C'est qu'en effet cette doctrine de l'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge a toujours existé dans l'Eglise ; l'Eglise, par la
très grave autorité de son sentiment, par son enseignement, par son zèle, sa science et son admirable sagesse, l'a de plus en plus mise en lumière, déclarée, confirmée et propagée d'une manière
merveilleuse chez tous les peuples et chez toutes les nations du monde catholique ; mais, de tout temps, elle l'a possédée comme une doctrine reçue des Anciens et des Pères, et revêtue des
caractères d'une doctrine révélée.
Les plus illustres monuments de l'Eglise d'Orient et de l'Eglise d'Occident, les plus vénérables par leur antiquité, en sont le
témoignage irrécusable. Toujours attentive à garder et à défendre les dogmes dont elle a reçu le dépôt, l'Eglise de Jésus‑Christ n'y change jamais rien, n'en retranche jamais rien, n'y ajoute
jamais rien; mais portant un regard fidèle, discret et sage sur les enseignements anciens, elle recueille tout ce que l'antiquité y a mis, tout ce que la foi des Pères y a semé.
Elle s'applique à le polir, à en perfectionner la formule de manière que ces anciens dogmes de la céleste doctrine reçoivent
l'évidence, la lumière, la distinction, tout en gardant leur plénitude, leur intégrité, leur caractère propre, en un mot, de façon qu'ils se développent sans changer de nature, et qu'ils
demeurent toujours dans la même vérité, dans le même sens, dans la même pensée.
Or, les Pères et les écrivains ecclésiastiques, nourris des
paroles célestes, n'ont rien eu plus à cœur, dans les livres qu'ils ont écrits pour expliquer l'Ecriture, pour défendre les dogmes et instruire les fidèles, que de louer et d'exalter à l'envi, de
mille manières et dans les termes les plus magnifiques, la parfaite sainteté de Marie, son excellente dignité, sa préservation de toute tache du péché et sa glorieuse victoire sur le cruel ennemi
du genre humain.
C'est ce qu'ils ont fait en expliquant les paroles par lesquelles Dieu, annonçant dès les premiers jours du monde les remèdes préparés
par sa miséricorde pour la régénération et le salut des hommes, confondit l'audace du serpent trompeur, et releva d'une façon si consolante l'espérance de notre race. Ils ont enseigné que par ce
divin oracle : "Je mettrai l'inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne" (Gen. III, 15.) Dieu avait clairement et ouvertement montré à l'avance le miséricordieux
Rédempteur du genre humain, son Fils unique, Jésus-Christ, désigné sa bienheureuse Mère, la Vierge Marie, et nettement exprimé l'inimitié de l'un et de l'autre contre le démon. En sorte que,
comme le Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, détruisit, en prenant la nature humaine, l'arrêt de condamnation qui était contre nous et l'attacha triomphalement à la croix ; ainsi la Très
Sainte Vierge, unie étroitement, unie inséparablernent avec lui, fut, par lui et avec lui, l'éternelle ennemie du serpent venimeux, le vainquit, le terrassa sous son pied virginal et sans tache,
et lui brisa la tête.
Cette éclatante et incomparable victoire de la Vierge, cette
innocence, cette pureté, cette sainteté par excellence, cette exemption de tout péché, cette grandeur et cette ineffable abondance de toutes les grâces, de toutes les vertus, de tous les
privilèges dont elle fut comblée, les mêmes Pères les ont vus, soit dans cette arche de Noé qui seule, divinement édifiée, a complètement échappé au commun naufrage du monde entier (Gn VI-IX) ;
soit dans l'échelle que contempla Jacob, dans cette échelle qui s'éleva de la terre jusqu'au ciel, dont les anges de Dieu montaient et descendaient les degrés, et sur le sommet de laquelle
s'appuyait Dieu lui‑même (Gn XXVIII, 12) ; soit dans ce buisson ardent que Moïse vit brûler dans un lieu saint, et qui, loin d'être consumé par les flammes pétillantes, loin d'en éprouver même la
moindre altération, n'en était que plus vert et plus florissant (Exode III, 2) ; soit dans cette tour inexpugnable à l'ennemi et de laquelle pendent mille boucliers et toute l'armure des forts
(Cant. IV, 4) ; soit dans ce jardin fermé qui ne saurait être profané et qui ne craint ni les souillures, ni les embûches (Cant. IV, 12) ; soit dans cette cité de Dieu tout étincelante de clartés
et dont les fondements sont assis sur les montagnes saintes (Ps 86,1); soit dans cet auguste temple de Dieu tout rayonnant des splendeurs divines et tout plein de la gloire du Seigneur (Is.VI,
1-4); soit enfin dans une foule d'autres figures de ce genre qui, suivant les Pères, ont été les emblèmes éclatants de la haute dignité de la Mère de Dieu, de sa perpétuelle innocence, et de
cette sainteté qui n'a jamais souffert la plus légère atteinte.
Pour décrire ce même assemblage de tous les dons célestes et
cette originelle intégrité de la Vierge, de laquelle est né Jésus, les mêmes Pères, empruntant les paroles des prophètes, ont célébré cette auguste Vierge, comme la colombe pure, comme la sainte
Jérusalem, comme le trône élevé de Dieu, l'arche de la sanctification et la demeure que s'est bâtie l'éternelle Sagesse ; comme la Reine qui, comblée des plus riches trésors et appuyée sur son
bien-aimé, est sortie de la bouche du Très‑Haut, parfaite, éclatante de beauté, entièrement agréable à Dieu, sans aucune tache, sans aucune flétrissure.
Ce n'est pas tout, les mêmes Pères, les mêmes écrivains
ecclésiastiques ont médité profondément les paroles que l'ange Gabriel adressa à la Vierge Bienheureuse lorsque, lui annonçant qu'elle aurait l'honneur insigne d'être la Mère de Dieu, il la
nomma "Pleine de grâces" (Lc 1, 28), et considérant ces paroles prononcées au nom de Dieu même et par son ordre, ils ont enseigné que par cette solennelle salutation, salutation singulière
et inouïe jusque‑là, la Mère de Dieu nous était montrée comme le siège de toutes les grâces divines, comme ornée de toutes les faveurs de l'Esprit divin, bien plus, comme un trésor presque infini
de ces mêmes faveurs, comme un abîme de grâce et un abîme sans fond, de telle sorte qu'elle n'avait jamais été soumise à la malédiction, mais avait partagé avec son Fils la perpétuelle
bénédiction qu'elle avait méritée d'entendre de la bouche d'Elisabeth, inspirée par l'Esprit-Saint : "Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni." (Lc 1,
42)
De là ces pensées, exprimées aussi unanimement qu'éloquemment
par les mêmes Pères, que la très glorieuse Vierge, Celle en qui le Tout‑Puissant a fait de grandes choses, a été comblée d'une telle effusion de tous les dons célestes, d'une telle plénitude de
grâces, d'un tel éclat de sainteté, qu'elle a été comme le miracle ineffable de Dieu, ou plutôt le chef‑d'œuvre de tous les miracles ; qu'elle a été la digne Mère de Dieu, qu'elle s'est approchée
de Dieu même autant qu'il est permis à la nature créée, et qu'ainsi elle est au‑dessus de toutes les louanges, aussi bien de celles des anges, que de celles des hommes. C'est aussi pour cela,
qu'afin d'établir l'innocence et la justice originelle de la Mère de Dieu, non seulement ils l'ont très souvent comparée avec Eve encore vierge, encore innocente, encore exempte de corruption,
avant qu'elle eût été trompée par le piège mortel de l'astucieux serpent, mais, avec une admirable variété de pensées et de paroles, ils la lui ont même unanimement préférée. Eve, en effet, pour
avoir misérablement obéi au serpent, perdit l'innocence originelle et devint son esclave ; mais la Vierge Bienheureuse, croissant toujours dans la grâce originelle, ne prêta jamais l'oreille au
serpent, et ébranla profondément sa puissance et sa force par la vertu qu'elle avait reçue de Dieu.
Aussi n'ont‑ils jamais cessé d'appeler la Mère de Dieu, ou
bien un lys parmi les épines, ou bien une terre absolument intacte, une terre vierge, dont aucune tache n'a même effleuré la surface, une terre toujours bénie, libre de toute contagion du péché,
et dont a été formé le nouvel Adam ; ou bien un irréprochable, un éclatant, un délicieux paradis d'innocence et d'immortalité, planté par Dieu lui‑même, et inaccessible à tous les pièges du
serpent venimeux ; ou bien un bois incorruptible que le péché, ce ver rongeur, n'a jamais atteint ; ou bien une fontaine toujours limpide et scellée par la vertu du Saint‑Esprit ; ou bien un
temple divin, un trésor d'immortalité ; ou bien la seule et unique fille non de la mort, mais de la vie, une production non de colère, mais de grâce, une plante toujours verte qui, par une
providence spéciale de Dieu, et contre les lois communes, est sortie florissante d'une racine flétrie et corrompue.
Tout cela est plus clair que le jour ; cependant, comme si ce n'était point assez, les Pères ont, en propres termes et d'une manière
expresse, déclaré que, lorsqu'il s'agit de péché, il ne doit pas en aucune façon être question de la Sainte Vierge Marie parce qu'elle a reçu plus de grâce, afin qu'en elle le péché fût
absolument vaincu et de toutes parts. Ils ont encore professé que la Très glorieuse Vierge avait été la réparatrice de ses ancêtres et qu'elle avait vivifié sa postérité ; que le Très-Haut
l'avait choisie et se l'était réservée dès le commencement des siècles ; que Dieu l'avait prédite et annoncée quand il dit au serpent : "Il mettrai l'inimitié entre toi et la femme" (Gn III,
15), et que, sans aucun doute, elle a écrasé la tête venimeuse de ce même serpent ; et pour cette raison, ils ont affirmé que la même Vierge Bienheureuse avait été, par la grâce, exempte de toute
tache du péché, libre de toute contagion et du corps, et de l'âme, et de l'intelligence ; qu'elle avait toujours conversé avec Dieu ; qu'unie avec Lui par une alliance éternelle, elle n'avait
jamais été dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière, et par conséquent qu'elle avait été une demeure tout à fait digne du Christ, non à cause de la beauté de son corps, mais à cause de sa
grâce originelle.
Viennent enfin les plus nobles et les plus belles expressions par lesquelles, en parlant de la Vierge, ils ont attesté que, dans sa
Conception, la nature avait fait place à la grâce et s'était arrêtée tremblante devant elle, n'osant aller plus loin. Il fallait, disent-ils, avant que la Vierge Mère de Dieu fût conçue par Anne,
sa mère, que la grâce eût fait son œuvre et donné son fruit ; il fallait que Celle qui devait concevoir le premier-né de toute créature fût elle-même conçue première-née. Ils ont attesté que la
chair reçue d'Adam par la Vierge n'avait pas contracté les souillures d'Adam, et que pour cette raison la Vierge Bienheureuse était un tabernacle créé par Dieu lui-même, formé par le
Saint-Esprit, d'un travail aussi beau que la pourpre, et sur lequel ce nouveau Béséléel (Exode XXXI, 2) s'était plu à répandre l'or et les plus riches broderies ; qu'elle devait être célébrée
comme Celle qui avait été la première œuvre propre de Dieu, comme Celle qui avait échappé aux traits de feu du malin ennemi, et qui, belle par nature, ignorant absolument toute souillure, avait
paru dans le monde, par sa Conception Immaculée, comme l'éclatante aurore qui jette de tous côtés ses rayons.
Il ne convenait pas, en effet, que ce vase d'élection subît le commun outrage, puisqu'il était si différent des autres, et n'avait avec
eux de commun que la nature, non la faute ; bien plus, comme le Fils unique a dans le ciel un Père, que les séraphins proclament trois fois saint, il convenait absolument qu'il eût sur la terre
une Mère en qui l'éclat de sa sainteté n'eût jamais été flétri. Et cette doctrine a tellement rempli l'esprit et le cœur des Anciens et des Pères que, par un langage étonnant et singulier, qui a
prévalu parmi eux, ils ont très souvent appelé la Mère de Dieu Immaculée et parfaitement immaculée, innocente et très innocente, irréprochable et absolument irréprochable, sainte et tout à fait
étrangère à toute souillure de péché, toute pure et toute chaste, le modèle et pour ainsi dire la forme même de la pureté et de l'innocence, plus belle et plus gracieuse que la beauté et la grâce
même, plus sainte que la sainteté, seule sainte et très pure d'âme et de corps, telle enfin qu'elle a surpassé toute intégrité, toute virginité, et que seule devenue tout entière le domicile et
le sanctuaire de toutes les grâces de l'Esprit-Saint, elle est, à l'exception de Dieu seul, supérieure à tous les êtres, plus belle, plus noble, plus sainte, par sa grâce native, que les
chérubins eux-mêmes, que les séraphins et toute l'armée des anges, si excellente, en un mot, que pour la louer, les louanges du ciel et celles de la terre sont également impuissantes.
Personne, au reste, n'ignore que tout ce langage a passé, comme de lui-même, dans les monuments de la liturgie sacrée et dans les
offices de l'Eglise, qu'on l'y rencontre à chaque pas et qu'il y domine ; puisque la Mère de Dieu y est invoquée et louée, comme une colombe unique de pureté et de beauté ; comme une rose
toujours belle, toujours fleurie, absolument pure, toujours immaculée et toujours sainte, toujours heureuse, et qu'elle y est célébrée comme l'innocence qui n'a jamais été blessée ; enfin, comme
une autre Eve, qui a enfanté l'Emmanuel.
PIE IX
Ineffabilis Deus (extrait)
LA VIERGE
DE L'IMMACULÉE CONCEPTION