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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Magnificat

     



Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






Yahad-In Unum

   

Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

Mgr Fouad Twal

Patriarcat latin de Jérusalem

 

               


Vierge de Vladimir  

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SALVE REGINA

17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 05:00

Abraham engendra Isaac,
Isaac engendra Jacob,
Jacob engendra Juda et ses frères,
Juda, de son union avec Thamar, engendra Pharès et Zara,
Pharès engendra Esrom,
Esrom engendra Aram,
Aram engendra Aminadab,
Aminadab engendra Naassone,
Naassone engendra Salmone,
Salmone, de son union avec Rahab, engendra Booz,
Booz, de son union avec Ruth, engendra Jobed,
Jobed engendra Jessé,
Jessé engendra le roi David.

 

David, de son union avec la femme d'Ourias, 
engendra Salomon,
Salomon engendra Roboam,
Roboam engendra Abia,
Abia engendra Asa,
Asa engendra Josaphat,
Josaphat engendra Joram,
Joram engendra Ozias,
Ozias engendra Joatham,
Joatham engendra Acaz,
Acaz engendra Ézékias,
Ézékias engendra Manassé,
Manassé engendra Amone,
Amone engendra Josias,
Josias engendra Jékonias et ses frères 
à l'époque de l'exil à Babylone.

 

Après l'exil à Babylone,
Jékonias engendra Salathiel,
Salathiel engendra Zorobabel,
Zorobabel engendra Abioud,
Abioud engendra Éliakim,
Éliakim engendra Azor,
Azor engendra Sadok,
Sadok engendra Akim,
Akim engendra Élioud,
Élioud engendra Éléazar,
Éléazar engendra Mattane,
Mattane engendra Jacob,
Jacob engendra Joseph, l'époux de Marie,
de laquelle fut engendré Jésus,
que l'on appelle Christ (ou Messie).

 

Le nombre total des générations est donc :
quatorze d'Abraham jusqu'à David,
quatorze de David jusqu'à l'exil à Babylone,
quatorze de l'exil à Babylone jusqu'au Christ.

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu

 

Vierge à l'Enfant, Gérard de Saint-Jean

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16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 05:00

L'aumône profite tout à la fois et au pénitent qui la fait, et au pauvre qui la reçoit.

BOURDALOUE

 

 

Qui habet duos tunicas, det non habenti ; et qui habet escas, similiter faciat.

Que celui qui a deux habits, en donne un à celui qui n'en a point ; et que celui qui a de quoi manger en use de même. (Luc, II, 11.)

 

Est-il rien de plus opposé aux sentiments humains que la dureté des riches envers les pauvres ; et comment un homme, pour peu qu'il écoute la nature, peut-il voir dans la souffrance et la misère un homme comme lui, sans en être ému de compassion, et sans prendre soin de le soulager ? Obligation indispensable dans tous les temps, depuis la naissance du monde ; mais obligation plus particulière encore et plus étroite dans la loi nouvelle, qui est une loi de charité. C'est le sujet important que nous allons traiter ; et pour réunir dans un même dessein les plus puissants motifs qui nous engagent à la pratique de l'aumône, nous la considérerons tout ensemble et comme un devoir d'obéissance, et comme un devoir de reconnaissance, et comme un devoir de pénitence.

 

Il faut obéir à Dieu, il faut reconnaître les bienfaits de Dieu, il faut apaiser la colère de Dieu. Or voilà ce que nous faisons par l'aumône. Devoir d'obéissance par rapport au commandement de Dieu, qui nous l'ordonne : premier point. Devoir de reconnaissance par rapport à la bonté de Dieu, qui nous gratifie de ses dons : second point. Devoir de pénitence par rapport à la justice de Dieu, qui nous menace de ses châtiments : troisième point. Puissions-nous mériter ainsi l'éloge que le Prophète donnait au juste : Il a répandu ses biens ; il en a fait part aux pauvres : ses bonnes œuvres subsisteront toujours, et il en recevra la récompense dans les siècles des siècles (Psalm., CXI, 9.).

 

Premier point. — Devoir d'obéissance : car l'aumône est un commandement de Dieu. Commandement que Dieu a pu faire, commandement que Dieu a dû faire, commandement que Dieu a fait. Reprenons.

 

1° Commandement que Dieu a pu faire. Il est maître de nos biens, ou plutôt ce ne sont pas proprement nos biens, mais les biens de Dieu, qui nous les a donnés, et dont nous sommes seulement à son égard comme les dépositaires et les économes. C'est par grâce que nous les avons reçus : or, le maître qui dispense ses grâces à qui il lui plaît, peut y apposer aussi telle condition qu'il lui plaît. D'où il s'ensuit qu'il était libre à Dieu, en confiant au riche ses trésors, de le choisir seulement comme ce sage et fidèle administrateur dont il est dit dans l'Evangile, que le père de famille l'a établi sur toute sa maison, afin qu'il fournisse à chacun, quand il le faut, de quoi se nourrir (Matth., XXIV, 45.).

 

2° Ce n'est pas assez : commandement que Dieu a dû faire. Où serait sa providence, cette providence universelle, s'il n'avait pas pourvu à la subsistance des pauvres ? Or les deux voies d'y pourvoir étaient, ou de mettre entre les hommes une égalité parfaite de condition et de facultés, tellement qu'il n'y eût point de pauvres sur la terre ; ou, supposé cette inégalité que Dieu, dans le conseil de sa sagesse, a jugée plus convenable au gouvernement du monde, de porter une loi qui obligeât les uns d'assister les autres, et de suppléer à ce qui leur manque. Sans cela que feraient tant de misérables et de nécessiteux ? à quoi auraient-ils recours ? Dieu n'est-il pas leur père ? Ne sont-ils pas ses créatures, son ouvrage, et leur a-t-il donné l'être et la vie pour les laisser périr de calamités et de besoins ?

 

De là donc enfin commandement que Dieu non seulement a pu faire, non seulement a dû faire, mais qu'il a fait ; et en voici la preuve incontestable. C'est que l'Ecriture, surtout l'Evangile, nous apprend que parmi les titres de damnation qui doivent être produits contre les réprouvés, un des plus formels, ce sera l'oubli des pauvres et le défaut de l'aumône. Par conséquent, disent les théologiens, il y a un commandement de l'aumône,  puisque Dieu ne nous damnera que pour une offense mortelle, et que, sans l'infraction d'un précepte, il n'y a point d'offense mortelle et digne de la réprobation. De détruire ici toutes les explications qu'on vient faire de ce précepte, tous les prétextes qu'on oppose à ce précepte, tous les détours qu'on prend pour éluder ce précepte, c'est ce que nous n'entreprendrons pas ; mais souvenez-vous, riches, que Dieu ne se laisse point tromper, et que, malgré toutes vos explications, malgré tous vos prétextes et tous vos détours, vous n'en serez pas moins frappés de ses anathèmes, et rejetés éternellement de sa présence.

 

Second point. — Devoir de reconnaissance. Reconnaissance envers Dieu, et reconnaissance envers Jésus-Christ, Sauveur des hommes et Fils de Dieu.

 

Reconnaissance envers Dieu. Sans parler de toutes les autres grâces dont les riches lui sont redevables, n'est-ce pas de sa libéralité qu'ils tiennent les biens  qu'ils possèdent ? n'est-ce pas lui qui, dans le partage de ses dons temporels, les a distingués ? et s'ils vivent dans l'abondance, tandis qu'une multitude presque innombrable d'indigents ressentent toutes les rigueurs de la pauvreté et de la disette, n'a-ce pas été de sa part une pure faveur ? Or il est juste de lui en témoigner la reconnaissance qui lui est due; et celle qu'il nous demande, c'est que nous fassions retourner vers lui ses bienfaits, et que nous en usions pour l'entretien des pauvres, qui sont ses enfants. Tout méprisables qu'ils paraissent selon le monde, il les aime, et il veut que nous l'aimions dans eux ; il veut que nous acquittions envers eux sa providence, qui en est chargée.

 

Excellent motif de l'aumône : Je rends a Dieu ce qu'il m'a donné ! Dans l'ancienne loi, on lui offrait solennellement les prémices des fruits de la terre, et il les recevait dans son temple et à son autel, par le  ministère de ses   prêtres ; mais sans cet appareil ni cette solennité, je lui offre encore les mêmes prémices et les mêmes fruits. Le temple où je les porte, c'est cet hôpital, c'est cette prison, c'est cette pauvre famille que je visite ; et les prêtres qui les reçoivent  au  nom  du  Seigneur,  ce sont ces malades, ce sont ces captifs, ce sont ces orphelins ; c'est cette veuve, ce père, cette mère, qui tous me tiennent la place de Dieu, et dont je deviens la ressource et le soutien. Est-il pour une âme charitable une pensée plus touchante et plus consolante ?

 

Reconnaissance envers Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur des hommes. Dans un mot cette qualité de Sauveur nous fait comprendre tout ce que nous lui devons ; et si nous le comprenons, est-il possible que nous ne nous sentions pas brûlés d'un désir ardent de lui marquer nous-mêmes notre amour ? Or, ce qu'il dit à saint Pierre, il nous le dit, quoique dans un autre sens : Si vous m'aimez, paissez mes brebis (Joan., XI, 17.).  C'est trop peu : non seulement les pauvres sont ses brebis, mais il les appelle ses frères, mais il ne dédaigne pas de les compter pour ses membres. De sorte que tout ce qui est fait à un pauvre, et au plus petit des pauvres, il l'accepte comme étant fait à lui-même. Sommes-nous chrétiens, si des rapports aussi étroits que ceux-là entre Jésus-Christ et les pauvres n'excitent pas notre charité ? Que pouvons-nous refuser à un Dieu Sauveur ? Or, tout ce que nous refusons à ses frères et à ses membres, c'est à lui que nous le refusons. Après cela ne craignons-nous point qu'il ne retire de nous sa main libérale, et qu'il ne nous ferme le sein de sa miséricorde ? Rien n'est plus capable de tarir la source des grâces divines, que notre ingratitude.

 

Troisième point. — Devoir de pénitence. Ou nous sommes dans l'état actuel du péché, et il en faut sortir par la pénitence ; ou nous sommes rentrés dans l'état de la grâce, mais il faut expier nos péchés passés par la pénitence : or, un des moyens les plus efficaces pour l'un et pour l'autre, c'est l'aumône.

 

Moyen efficace pour sortir de l'état du péché : car il faut pour cela une grâce de pénitence, et cette grâce, nous ne pouvons plus sûrement l'obtenir que par les œuvres de la charité chrétienne envers les pauvres. C'est ainsi que les Pères entendent ce beau témoignage du saint homme Tobie en faveur de l'aumône, où il dit en termes si exprès et si précis, que l'aumône délivre de la mort de l'âme, qu'elle efface les péchés, qu'elle fait trouver grâce auprès de Dieu, quelle conduit à la vie éternelle (Tob., IV, 11). Comment cela ? non pas, répond saint Augustin, que le pécheur soit réconcilié avec Dieu, ni que ses péchés lui soient remis du moment qu'il a fait l'aumône, mais parce que ses aumônes lui attirent du ciel de puissants secours pour se relever de ses chutes par une solide conversion, et pour se remettre dans le chemin du salut.

 

La grâce est le fruit de la prière ; et, selon l'oracle du Saint-Esprit, l'aumône prie pour nous, et sa voix monte jusqu'au trône de Dieu pour le fléchir. Aussi est-ce une maxime constante parmi les maîtres de la morale et les docteurs les plus notaires dans la conduite des âmes, qu'à quelques excès qu'un homme soit abandonné, on peut toujours espérer de lui dans l'avenir un retour salutaire, tant qu'au milieu de ses désordres on le voit porté à faire du bien aux pauvres. Tôt ou tard Dieu récompense la miséricorde par la miséricorde.

 

Moyen efficace pour expier les péchés passés. Car, après être revenu à Dieu, il faut satisfaire à la justice de Dieu, il faut dès cette vie acquitter les dettes dont nous sommes chargés devant Dieu, et par là prévenir les rigoureux châtiments qui nous sont réservés après la mort, puisqu'en ce monde ou en l'autre le péché doit être puni.

 

Or, entre les œuvres pénales et satisfactoires, il n'en est point de plus agréable à Dieu ni de plus recevable à son tribunal que l'aumône, et cela à raison de son utilité. En effet, les autres œuvres de pénitence ne sont profitables et utiles qu'au pénitent même qui les pratique ; au lieu que l'aumône profite tout à la fois et au pénitent qui la fait, et au pauvre qui la reçoit. Sur quoi l'aveuglement des riches est bien déplorable quand ils négligent un moyen si présent que Dieu leur met dans les mains, et qu'ils perdent le plus grand avantage de leurs richesses ; car voilà à quoi elles sont bonnes, et ce ne sont plus alors des richesses d'iniquité, mais une rançon pour racheter toutes les iniquités de la vie, et pour échapper au souverain Juge, qui n'en remet la peine qu'autant que nous nous l'imposons nous-mêmes. Tout autre usage des biens temporels est, ou criminel, ou vain, ou du moins passager ; mais de s'en servir pour rendre à Dieu le devoir d'une humble obéissance, pour marquer à Dieu les sentiments d'une vive reconnaissance, pour se rapprocher de Dieu par la grâce et par une solide pénitence, c'est là l'usage chrétien qui les sanctifie, et qui, de richesses périssables, en fait les gages d'une bienheureuse immortalité.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR L'AUMONE

 

La Charité Céleste, Simon Vouet, Musée du Louvre

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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 05:00

On veut s'agrandir à l'infini, et sans se prescrire jamais un terme où l'ambition s'arrête : plus on monte, plus on veut monter ; et à peine a-t-on fait un pas, que la pensée naît d'en faire un autre.

BOURDALOUE

 

 

Omnis mons et collis humiliabitur.

Toutes les montagnes et toutes les collines seront abaissées.  (Luc, 111,5.)

 

Puisque le Fils unique de Dieu descend du sein de son Père, et qu'il vient sur la terre s'abaisser lui-même et s'anéantir, il est bien juste que les montagnes du siècle, c'est-à-dire que les grandeurs humaines s'humilient, et qu'elles déposent aux pieds de cet Homme-Dieu tout leur orgueil. Mais, par le plus déplorable renversement, tandis que la Majesté divine quitte le trône de sa gloire et s'abîme en de profondes ténèbres, l'homme veut s'élever, se distinguer, et ne pense qu'à satisfaire son ambition. Esprit répandu dans tous les états de la vie et même jusque dans les plus viles conditions, où chacun, selon qu'il lui peut convenir, est jaloux d'une certaine supériorité qui le place au-dessus de ses égaux, et qui lui donne sur eux l'ascendant. C'est ce désir de l'honneur, cet esprit d'ambition, que nous devons aujourd'hui combattre, comme opposé directement à l'esprit de Dieu : car c'est par là, et non par les raisons d'une sagesse mondaine, que nous allons l'attaquer.

 

Ambition dont nous verrons tout ensemble et le désordre et le malheur : ambition criminelle, et ambition malheureuse ; criminelle devant Dieu, malheureuse de la part de Dieu. Ambition criminelle devant Dieu : en quoi ? dans les projets qu'elle inspire à l'ambitieux : premier point. Ambition malheureuse de la part de Dieu : comment ? par les jugements et les coups du ciel qu'elle attire sur l'ambitieux : second point. La suite développera mieux encore ces deux vérités.

 

Premier point. — Ambition criminelle devant Dieu dans les projets qu'elle inspire à l'ambitieux. On veut s'agrandir précisément pour s'agrandir ; on le veut pour jouir des avantages temporels de la grandeur. On le veut à l'infini, sans se prescrire aucun terme où l'ambition s'arrête ; on le veut indépendamment de Dieu ; on le veut sans égard au mérite, et sans être en peine si l'on a les dispositions requises ; enfin, on le veut par les voies les plus illicites, et aux dépens de la conscience. Tout cela autant de désordres par où l'ambition devient criminelle devant Dieu. Reprenons toutes ces propositions.

 

1° On veut s'agrandir précisément pour s'agrandir : on ne cherche dans la grandeur que la grandeur même. Or la grandeur, comme grandeur ne convient qu'à Dieu, qui est seul grand, et qui le doit seul être. Vouloir donc s'élever et se faire grand, c'est une espèce d'attentat sur les droits du Seigneur, et de cet Etre suprême devant qui tout être créé n'est que néant.

 

2° On veut s'agrandir pour jouir des avantages temporels de la grandeur, c'est-à-dire pour se glorifier, pour recevoir des hommages et des respects, pour tenir partout le premier rang, pour vivre dans la pompe et dans l'éclat. Or, ce n'est point à cela que les grandeurs du siècle sont destinées, et n'y envisager que cela, c'est un abus hautement condamné dans la loi de Jésus-Christ : elles sont établies pour la gloire de Dieu, et non point pour la nôtre.

 

3° On veut s'agrandir à l'infini, et sans se prescrire jamais un terme où l'ambition s'arrête : plus on monte, plus on veut monter ; et à peine a-t-on fait un pas, que la pensée naît d'en faire un autre. Désir insatiable, désir déréglé, contraire à la modestie et à la modération chrétienne. Mais désir surtout condamnable dans des gens de rien, quand à force de se pousser, devenus plus audacieux, ils ne rougissent point d'aspirer enfin aux degrés les plus éminents, et prétendent, comme l'ange superbe, se placer au-dessus des nues et des astres de la première grandeur.

 

4° On veut s'agrandir indépendamment de Dieu et sans faire nul fonds sur Dieu. L'ambitieux compte sur lui-même, compte sur son industrie, compte sur des amis, sur de puissants protecteurs ; mais pense-t-il à mettre Dieu dans ses intérêts ? Contre l'oracle et l'expresse défense du Saint-Esprit, il s'appuie sur un bras de chair. Voilà toute sa ressource.

 

5° On veut s'agrandir sans égard au mérite, et sans examiner si l'on a les dispositions requises : témérité insoutenable ; on s'ingère dans des postes, dans des ministères, dans des prélatures qu'on n'est pas en état de remplir, et où l'on ne doit néanmoins entrer que pour en accomplir tous les devoirs.

 

6° On veut s'agrandir par les voies les plus illicites et aux dépens de la conscience : y a-t-il iniquité que l'ambition n'emploie pour venir à bout de ses desseins ? Mais la conscience y répugne : hé ! qu'est-ce que la conscience d'un ambitieux ? ou a-t-il une autre conscience que son ambition ? Concluons par les paroles de Jésus-Christ, et disons que, de la manière dont on se comporte dans la poursuite des honneurs du monde, ce qui est grand aux yeux des hommes n'est qu'abomination aux yeux de Dieu (Luc, XVI, 15.).

 

Second point. — L'ambition malheureuse de la part de Dieu : comment ? par les jugements et les coups du ciel qu'elle attire sur l'ambitieux. Nous ne lisons point dans l'Ecriture de menaces plus ordinaires que celle-ci, savoir : que Dieu confondra les orgueilleux de la terre ; que tandis qu'ils s'épuiseront de travaux et de soins pour l'établissement de leur fortune et pour leur agrandissement, il déconcertera leurs mesures, il dissipera leurs desseins, il fera échouer leurs entreprises : que s'il les laisse parvenir au point de prospérité où ils visaient, ce sera pour tourner contre eux leur prospérité même, et qu'ils y trouveront une source de chagrins et de déplaisirs les plus mortels ; que s'il les laisse atteindre jusques au faîte de la grandeur, ce sera pour rendre leur chute d'autant plus désastreuse et plus éclatante qu'ils tomberont de plus haut, et que, dans leur ruine, il les abandonnera à eux-mêmes et à leur désespoir. Menaces qui ne regardent que la vie présente : car ne parlons point de ce que Dieu prépare à l'ambitieux dans l'éternité. Menaces confirmées par tant d'exemples dont les saints livres nous font le récit. Menaces qui se vérifient encore de siècle en siècle par mille événements que nous devons attribuer à la justice de Dieu, et qui sont de visibles, mais terribles châtiments de l'ambition.

 

1° Combien y en a-t-il que Dieu arrête au milieu de leur course ? Ils s'agitaient, ils se tourmentaient, ils disposaient les choses avec toute l'adresse et toute l'assiduité imaginable ; une espérance presque certaine leur répondait du succès ; mais un fâcheux contre-temps, mais la mort d'un patron, mais le refroidissement d'un ami, mais la faveur d'un concurrent, mais quelque sujet que ce soit, a tout à coup rendu inutiles tant de démarches et tant de mouvements. Comme cette tour de Babylone, l'ouvrage est demeuré imparfait ; et de cette fortune qu'on voulait bâtir, il n'est resté que la douleur d'y avoir perdu ses peines et vainement consumé ses jours. Ils édifieront, dit le Seigneur, et de mon souffle je disperserai tout ce qu'ils auront amassé de matériaux et fait de préparatifs.

 

2° Combien y en a-t-il qui, plus heureux en apparence, ont obtenu ce qu'ils souhaitaient ? Tous les chemins leur ont été ouverts, tout les a soutenus ; mais, dans leur élévation, à quoi se sont-ils vus exposés ? à la censure et aux mépris, aux plaintes et aux murmures, aux traverses et aux contradictions, aux alarmes continuelles, aux affaires les plus désagréables, aux embarras les plus accablants, aux dégoûts et aux déboires les plus affreux ; de sorte qu'ils ont été forcés de reconnaître que dans la médiocrité de leur premier état ils étaient mille fois, et plus honorés du public, et plus contents en eux-mêmes. Ils se promettaient de marcher dans des voies tout aplanies, mais Dieu les a semées d'épines.

 

3° Combien d'autres, après avoir vécu un certain nombre d'années dans la splendeur, et y avoir eu tout l'agrément qu'ils pouvaient attendre, ont été renversés par une disgrâce ? de quelles chutes avons-nous entendu parler, et avons-nous même été témoins ? Tout s'est éclipsé : des familles entières sont tombées avec leur chef, et l'éclat des pères n'a pu passer jusques aux enfants : car ce sont là les coups du bras tout-puissant de Dieu, et c'est ainsi qu'il abat de leur trône les potentats qui se confiaient en leur pouvoir.

 

4° Encore s'il daignait les consoler dans leur infortune ! mais parce que jamais ils ne se sont occupés de Dieu et que jamais ils n'ont su recourir à Dieu, il les livre à leurs noires mélancolies. Il les voit se ronger, se désoler, dépérir, sans verser sur eux une goutte de son onction divine pour leur adoucir l'amertume du calice.

 

Apprenons de Jésus-Christ à être humbles ; c'est ce qu'il vient nous enseigner,  et c'est dans notre humilité que nous trouverons tout à la fois et l'innocence et le repos de nos âmes.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR L'AMBITION

 

Still-Life with Weapons and Banners, Willem de Poorter

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 12:30

Douceur chrétienne, dont peu de personnes comprennent bien tous les avantages, et à laquelle on ne donne pas communément, parmi les vertus, le rang qui lui est dû.

BOURDALOUE

 

 

Neminem concutiatis.

Ne faites point de violence. (Luc, III, 14.)

 

Rien de plus pernicieux dans la société humaine et dans le commerce de la vie, que la colère. Elle cause des violences qui troublent tout, et mille épreuves ont fait connaître quelles en sont les suites funestes, et à quelles extrémités elle est capable de nous emporter. C'est pourquoi le Sauveur des hommes nous a tant recommandé la douceur, et nous l'a proposée comme une béatitude en ce monde, parce qu'elle arrête tous ces excès, et qu'elle établit partout le bon ordre et la tranquillité.

 

Douceur chrétienne, dont peu de personnes comprennent bien tous les avantages, et à laquelle on ne donne pas communément, parmi les vertus, le rang qui lui est dû. Or nous en allons considérer tout ensemble, et le mérite et le fruit. Le mérite qui en fait l'excellence : premier point. Le fruit, qui dès cette vie même en est la récompense : second point. De l'un et de l'autre nous apprendrons à nous conduire en toutes choses selon l'esprit de cette paix que le Fils de Dieu vient apporter sur la terre, et qui est un des plus beaux caractères de son Evangile.

 

Premier point. — Le mérite de la douceur chrétienne. Il consiste en ce que cette vertu demande une victoire de nous-mêmes la plus héroïque, et une victoire de nous-mêmes la plus constante.

 

1° Victoire de nous-mêmes la plus héroïque. Car il n'est pas ici question d'une douceur de naturel qui ne s'émeut de rien, et qui, sans effort, s'accommode à tout ce qui se présente et à tout ce qu'on souhaite. C'est un don de Dieu, mais ce n'est pas précisément une vertu. II s'agit d'une douceur chrétienne dont les devoirs sont de réprimer dans le fond de l'âme toutes les vivacités et toutes les saillies que la colère peut exciter ; de ne donner au dehors nuls signes ni d'impatience, ni d'aigreur, en des rencontres néanmoins où le cœur souffre intérieurement et se sent piqué ; de mesurer toutes ses paroles, et de n'en laisser pas échapper une ou de mépris ou de plainte même à l'égard de ceux dont on a plus lieu d'être malcontent ; de se comporter dans toutes ses manières avec un air toujours honnête, modeste, humble et affable ; d'user de condescendance dans les occasions contre son inclination propre, et de se gêner, de se contraindre en faveur de certains esprits difficiles, en faveur de certaines personnes, plus capables que les autres, par leurs imperfections et leurs faiblesses, d'inspirer de l’éloignement et du dégoût. Or, pour cela quelle violences n'est-on pas obligé de se faire, et que ne doit-on pas prendre sur soi ? Car la douceur ne rend ni aveugle ni insensible : on s'aperçoit des choses, on en est touché , et si l'on suivait les impressions de la nature, on éclaterait ; mais en vue de Dieu, et par un esprit du christianisme, on étouffe sa peine et on l'ensevelit. Est-il un plus beau sacrifice ? est-il une abnégation de soi-même, une mortification plus parfaite ?

 

2° Victoire de nous-mêmes la plus constante. Il y a des vertus dont la pratique est plus rare, parce que les sujets en sont moins ordinaires et moins fréquents. Mais la douceur dont nous parlons est une vertu de tous les états, de tous les lieux, de toutes les conjonctures, de tous les temps ; une vertu de toute la vie et de tous les moments de la vie : car toute la vie se passe à penser, à converser, à traiter avec le prochain, à agir ; et par conséquent, les sujets sont continuels de se vaincre, en ne se départant jamais d'une douceur toujours égale, soit dans les sentiments, soit dans les paroles, soit dans les actions. Continuité qui donne le prix à toutes les vertus, et qui en est comme le couronnement et la perfection. Hélas ! les moyens de se sanctifier ne nous manquent point, mais nous leur manquons.

 

Où est cette douceur évangélique, et où la trouve-t-on ? Je ne demande pas où l'on trouve une douceur affectée et de politique, une douceur apparente et de pure bienséance, une douceur de tempérament et d'indifférence : or voilà quelle est la douceur que font paraître en certaines rencontres un nombre infini de mondains. L'intérêt les retient, et ils craignent de se faire tort en éclatant, et de nuire à leur fortune. Une vaine gloire les arrête, et ils croiraient se déshonorer s'ils venaient à perdre la gravité et la modération qui convient à leur âge, à leur état, à leur caractère. Une lente et molle indolence les rend insensibles à mille choses qui, selon les vues ordinaires et humaines, devraient les piquer et les soulever. Mais tout cela ne peut être devant Dieu de nulle valeur, puisque tout cela n'a Dieu ni pour principe ni pour fin. Je demande donc où l’on trouve cette douceur que Jésus-Christ a canonisée, et dont il a été le modèle ; cette douceur qui, par le motif d'une charité fraternelle et toute divine, apprend au fidèle à se renoncer, à se captiver, à se modérer, à se taire, à supporter, à pardonner, à ne s'expliquer qu'en des termes obligeants, et à ne témoigner jamais ni amertume ni dédain. Où, dis-je, est-elle ? L'usage du monde et de toutes les conditions du monde ne fait que trop voir combien elle y est peu connue et peu mise en œuvre.

 

Second point. — Le fruit de la douceur chrétienne : c'est la paix au dedans de soi-même, et la paix au dehors.

 

1° La paix au dedans de soi-même. Un des plus grands biens que nous avons à désirer pour le bonheur de notre vie et en même temps pour la sanctification de notre âme, c'est de nous rendre maîtres de nous-mêmes et de nos passions ; surtout maîtres de certaines passions plus vives, plus impétueuses, plus turbulentes. Sans cet empire, point de paix intérieure. Et de quelle paix en effet peut être assuré et peut jouir dans son cœur un homme sujet aux colères, aux promptitudes, aux dépits, aux aversions, aux antipathies, aux envies, aux vengeances ? D'une heure à une autre peut-il compter sur lui-même, et n'est-il pas comme une mer orageuse, où les flots s'élèvent au premier vent et forment de rudes tempêtes ? Or, que fait la douceur chrétienne ? elle bannit toutes ces passions, ou elle les combat ; et, à force de les combattre, elle les soumet et les calme. On prend tout en bonne part : ce qu'on ne peut justifier, on le tolère ; on ne s'offense point, on ne s'aigrit point ; et par là que de mouvements du cœur et de pénibles sentiments on s'épargne ! que de réflexions chagrinantes ! que d'agitations de l'esprit et de dissipations ! Mais, ce qui est encore plus important, de combien de fautes, de combien de péchés se préserve-t-on ! Quelles grâces du ciel, quelles communications divines est-on en disposition de recevoir ! Car, comme Dieu ne se plaît point dans le trouble, il aime à demeurer dans la paix, et une âme pacifique est d'autant mieux préparée à le posséder, qu'elle sait mieux se posséder elle-même.

 

2° La paix au dehors. On l'entretient par la douceur ; c'est-à-dire qu'on vit bien avec tout le monde. Et le moyen qu'on eût avec qui que ce soit quelque démêlé, puisqu'on est toujours attentif à ne rien dire et à ne rien faire qui puisse blesser personne ; puisqu'on est toujours prêt à prévenir les autres et à leur céder ; puisqu'on a un soin extrême d'éviter toute contestation qui pourrait naître entre eux et nous ; puisque partout on leur donne toutes les démonstrations d'une affection sincère, et d'une pleine déférence à leurs volontés ? C'est ainsi qu'on se les attache, et que la parole du Fils de Dieu s'accomplit, savoir, que les débonnaires gagneront toute la terre (Matth., V, 4.).

 

Heureuses donc, soit dans l'état séculier, soit dans l'état religieux, toutes les sociétés qu'une charité douce et officieuse assortit, et où elle maintient la bonne intelligence et l'union des cœurs ! Mais, par une règle toute contraire, on ne saurait assez pleurer le sort de tant de familles, de tant de maisons et de compagnies, où des esprits ardents, des esprits impatients et brusques, des esprits durs et intraitables, des esprits fiers et hautains, défiants et délicats, des esprits critiques et sévères à l'excès, des faux zélés, d'impitoyables et de faux réformateurs, allument le feu de la discorde, et sèment les querelles et les divisions. Quels scandales, quels maux s'ensuivent de là ! On n'en est que trop instruit ; mais pour couper court à de tels désordres, et pour y remédier, on ne peut trop s'étudier soi-même, ni trop prendre de précautions.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR LA DOUCEUR CHRÉTIENNE

 

Girl with Letter, Teodoro Matteini

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 05:00

Saint Jean de la Croix par Benoît XVI 

 

Il y a deux semaines, j'ai présenté la figure de la grande mystique espagnole Thérèse de Jésus. Je voudrais aujourd'hui parler d'un autre saint important de ces territoires, ami spirituel de sainte Thérèse, réformateur, avec elle, de la famille religieuse carmélitaine : saint Jean de la Croix, proclamé Docteur de l'Eglise par le Pape Pie XI, en 1926, et surnommé dans la tradition Doctor mysticus, «Docteur mystique».

 

Jean de la Croix naquit en 1542 dans le petit village de Fontiveros, proche d'Avila, en Vieille Castille, de Gonzalo de Yepes et Catalina Alvarez. Sa famille était très pauvre, car son père, issu d’une famille noble de Tolède, avait été chassé de chez lui et déshérité pour avoir épousé Catalina, une humble tisseuse de soie. Orphelin de père dans son jeune âge, Jean, à neuf ans, partit avec sa mère et son frère Francisco pour Medina del Campo, non loin de Valladolid, un pôle commercial et culturel. Il y fréquenta le Colegio de los Doctrinos, en assurant également d'humbles travaux pour les sœurs de l'église-couvent de la Madeleine. Par la suite, grâce à ses qualités humaines et ses résultats dans les études, il fut admis d'abord comme infirmier dans l'Hôpital de la Conception, puis au Collège des jésuites, qui venait d'être fondé à Medina del Campo : Jean y entra à dix-huit ans et étudia pendant trois ans les sciences humaines, la rhétorique et les langues classiques. A la fin de sa formation, sa vocation lui était très claire : la vie religieuse et, parmi tous les ordres présents à Medina, il se sentit appelé au Carmel.

 

Au cours de l'été 1563, il débuta le noviciat chez les Carmes de la ville, en prenant le nom religieux de Mattia. L'année suivante, il fut destiné à la prestigieuse université de Salamanque, où il étudia pendant un triennat les arts et la philosophie. En 1567, il fut ordonné prêtre et retourna à Medina del Campo pour célébrer sa première Messe entouré de l'affection de sa famille. C'est là qu'eut lieu la première rencontre entre Jean et Thérèse de Jésus. La rencontre fut décisive pour tous les deux : Thérèse lui exposa son programme de réforme du Carmel, l’appliquant également à la branche masculine de l'ordre et proposa à Jean d'y adhérer «pour la plus grande gloire de Dieu» ; le jeune prêtre fut fasciné par les idées de Thérèse, au point de devenir un grand défenseur du projet. Ils travaillèrent ensemble quelques mois, partageant les idéaux et les propositions pour inaugurer le plus rapidement possible la première maison des carmes déchaux : l'ouverture eut lieu le 28 décembre 1568 à Duruelo, un lieu isolé de la province d'Avila. Avec Jean, trois autres compagnons formaient cette première communauté masculine réformée. En renouvelant leur profession de foi selon la Règle primitive, tous les quatre adoptèrent un nouveau nom : Jean s'appela dès lors «de la Croix», nom sous lequel il sera universellement connu. A la fin de 1572, à la demande de sainte Thérèse, il devint confesseur et vicaire du monastère de l’Incarnation d'Avila, où la sainte était prieure. Ce furent des années d'étroite collaboration et d'amitié spirituelle, qui les enrichit tous deux. C'est à cette période que remontent aussi les plus importantes œuvres de Thérèse et les premiers écrits de Jean.

 

L’adhésion à la réforme du Carmel ne fut pas facile et coûta également de graves souffrances à Jean. L’épisode le plus traumatisant fut, en 1577, son enlèvement et son incarcération dans le couvent des carmes de l’antique observance de Tolède, à la suite d’une accusation injuste. Le saint fut emprisonné pendant des mois, soumis à des privations et des contraintes physiques et morales. En ce lieu, il composa, avec d’autres poésies, le célèbre Cantique spirituel. Finalement, dans la nuit du 16 au 17 août 1578, il réussit à fuir de façon aventureuse, se réfugiant dans le monastère des carmélites déchaussées de la ville. Sainte Thérèse et ses compagnons réformés célébrèrent avec une immense joie sa libération et, après une brève période pour retrouver ses forces, Jean fut destiné à l’Andalousie, où il passa dix ans dans divers couvents, en particulier à Grenade. Il assuma des charges toujours plus importantes dans l’ordre, jusqu’à devenir vicaire provincial, et il compléta la rédaction de ses traités spirituels. Il revint ensuite dans sa terre natale, comme membre du gouvernement général de la famille religieuse thérésienne, qui jouissait désormais d’une pleine autonomie juridique. Il habita au carmel de Ségovie, exerçant la charge de supérieur de cette communauté. En 1591, il fut relevé de toute responsabilité et destiné à la nouvelle province religieuse du Mexique. Alors qu’il se préparait pour ce long voyage avec dix autres compagnons, il se retira dans un couvent solitaire près de Jaén, où il tomba gravement malade. Jean affronta avec une sérénité et une patience exemplaires d’immenses souffrances. Il mourut dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, alors que ses confrères récitaient l’office de mâtines. Il les quitta en disant : «Aujourd’hui je vais chanter l’Office au ciel». Sa dépouille mortelle fut transférée à Ségovie. Il fut béatifié par Clément X en 1675 et canonisé par Benoît XIII en 1726.

 

Jean est considéré comme l’un des plus importants poètes lyriques de la littérature espagnole. Ses plus grandes œuvres sont au nombre de quatre : «La montée du Mont Carmel», «La nuit obscure», «Les cantiques spirituels» et «La vive flamme d’amour».

 

Dans les Cantiques spirituels, saint Jean présente le chemin de purification de l’âme, c’est-à-dire la possession progressive et joyeuse de Dieu, jusqu’à ce que l’âme parvienne à sentir qu’elle aime Dieu avec le même amour dont Il l’aime. La vive flamme d’amour poursuit dans cette perspective, en décrivant plus en détail l’état de l’union transformante avec Dieu. Le parallèle utilisé par Jean est toujours celui du feu : de même que le feu, plus il brûle et consume le bois, plus il devient incandescent jusqu’à devenir flamme, ainsi l’Esprit Saint, qui au cours de la nuit obscure purifie et «nettoie» l’âme, avec le temps l’illumine et la réchauffe comme si elle était une flamme. La vie de l’âme est une incessante fête de l’Esprit Saint, qui laisse entrevoir la gloire de l’union avec Dieu dans l’éternité.

 

La montée du Mont Carmel présente l’itinéraire spirituel du point de vue de la purification progressive de l’âme, nécessaire pour gravir le sommet de la perfection chrétienne, symbolisée par le sommet du Mont Carmel. Cette purification est proposée comme un chemin que l’homme entreprend, en collaborant avec l’action divine, pour libérer l’âme de tout attachement ou lien d’affection contraire à la volonté de Dieu. La purification, qui pour parvenir à l’union d’amour avec Dieu doit être totale, commence par celle de la vie des sens et se poursuit par celle que l’on obtient au moyen des trois vertus théologales : foi, espérance et charité, qui purifient l’intention, la mémoire et la volonté. La nuit obscure décrit l’aspect «passif», c’est-à-dire l’intervention de Dieu dans ce processus de «purification» de l’âme. L’effort humain, en effet, est incapable tout seul d’arriver jusqu’aux racines profondes des inclinations et des mauvaises habitudes de la personne : il peut seulement les freiner, mais non les déraciner complètement. Pour cela, l’action spéciale de Dieu est nécessaire, qui purifie radicalement l’esprit et le dispose à l’union d’amour avec Lui. Saint Jean qualifie de «passive» cette purification, précisément parce que, bien qu’acceptée par l’âme, elle est réalisée par l’action mystérieuse de l’Esprit Saint qui, comme la flamme du feu, consume toute impureté. Dans cet état, l’âme est soumise à tous types d’épreuves, comme si elle se trouvait dans une nuit obscure.

 

Ces indications sur les œuvres principales du saint nous aident à nous familiariser avec les points principaux de sa vaste et profonde doctrine mystique, dont l’objectif est de décrire un chemin sûr pour parvenir à la sainteté, l’état de perfection auquel Dieu nous appelle tous. Selon Jean de la Croix, tout ce qui existe, créé par Dieu, est bon. A travers les créatures, nous pouvons parvenir à la découverte de Celui qui a laissé en elles une trace de lui. La foi, quoi qu’il en soit, est l’unique source donnée à l’homme pour connaître Dieu tel qu’il est en soi, comme Dieu Un et Trine. Tout ce que Dieu voulait communiquer à l’homme, il l’a dit en Jésus Christ, sa Parole faite chair. Jésus Christ est le chemin unique et définitif vers le Père (cf. Jn 14, 6). Toute chose créée n’est rien par rapport à Dieu et ne vaut rien en dehors de Lui : par conséquent, pour atteindre l’amour parfait de Dieu, tout autre amour doit se conformer dans le Christ à l’amour divin. C’est de là que découle l’insistance de saint Jean de la Croix sur la nécessité de la purification et de la libération intérieure pour se transformer en Dieu, qui est l’objectif unique de la perfection. Cette «purification» ne consiste pas dans la simple absence physique des choses ou de leur utilisation ; ce qui rend l’âme pure et libre, en revanche, est d’éliminer toute dépendance désordonnée aux choses. Tout doit être placé en Dieu comme centre et fin de la vie. Le processus long et fatigant de purification exige certainement un effort personnel, mais le véritable protagoniste est Dieu : tout ce que l’homme peut faire est d’«être disposé», être ouvert à l’action divine et ne pas lui opposer d’obstacle. En vivant les vertus théologales, l’homme s’élève et donne une valeur à son engagement. Le rythme de croissance de la foi, de l’espérance et de la charité va de pair avec l’œuvre de purification et avec l’union progressive avec Dieu jusqu’à se transformer en Lui. Lorsque l’on parvient à cet objectif, l’âme est plongée dans la vie trinitaire elle-même, de sorte que saint Jean affirme qu’elle parvient à aimer Dieu avec le même amour que celui avec lequel il l’aime, car il l’aime dans l’Esprit Saint. Voilà pourquoi le Docteur mystique soutient qu’il n’existe pas de véritable union d’amour avec Dieu si elle ne culmine pas dans l’union trinitaire. Dans cet état suprême, l’âme sainte connaît tout en Dieu et ne doit plus passer à travers les créatures pour arriver à Lui. L’âme se sent désormais inondée par l’amour divin et se réjouit entièrement en lui.

 

Chers frères et sœurs, à la fin demeure la question: ce saint, avec sa mystique élevée, avec ce chemin difficile vers le sommet de la perfection, a-t-il quelque chose à nous dire à nous également, au chrétien normal qui vit dans les circonstances de cette vie actuelle, ou est-il un exemple, un modèle uniquement pour quelques âmes élues, qui peuvent réellement entreprendre ce chemin de la purification, de l’ascèse mystique ? Pour trouver la réponse, nous devons avant tout tenir compte du fait que la vie de saint Jean de la Croix n’a pas été un «envol sur les nuages mystiques», mais a été une vie très dure, très pratique et concrète, tant comme réformateur de l’ordre, où il rencontra de nombreuses oppositions, que comme supérieur provincial, ou dans les prisons de ses confrères, où il était exposé à des insultes incroyables et à de mauvais traitements physiques. Cela a été une vie dure, mais précisément au cours des mois passés en prison, il a écrit l’une de ses œuvres les plus belles. Et ainsi, nous pouvons comprendre que le chemin avec le Christ, aller avec le Christ, «le Chemin», n’est pas un poids ajouté au fardeau déjà assez difficile de notre vie, ce n’est pas quelque chose qui rendrait encore plus lourd ce fardeau, mais il s’agit d’une chose totalement différente, c’est une lumière, une force, qui nous aide à porter ce fardeau. Si un homme porte en lui un grand amour, cet amour lui donne presque des ailes, et il supporte plus facilement toutes les épreuves de la vie, car il porte en lui cette grande lumière ; telle est la foi : être aimé par Dieu et se laisser aimer par Dieu en Jésus Christ. Se laisser aimer est la lumière qui nous aide à porter le fardeau de chaque jour. Et la sainteté n’est pas notre œuvre, très difficile, mais elle est précisément cette «ouverture» : ouvrir les fenêtres de notre âme pour que la lumière de Dieu puisse entrer, ne pas oublier Dieu car c’est précisément dans l’ouverture à sa lumière que se trouve la force, la joie des rachetés.

 

Prions le Seigneur afin qu’il nous aide à trouver cette sainteté, à nous laisser aimer par Dieu, qui est notre vocation à tous et la véritable rédemption.

 

Audience Générale, 16 février 2011, Benoît XVI 

 

La Vierge du Carmel, Moretto da Brescia

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13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 05:00

Qu'est devenue cette conscience ? comment s'est-elle si prodigieusement changée ? c'était le fruit d'une éducation chrétienne ; on l'avait cultivée, on l'avait perfectionnée par tant de sages conseils. Que nous disait-elle autrefois, et pourquoi ne nous dit-elle plus ce qu'elle nous disait alors ? D'où est venue une corruption si générale et si fatale ? on ne nous reconnaît plus, et nous ne nous reconnaissons plus nous-mêmes.

BOURDALOUE

 

 

Il en faut convenir, Chrétiens, Dieu, qui est miséricordieux aussi bien que juste, ne nous ferait pas des crimes de nos erreurs, si c'étaient des erreurs involontaires et de bonne foi ; et il n'y aurait point de pécheur qui n'eût droit de se prévaloir de sa fausse conscience, et qui ne pût avec raison l'alléguer à Dieu comme une légitime excuse de son péché, si la fausse conscience avait ce caractère de sincérité dont je parle. Mais on demande si elle l'a toujours, ou du moins si elle l'a souvent ? Cette question est d'une extrême conséquence, parce qu'elle renferme une des règles, et j'ose dire des plus importantes règles d'où dépend, dans l'usage et dans la pratique, le discernement et le jugement exact que chacun de nous doit faire des actions de sa vie. Il s'agit donc de savoir si ce caractère de bonne foi convient ordinairement aux consciences aveugles et erronées des pécheurs du siècle ; en sorte qu'une conscience aveugle et erronée à l'égard des pécheurs du siècle puisse communément leur être un titre pour se disculper et se justifier devant Dieu. Ah ! mes chers auditeurs, plût à Dieu que cela fût ainsi ! un million de péchés cesseraient aujourd'hui d'être péchés, et le monde, sans grâce et sans pénitence, se trouverait déchargé d'une infinité de crimes dont le poids a fait gémir de tout temps et fait encore gémir les âmes vertueuses.

 

Mais si cela était, reprend saint Bernard, pourquoi David, ce saint roi, dans la ferveur de sa contrition, aurait-il demandé à Dieu, comme une grâce, qu'il oubliât ses ignorances passées, voulant marquer par là celles qui avaient causé le désordre et la corruption de sa conscience ? Delicta juventutis meœ, et ignorantias meas ne memineris ( Psal., XXIV, 7.). N'aurait-il pas dû dire au contraire : Seigneur, souvenez-vous de mes ignorances, et ne les oubliez jamais ? car, puisqu'elles me doivent tenir lieu de justification auprès de vous, il est de mon intérêt que vous en conserviez le souvenir, et que vous les ayez toujours présentes. Est-ce ainsi qu'il parle ? Non ; il dit à Dieu : Oubliez-les, effacez-les de ce livre redoutable que vous produirez contre moi, quand vous me jugerez dans toute la rigueur de votre justice. Ne vous souvenez point alors du mal que j'ai fait et que je n'ai pas connu ; puisque de ne l'avoir pas connu, dans l'obligation où j'étais de le connaître, est déjà un crime dont vous seriez en droit de me punir : Et ignorantias meas ne memineris. Il n'est donc pas vrai que l'ignorance, et par conséquent la fausse conscience, soit toujours une excuse recevable auprès de Dieu.

 

Il y a plus, et je prétends qu'elle ne l'est presque jamais, et que dans le siècle où nous vivons, c'est un des prétextes les plus frivoles. Pourquoi ? par deux raisons invincibles et sans réplique : 1° parce que dans le siècle où nous vivons, il y a trop de lumière pour pouvoir supposer ensemble une conscience dans l'erreur, et une conscience de bonne foi ; 2° parce qu'il n'y a point de fausse conscience que Dieu dès maintenant ne puisse confondre par une autre conscience droite qui reste en nous, ou qui, quoique hors de nous, s'élève contre nous malgré nous-mêmes. Encore un moment d'attention, et vous en allez être persuadés.

 

Non, Chrétiens, dans un siècle aussi éclairé que celui où Dieu nous a fait naître, nous ne devons pas présumer qu'il se trouve aisément parmi les hommes des consciences erronées et au même temps innocentes. Il y en a peu dans le monde de ce caractère ; et dans le lieu où je parle, je ne craindrais pas d'avancer qu'il n'y en a absolument point. Car, sans m'étendre en général sur la proposition, si vous, mon cher auditeur, à qui je l'adresse en particulier, aviez été fidèle aux lumières que la grâce de Dieu vous avait abondamment communiquées, et si vous aviez usé des moyens faciles qu'il vous avait mis en main pour vous éclaircir du fond de vos obligations, jamais ces erreurs, qui ont été la source de tant de désordres, ne vous auraient aveuglé, ni n'auraient perverti votre conscience. Souffrez que je vienne au détail. Par exemple, si, avant que d'agir et de décider sur des choses essentielles, vous vous étiez défié de vous-même ; si vous aviez eu, et que vous eussiez voulu avoir un ami droit et chrétien qui vous eût parlé sincèrement et sans ménagement ; si vous aviez donné un libre accès à ceux dont vous pouviez apprendre la vérité ; si votre délicatesse ou votre répugnance à les écouter ne leur avait pas fermé la bouche ; si par là les adulateurs ne s'étaient pas emparés de votre esprit ; si parmi les ministres du Seigneur, qui devaient être pour vous les interprètes de sa loi, vous aviez eu recours à ceux qu'il avait plus libéralement pourvus du don de la science, et que l'on connaissait pour tels ; si au lieu d'en choisir d'intelligents, vous n'en aviez pas cherché d'indulgents et de complaisants; si, jusque dans le tribunal de la pénitence, vous n'aviez pas préféré ce qui vous était commode à ce qui vous aurait été salutaire, cette fausse conscience, que nous examinons ici, ne se serait pas formée en vous. Elle n'est donc venue que de vos résistances à la grâce, et aux vues que Dieu vous donnait ; elle ne s'est formée que parce que vous avez vécu dans une indifférence extrême à l'égard de vos devoirs, que parce que le dernier de vos soins a été de vous en instruire, que parce qu'emporté par le plaisir, occupé des vains amusements du siècle, ou accablé volontairement et sans nécessité de mille affaires temporelles, vous vous êtes peu mis en peine d'étudier votre religion ; que parce qu'aimant avec excès votre repos, vous avez évité d'approfondir ce qui l'aurait évidemment mais utilement troublé : elle ne s'est formée que parce que, dans le doute, vous vous en êtes rapporté à votre propre sens ; que parce que vous vous êtes fait une habitude de votre présomption, jusqu'à croire que vous aviez seul plus de lumières que tous les autres hommes ; que parce que vous vous êtes mis en possession d'agir en effet toujours selon vos idées, rejetant de sages conseils, ne pouvant souffrir nul avis, ne voulant jamais être contredit, faisant gloire de votre indocilité, et, comme dit l'Ecriture, ne voulant rien entendre, ni rien savoir, de peur d'être obligé de faire et de pratiquer : Noluit intelligere ut bene ageret (Psalm., XXXV, 4.).

 

C'est ainsi, dis-je, mon cher auditeur, que, suivant le torrent et le cours du monde, vous vous êtes fait une conscience à votre gré, et vous êtes tombé dans l'aveuglement. Or, n'êtes-vous pas le plus injuste des hommes, si vous prétendez qu'une conscience fondée sur de tels principes vous rende excusable devant Dieu ? Cela serait bon pour des âmes païennes enveloppées dans les ténèbres de l'infidélité ; cela serait bon peut-être pour de certaines âmes abandonnées à la grossièreté de leur esprit, et par la destinée de leur état, vivant sans éducation, et presque sans instruction. Mais pour vous, Chrétiens, qui vous piquez en tout le reste d'intelligence et de discernement ; pour vous que la lumière, si je puis ainsi parler, investit de toutes parts ; pour vous à qui il est si facile d'être instruits de la vérité et de la connaître à fond, quel droit avez-vous de dire que c'est l'erreur de votre conscience qui vous a trompés ? Abus, mon cher auditeur, excuse vaine, et qui n'a point d'autre effet que de vous rendre encore plus criminel. C'est ce voile de malice dont parle l'Apôtre ; et quand vous vous en servez, vous ne faites qu'augmenter votre crime , en rejetant sur Dieu ce que vous devez avec confusion vous imputer à vous-même.

 

D'autant plus condamnables au tribunal de Dieu (remarquez bien ceci, s'il vous plaît, Chrétiens, c'est un second titre dont Dieu se servira contre nous) ; d'autant plus condamnables, que Dieu, dans le jugement qu'il fera de nous, ne nous jugera pas seulement sur les erreurs de nos consciences absolument considérées ; mais sur les erreurs de nos consciences comparées à l'intégrité de la conscience des païens ; mais sur les erreurs de nos consciences opposées à notre exactitude, et à notre sévérité même pour les autres ; mais sur les erreurs de nos consciences comparées à la droiture des premières vues et des premières notions que nous avons eues du bien et du mal, avant que le péché nous eût aveuglés. Car tout cela, dit saint Augustin, ce sont autant de règles pour former en nous une conscience éclairée et pure, ou du moins pour l'y rétablir. Et parce que nous les aurons négligées ces règles, ces règles deviendront contre nous autant de sujets de condamnation. Ne serais-je pas heureux, si je vous persuadais aujourd'hui de vous les rendre utiles et nécessaires ?

 

Dieu se servira de la conscience des païens pour condamner les erreurs des chrétiens. Ainsi Tertullien, instruisant les femmes chrétiennes, les confondait-il sur certains scandales dont quelques-unes, remplies de l'esprit du monde, ne se faisaient nulle conscience, et en particulier sur cette immodestie dans les habits, sur ces nudités criminelles si contraires à la pudeur. Car n'est-il pas indigne, leur disait-il, qu'il y ait des païennes dans le monde plus régulières là-dessus et plus consciencieuses que vous ? N'est-il pas indigne que les femmes arabes, dont nous savons les mœurs et les coutumes, bien loin d'être sujettes à de tels désordres, les aient toujours détestés comme une espèce de prostitution ; et que vous, élevées dans le christianisme, vous prétendiez les justifier par un usage corrompu, dont le monde en vain s'autorise, puisque Dieu l'a en horreur et le réprouve ? Or sachez, ajoutait ce père, que ces païennes et ces infidèles seront vos juges devant Dieu. Et moi, Chrétiens auditeurs, suivant la même pensée, je vous dis : N'est-il pas bien étrange et bien déplorable que nous nous permettions aujourd'hui impunément et sans remords cent choses dont nous savons que les païens se sont fait des crimes ? que dans la justice, par exemple, on ne rougisse point de je ne sais combien de ruses, de détours, de chicanes, que la probité de l'aréopage n'aurait pas souffertes ; que dans le commerce on veuille soutenir des usures que toutes les lois romaines ont condamnées ; que dans le christianisme on veuille qualifier de divertissements honnêtes, au moins permis, des spectacles qui, selon le rapport de saint Augustin, rendaient infâmes dans le paganisme ceux qui les représentaient ? D'où procédaient ces sentiments ? d'où procédait la sévérité de ces lois, sinon de la rectitude naturelle de la conscience ? et c'est cette conscience des païens qui réprouvera la nôtre. Car il est de la foi qu'ils s'élèveront contre nous au jugement dernier, et il est certain que cette comparaison d'eux à nous, et de nous à eux, sera un des plus sensibles reproches de notre aveuglement.

 

N'allons pas si loin : nous avons une conscience éclairée, pour qui ? pour les autres ; et aveugle, pour qui ? pour nous-mêmes : une conscience exacte pour les autres jusqu'au scrupule, et indulgente pour nous-mêmes jusqu'au relâchement. Que fera Dieu ? il confrontera ces deux consciences, pour condamner l'une par l'autre. Car il est encore de la foi que nous serons jugés comme nous aurons jugé les autres, et que Dieu prendra pour nous la même mesure que nous aurons prise pour eux. Enfin, Dieu nous rappellera à ces premières vues, à ces notions si justes et si saintes que nous avions du péché avant que le péché nous eût aveuglés. Quelque renversement qui se soit fait dans notre conscience, nous n'avons pas oublié ce bienheureux état où l'innocence de notre cœur, jointe à l'intégrité de notre raison, nous dégageait des illusions et des erreurs du siècle ; nous nous souvenons encore de ces idées primitives qui nous faisaient juger si sainement des choses par rapport à la loi de Dieu ; ce péché, que nous traitons maintenant de bagatelle, nous paraissait un monstre ; et c'était la conscience qui nous inspirait ce sentiment. Qu'est devenue cette conscience ? comment s'est-elle si prodigieusement changée ? c'était le fruit d'une éducation chrétienne ; on l'avait cultivée, on l'avait perfectionnée par tant de sages conseils. Que nous disait-elle autrefois, et pourquoi ne nous dit-elle plus ce qu'elle nous disait alors ? D'où est venue une corruption si générale et si fatale ? on ne nous reconnaît plus, et nous ne nous reconnaissons plus nous-mêmes.

 

C'est, nous dira Dieu, que vous avez donné entrée à la passion, et que la passion a étouffé toutes les semences de vertu que j'avais jetées dans votre âme. Or, vous est-il pardonnable de n'avoir pas conservé tant de bons principes qui devaient vous servir de règles dans tout le cours de votre vie ? Vous est-il pardonnable d'avoir éteint tant de lumières, des lumières si vives, des lumières si pures, et de vous être volontairement plongés dans les ténèbres d'une fausse conscience ?

 

C'est donc, mes chers auditeurs, de ce désordre de la fausse conscience que je vous conjure aujourd'hui de vous préserver ou de revenir. Pour cela souvenez-vous de ces deux maximes, qui sont d'une éternelle vérité, et sur lesquelles doit rouler toute votre conduite : l'une, que le chemin du ciel est étroit, et l'autre, qu'un chemin étroit ne peut jamais avoir de proportion avec une conscience large. La première est fondée sur la parole de Jésus-Christ : Arda via est quae ducit ad vitam (Matth., VII, 14.) ; et la seconde est évidente par elle-même. Pour peu que vous soyez chrétiens, il n'en faudra pas davantage pour vous faire prendre le dessein d'une solide et parfaite conversion. Souvenez-vous qu'il est bien en votre pouvoir de former vos consciences comme il vous plaît, mais qu'il ne dépend pas de vous d'élargir la voie du salut : souvenez-vous que ce n'est pas la voie de Dieu qui doit s'accommoder à vos consciences, mais que ce sont vos consciences qui doivent s'accommoder à la voie de Dieu.

 

Or c'est ce qui ne se pourra jamais, tandis que vous les réglerez sur les maximes relâchées du siècle. Il faut qu'elles se resserrent, ou par une juste crainte, ou par une obéissance fidèle, pour parvenir à ce degré de proportion sans lequel elles ne peuvent être que des consciences réprouvées. Si, à mesure que vous vous licenciez dans l'observation de vos devoirs, le chemin du ciel devenait plus large et plus spacieux, ah ! mon frère, s'écrie saint Bernard, bien loin de vous troubler dans la possession de cette vie libre et commode, je vous y confirmerais en quelque sorte moi-même. A la bonne heure, vous dirais-je : puisque vous avez trouvé une route, et plus facile, et aussi sûre pour arriver au terme de votre salut, suivez-la hardiment, et, si vous le voulez , usez là-dessus de tous vos droits. Mais il n'en va pas ainsi : car l'Ecriture ne nous parle point de ce chemin large qui conduit à la vie. Il n'y a qu'une seule porte pour y entrer, et l'Evangile nous apprend que pour passer par cette porte il faut faire effort : Contendite (Luc, XIII, 24.). Faisons-le, Chrétiens, ce généreux effort : nous en serons bien payés par la gloire qui nous est promise, et que je vous souhaite.

 

 BOURDALOUE, SUR  LA  FAUSSE  CONSCIENCE

 

La Foi, Innocenzo Spinazzi, Eglise Santa Maria Maddalena dei Pazzi, Florence

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12 décembre 2011 1 12 /12 /décembre /2011 05:00

C'est dans la fausse conscience où se couvent les envies, les aversions noires et pleines de venin ; là où se forment les médisances raffinées, les calomnies enveloppées, les intentions de nuire, les perfidies déguisées, et, par une maudite politique, artificieusement dissimulées ; là où croissent et se nourrissent les désirs charnels, suivis de consentements volontaires que l'on ne discerne pas ; les attachements secrets mais criminels, dont on ne se défie pas ; les passions naissantes, mais bientôt dominantes, auxquelles on ne résiste pas ; là où se cache l'orgueil sous le masque de l'humilité, l'hypocrisie sous le voile de la piété, la sensualité la plus dangereuse sous les apparences de l'honnêteté ; là où les vices s'amassent en foule, parce que c'est là qu'ils sont comme dans leur centre et dans leur élément : Illic reptilia quorum non est numerus.

BOURDALOUE

 

 

Toute erreur est dangereuse, surtout en matière de mœurs ; mais il n'y en a point de plus préjudiciable, ni de plus pernicieuse dans ses suites, que celle qui s'attache au principe et à la règle même des mœurs, qui est la conscience. Votre œil, disait le Fils de Dieu dans l'Evangile, est la lumière de votre corps : si votre œil est pur, tout votre corps sera éclairé ; mais s'il ne l'est pas, tout votre corps sera dans les ténèbres. Prenez donc bien garde, ajoutait le Sauveur du monde, que la lumière qui est en vous ne soit elle-même que ténèbres : Vide ergo ne lumen quod in te est, tenebrae sint (Luc, XI, 35.). Or, l'œil dont parlait Jésus-Christ, dans le sens littéral de ce passage, n'est rien autre chose que la conscience qui nous éclaire, qui nous dirige, et qui nous fait agir. Si la conscience selon laquelle nous agissons est pure et sans mélange d'erreur, c'est une lumière qui se répand sur tout le corps de nos actions, ou, pour mieux dire, toutes nos actions sont des actions de lumière ; et pour user encore du terme de l'Apôtre, ce sont des fruits de lumière : Fructus lucis (2 Ephes., V, 9.) ; tout ce que nous faisons est saint, louable, digne de Dieu. Au contraire, si la conscience, qui est le flambeau et la lumière de notre âme, vient à se changer en ténèbres, par les erreurs grossières dont nous nous laissons préoccuper, c'est alors que toutes nos actions deviennent des œuvres de ténèbres, et qu'on peut bien nous appliquer ce reproche de Jésus-Christ : Si lumen quod in te est tenebrœ sunt ipsœ, tenebrœ quantœ erunt (Matth., VI, 23.) ? Hé ! mon Frère ! si ce qui devait être votre lumière n'est que ténèbres, que sera-ce de vos ténèbres mêmes, c'est-à-dire si ce que vous appelez votre conscience, et que vous croyez une conscience droite, n'est qu'illusion, que désordre, qu'iniquité, que sera-ce de ce que votre conscience même condamne et réprouve ? que sera-ce de ce que vous reconnaissez vous-même pour iniquité et pour désordre ?

 

Voilà, mes chers auditeurs, l'écueil que nous avons à éviter : car de là s'ensuivent des maux d'autant plus affligeants et plus étonnants, qu'à force de s'y accoutumer, on ne s'en étonne plus, et l'on ne s'en afflige plus. Ecoutez-en le détail : peut-être en serez-vous touchés. Il s'ensuit de là qu'avec une fausse conscience il n'y a point de mal qu'on ne commette. Il s'ensuit de là qu'avec une fausse conscience, on commet le mal hardiment et tranquillement. Enfin, il s'ensuit de là qu'avec une fausse conscience, on commet le mal sans ressource et sans nulle espérance de remède. Malheurs dont il faut aujourd'hui nous préserver, si nous ne voulons pas exposer notre âme à une perte irréparable et à une éternelle damnation.

 

Non, Chrétiens, avec une fausse conscience il n'y a point de mal qu'on ne fasse : dites-moi celui qu'on ne fait pas, et par là vous comprendrez mieux la vérité de ma proposition. Pour vous la faire toucher au doigt, je vous demande jusqu'où ne va pas le dérèglement d'une conscience aveugle et présomptueuse ? Du moment qu'elle s'est érigée en conscience, dites moi les crimes qu'elle n'excuse pas, et qu'elle ne colore pas ? Quand, par exemple, l'ambition s'est fait une conscience de ses maximes pour parvenir à ses fins, dites-moi les devoirs qu'elle ne viole pas, les sentiments d'humanité qu'elle n'étouffe pas, les lois de probité, d'équité, de fidélité, qu'elle ne renverse pas ? Conscience tant qu'il vous plaira : corrompue qu'elle est par l'ambition, dites-moi les malignes jalousies qu'elle n'inspire pas, les damnables intrigues qu'elle n'entretient pas ; les fourberies, les trahisons dont, s'il est nécessaire, elle ne s'aide pas ? Quand la conscience est de concert avec la cupidité et l'envie d'avoir, dites-moi les injustices qu'elle ne permet pas, les usures qu'elle ne favorise pas, les simonies qu'elle ne pallie pas, les vexations, les violences, les mauvais procès, les chicanes qu'elle ne justifie pas ? Quand la conscience est formée par l'animosité et la haine, dites-moi les ressentiments, les aigreurs qu'elle n'autorise pas, les vengeances qu'elle n'appuie pas, les divisions scandaleuses, les inimitiés qu'elle ne fomente pas, les fiertés, les duretés qu'elle n'approuve pas ? Non, encore une fois, rien ne l'arrête : pervertie qu'elle est d'une part, et néanmoins conscience de l'autre, elle ose tout, elle entreprend tout, elle se porte à tout. Elle couvre la multitude des péchés, et des péchés les plus énormes, non pas comme la charité, en les effaçant, mais en les tolérant, en les soutenant, en les défendant.

 

Avec une fausse conscience, on égorge son prochain, on lui porte en secret des coups mortels, on lui ôte l'honneur, qui lui est plus cher que la vie ; on détruit sa réputation, on ruine par de mauvais offices sa fortune et son crédit. C'est-à-dire, avec une fausse conscience, on s'abandonne aux plus violentes et aux plus ardentes passions, on se satisfait, on se venge, on s'empare du bien d'autrui, on le retient injustement, on dévore la veuve et l'orphelin, on dépouille le pauvre et le faible, tandis qu'à l'exemple des pharisiens, on se fait des crimes de certains points très peu importants ; on est exact et régulier comme eux jusqu'au scrupule sur de légères observances qui ne regardent que les dehors de la religion, pendant que l'on se moque et que l'on se joue de ce qu'il y a dans la religion et dans la loi de Dieu de plus grand et de plus indispensable, savoir : la justice, la miséricorde et la foi.

 

Qu'est-ce que la fausse conscience ? un abîme, dit saint Bernard, mais un abîme inépuisable de péchés : Conscientia quasi abyssus multa (Bern.) ; une mer profonde et affreuse, dont on peut bien dire que c'est là où se trouvent des reptiles sans nombre : Mare magnum ac spatiosum ; illic reptilia, quorum non est numerus (Psalm., CIII, 25.). Pourquoi des reptiles ? parce que de même, dit ce Père, que le reptile s'insinue et se coule subtilement, aussi le péché se glisse-t-il comme imperceptiblement dans une conscience où la passion et l'erreur lui donnent entrée. Et pourquoi des reptiles sans nombre ? parce que de même que la mer, par une prodigieuse fécondité, est abondante en reptiles, dont elle produit des espèces innombrables, et de chaque espèce un nombre infini, aussi la conscience erronée est-elle féconde en toutes sortes de péchés qui naissent d'elle et qui se multiplient en elle.

 

Car c'est là, poursuit saint Bernard, où s'engendrent les monstres : Illic reptilia. C'est dans la fausse conscience où se couvent les envies, les aversions noires et pleines de venin ; là où se forment les médisances raffinées, les calomnies enveloppées, les intentions de nuire, les perfidies déguisées, et, par une maudite politique, artificieusement dissimulées ; là où croissent et se nourrissent les désirs charnels, suivis de consentements volontaires que l'on ne discerne pas ; les attachements secrets mais criminels, dont on ne se défie pas ; les passions naissantes, mais bientôt dominantes, auxquelles on ne résiste pas ; là où se cache l'orgueil sous le masque de l'humilité, l'hypocrisie sous le voile de la piété, la sensualité la plus dangereuse sous les apparences de l'honnêteté ; là où les vices s'amassent en foule, parce que c'est là qu'ils sont comme dans leur centre et dans leur élément : Illic reptilia quorum non est numerus. A quoi n'est-on pas exposé, et de quoi n'est-on pas capable en suivant une conscience aveuglée par le péché ?

 

N'en demeurons pas là : j'ajoute qu'avec une fausse conscience, on commet le mal hardiment et tranquillement. Hardiment, parce qu'on n'y trouve dans soi-même nulle opposition ; tranquillement, parce qu'on n'en ressent aucun trouble, la conscience, dit saint Augustin, étant alors d'intelligence avec le pécheur, et le pécheur, dans cet état, ayant fait comme un pacte avec sa conscience, qui le met enfin dans la funeste possession de pécher et d'avoir la paix. Or la paix dans le péché est le plus grand de tous les maux. Non, Chrétiens, le péché sans la paix n'est point absolument le plus grand mal que nous ayons à craindre, et la paix hors du péché serait sans exception le plus grand bien que nous puissions désirer. Mais l'un et l'autre ensemble, c'est-à-dire la paix dans le péché, et le péché avec la paix, c'est le souverain mal de cette vie, et ce qu'il y a pour le pécheur de plus approchant de la réprobation.

 

Or voilà, mes chers auditeurs, ce que produit la fausse conscience. Prenez garde, s'il vous plaît, à la remarque de saint Bernard, qui éclaircira ma pensée. Il distingue quatre sortes de consciences : la bonne, tranquille et paisible ; la bonne, gênée et troublée ; la mauvaise, dans l'agitation et dans le trouble ; la mauvaise, dans le calme et la paix : et là-dessus écoutez comment il raisonne. Une bonne conscience tranquille et paisible, c'est, dit-il, sans contestation un paradis anticipé ; une bonne conscience gênée et troublée, c'est comme un purgatoire dans cette vie, dont Dieu se sert quelquefois pour éprouver les âmes les plus saintes ; une mauvaise conscience dans l'agitation et dans le trouble que lui cause la vue de ses crimes, c'est une espèce d'enfer. Mais il y a encore, ajoute-t-il, quelque chose de pire que cet enfer : et quoi ? une mauvaise conscience dans la paix et dans le calme, et c'est où la fausse conscience aboutit. Car, dans la conscience criminelle, mais troublée de la vue de son péché, quelque image qu'elle nous retrace de l'enfer, au moins y a-t-il encore des lumières ; et par conséquent, au moins y a-t-il encore des principes de componction, de contrition, de conversion. Le pécheur se révolte contre Dieu, mais au moins sait-il bien qu'il est rebelle, mais au moins ressent-il lui-même le malheur et la peine de sa rébellion ; sa passion le domine, et le rend esclave de l'iniquité ; mais au moins ne l'empêche-t-elle pas de connaître ses devoirs, ni d'être soumis à la vérité. Donnez-moi le mondain le plus emporté dans son libertinage ; tandis qu'il a une conscience droite, il n'est pas encore tout à fait hors de la voie de Dieu : pourquoi ? parce que, malgré ses emportements, il voit encore le bien et le mal, et que cette vue peut le ramener à l'un et le retirer de l'autre.

 

Mais dans une fausse conscience il n'y a que ténèbres, et que ténèbres intérieures, plus funestes mille fois que ces ténèbres extérieures dont nous parle le Fils de Dieu, puisqu'elles sont la source de l'obstination du pécheur et de son endurcissement. Ténèbres intérieures de la conscience, qui font que le pécheur, au milieu de ses désordres, est content de lui-même, se tient sûr de Dieu, se rend de secrets témoignages d'une vaine innocence dont il se flatte, pendant que Dieu le réprouve, et prononce contre lui les plus sévères arrêts.

 

Et c'est là, Chrétiens, ce que j'ai prétendu, quand j'ai dit, en dernier lieu, qu'avec une fausse conscience on commet le mal sans ressource ; car la grande ressource du pécheur, c'est la conscience droite et saine, qui, en commettant même le péché, le condamne et le reconnaît comme péché. C'est par là que Dieu nous rappelle, par là que Dieu nous presse, par là que Dieu nous force, pour ainsi dire, de rentrer dans l'ordre, et dans la soumission et l'obéissance due à sa loi. Ce fut par là que la grâce de Jésus-Christ, victorieuse, triompha du cœur d'Augustin : cette rectitude, et, pour ainsi dire, cette intégrité de conscience que saint Augustin avait conservée jusque dans ses plus grands dérèglements, fut le remède et la guérison de ses dérèglements mêmes. Oui, Seigneur, disait-il à Dieu, dans cette humble confession de sa vie que je puis proposer aux âmes pénitentes comme un parfait modèle ; oui, Seigneur, voilà ce qui m'a sauvé, ce qui m'a retiré du profond abîme de mon iniquité : ma conscience, déclarée pour vous contre moi ; ma conscience, quoique coupable, juge équitable d'elle-même, voilà ce qui m'a fait revenir à vous. Voyez-vous, Chrétiens, la conduite de la grâce dans la conversion d'Augustin ? ce fonds de conscience qui était resté en lui, et que le péché même n'avait pu détruire, fut le fond de toutes les miséricordes que Dieu voulait exercer sur lui : le trouble de cette conscience criminelle, mais, malgré son péché, conforme à la loi, fut la dernière grâce, mais au même temps la plus efficace et la plus invincible de toutes les grâces, que Dieu s'était réservée pour fléchir et pour amollir la dureté de ce cœur impénitent. Pensée consolante pour un pécheur intérieurement agité, et livré aux remords de sa conscience. Tandis que ma conscience me fait souffrir cette gêne cruelle, mais salutaire ; tandis qu'elle me reproche mon péché, Dieu ne m'a pas encore abandonné, sa grâce agit encore sur moi : il y a encore pour moi de l'espérance ; mon salut est encore entre mes mains, et les miséricordes du Seigneur enfin ne sont pas encore épuisées : ces remords dont je suis combattu m'en sont une preuve et une conviction sensible, puisque Dieu me marque par là la voie que je dois suivre pour retourner à lui.

 

Et en effet, avec une conscience droite, quelque éloigné de Dieu que l'on puisse être, on revient de tout. C'est ce que l'expérience nous fait voir tous les jours en mille sujets où Dieu, comme dit saint Paul, se plaît à manifester les richesses de sa grâce, et qui, après avoir été les scandales du monde par leur vie abominable, en deviennent, par leur conversion, les exemples les plus éclatants et les plus édifiants. Au contraire : avec une fausse conscience, mortellement blessé, on est dans l'impuissance de guérir ; engagé dans les plus grands crimes et dans les plus longs égarements, on est sans espérance de retour. Avec une fausse conscience, on est incorrigible et inconvertible ; on s'opiniâtre, on s'endurcit, on vit et on meurt dans son péché : d'où il s'ensuit que la fausse conscience, et surtout la paix de la fausse conscience, dans l'ordre des jugements de Dieu, doit être regardée du pécheur, non seulement comme une punition de Dieu, mais comme la plus formidable des vengeances de Dieu, mais comme le commencement de la réprobation de Dieu.

 

Et voilà pourquoi, dit saint Chrysostome (ne perdez pas cette réflexion, qui a quelque chose de touchant quoique terrible), quand Isaïe, animé du zèle de la gloire et des intérêts de Dieu, semblait vouloir porter Dieu à punir les impiétés de son peuple, il n'employait point d'antres expressions que celle-ci : Excœca cor populi hujus (Isai., VI, 10.) ; aveuglez le cœur de ce peuple, c'est-à-dire la conscience de ce peuple. Il ne lui disait pas : Seigneur, humiliez ce peuple, confondez ce peuple, accablez, opprimez, ruinez ce peuple. Tout cela lui paraissait peu en comparaison de l'aveuglement, et c'est à cet aveuglement de leurs cœurs qu'il réduisait tout : Excœca cor. Comme s'il eût dit à Dieu : C'est par là, Seigneur, que vous vous vengerez pleinement. Guerres, pestes, famines, calamités temporelles, ne seraient pour ces âmes révoltées que des demi-châtiments : mais répandez dans leurs consciences des ténèbres épaisses, et la mesure de votre colère, aussi bien que de leur iniquité, sera remplie. Il concevait donc que l'aveuglement de leur fausse conscience était la dernière et la plus affreuse peine du péché.

 

Mais c'est pour cela même que, par un esprit tout contraire à celui d'Isaïe, je fais aujourd'hui une prière tout opposée, en disant à Dieu : Ah ! Seigneur, quelque irrité que vous soyez, n'aveuglez point le cœur de ce peuple, n'aveuglez point les consciences de ceux qui m'écoutent ; et que je n'aie pas encore le malheur de servir malgré moi, par l'abus qu'ils feraient de votre parole et de mon ministère, à la consommation et aux tristes suites de leur aveuglement. Déchargez votre colère sur tout le reste, mais épargnez leurs consciences. Leurs biens et leurs fortunes sont à vous, faites-leur-en sentir la perte, mais ne les privez pas de ces lumières qui doivent les éclairer dans le chemin de la vertu. Humiliez-les, mortifiez-les, appauvrissez-les, anéantissez-les selon le monde ; mais n'éteignez pas le rayon qui leur reste pour les conduire. A toute autre punition qu'il vous plaira de les condamner, ils s'y soumettront, mais ne les mettez pas à l'épreuve de celle-ci, en leur ôtant la connaissance et la vue de leurs obligations ; car ce serait les perdre, et les perdre sans ressource, ce serait dès cette vie les réprouver. J'achève. Fausse conscience aisée à nier, fausse conscience dangereuse et pernicieuse à suivre, c'est ce que je vous ai fait voir.

 

Enfin, fausse conscience, excuse inutile pour nous justifier devant Dieu : c'est la dernière partie.

 

BOURDALOUE, SUR  LA  FAUSSE  CONSCIENCE

 

Triomphe de la Vertu sur le Vice, Giambologna

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