n’est pas un simple repos d’une banale existence sans fin qui nous attend, mais une avancée de gloire en gloire, dans la gloire infinie de Dieu !
Et nous chanterons avec les anges et les saints ce bonheur de plénitude. Voilà le terme heureux de notre vie ainsi révélé.
Frères et sœurs, la mort n’est qu’un passage et le Christ l’a déjà vécue pour nous. Il sera encore présent à cette heure, près de
chacun de nous. Et nous entrerons – c’est écrit, vous le savez ! – de toute notre plénitude dans toute la plénitude de Dieu (Ep 3,19). Le passage sera peut-être un peu rude, mais
il n’y a pas de quoi s’en attrister. Ils sont des milliers et des milliers de myriades à nous attendre sur l’autre rive : celle de la lumière et de l’amour. Et, à cette heure-là,
la grâce de Dieu ne nous fera pas défaut !
Saint Jean, dans sa première lettre, sous l’inspiration de l’Esprit Saint, complète cette Révélation. Il le fait en des
termes d’une simplicité extrême, mais d’une élévation et d’une profondeur inouïes. Tout commence par une proclamation de foi pleine d’enthousiasme :
Voyez quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu, car nous le sommes (1 Jn 3,1a).
Le cœur rempli d’une tendresse débordante, Jean continue en disant :
Bien-aimés, dès maintenant nous sommes enfants de Dieu
et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3,2).
Nous comprenons volontiers que nous soyons appelés dès maintenant enfants de Dieu. L’Écriture nous le dit clairement quand
elle affirme :
L’Esprit en personne – qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! –
se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. Enfants et donc héritiers (Rm 8,16).
Jésus lui-même nous l’a dit en proclamant :
Vous n’avez qu’un seul Père, le Père céleste (Mt 23,9).
Et il précise : mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (Jn 20,17).
Nous comprenons plus aisément encore que ce que nous serons n’a pas encore été manifesté (1 Jn 3,2b). Il suffit de regarder
notre existence pour le constater ! Mais la suite des paroles de Jean reste aussi merveilleuse que mystérieuse :
Nous savons que, lors de cette manifestation, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est
(3,2c).
Pourquoi lui serons-nous semblables parce que nous le verrons tel qu’il est ? Tout simplement parce qu’on ne peut voir Dieu sans
mourir. Son image nous est laissée. Mais nous avons perdu sa ressemblance. La reconquérir est l’œuvre de toute une vie. Il faut mourir pour vivre. Mourir à tout ce qui n’est pas de
Dieu.
Voilà pourquoi l’apôtre Paul déclare :
Chaque jour, frères, je meurs (1 Co 15,31).
À ce monde qui passe et à ce vieil homme qui tombe en ruines. Alors, peu à peu, nous retrouverons, à la suite de son Fils, sa
ressemblance.
Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu ! (Mt 5,8).
Brûlés au feu d’une vie de sainteté, c’est-à-dire de séparation du péché, nous pourrons, déjà, avec sa grâce, lui devenir de plus
en plus semblables. Notre mort, inéluctable pour tout homme, nous lavera à la fin de toutes les œuvres mortes, comme dit l’Écriture. Elles n’ont que faire en son Royaume !
En contemplant son visage, dans le face à face (2 Co 13,12), nous nous reconnaîtrons en lui et lui en nous. Il se
reconnaîtra en nous et nous en lui, et nous le verrons tel qu’il est. C’est-à-dire comme un Dieu d’amour, de miséricorde, de sainteté, de lumière et de beauté.
Quiconque a cette espérance en lui se rend pur comme celui-là est pur (1 Jn 3,4).
Nous n’avons pas fini de méditer sur ce verset de saint Jean. Un des plus beaux et des plus lumineux du Nouveau Testament.
Tout culmine dans la proclamation des béatitudes. Nous sommes là au sommet et à la base de l’Évangile du Christ.
Heureux ! Heureux !
Quelle grâce que tout commence par ce mot qui revient neuf fois dans sa bouche ! C’est son premier mot adressé à la foule, dans
l’Évangile selon saint Matthieu. On ne saurait mieux dire combien, pour Dieu, le bonheur nous est promis !
Mais pas à n’importe quel prix. La Béatitude se reçoit et se conquiert, mais par le chemin des béatitudes. Comprenons donc bien ce
qu’elles nous disent. Oui, heureux les pauvres, dont la vie est toute abandonnée à la conduite de l’Esprit, car ils s’amassent déjà un trésor dans le ciel (7,9).
Heureux les doux et humbles de cœur, car ils héritent de la terre nouvelle où la justice habitera (2 P 3,13).
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce que ces justes devant les hommes seront éternellement justifiés
par Dieu.
Heureux ceux qui, mus par la miséricorde et le pardon, obtiendront la rémission de toutes leurs fautes par le Père des
miséricordes (2 Co 1,3).
Heureux ceux qui, par la pureté et la droiture de leur vie, ont obtenu ce clair regard qui leur donnera un jour de voir
Dieu.
Heureux les messagers, les artisans et les défenseurs de la paix, car ils seront éternellement appelés fils de Dieu par le Prince
de la paix.
Heureux ceux qui sont persécutés parce qu’ils vivent et promeuvent la justice, car d’ores et déjà leur sont ouvertes les portes du
Royaume des cieux.
Heureux enfin ceux qui, par amour et pour la foi, se sont donnés jusqu’au martyre, car en perdant leur vie à cause du Christ, elle
est déjà sauvée en Dieu.
Le plus beau de cette proclamation du Sauveur du monde, c’est qu’elle n’est pas spécialement chrétienne. Même si, au total,
elle représente la figure la plus parfaite du Seigneur Jésus : lui, par excellence, le pauvre, le doux, le pacifique, le cœur pur. Tout homme peut donc se sentir appelé et en
vivre. Le Royaume des ceux lui sera ouvert au bout de sa route !
Frères et sœurs, quelle joie de savoir qu’un ciel nous attend, qui sera un jour, pour chacun de nous et tous ensemble, une
Béatitude sans fin. Voilà le christianisme !
C’est dans la perspective de cette Jérusalem nouvelle et éternelle qu’a été fondée notre première Fraternité de Jérusalem sur
terre. C’était il y a trente-sept ans aujourd’hui, Solennité de tous les saints. Ici même, à Saint-Gervais de Paris.
Dieu en soit béni ! Amen, Alléluia !
Des béatitudes de la terre à la béatitude du ciel - Les homélies des frères de
Jérusalem