Nolite putare quoniam veni solvere Legem aut Prophetas ; non veni solvere, sed adimplere.
Ne pensez pas que je sois venu détruire la loi ou les prophètes : je ne suis pas venu les détruire, mais les accomplir.
ÉVANGILE DE SAINT MATTHIEU
mercredi de la troisième semaine
A prendre les choses en elles-mêmes, et dans les termes de ce devoir légitime qui assujettit la créature au Créateur, il ne nous appartient pas de contrôler, ni même d'examiner la loi que Jésus-Christ nous a apportée du ciel, et qu'il est venu publier au monde. Car puisque les souverains de la terre ont le pouvoir de faire des lois, sans être obligés à dire pourquoi ; puisque leur volonté et leur bon plaisir suffit pour autoriser les ordres qu'ils portent, sans que leurs sujets en puissent demander d'autre raison, il est bien juste que nous accordions au moins le même privilège, et que nous rendions le même hommage à celui qui non seulement est notre législateur et notre maître, mais notre Sauveur et notre Dieu.
Ce qui nous regarde donc, c'est de nous soumettre à sa loi, et non point de la soumettre à notre censure ; c'est d'observer sa loi avec une fidélité parfaite, et non point d'en faire la discussion par une curiosité présomptueuse.
Cependant, Chrétiens, il se trouve que jamais loi dans le monde n'a été plus critiquée, et, par une suite nécessaire, plus combattue, ni plus condamnée que la loi de Jésus-Christ ; et l'on peut dire d'elle ce que le Saint-Esprit dans l'Ecclésiaste a dit du monde en général, que Dieu, par un dessein particulier, a voulu, ce semble, l'abandonner aux disputes et aux contestations des hommes : Tradidit mundum disputationi eorum ( Eccle., III, 11.). Car cette loi, toute sainte et toute vénérable qu'elle est, a été, si j'ose m'exprimer de la sorte, depuis son institution, le problème de tous les siècles. Les païens, et même dans le christianisme les libertins, suivant les lumières de la prudence charnelle, l'ont réprouvée comme trop sublime et trop au-dessus de l'humanité, c'est-à-dire comme affectant une perfection outrée, et bien au-delà des bornes que prescrit la droite raison. Et plusieurs, au contraire, parmi les hérétiques, préoccupés de leurs sens, l'ont attaquée comme trop naturelle et trop humaine, c'est-à-dire comme laissant encore à l'homme trop de liberté, et ne portant pas assez loin l'obligation étroite et rigoureuse des préceptes qu'elle établit. Les premiers l'ont accusée d'indiscrétion, et les seconds de relâchement. Les uns, au rapport de saint Augustin, se sont plaints qu'elle engageait à un détachement des choses du monde chimérique et insensé : Visi sunt iis christiani res humanas stulte et supra quam oportet deserere : et les autres, téméraires et prétendus réformateurs, lui ont reproché que sur cela même elle usait de trop d'indulgence, et qu'elle exigeait encore trop peu.
Savez-vous, Chrétiens, ce que je voudrais d'abord inférer de là ? Sans pénétrer plus avant, ma conclusion serait que la loi chrétienne est donc une loi juste, une loi raisonnable, une loi conforme à la règle universelle de l'esprit de Dieu : pourquoi ? parce qu'elle tient le milieu entre ces deux extrémités. Car comme le caractère de l'esprit de l'homme est de se laisser toujours emporter à l'une ou à l'autre, et que le caractère de l'esprit de Dieu , selon la maxime de Saint Grégoire, pape, consiste dans une sage modération, il est d'une conséquence presque infaillible qu'une loi que les hommes ont osé tout à la fois condamner et d'excès et de défaut, est justement celle où se trouve ce tempérament de sagesse et de raison, qui en fait, selon la pensée du Prophète royal, une loi sans tache : Lex Domini immaculata ( Psalm., XVIII, 8.).
BOURDALOUE, SUR LA SAGESSE ET LA DOUCEUR DE LA LOI CHRÉTIENNE