Frères bien-aimés, nous devons faire de la présente leçon du saint Evangile une
étude d'autant plus approfondie, nous devons en conserver un souvenir d'autant plus durable, qu'elle nous donne une plus haute idée de la miséricordieuse bonté de notre Créateur.
Vous l'avez entendu, des accusateurs méchants avaient amené devant lui une femme adultère ; au lieu de la condamner à être lapidée, comme le voulait la loi de Moïse, le Sauveur força les
accusateurs de cette femme à reporter leur attention sur eux-mêmes et à se prononcer sur le compte de la pécheresse avec l'indulgence qu'eût réclamée pour eux-mêmes leur propre faiblesse bien
constatée.
Remarquons, toutefois, que l'Ecriture emprunte d'ordinaire aux circonstances de temps et de lieu, et quelquefois de l'un et de l'autre, l'occasion d'indiquer d'avance les événements dont elle
doit faire ensuite le récit ; aussi, avant de raconter avec quelle miséricorde le Rédempteur a tempéré et interprété la loi, l'Evangéliste dit-il d'abord que : "Jésus vint sur la
montagne des Oliviers, et qu'au commencement du jour, il parut de nouveau dans le temple".
En effet, le mont des Oliviers représente l'infinie bonté, la grande miséricorde du Seigneur ; car le mot grec 'oleos' signifie , en latin, miséricorde ; une onction d'huile apporte d'habitude du
soulagement à des membres fatigués et malades ; enfin, l'huile est si légère et si pure, que si tu veux la mélanger avec n'importe quel autre liquide, elle remonte aussi vite au-dessus de ce
liquide et se tient à la surface : image assez fidèle de la grâce et de la miséricorde du Seigneur. Au sujet de celle-ci, il est écrit : "Le Seigneur est bon pour tous, et sa
commisération repose sur toutes ses oeuvres" (Ps. CXLIV, 12). Le commencement du jour représente aussi l'aurore de la grâce qui, après avoir dissipé les ombres de la loi, devait amener à sa
suite le soleil brillant de la vérité évangélique. "Jésus vient donc en la montagne des Oliviers" pour montrer qu'en lui se trouve la forteresse de la miséricorde ; et "au
commencement du jour il paraît de nouveau dans le temple", pour nous faire entendre qu'avec la lumière naissante du Nouveau Testament, les trésors de cette même miséricorde devaient s'ouvrir et se répandre sur les fidèles, qui sont vraiment son
temple.
Et, dit l'Evangéliste, "tout le peuple vint vers lui, et, s'étant assis, il les instruisait". Le Christ s'assied ; par là, il nous fait
voir combien il s'est humilié en se faisant homme, pour apporter à nos maux le remède de son infinie miséricorde. Voilà aussi la raison de ce précepte du Psalmiste : "Levez-vous, après
que vous vous serez assis". Ou, en d'autres termes plus nets : Levez-vous, non pas avant, mais après que vous vous serez assis ; car lorsque vous vous serez vraiment humiliés, vous aurez
tout lieu d'espérer que les joies célestes deviendront votre récompense. L'Evangéliste nous rapporte avec un véritable à propos que Jésus s'étant assis pour enseigner, tout le peuple vint vers
lui en effet, lorsque, par l'humilité de son incarnation, il nous a eu manifesté sa miséricorde en se rapprochant de nous, ses leçons ont été reçues plus volontiers et par un grand nombre
d'hommes ; car la plupart, entraînés par l'orgueil et l'impiété, en avaient précédemment fait mépris. "Ceux qui ont le coeur doux ont entendu et se sont réjouis", ils ont loué le
Seigneur avec le Psalmiste, et ils ont ensemble exalté son saint nom. Les envieux ont entendu : "Ils ont été brisés et ne se sont point repentis". Ils l'ont tenté, se sont moqués de
lui, ont grincé des dents contre lui.
Enfin, pour l'éprouver, ils lui amenèrent une femme surprise en adultère, et lui demandèrent ce qu'il fallait faire de cette malheureuse que la loi de Moïse condamnait à être lapidée. S'il
déclarait qu'elle devait être lapidée, ils le tourneraient en ridicule pour avoir oublié les leçons de miséricorde qu'il leur avait toujours adressées ; si, au contraire, il s'opposait à sa
lapidation, ils grinceraient des dents contre lui et trouveraient un motif réel pour le condamner lui-même comme autorisant le vice et enfreignant les prescriptions de la loi. Mais à Dieu ne
plaise que l'imbécillité terrestre ait trouvé de quoi dire et que la sagesse d'en haut n'ait pas trouvé de quoi répondre ! A Dieu ne plaise que l'impiété aveugle ait pu empêcher le soleil de justice d'éclairer le monde
! "Jésus donc, se baissant, écrivait avec son doigt sur la terre". L'inclinaison de Jésus était l'emblème de l'humilité ; le doigt, facile à plier à cause des articulations dont il
se compose, symbolisait la subtilité du discernement. Enfin, la terre était la figure du coeur humain, qui peut être indifféremment le principe de bonnes ou, de mauvaises actions. On demande donc
au Sauveur de porter son jugement sur le compte de la pécheresse : il ne se prononce pas immédiatement, mais, avant de le faire, "il se baisse et il écrit avec son doigt sur la
terre", puis il acquiesce à l'instante demande des accusateurs, et dit ce qu'il pense. Par là il nous donne un modèle de conduite, pour le cas où nous verrions le prochain faire quelques
écarts : avant de le juger et de porter contre lui une sentence de condamnation, descendons humblement dans notre propre conscience, puis, avec le doigt du discernement, débrouillons l'écheveau
de nos oeuvres, et par un examen attentif faisons la part de ce qui plaît à Dieu et la part de ce qui lui déplaît : c'est le conseil que nous donne l'Apôtre : "Mes frères, dit-il, si
quelqu'un est tombé par surprise en quelque péché, vous autres, qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous réfléchissant sur soi-même et
craignant d'être tenté comme lui" (Galat, VI, 1.).
" Et comme ils continuaient à l'interroger, il se releva et leur dit : Que celui de vous qui est sans péché jette contre elle la première
pierre". De ci et de là les scribes et les pharisiens tendaient au Sauveur des lacets et des pièges, supposant que, dans ses décisions, il se montrerait dur ou infidèle à la loi ; mais il
voyait leurs malices, déchirait leurs filets aussi facilement qu'une toile d'araignée, et ne cessait de se montrer aussi juste que bon et miséricordieux dans ses jugements ; aussi cette parole du
Psalmiste, que nous avons citée, trouvait-elle en lui son parfait accomplissement : "Ils ont été brisés et ne se sont point repentis" (Ps. XXXIV, 16.). Ils ont été brisés, afin
qu'ils ne pussent enserrer le Sauveur dans les mailles de leurs filets, et ils ne se sont point convertis, pour pratiquer, à son exemple, les oeuvres de miséricorde.
Veux-tu apprendre comment la bonté du Christ a tempéré la rigueur de la loi ? "Que celui de
vous qui est sans péché". Veux-tu aussi connaître l'équité de son jugement ? "Jette contre elle la première pierre". Si, dit-il, Moïse nous a commandé de lapider la femme
adultère, ce n'est pas à des pécheurs, mais à des justes, qu'il appartient d'exécuter ses ordres. Commencez d'abord vous-mêmes par accomplir la loi : alors, hâtez-vous de lapider la coupable,
parce que vos mains sont innocentes et que votre coeur est pur. Accomplissez d'abord les prescriptions spirituelles de la loi ; ayez la foi, pratiquez la miséricorde, respectez la vérité ; alors
vous aurez le droit de juger des choses charnelles. Après avoir prononcé son jugement, le Sauveur "se baissa de nouveau, et il écrivit sur la terre". Ne pourrait-on pas expliquer ce
mouvement d'après ce qui a lieu d'ordinaire dans le monde ? En présence de ces tentateurs de mauvaise foi, ne s'est-il point baissé, n'a-t-il pas voulu écrire sur la terre et regarder d'un autre
côté, pour laisser libres de partir des hommes que sa réponse écrasante disposait plutôt à s'éloigner bien vite qu'à le questionner davantage ?
Enfin, "en entendant ces paroles, ils s'en allèrent l'un après l'autre, les vieillards les premiers". Avant de porter son jugement,
et après l'avoir porté, le Sauveur s'est baissé et il a écrit sur la terre ; c'était là-nous avertir, en figure, de commencer par reprendre notre prochain, quand il manque à ses devoirs, puis,
après, avoir exercé envers lui le ministère de correction fraternelle, de nous examiner nous-mêmes humblement et avec soin ; car il pourrait se faire que nous soyons personnellement coupables des
fautes que nous reprochons à eux ou à tous autres. Voici, en effet, ce qui arrive souvent : on condamne, par exemple, un meurtrier public, et l'on ne remarque pas qu'on a soi-même le coeur gâté
par les sentiments d'une haine plus coupable. Ceux qui accusent les fornicateurs ne font pas attention à la peste de l'orgueil hautain que leur suggère l'idée de leur chasteté. On blâme les
ivrognes, et l'on n'ouvre pas les yeux sur l'envie dont on se trouve rongé. En des circonstances si dangereuses, quel remède employer ? comment nous préserver du mal ? Le voici : Quand
nous voyons un autre tomber dans le péché, baissons-nous aussitôt, c'est-à-dire jetons humblement les
yeux sur les fautes que la fragilité de notre nature ne nous permettrait pas d'éviter, si la bonté divine ne venait nous soutenir. Ecrivons sur la terre ; en d'autres termes, discutons avec soin
l'état de notre âme et demandons-nous si nous pouvons dire avec. le bienheureux Job : "Notre coeur ne nous reproche rien pour tout le cours de notre vie" ; et, s'il nous reproche
quelque chose, rappelons-nous, et ne l'oublions pas, que Dieu est supérieur à notre coeur, et qu'il sait tout.
Nous pouvons donner encore une autre interprétation de la conduite de Notre-Seigneur au moment où il allait accorder à la femme adultère son pardon : il a
voulu écrire avec son doigt sur la terre, pour montrer qu'il a lui-même autrefois écrit le décalogue de la loi avec son doigt, c'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit. Il était juste que la
loi fût écrite sur la pierre, puisque Dieu la donnait pour dompter le coeur si dur et si rebelle de son peuple. Il n'était pas moins convenable que le Christ écrivît sur la terre, puisqu'il
devait donner la grâce du pardon aux hommes contrits et humbles de coeur, afin de leur faire porter des fruits de salut. C'est à juste titre que nous voyons se baisser et écrire avec son doigt
sur la terre Celui qui s'était autrefois montré sur le sommet de la montagne et avait écrit de sa main sur des tables de pierre ; de fait, en s'humiliant jusqu'à se revêtir de notre humanité, il
a répandu dans le coeur fécond des fidèles l'esprit de grâce, après avoir, du haut de la montagne où il apparaissait aux yeux de tous, donné précédemment de durs préceptes à une nation endurcie.
C'est chose bien à propos, qu'après s'être baissé et avoir écrit sur la terre, le Christ se soit redressé et qu'il ait alors laissé tomber de ses lèvres des paroles de pardon ; car ce qu'il nous
a fait espérer en venant partager notre faiblesse humaine, il nous l'a miséricordieusement accordé en vertu de sa puissance divine. "Jésus, s'étant relevé, lui dit : Femme, où sont
ceux qui t'accusaient ? Personne ne t'a condamnée ? Elle lui répondit : Non , Seigneur". Personne n'avait osé condamner cette pécheresse, parce que chacun des accusateurs avait déjà
reconnu en lui-même des sujets bien autrement graves de condamnation.
Mais voyons comment, après avoir écrasé les accusateurs sous le poids de la justice, le Sauveur ranime le courage de d'accusée ; voyons de quelle ineffable bonté il lui donne le gage
: "Et moi, je ne te condamnerai pas non plus ; va, et ne pèche plus à l'avenir". Alors s'accomplit la parole que le psalmographe avait prononcée en chantant les louanges du
Seigneur : "Regardez, et, dans votre majesté, marchez et régnez, à cause de la vérité, de la clémence et de la justice, et votre droite se signalera par des merveilles". Le
Christ règne à cause de la vérité, parce qu'en enseignant au monde le chemin de la vérité, il ouvre à la multitude des croyants les portes de son glorieux royaume. Il règne à cause de la clémence
et de la justice, car plusieurs se soumettent à son empire en le voyant si bon à délivrer de leurs péchés ceux qui se repentent, et si juste à condamner à cause de leurs fautes ceux qui y
persévèrent ; si clément à accorder le bienfait de la foi et des vertus célestes, si juste à récompenser éternellement les mérites de la foi et les luttes des vertus célestes. "Votre
droite l'a signalé par des merveilles". Car Dieu, habitant dans l'homme, a montré qu'il était admirable dans tout ce qu'il faisait et enseignait : et, au surplus, qu'il évitait toujours,
avec une merveilleuse prudence, tous les piéges que l'astuce raffinée de ses ennemis pouvait imaginer de lui tendre. "Ni moi non plus, je ne te condamnerai pas ; va, et ne pèche plus à
l'avenir". Qu'il est bon et miséricordieux ! Il pardonne les péchés passés. Qu'il est juste, et comme il aime la justice ! Il défend de pécher davantage.
Mais plusieurs étaient capables de douter si Jésus, qu'ils savaient être un vrai homme, pouvait remettre les péchés : il daigne leur montrer plus clairement
ce que, par la volonté de Dieu, il peut faire. Après s'être débarrassé de ceux qui étaient venus l'éprouver si méchamment, et avoir pardonné à la pécheresse son adultère, il parle de nouveau aux
Juifs et leur dit : "Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit, ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie". Par ces paroles, il fait voir d'une manière
éclatante non seulement en vertu de quelle autorité il a accordé à la femme adultère le pardon de ses fautes, mais encore ce qu'il a voulu nous enseigner en se rendant sur le mont des Oliviers, en venant de nouveau
dans le temple au commencement du jour, en écrivant avec son doigt sur la terre ; par là il nous a figurativement enseigné qu'il est le Père des miséricordes, le Dieu de toute consolation, que
c'est lui qui met l'homme en possession de la lumière indéfectible, et qu'il est tout à la fois l'auteur de la loi et de la grâce. "Je suis la lumière du monde". C'était dire en
d'autres termes : Je suis la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde. Je suis le soleil de justice qui brille aux yeux de ceux qui craignent Dieu. Je me suis caché
derrière le nuage de la chair, non pour me dérober aux regards de ceux qui me cherchent, mais pour ménager leur faiblesse ; ainsi pourront-ils guérir les yeux de leur âme, purifier leurs coeurs
par la foi et mériter de me voir moi-même. Car, "bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu".
"Quiconque me suit, ne marche point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de vie". Quiconque, en ce monde, suivra mes préceptes et mes exemples, n'aura pas à redouter, pour l'autre,
les ténèbres de la damnation ; au contraire, il contemplera la lumière de vie, au sein de laquelle il puisera l'immortalité.
Mes frères, puisse la foi, qui agit par la charité, nous faire marcher, en cette vie, à la lumière de la justice : ainsi mériterons-nous de voir face à face
celle dont la vue récompensera et augmentera le mérite de notre charité ; car le Christ nous l'a affirmé
en ces termes : "Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et, moi aussi, je l'aimerai et je me montrerai moi-même à lui". Approchons-nous, avec toute l'ardeur dont nous sommes
capables, de celui qui se trouvait ostensiblement sur la montagne des Oliviers. "Le Seigneur son Dieu l'a sacré d'une onction de joie qui l'a élevé au-dessus de ceux qui doivent la
partager" (Ps. XLIV, 8.), afin qu'il daigne nous rendre participants de cette onction qu'il a reçue, c'est-à-dire de la grâce spirituelle ; néanmoins, nous ne mériterons d'entrer en partage
avec lui qu'à la condition d'aimer la justice et de haïr l'iniquité, car avant de prononcer les paroles précitées, le Psalmiste a dit aussi du Christ : "Vous avez chéri la justice et
détesté le péché" (Ps. XLIV, 8.). Par là, sans doute, le Prophète a voulu faire l'éloge du chef ; mais il a prétendu encore montrer aux membres qui pourraient un jour en dépendre la manière
dont ils devraient se conduire.
Souvenons-nous que le Sauveur est venu dans le temple au commencement du jour, et faisons tous nos efforts pour que notre Créateur trouve en nous un temple ; écartons de nous les ténèbres du
vice, marchons à la lumière des vertus : alors Dieu daignera visiter nos coeurs, il nous formera à la pratique des enseignements célestes, et toutes les souillures qui pourraient se rencontrer en
nous disparaîtront par l'effet de la bonté de ce Dieu qui vit et règne avec le Père, dans l’unité du Saint-Esprit, pendant tous les siècles des siècles.
Saint Augustin
SERMONS SUR DES SUJETS TIRÉS DE L'ÉCRITURE