"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Saint Père François
1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II
Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II
Béatification du Père Popieluszko
à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ
Varsovie 2010
Basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde
Divine
La miséricorde de Dieu
est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus
absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de
l’amour.
Père Marie-Joseph Le
Guillou
Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.
Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)
Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en
Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus
feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de
Montmartre
Notre Dame de Grâce
Cathédrale Notre Dame de Paris
Ordinations du
samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris
la vidéo sur
KTO
Magnificat
Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de
Paris
NOTRE DAME DES VICTOIRES
Notre-Dame des
Victoires
... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !
SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ
BENOÎT XVI à CHYPRE
Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010
Benoît XVI en Terre Sainte
Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem
Yahad-In Unum
Vicariat hébréhophone en Israël
Mgr Fouad Twal
Vierge de Vladimir
On ne nous oblige pas à fuir le monde en général, mais on nous oblige à fuir un monde particulier qui nous pervertit et qui nous pervertira toujours, parce que c'est un monde où règne le péché, un monde d'où la charité est bannie, un monde dont la médisance fait presque tous les entretiens, un monde où le libertinage passe non seulement pour agréable, mais pour honnête ; un monde dont nous ne sortons jamais qu'avec des consciences ou troublées de remords, ou chargées de crimes ; un monde au torrent duquel nous sentons bien que nous ne pouvons résister.
BOURDALOUE
Connaître non seulement ce que nous sommes sans la grâce, mais aussi ce que Vous avez été, Marie, et ce que nous sommes par la grâce. Nous l'allons voir dans la seconde partie.
C'est le sentiment de toute l'Eglise, qui nous doit ici tenir lieu de règle, que Marie, après Jésus-Christ, a été la première des élus de Dieu ; et il est d'ailleurs évident que le premier effet de son élection ou de sa prédestination, a été la grâce singulière en quoi j'ai fait consister le privilège de sa conception. Grâce souveraine, dont elle put bien dire dès lors : Tout ce que je suis, et tout ce que je serai jamais, je le suis en vertu de cette grâce dont Dieu me prévient aujourd'hui : Gratia Dei sum id quod sum ( I Cor., XV, 10.). Grâce féconde, qui dès ce moment-là lui donna lieu de pouvoir ajouter avec l'Apôtre, mais bien plus justement que l'Apôtre : Et gratia ejus in me vacua non fuit (Ibid.) ; et cette grâce de mon Dieu n'a point été stérile en moi. Car il est vrai, Chrétiens, que cette grâce fut à l'égard de Marie comme une onction céleste dont Dieu la remplit dans l'instant même qu'elle fut conçue. Mais pourquoi ? Pour sanctifier sa personne, et pour relever le mérite de toutes les actions de sa vie. Ne perdez rien de ces deux pensées. Pour sanctifier sa personne, de la manière la plus parfaite et la plus avantageuse dont une pure créature peut être sanctifiée au-dessous de Dieu, et pour relever le mérite de toutes les actions de sa vie, c'est-à-dire pour rendre toutes ces actions précieuses devant Dieu, et dignes de Dieu. Deux merveilleux effets que je distingue, et qui, par les deux conséquences que j'en tirerai, en comparant toujours la conception de Marie avec la nôtre, nous feront connaître à nous-mêmes l'heureux état où nous élève, par le baptême, la grâce de notre adoption.
Grâce qui sanctifia la personne de Marie, et qui la sanctifia de la manière qui convenait à une créature que Dieu formait actuellement, et qu'il destinait pour être la mère de son Fils ; car dans ce bienheureux moment, Marie, déjà pleine de grâce, et pleine de l'Esprit de Dieu, eut droit de dire bien mieux qu'Isaïe : Dominus ab utero vocavit me (Isaïe., XLIX, 1) ; Avant que je visse le jour, le Seigneur m'a appelée : De ventre matris meœ recurdatus est nominis mei (Ibid.) ; Dès le sein de ma mère il m'a fait sentir l'impression de sa grâce, et s'est souvenu de mon nom. Oui, dès cet instant le Verbe de Dieu se souvint de l'auguste nom, du sacré nom, du nom vénérable que Marie devait un jour porter ; et parce que c'était d'elle qu'il voulait naître, au lieu qu'il dit à Isaïe : Servus meus es tu, quia in te gloriabor (Ibid.) ; Vous êtes mon serviteur, et c'est en vous que je me glorifierai ; il dit à Marie, quoiqu'elle fût son humble servante : Vous êtes celle que j'ai choisie pour être ma mère, car c'est en cette qualité que vous êtes aujourd'hui conçue ; et voilà pourquoi non seulement je me glorifierai, mais dès maintenant je me glorifie en vous. Dès cet instant-là, dis-je, le Verbe de Dieu, en vue de son incarnation prochaine, se fit comme une gloire particulière , et crut se devoir à lui-même de sanctifier cette Vierge, de l'enrichir de ses dons, et de la combler de ses faveurs les plus exquises. Le souvenir que c'était celle dont il devait être bientôt le fils, sa tendresse lui fit oublier les lois générales de sa justice rigoureuse, pour la séparer de la masse commune des enfants d'Adam ; pour la privilégier, pour la distinguer, pour l'honorer, en consacrant les prémices de son être par cette onction de sainteté dont elle fut remplie, et comme son fils présomptif, rendant par avance, si je puis ainsi parler, cette espèce de respect à sa maternité future : De ventre matris meœ recordatus est nominis mei. Ce n'est pas tout.
J'ai dit que la grâce de la conception de Marie, au même temps qu'elle sanctifia sa personne, fut en elle comme une source intarissable de mérites, pour consacrer et pour relever toutes les actions de sa vie. Ceci n'est pas moins digne de votre attention : car, selon les règles et les principes de la théologie, il est encore vrai que la mère de Dieu, durant tout le cours de sa vie, n'a pas fait une seule action qui n'ait tiré son mérite et sa valeur de cette première grâce. Autre abîme des trésors infinis de la miséricorde divine : O altitudo divitiarum (Rom., XI, 33) !
Pour vous faire mieux entendre ce que je veux dire, je vais vous en donner une figure sensible ; et la voici. Imaginez-vous, mes chers auditeurs, ce petit grain de l'Evangile, qui, semé dans le champ, et y ayant germé, croît peu à peu jusqu'à devenir un grand arbre. Rien de plus juste pour exprimer ma pensée. Dès que ce grain a pris racine, il pousse son germe, il sort de la terre ; à force de s'élever il jette des branches, il se couvre de feuilles, il se pare de fleurs, il porte des fruits ; mais en sorte que tout cela n'a de subsistance et de vie que par lui : car c'est de la racine et de ce grain que les plus hautes branches de l'arbre tirent la sève qui les nourrit ; et cette sève ainsi répandue, entretient la fraîcheur des feuilles, fait la beauté des fleurs, donne aux fruits leur goût et leur saveur. Voilà le symbole de la grâce que reçut Marie dans sa conception. Ce fut comme un germe divin qui se forma dans son cœur, mais dont la vertu se répandit ensuite dans tout le corps de ses actions. Tout ce qu'a jamais fait Marie a été saint, et d'un mérite inestimable devant Dieu : pourquoi ? parce que tout ce qu'elle a fait partait d'un principe de sanctification qui était en elle, et qui donnait le prix à tout. Or, quel était ce principe de sanctification ? La grâce de sa conception. Cette grâce, je l'avoue, n'était que la racine des dons sublimes dont le ciel ensuite la combla, et qui relevèrent à une perfection si éminente : mais parce que la racine était sainte, les branches le furent aussi : Si radix sancta, et rami (Ibid., 16.). Qu'est-ce que j'entends par les branches? Ce sont les vertus que cette incomparable Vierge pratiquait, les bonnes œuvres qu'elle faisait, les devoirs qu'elle accomplissait, le culte qu'elle rendait à Dieu, les offices de charité dont elle s'acquittait envers le prochain, les exercices d'humilité qui la rendaient si attentive sur elle-même. Car ce n'est point une vaine conjecture, mais une vérité solide, que tout cela fut sanctifié par la même grâce qui sanctifia son âme au moment de sa conception ; et que cette grâce qu'elle ne perdit jamais, fut, pour me servir du terme de l'Evangile, le levain sacré dont la bénédiction et l'efficace se communiqua à tous les temps de sa vie.
Or, de là, Chrétiens, faisant un retour sur nous-mêmes, il nous est aisé de conclure ce que nous sommes par la grâce et avec la grâce. Car le baptême, qui, selon les Pères, est, comme j'ai dit, le sacrement de notre conception spirituelle, et même la pénitence, qui est celui de notre justification, nous donnent une grâce qui, pour être d'un ordre bien inférieur à celle de Marie, ne laisse pas d'opérer en nous par proportion les mêmes effets. Je veux dire que nous recevons une grâce qui sanctifie nos personnes, en nous élevant jusqu'à la dignité d'enfants de Dieu, et qui répand sur toutes nos actions un mérite par où elles deviennent dignes de Dieu, et de la vie éternelle que nous devons posséder en Dieu. A quoi sommes-nous sensibles, si nous ne le sommes pas à ces deux avantages si précieux ? En vertu de la grâce qui nous sanctifie, nous sommes les enfants de Dieu. C'est ce que nous a expressément déclaré celui d'entre les apôtres qui pouvait mieux nous en instruire, et à qui ce secret fut révélé, quand il reposa, comme bien-aimé disciple, sur le sein de son maître. C'est lui qui nous a mis en main ce titre authentique de notre adoption, et qui, nous apprenant ce que nous sommes, pose pour fondement de son Evangile, que le pouvoir d'être enfant de Dieu nous a été donné à tous : Quotquot autem receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri (Joan., I, 12.).
Or, il est de la foi que ce pouvoir est essentiellement attaché à la grâce habituelle dont je parle. Si nous savions priser le don de Dieu ; si le péché ne nous aveuglait pas, jusqu'à nous ôter le sentiment de notre propre grandeur, c'est de cette grâce que nous ferions toute notre gloire : l'unique pensée qui nous occuperait, et dont nous serions vivement touchés, ce serait de respecter dans nous cette qualité d'enfants de Dieu, de la soutenir par notre conduite, de la préférer à tous les honneurs du siècle, et de rentrer souvent dans nous-mêmes, pour faire cette sainte réflexion : Qui suis-je devant Dieu et auprès de Dieu ? tandis que je suis dans l'état de sa grâce, j'ai droit de l'appeler mon père, et il veut bien, tout Dieu qu'il est, me reconnaître parmi ses enfants. Voilà ce qu'il estime en moi, et sur quoi je dois faire fonds pour me glorifier et pour me confier en lui. Tous les autres titres, ou de naissance ou de fortune, qui pourraient dans le monde me distinguer, sont titres vains, titres périssables, titres dangereux : titres vains, puisqu'ils ne sont pas capables par eux-mêmes de me rendre agréable à Dieu ; titres périssables, puisque la mort les efface si tôt et les fait évanouir ; titres dangereux pour le salut, puisqu'il est si facile d'en abuser, et si difficile de n'en abuser pas, et qu'on n'en peut attendre autre chose que d'être jugé de Dieu plus exactement et plus rigoureusement. Toute ma confiance doit donc être dans ce titre honorable d'enfant de Dieu : et malheur à vous, mes chers auditeurs, si jamais il vous arrivait de faire consister la vôtre dans une grandeur seulement humaine. Je ne prétends point pour cela diminuer les avantages, même extérieurs et temporels, que vous avez reçus de Dieu dans votre naissance. Ce que nous voyons dans la conception de Marie, je dis la grandeur du monde sanctifiée par la grâce du Créateur, doit m'inspirer un autre sentiment. Car Dieu n'a point méprisé dans Marie cette grandeur de la naissance, dont l'Eglise même semble aujourd'hui lui faire honneur. Au contraire, il a voulu que Marie fût d'un sang noble et royal : pourquoi ? pour faire éclater, dit saint Chrysostome, la vertu de sa grâce, et pour donner aux grands du monde cette consolation dans leur état, non seulement que la grandeur peut servir de fonds à la plus éminente sainteté, mais que la sainteté, pour être éminente, ne trouve point de fonds qui lui soit plus propre que la grandeur : pour leur marquer que, selon le dessein de la Providence, ils peuvent, sans rien confondre, être grands et être saints ; mais qu'ils ne sont grands que pour être saints, et que plus ils sont grands, plus ils sont capables d'honorer Dieu, quand ils sont saints.
Divine leçon que leur fait aujourd'hui le Saint-Esprit, en leur proposant la généalogie de la mère de Dieu, comme la plus auguste de l'univers. Mais cette leçon, qui ne regarde que les grands, n'aurait pas assez d'étendue. Je parle donc à tous sans exception, puisqu'il n'y a point de juste sur la terre, de quelque condition qu'il soit, qui n'ait droit de dire comme chrétien : Je suis né de Dieu, et cette grâce qui me sanctifie n'est rien moins dans moi, qu'une participation de la nature de Dieu. C'est l'idée que chacun de nous, sans présomption, peut et doit avoir de soi-même, s'il est en grâce avec Dieu, puisque Dieu, en termes exprès, nous le témoigne par le premier de ses apôtres : Ut per hœc efficiamini divinœ consortes naturœ (II Petr., 1, 4.). Quelque languissante que soit notre foi, si nous raisonnions et si nous agissions suivant ce principe, en faudrait-il davantage pour la ranimer ? Voyez, mes Frères, disait saint Jean, exhortant les premiers fidèles (et pourquoi dans le même sens ne vous le dirais-je pas aujourd'hui ?) voyez quel amour le Père, qui est notre Dieu, nous a marqué en voulant qu'on nous appelât ses enfants, et que nous le fussions en effet : Videte qualem charitatem dedit Pater nobis, ut filii Dei nominemur et simus (Joan., III, 1.). Mais voyez aussi, ajoutait-il, et dois-je ajouter, quel retour de zèle, de ferveur, de reconnaissance, demande cette charité d'un Dieu ; voyez à quelle pureté de mœurs elle vous engage ; voyez l'obligation qu'elle vous impose de vous sanctifier en esprit et en vérité, pour n'être pas indignes de cette adoption, qui vous donne un Dieu pour père ; voyez si c'est trop exiger de vous, quand Dieu prétend que pour cela vous cessiez d'être des hommes charnels, et que vous commenciez à vivre en hommes raisonnables ; voyez si toute la perfection contenue dans la loi chrétienne est trop pour des enfants de Dieu : Videte. Ah ! Seigneur, s'écriait saint Léon, pape, méritons-nous de porter un si beau nom, si nous venons à le flétrir, oubliant la noblesse de notre origine, pour nous laisser dominer par des vices honteux ; et ne faut-il pas que nous renoncions pour jamais à l'honneur de vous appartenir, si nous marchons encore dans les voies corrompues du siècle ? Etre enfant de Dieu, et succomber à toutes les passions de l'homme, et être sujet à toutes les faiblesses de l'homme, et s'abandonner aux désirs déréglés de l'homme, ne serait-ce pas un monstre dans l'ordre de la grâce ? C'est néanmoins, mes chers auditeurs, ce qui doit confondre tant d'âmes mondaines, et sur quoi je veux bien me promettre que, dans l'esprit d'une sainte componction, chacun s'appliquera de bonne foi à reconnaître devant Dieu son injustice, et à la pleurer. Poursuivons.
En vertu de la grâce qui nous sanctifie comme enfants de Dieu, nous sommes les héritiers de Dieu, et les cohéritiers de Jésus-Christ dans le royaume de Dieu : Si autem filii, et hœredes ; hœredes quidem Dei, cohœredes autem Christi (Rom., VIII, 18.). Héritiers de Dieu, parce que Dieu, dit saint Augustin, ne nous a point promis d'autre héritage que la possession de lui-même. Or, c'est la grâce sanctifiante qui nous assure cet héritage céleste ; et Dieu, le meilleur et le plus libéral de tous les pères, ne peut nous le refuser, tandis que sa grâce est en nous, et que nous sommes en grâce avec lui. Cohéritiers de Jésus-Christ ; car nous devenons capables, non seulement de posséder, mais de mériter le royaume de Dieu, et de le mériter par autant de titres que nous pratiquons de bonnes œuvres, et que nous faisons d'actions chrétiennes : puisqu'il est encore de la foi que toutes nos œuvres élevées, sanctifiées et comme divinisées par la grâce, nous servent de mérites pour la gloire ; que chacune, en particulier, est pour nous comme un droit acquis à cette gloire ; que les plus viles el les plus basses en apparence, ont une sainteté proportionnée à cette gloire, qu'à un verre d'eau donné pour Dieu, est dû, par justice et par récompense, un degré de cette gloire; et qu'ainsi la vie du juste sur la terre devient un mérite continuel, dont Dieu, selon saint Paul, veut bien être dès maintenant le dépositaire, pour en être éternellement le rémunérateur.
Il est vrai : mais aussi, renversant la proposition, concluez de là quelle perte fait un pécheur qui vient à déchoir de l'état de grâce, puisqu'il n'est pas moins de la foi, que hors de cet état toutes nos œuvres sont des œuvres mortes, de nul prix devant Dieu, et incapables de nous obtenir la récompense des élus de Dieu. Ce n'est pas que, dans l'état du péché, quoique privés de la grâce habituelle, nous ne puissions faire des actions louables et vertueuses, des actions saintes et surnaturelles, des actions même utiles pour le salut, puisqu'au moins elles peuvent nous servir de disposition pour nous convertir à Dieu : mais je ne vous instruirais pas à fond de votre religion, si je ne vous avertissais que toutes ces actions, quoique saintes, quoique surnaturelles, quoique utiles, hors de l'état de la grâce ne méritent rien pour le ciel ; que Dieu ne nous en tiendra jamais compte dans l'éternité, et qu'au lieu qu'étant consacrées par la grâce, elles nous auraient acquis des trésors de gloire ; du moment qu'elles n'ont pas cet avantage, elles ne peuvent nous conduire à ce royaume, que Dieu, comme juge équitable, réserve à ses amis. Or, ma douleur est de voir des chrétiens insensibles à de si importantes vérités, des chrétiens qui perdent la grâce tranquillement, qui la perdent sans chagrin et sans trouble, et qui par là ne montrent que trop leur peu de foi et même leur secrète irréligion. Ô homme ! concluait le grand saint Léon, indigné du scandale que je déplore, et touché d'un si prodigieux aveuglement ; ô homme ! qui que vous soyez, reconnaissez donc aujourd'hui votre dignité, et, sanctifié comme vous l’êtes par la grâce qui vous associe à la nature divine, ne retombez pas dans votre première bassesse : Agnosce, o homo, dignitatem tuam, et divinœ consors factas naturœ, noli in veterem vilitatem degeneri conversatione redire. Mais il faut pour cela, mes chers auditeurs, que, nous appliquant l'exemple de Marie, nous apprenions ce que nous devons à la grâce : c'est la dernière partie.
C'est une vérité, Chrétiens, qui ne peut être contestée, qu'après Jésus-Christ, l'exemple de Marie, sa mère, est l'idée la plus excellente que nous puissions nous proposer pour la conduite de notre vie. A quoi j'ajoute, en particulier, que l'usage qu'a fait Marie de la grâce de sa conception, est le modèle le plus parfait que Dieu pût nous mettre devant les yeux pour nous apprendre l'usage que nous devons faire de la grâce de notre sanctification. C'est, mes chers auditeurs, ce qui vous va paraître évident, par la comparaison de ces deux grâces, ou plutôt par l'opposition que je remarque entre Marie et nous, touchant la correspondance et la fidélité dues à ces deux grâces. Opposition qui d'une part nous confondra, mais qui de l'autre nous instruira, et dont il ne tiendra qu'à nous de tirer les règles les plus solides et les plus sûres d'une vie chrétienne.
Car, prenez garde, s'il vous plaît : Marie, quoique exempte de toute faiblesse, et confirmée en grâce dans sa conception, n'a pas laissé de fuir le monde et la corruption du monde. Marie, quoique conçue avec tous les privilèges de l'innocence, n'a pas laissé de vivre dans l'austérité et dans les rigueurs de la pénitence. Marie, quoique remplie du Saint-Esprit dès l'instant de son origine, n'a pas laissé de travailler ; et, sans mettre jamais de bornes à sa sainteté, elle a toujours été croissant en vertus et en mérites. Quelles conséquences pour nous, qui sommes, il est vrai, soit dans le baptême, soit dans la pénitence, régénérés et justifiés par la grâce, mais par une grâce qui n'a ni la stabilité de celle de Marie, ni son intégrité, ni sa plénitude ; ou plutôt, par une grâce dont les caractères sont tout différents de celle de Marie ! je veux dire par une grâce qui, toute puissante qu'elle est, se trouve exposée à nos inconstances et à nos fragilités ; qui, toute sanctifiante qu'elle est, n'étant pas une grâce d'innocence, ne nous dispense pas de l'obligation de pleurer et de nous mortifier ; qui, tout abondante qu'elle est, n'empêche pas qu'il ne reste encore dans nous un vide, je dis un vide de mérites que Dieu veut que nous remplissions par nos actions et par nos œuvres. Cependant, malgré la différence de ces caractères, nous nous obstinons à n'en croire que notre propre sens ; et suivant des maximes et des voies contradictoirement opposées à celles de Marie, quoique fragiles et sujets à tous les désordres d'une nature corrompue, nous nous exposons témérairement aux plus dangereuses tentations du monde. Quoique conçus dans le péché et dans l'iniquité, nous prétendons vivre dans la mollesse et dans le plaisir ; quoique dénués de mérites et de vertus, nous arrêtons le don de Dieu, et nous retenons sa grâce dans l'oisiveté d'une vie mondaine et inutile. N'apprendrons-nous jamais à nous conduire selon les lois de cette parfaite sagesse, qui, comme parle l'Evangile, doit nous rappeler, tout pécheurs que nous sommes, à la prudence des justes ? et Dieu pouvait-il nous y engager par des raisons plus fortes et plus pressantes que celles-ci, qui sont les suites naturelles du mystère que nous célébrons ?
Marie, sanctifiée dès sa conception, n'a jamais perdu la grâce qu'elle avait reçue de Dieu : je ne m'en étonne pas. Non-seulement elle ne l'a jamais perdue, mais elle n'en a jamais terni le lustre par le moindre péché. Ainsi, selon le témoignage et la décision du concile de Trente, l'a toujours cru toute l'Eglise : Quemadmodum de beata Virgine tenet Ecclesia. Ce n'est point encore ce qui me surprend ; mais ce que j'admire et ce qui fait le sujet de mon étonnement, c'est de voir la circonspection, l'attention, la vigilance avec laquelle Marie a conservé cette grâce, qu'elle ne devait jamais perdre, et même qu'elle ne pouvait perdre, l'ayant ménagée avec autant de précaution que si elle eût couru tous les risques ; s'étant pour cela, dès sa plus tendre enfance, séparée du monde ; ayant renoncé pour cela à tout commerce et à tout engagement avec le monde ; ayant consacré pour cela les prémices de sa vie par un divorce solennel et éternel avec le monde, ayant vécu pour cela dans un si parfait éloignement du monde, que la vue même d'un ange la troubla, parce qu'il était transfiguré en homme : voilà, dis-je, ce qui me jette dans l'admiration.
Car enfin, la grâce de la conception de Marie était à l'épreuve de la corruption du monde ; c'était une grâce solide, que toute l'iniquité du monde ne pouvait altérer ni ébranler : et la même théologie qui nous enseigne que la mère de Dieu ne pécha jamais, nous apprend qu'elle était impeccable par grâce, comme Jésus-Christ l'était par nature ; parce qu'à l'instant même qu'elle fut conçue, Dieu la confirma et la fixa dans l'état de la sainteté. Le monde, tout perverti qu'il est, n'avait donc rien de dangereux pour elle. En quelque occasion qu'elle se fût trouvée, elle aurait donc pu marcher sûrement; et la grâce qu'elle portait dans son cœur n'aurait pas plus été souillée de tous les désordres et de tous les scandales du monde, que le rayon du soleil de la boue qu'il éclaire, et qu'il pénètre, sans en contracter l'impureté. Mais c'est en cela même que la conduite de cette reine des vierges devient aujourd'hui notre exemple, et que son exemple, par l'énorme contrariété qui se rencontre entre elle et nous, est une conviction seule capable de nous confondre devant Dieu. Car voici, Chrétiens, en quoi je la fais consister. Marie, en vertu de sa conception, possédait une grâce inaltérable, et, comme parlent les théologiens, inamissible ; cependant elle marcha toujours dans l'étroite voie de la crainte du Seigneur : et nous, tout faibles que nous sommes, nous nous exposons témérairement à tous les dangers. Nous portons, comme dit l'Apôtre, le trésor de la grâce dans des vases de terre, c'est-à-dire dans des corps mortels et corruptibles : Habemus thesaurum istum in vasis fictilibus (II Cor., IV, 7.) ; et nous ne craignons rien. Nous le portons, ce riche et précieux trésor, dans un chemin glissant, parmi des ténèbres épaisses, au milieu des écueils et des précipices, poursuivis d'autant de démons qu'il y a d'ennemis de notre salut qui cherchent à nous l'enlever ; et rien de tout cela ne nous rend plus attentifs et plus vigilants. Je ne sais si je m'explique assez, et je ne puis trop insister sur ce parallèle. Marie, qui, par la grâce de son origine, était exempte des faiblesses du péché, s'est néanmoins, par zèle et par amour de ses devoirs, éloignée des occasions du péché ; et nous, à qui notre faiblesse fait souvent de ces occasions autant de péchés, nous nous y jetons présomptueusement, et nous y demeurons opiniâtrement. Marie, à qui Dieu, dans sa conception, avait donné un préservatif infaillible contre le monde, se tint néanmoins dans une entière séparation du monde ; et nous, qui savons par tant d'épreuves combien le monde est contagieux pour nous, bien loin de le fuir, nous l'aimons, nous nous y plaisons, nous nous y intriguons, nous nous y poussons ; outre les engagements légitimes que nous y avons par la nécessité de notre état, nous nous en faisons tous les jours de volontaires et de criminels.
Or, c'est en quoi paraît notre présomption, de vouloir que Dieu fasse continuellement pour nous des miracles. Il n'en a fait qu'un pour sanctifier Marie, et nous voudrions qu'il en fit sans cesse de nouveaux pour nous conserver. Comme ces trois jeunes hommes dans la fournaise de Babylone, au milieu des flammes qu'allume partout l'esprit impur, nous voudrions qu'il nous soutînt en mille occasions où la curiosité nous porte, où la vanité nous conduit, où la passion nous attache, où nous nous trouvons contre l'ordre du ciel, et où la grâce même des anges ne serait pas en sûreté. Nous voudrions, avec une grâce aussi peu stable que la nôtre, être aussi forts et avoir les mêmes droits que Marie avec la grâce saine et entière de sa conception ; et ce que Marie n'a pas osé dans l'état de cette grâce privilégiée, nous l'osons dans le triste état où le péché nous a réduits. Mais, Chrétiens, le prétendre ainsi, c'est nous aveugler et nous tromper nous-mêmes. Si cela était, les saints auraient pris, pour ne pas risquer la grâce de leur innocence, des mesures bien peu nécessaires. En vain l'Esprit de Dieu qui les gouvernait leur aurait-il inspiré tant de haine pour le monde ; et en vain ce même Esprit nous proposerait-il la sainteté de Marie comme une sainteté exemplaire, puisque sans nous séparer du monde, et sans le combattre, il nous serait aisé, au milieu du monde même, de nous maintenir dans la grâce. Non, non, il n'en va pas de la sorte. La grâce qui nous rend amis et enfants de Dieu, est une grâce que nous pouvons perdre ; et par conséquent nous devons veiller avec soin sur cette grâce, prêts à exposer tout le reste pour elle, parce qu'elle est la vie de notre âme, et déterminés à ne l'exposer jamais, parce qu'en la perdant nous perdons tout. Elle nous est enviée par le démon, et c'est ce qui nous doit rendre plus circonspects : de puissants ennemis l'attaquent dans nous, et c'est à nous de nous en défendre ; et puisqu'il a plu au Seigneur de nous soumettre à cette nécessité d'avoir toujours les armes à la main, il faut de cette nécessité, quelque gênante qu'elle puisse être, nous faire un mérite et une vertu : cela nous obligera à opérer notre salut avec crainte et avec tremblement ; ainsi le prétendait saint Paul. Il faudra renoncer à un certain monde : heureux si par là nous assurons le talent que Dieu nous a confié ! On ne nous dit pas qu'il faille renoncer à tous les engagements du monde : car il y en a qui sont d'un devoir indispensable, et ceux-là n'ont rien d'incompatible avec la grâce ; mais on nous dit qu'il faut renoncer à ceux qui n'ont point d'autre fondement que la passion, que le plaisir, que la sensualité ; parce que la grâce, toute sanctifiante qu'elle est, ne peut subsister avec eux. On ne nous oblige pas à fuir le monde en général, mais on nous oblige à fuir un monde particulier qui nous pervertit et qui nous pervertira toujours, parce que c'est un monde où règne le péché, un monde d'où la charité est bannie, un monde dont la médisance fait presque tous les entretiens, un monde où le libertinage passe non seulement pour agréable, mais pour honnête ; un monde dont nous ne sortons jamais qu'avec des consciences ou troublées de remords, ou chargées de crimes ; un monde au torrent duquel nous sentons bien que nous ne pouvons résister.
Voilà l'essentielle et importante vérité que nous prêche Marie par son exemple ; et c'est à vous, âmes fidèles, dont elle a honoré le sexe, de vous l'appliquer personnellement : car l'exemple de Marie est fait pour vous ; et quand saint Ambroise parlait aux femmes chrétiennes de son siècle, c'était la règle qu'il leur proposait. Considérez Marie, leur disait-il ; il n'y a rien dans sa conduite qui ne vous instruise. Voyez avec quelle réserve et avec quelle modestie elle reçut la visite d'un ange ; et vous apprendrez comment vous devez traiter avec des hommes pécheurs ! C'était un ange, mais sous une figure humaine ; et voilà pourquoi elle prétendit avoir raison et même obligation de se troubler. C'était le ministre de Dieu, l'ambassadeur de Dieu ; mais elle savait qu'une épouse de Dieu doit se défier des serviteurs de Dieu même. Elle était confirmée en grâce, et le Seigneur était avec elle, mais il n'était avec elle, reprend saint Ambroise, que parce qu'elle ne pouvait être sans peine avec tout autre qu'avec lui ; et elle n'était confirmée en grâce, que parce qu'elle était confirmée dans la défiance d'elle-même. Voilà le modèle et le grand modèle sur lequel Dieu vous jugera , mais sur lequel j'aime bien mieux que vous vous jugiez dès aujourd'hui vous-mêmes. Par là, je dis votre conformité à ce modèle, et par le soin que vous aurez d'imiter cet exemple, votre conduite sera telle que le veut saint Paul, irrépréhensible et sans tache ; par là votre réputation, dont vous êtes responsables à Dieu et aux hommes, se trouvera à couvert de la médisance ; par là vous serez au-dessus de la censure, et le monde même vous respectera ; par là cesseront tant d'imprudences malheureuses qui sont le scandale de votre vie ; tant de libertés que le monde même, tout corrompu qu'il est, ne vous permet ni ne vous pardonne pas ; tant de conversations dont la licence n'aboutit qu'à l'iniquité : par là les bienséances les plus exactes et les plus sévères vous deviendront dans la pratique aussi douces qu'elles vous semblaient importunes et fatigantes ; par là votre régularité confondra le libertinage, et votre piété sera une piété solide : car qu'est-ce que votre piété sans cette régularité, sinon un fantôme que Dieu réprouve, et dont les hommes font le sujet de leurs railleries ? En un mot, vous réglant sur l'exemple de Marie, vous sanctifierez le christianisme dans vos personnes : car je vous l'ai déjà dit plus d'une fois, Mesdames, et j'ose encore ici vous le redire, c'est de vous, et presque uniquement de vous que dépend le bon ordre et la sanctification du christianisme ; j'en appelle là-dessus à vos propres connaissances; et pour vous convaincre de cette vérité, je ne veux point d'autres témoins que vous-mêmes.
Cependant Marie n'ayant jamais perdu, ni même souillé par le moindre péché, la grâce de sa conception, selon les lois communes, ne devait-elle pas être exempte des rigueurs de la pénitence ? Tel était sans doute le privilège de son état ; mais prétendit-elle en jouir ? Non, mes chers auditeurs. Mère d'un Fils qui, sans avoir connu le péché, venait au monde pour être la victime publique du péché, elle voulut avoir part à son sacrifice. Mère d'un Dieu qui, étant l'innocence même, venait par sa mort faire pénitence pour nous, elle se fit un devoir et un mérite d'entrer dans ses sentiments : elle ressentit comme lui les péchés des hommes, elle les pleura ; et la douleur qu'elle en conçut, selon l'oracle de Siméon, fut comme une épée qui perça son âme et qui déchira son coeur. Quoique sainte et remplie de grâce, elle passa ses jours dans la pénitence la plus austère ; et c'est ce que nous avons de la peine à comprendre.
Mais ce que je comprends encore moins, c'est que des pécheurs, et des pécheurs chargés de crimes, par une conduite directement opposée, veuillent goûter toutes les douceurs de la vie. Car voilà notre désordre ; déchus de la grâce de l'innocence, nous en voulons avoir tous les avantages ; conçus dans le péché, nous n'en voulons pas subir les châtiments, ni prendre les remèdes. Les avantages de l’innocence sont le repos, la tranquillité, le plaisir, la joie ; je dis une joie pure, sans disgrâce et sans amertume. Or n'est-ce pas là ce que nous recherchons avec tant d'empressement et tant de passion ; et à nous entendre parler, à nous voir agir, ne dirait-on pas que nous y avons droit ? Au contraire, l'assujettissement, le travail, l'humiliation, la souffrance, les larmes, selon l'Apôtre, sont le juste paiement et la solde du péché : Stipendia peccati (Rom., VI, 23.) ; mais qu'avons-nous plus en horreur ? de quoi cherchons-nous plus à nous préserver ? et nous prêcher une telle morale, n'est-ce pas, à ce qu'il paraît, nous offenser ? La pénitence, disent les conciles, est comme le supplément et comme le recouvrement de la grâce de l'innocence ; et malgré la perte de notre innocence, nous ne voulons point de pénitence. Si Dieu nous la fait faire par lui-même, nous en murmurons ; si cette pénitence se trouve attachée à nos conditions, nous nous la rendons inutile ; d'une pénitence salutaire qu'elle pouvait être, nous nous en faisons une pénitence forcée ; et voilà, mes chers auditeurs, votre malheureux état. Car où voit-on plus de sujets et plus de matière de pénitence qu'à la cour ; et en même temps où voit-on dans la pratique moins de pénitence chrétienne qu'à la cour ? Là où le péché abonde, c'est là, par un renversement bien déplorable, que je trouve moins la vraie pénitence, et que règne avec plus d'empire l'orgueil de l'esprit, la mollesse des sens, et l'amour de soi-même.
Enfin, par une dernière opposition entre Marie et nous, quoique la grâce de sa conception fût une grâce surabondante et presque sans mesure, Marie néanmoins n'en est pas demeurée là ; mais toute son application, tandis qu'elle vécut, fut d'augmenter cette grâce, croissant tous les jours de mérite en mérite, de sainteté en sainteté : et nous, en qui la grâce même laisse un si grand vide, nous n'avons nul zèle pour le remplir ; nous nous contentons de ce que nous sommes : pour un homme du monde, dit-on, pour un courtisan, il n'en faut pas davantage. Et qui sommes-nous pour borner ainsi la grâce de notre Dieu : Qui estis vos (Judith, VIII, 11.) ? Si Dieu veut se servir de nous, et s'il demande de nous plus de perfection, pourquoi ne lui obéirons-nous pas, et pourquoi faudra-t-il que sa main et sa miséricorde soient raccourcies par notre infidélité ? Ah ! Chrétiens, la consistance dans la grâce n'est que pour la gloire. Dans cette vie, ou il faut croître, ou il faut déchoir. C'est ce que saint Paul enseignait aux premiers fidèles. Croissez, mes Frères, leur disait-il, dans la science de Dieu ; croissez dans son amour et dans sa grâce ; croissez dans la foi et dans toutes les vertus ; sans cela vous êtes dans la voie de perdition. Or, pour croître de la sorte, il faut agir ; et c'est ce qu'a fait Marie. Sans laisser jamais la grâce oisive, elle l'a rendue agissante, fervente, appliquée à de continuelles pratiques de piété et de charité. Mais quelles bonnes œuvres pratiquez-vous, et à quels devoirs de charité envers les pauvres vous adonnez-vous ? S'il y a pour vous un moyen sur et infaillible de persévérer dans la grâce, au milieu du monde où vous vivez, c'est celui-là. Car au lieu que saint Bernard vous déclare, et avec raison, que, quoi que vous fassiez, vous ne conserverez jamais l'humilité dans le luxe, la chasteté dans les délices, la piété dans les intrigues et dans les vaines occupations du siècle, je vous dis, pour votre consolation, qu'en donnant vos soins aux pauvres de Jésus-Christ, et en vous employant pour eux, vous corrigerez votre délicatesse par la vue de leurs misères, votre vanité par les services que vous leur rendrez, votre froideur et votre indévotion par la sainteté de cet exercice ; et qu'ainsi, malgré les périls mêmes de votre état, mettant cette grâce en œuvre et la faisant agir pour Dieu, vous la sauverez pour vous-mêmes. Et de quoi nous sert-il, mes chers auditeurs, de posséder cette grâce si précieuse, et de n'en faire aucun usage ?
C'est donc ainsi que Marie a honoré la grâce, et que nous devons l'honorer. Quand Tertullien parle de la défiance salutaire que nous devons avoir de nous-mêmes pour nous préserver du péché, il dit un beau mot, savoir : que la crainte de l'homme est alors un respect et un honneur que l'homme, en vue de sa faiblesse et par esprit de religion, rend humblement à Dieu : Timor hominis honor Dei ; parce qu'en effet rien n'est plus honorable à Dieu que cette circonspection de l'homme, et cette attention non seulement à ne point offenser son Dieu, mais à ne courir pas même volontairement le moindre risque de perdre sa grâce. Et le même Tertullien, expliquant davantage sa pensée, dans l'exemple de certains pécheurs, qui, sortis de leurs désordres et des occasions malheureuses où ils étaient engagés, y renoncent pour jamais et de bonne foi, semblables à ceux qui, s'étant sauvés d'un naufrage, disent un éternel adieu à la mer ; il ajoute que ces pécheurs honorent le bienfait de Dieu et la grâce de leur conversion par le souvenir efficace du danger qu'ils ont couru : Et beneficium Dei, salutem suam scilicet, memoria periculi honorant.
Faisons encore plus : comme Marie, ne nous contentons pas d'honorer la grâce en la conservant, mais honorons-la en lui laissant toute son action ; honorons-la en lui faisant prendre tous les jours de nouveaux accroissements, et en lui disposant pour cela nos cœurs.
BOURDALOUE, SERMON SUR LA CONCEPTION DE LA VIERGE
Nous avons tous été conçus dans le péché ; la foi nous l'apprend, et l'expérience même nous le fait sentir.
(...)
L'abomination de désolation dans notre misère, c'est qu'au lieu que la grâce, qui sanctifia la conception de Marie, a parfaitement et absolument triomphé dans sa personne du péché originel, nous, au contraire, malgré la grâce du baptême, qui efface en nous ce péché, par un dernier désordre qui ne peut être attribué qu'à la dépravation de notre cœur, nous suscitons encore tous les jours dans le christianisme, si j'ose ainsi m'exprimer, de nouveaux péchés originels, pires que le premier, et d'une conséquence pour nous plus pernicieuse.
BOURDALOUE
Jacob autem genuit Joseph viram Mariœ, de qua natus est Jesus, qui vocatur Christus.
Jacob fut père de Joseph, l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus qu'on appelle Christ. (Saint Matthieu, chap. I, 16.)
En peu de paroles, voilà l'éloge le plus accompli de l'illustre Vierge dont nous célébrons aujourd'hui la fête : c'est celle de qui est né le Sauveur : De qua natus est Jesus. Voilà ce qui rend la conception de Marie non seulement si glorieuse, mais si sainte ; et sur quoi saint Augustin s'est fondé, quand il a dit que, pour l’honneur de Jésus-Christ, il exceptait toujours Marie lorsqu'il s'agissait du péché, et qu'il ne pouvait pas même souffrir qu'on mît en question si elle y avait été sujette : Excepta Virgine Maria, de qua, propter honorent Domini, nullam promis, cum de peccato agitur, haberi volo quœstionem.
La raison qu'il en apporte marque encore mieux sa pensée. Car nous savons, ajoute ce saint docteur, que cette Vierge incomparable a reçu d'autant plus de grâces pour triompher entièrement du péché, que c'est elle qui a mérité de concevoir et de porter dans ses chastes entrailles Celui que la foi nous assure avoir été exempt de tout péché, et absolument incapable d'avoir rien de commun avec le péché : Inde enim scimus, qaod ei tanto plus gratiœ collatum fuit ad vincendum omni ex parte peccatum, quia concipere et parere meruit eum, quem constat nullum habuisse peccatum. Témoignage bien authentique en faveur de la sainte Vierge ; règle sûre, que tout prédicateur de l'Evangile peut suivre encore aujourd'hui, puisqu'il y a tant de siècles que saint Augustin, le plus grand docteur de l'Eglise, se la prescrivait lui-même : Excepta Virgine Maria.
C'est ce qui détermina les Pères du concile de Trente à déclarer que leur intention n'était pas de comprendre l'immaculée et bienheureuse mère de Dieu, (car ainsi l'appellent-ils) dans le décret où il s'agissait du péché d'origine : Declarat hœc sancta synodus, non esse intentionis suœ, comprehendere in hoc decreto, ubi de peccato originali agitur, beatam et immaculatam Dei genitricem (Concil Trid., Sess. V, Decret, de pecc. orig. sub fine.). Or, le saint concile n'ayant pas voulu la confondre avec le reste des hommes dans la loi générale du péché, qui serait assez téméraire pour l'y envelopper ? Tel est aussi le motif pourquoi l'Eglise, conduite par l'Esprit de Dieu, a institué cette fête particulière sous le titre de la Conception de Marie. Elle prétend honorer la grâce privilégiée et miraculeuse qui sanctifia la mère de Dieu dès le moment qu'elle fut conçue ; et c'est à moi, mes chers auditeurs, de contribuer à ce dessein de l'Eglise, et de vous faire trouver dans ce mystère, tout stérile qu'il paraît pour l'édification des mœurs, un fond également avantageux, et pour la gloire de Marie, et pour notre propre utilité. Or c'est, comme vous l'allez voir, à quoi je me suis attaché. Mais il me faut, Vierge sainte, un secours puissant : il me faut des lumières pour m'éclairer, des grâces pour me soutenir ; et c'est par vous que je les obtiendrai, en implorant auprès de Dieu votre intercession, et vous disant : Ave, Maria.
J'entre dans mon sujet par une pensée qui m'a paru digne de toutes vos réflexions, et à laquelle j'ai cru devoir m'arrêter, parce qu'elle me fournit une ample matière d'instruction et de morale touchant le mystère que nous solennisons. Car je prétends que ce mystère, par la comparaison que nous devons faire, et qu'il nous donne lieu de faire entre Marie et nous, ou plutôt entre la conception de Marie et la nôtre, nous découvre aujourd'hui trois choses en quoi consiste la science la plus solide et la plus salutaire de l'homme chrétien, qui est la connaissance de nous-mêmes : trois choses qu'il nous est surtout important de bien pénétrer, et que nous ne pouvons ignorer, sans ignorer le fond de notre religion : savoir, ce que nous sommes sans la grâce, ce que nous sommes par la grâce, et ce que nous devons à la grâce.
Quand je dis la grâce, j'entends celle que les théologiens appellent grâce sanctifiante, et qui est en nous le plus précieux de tous les dons de Dieu, puisque c'est par elle que, de pécheurs, nous devenons justes, et d'ennemis de Dieu, enfants de Dieu. J'entends cette grâce habituelle que Dieu répand dans nos âmes, et qui est l'effet ou du baptême, que je puis pour cela définir, après saint Jérôme, le sacrement de notre conception spirituelle et de notre régénération ; ou de la pénitence, qui, nous tenant lieu d'un second baptême, est le sacrement de notre justification. Je prétends, dis-je, que le mystère de la conception de Marie, bien médité et bien approfondi, nous fait parfaitement connaître ces trois choses : ce que nous sommes sans la grâce, c'est-à-dire la corruption de notre nature par le péché ; ce que nous sommes par la grâce, c'est-à-dire l'excellence de notre sanctification par le baptême ; ce que nous devons à la grâce, c'est-à-dire la vigilance et le soin avec lesquels nous devons la conserver en nous et l'honorer.
Comprenez, s'il vous plaît, mon dessein. Marie, par le privilège de sa conception, pleinement victorieuse du péché, nous fait connaître, par une règle toute contraire, l'état malheureux où nous a réduits le péché : ce sera la première partie. Marie, sanctifiée par la grâce de sa conception, nous fait connaître, avec toute la proportion qu'il peut y avoir, l'heureux état où nous sommes élevés par la grâce de notre adoption : ce sera la seconde partie. Marie, fidèle à la grâce de sa conception, nous fait connaître, par son exemple, l'obligation indispensable que nous avons de ménager et d'honorer la grâce en vertu de laquelle nous sommes devant Dieu tout ce que nous sommes : ce sera la dernière partie. Or, être instruit de tout cela, c'est avoir une connaissance entière et parfaite de nous-mêmes ; car c'est connaître tout à la fois, et notre véritable misère, et notre solide bonheur, et notre plus important devoir : voilà ce que j'appelle l'homme, et, selon l'expression de la Sagesse, tout l'homme : Hoc est enim omnis homo (Eccles., XII, 13.). Notre véritable misère, pour en gémir devant Dieu dans l'esprit d'une sainte componction ; notre solide bonheur, pour en bénir Dieu, et lui en rendre grâce dans l'esprit d'une humble confiance ; et notre plus important devoir, pour l'accomplir en marchant dans la voie de Dieu, selon l'esprit et les règles de la prudence chrétienne : c'est tout le partage de ce discours, et ce qui demande une attention particulière.
Ce n'est point un paradoxe que j'ai avancé, mais un principe certain que j'ai établi, quand j'ai dit que le privilège de la conception de Marie, par où elle a triomphé du péché, nous fait clairement connaître l'état malheureux où le péché nous a réduits ; et que, pour nous bien convaincre de ce que nous sommes sans la grâce, nous n'avons qu'à nous appliquer le mystère de ce jour. En voici la preuve.
Marie, au moment que Dieu la forma dans le sein de sa mère, se trouva, par l'avantage singulier de sa conception, et la plus illustre, et la plus accomplie, et la plus heureuse de toutes les créatures. La plus illustre : elle était de la maison royale de Juda, et, comme petite-fille de David, combien pouvait-elle compter parmi ses ancêtres de monarques et de souverains ? La plus accomplie : elle était dès lors le chef-d'œuvre de la toute- puissance du Créateur, et, par les qualités éminentes qui la distinguaient, et qui devaient faire de sa personne le miracle de son sexe, rien dans l'ordre de la nature ne lui pouvait être comparé. La plus heureuse : elle était conçue pour être la mère d'un Dieu, et pour donner au monde un Rédempteur. Rien de plus vrai, Chrétiens. Mais, ô profondeur et abîme des conseils de Dieu ! tout cela sans la grâce, et hors de la grâce dont Marie, dans sa conception, reçut les prémices, non seulement n’eût été de nul mérite devant Dieu, mais n'eût pas empêché que Marie même, malgré tous ces avantages, ne fût personnellement l'objet de la haine de Dieu : c'est ce que la foi nous oblige de croire. Or, quelle conséquence ne devons-nous donc pas tirer de là, pour comprendre ce que c'est, par rapport à nous, que la malédiction du péché, et jusqu'où s'étend la fatale disgrâce de notre origine ? Non, mes chers auditeurs, Dieu, dont le discernement est infaillible, et qui, seul juge équitable du mérite de sa créature, sait l'estimer par ce qu'elle vaut, ne considéra Marie dans sa conception ni par la noblesse de sa naissance, ni par les grâces naturelles dont le ciel commençait déjà et si libéralement à la pourvoir, ni même absolument parce que le Saint des saints devait naître d'elle. Cela pouvait suffire pour rendre sa conception glorieuse, mais cela ne suffisait pas pour faire de cette Vierge une créature selon le cœur de Dieu. Ainsi Dieu ne l'estima, Dieu ne la regarda comme sa fille bien-aimée, que parce qu'elle lui parut dès lors revêtue de sa grâce, et affranchie de la corruption du péché. Vérité si constante (ne perdez pas cette remarque de saint Chrysostome, aussi édifiante pour vous qu'elle est essentielle au sujet que je traite), vérité si constante, que parce qu'il y a eu des ancêtres de Marie prévaricateurs, impies, idolâtres, quoique ancêtres de Marie et de Jésus-Christ même, ils ont néanmoins été réprouvés de Dieu. Par où Dieu, ajoute saint Chrysostome, a voulu montrer jusque dans les ancêtres de son Fils, que tout ce qui ne porte pas le caractère de la sainteté est indigne de lui ; que tout ce qui est infecté de la contagion du péché, quelque grand d'ailleurs qu'il puisse être selon le monde, n'est à ses yeux qu'un sujet de réprobation. Arrêtons-nous là, Chrétiens; et, sans perdre Marie de vue, commençons par là à découvrir ce que nous sommes.
Nous avons tous été conçus dans le péché ; la foi nous l'apprend, et l'expérience même nous le fait sentir. Voilà le fond de notre misère, que nous prétendons bien connaître ; et moi, je vais vous faire voir combien il s'en faut que nous l'ayons jusqu'à présent connu. Ecoutez-moi, et vous en allez convenir. Il est vrai, éclairés des lumières de la foi, nous confessons avec l'Apôtre qu'au moment de notre conception nous sommes tous enfants de colère : Natura filii irae (Ephes., II, 3.) ; et il n'y a personne qui ne soit prêt aujourd'hui à dire à Dieu, comme David : Ecce ininiquitatibus conceptus sum, et in peccatis concepit me mater mea (Psalm., L, 7.) ; Vous voyez, Seigneur, que j'ai été formé dans l'iniquité, et que la mère qui m'a conçu m'a conçu dans le péché. Ainsi parlons-nous, quand, touchés de l'esprit de pénitence, nous entrons dans les sentiments de ce saint roi.
Nous n'en demeurons pas là : parce que nous avons été conçus dans le péché, nous nous reconnaissons de bonne foi sujets aux désordres qu'il produit, et qui en sont les tristes effets, c'est-à-dire nous savons que ce premier péché nous a attiré un déluge de maux, et que, par les deux plaies mortelles qu'il nous a faites, l'ignorance et la concupiscence, il a répandu le venin de sa malignité dans toutes les puissances de notre âme ; que c'est pour cela qu'il n'y a plus rien en nous de sain ; que notre esprit est susceptible des plus grossières erreurs : que notre volonté est comme livrée aux plus honteuses passions ; que notre imagination est le siège et la source de l'illusion ; que nos sens sont les portes et les organes de l'incontinence ; que nous naissons remplis de faiblesses, assujettis à l'inconstance et à la vanité de nos pensées, esclaves de nos tempéraments et de nos humeurs, dominés par nos propres désirs. Nous n'ignorons pas que de là nous vient cette difficulté de faire le bien, cette pente et cette inclination au mal, cette répugnance à nos devoirs, cette disposition à secouer le joug de nos plus légitimes obligations, cette haine de la vérité qui nous corrige et qui nous redresse, cet amour de la flatterie qui nous trompe et qui nous corrompt, ce dégoût de la vertu, ce charme empoisonné du vice : de là cette guerre intestine que nous sentons dans nous-mêmes, ces combats de la Chair contre la raison, ces révoltes secrètes de la raison même contre Dieu, cette bizarre obstination à vouloir toujours ce que la loi nous défend, parce qu'elle nous le défend, et à ne vouloir point ce qu'elle nous commande, parce qu'elle nous le commande ; à aimer par entêtement ce qui souvent en soi n'est point aimable, et à rejeter injustement et opiniâtrement ce qu'on nous ordonne d'aimer, et ce qui mériterait de l'être. Renversement monstrueux, dit saint Augustin, mais qui par là même qu'il est monstrueux, devient la preuve sensible du péché que nous contractons dans notre origine, et que nous apportons en naissant. Voilà, encore une fois, ce que nous éprouvons, et ce que nous regardons comme les suites malheureuses de notre conception. Or, convenir de tout cela, me direz-vous, n'est-ce pas suffisamment nous connaître ? Non, mes chers auditeurs : entre les effets de ce premier péché dont je parle, il y en a encore de plus affligeants, et à la connaissance desquels le mystère que nous célébrons nous conduit. Ce n'est là que le fond de notre misère : mais prenez garde, en voici le comble, en voici l'excès, en voici le prodige, en voici l'abus, en voici la malignité, en voici l'abomination ; et, si ce terme ne suffit pas, en voici, pour m'exprimer avec le Prophète, l'abomination de désolation.
Autant de points que je vous prie de bien suivre, parce qu'étant ainsi distingués, et l'un enchérissant toujours sur l'autre, c'est de quoi vous donner par degrés une idée juste de ce fond de corruption que nous avons à combattre, et que la grâce de Jésus-Christ doit détruire en nous. Je reprends, et je m'explique.
Le comble de notre misère, c'est que notre misère même, quoique humiliante, ne nous humilie pas ; et que, malgré tant de sujets qu'elle nous donne de nous confondre, nous ne laissons pas d'être encore remplis d'orgueil. Pour être aveugles, faibles, pauvres, misérables (car fussions-nous d'ailleurs les dieux de la terre, tel est, en qualité d'enfants d'Adam, notre apanage et notre sort), nous n'en sommes pas moins prévenus d'estime pour nous-mêmes. Pour être dégradés et dépouillés de tous les privilèges de l'innocence, nous n'en sommes pas moins contents de nous-mêmes, pas moins occupés de nous-mêmes, pas moins amateurs ni moins idolâtres de nous-mêmes. Marie, avec la plénitude de la grâce, a été humble ; et nous, avec le néant du péché, nous sommes superbes. Oui, mes Frères, voilà le désordre que nous avons tous à nous reprocher. Beaucoup d'ignorance, jointe à beaucoup de présomption ; faiblesses extrêmes, soutenues d'une pitoyable vanité ; indigence affreuse des vrais et solides mérites, accompagnée d'une enflure de cœur qui seule, selon l'Ecriture, suffirait pour nous attirer l'indignation de Dieu : car qu'y a-t-il de plus propre à irriter la colère de Dieu, qu'un pauvre orgueilleux ? Or, qui de nous, s'il se connaît bien, n'avouera pas qu'il a part, comme pécheur, à cette malédiction ? Pauperem superbum odivit anima mea (Eccli., XXV, 4.). Il y a plus.
L'excès de notre misère, c'est qu'étant aussi déplorable que je vous l'ai représentée, toute déplorable qu'elle est, nous ne la déplorons pas. Les saints et les élus de Dieu en ont gémi, et nous n'en sommes pas touchés. Saint Paul, dans l'amertume de son âme, s'en est affligé, et nous nous en consolons. Ah ! Seigneur, s'écriait le saint homme Job, pourquoi m'avez-vous mis dans une disposition qui me rend si contraire à vous, et pourquoi par là me suis-je devenu insupportable à moi-même ? Quare posuisti me contrarium tibi, et factus sum mihimetipsi gravis (Job, VII, 20.) ? Est-ce ainsi que parle un mondain ? est-ce ainsi qu'il pense ? Non : insensible à ses maux, il souffre tranquillement cet état de contrariété entre Dieu et lui. S'il gémit sous le joug de ses passions, ce n'est point parce que ses passions le rendent contraire à Dieu, mais parce qu'elles troublent son repos, mais parce qu'elles lui causent de mortels chagrins, mais parce qu'il se voit souvent dans l'impuissance de les satisfaire. De ce qu'elles le tiennent captif sous la loi du péché, c'est à quoi il ne fait nulle attention. Il est esclave de la concupiscence qui le domine, mais esclave volontaire, parce qu'il en veut bien être dominé. Il sent dans son cœur mille révoltes intérieures contre Dieu : et ces révoltes continuelles et si dangereuses, bien loin de l'étonner, ne lui donnent pas la moindre inquiétude. Pourvu qu'il arrive à ses fins, il consent à vivre sous l'empire de la chair, et à être vendu au péché. A combien de pécheurs du siècle ce tableau n'expose-t-il pas leurs véritables , mais damnables sentiments ? Allons plus avant.
Le prodige de notre misère, c'est qu'au lieu de la déplorer, nous nous aveuglons tous les jours jusqu'à nous en féliciter, jusqu'à nous en glorifier. Car où est l'ambitieux qui ne s'applaudit pas intérieurement des idées, des projets, des succès de son ambition ? où est le riche avare qui ne se sait pas bon gré de ses sordides épargnes et de son avarice ? où est l’impudique qui ne met pas son bonheur dans ses infâmes voluptés ? où est le vindicatif qui ne se fait pas un triomphe de sa vengeance ? Ces passions, dont l'apôtre de Jésus-Christ faisait le sujet de sa douleur, à mesure que nous oublions Dieu, deviennent le sujet de notre joie. Par un renversement de religion et même de raison, ces passions deviennent nos divinités ; nous leur faisons sans cesse des sacrifices, nous leur obéissons aveuglément : non contents de leur être soumis nous-mêmes, nous exigeons des autres qu'ils s'y soumettent ; nous voulons qu'ils en soient les approbateurs : entrer dans nos passions, c'est savoir nous plaire ; les contredire, c'est nous offenser : plus ces illusions sont vives et ardentes, moins nous souffrons qu'on y résiste ; plus elles sont honteuses, plus nous sommes jaloux qu'on les respecte, et qu'on ne les choque pas. Ce que je dis. n'est-ce pas le monde tel qu'il est ? et cela même, si nous avons une étincelle de christianisme, ne doit-il pas nous faire horreur ? Voici néanmoins quelque chose encore au delà.
L'abus de notre misère, c'est que nous en tirons même avantage, jusqu'à nous en servir comme d'une excuse dans nos péchés, et jusqu'à nous en prévaloir contre Dieu. Au lieu que David demandait humblement à Dieu d'être guéri de sa faiblesse, s'en accusant comme d'un mal : Miserere mei, Domine, quoniam infirmas sum ; sana me (Psalm., VI, 3.), nous alléguons la nôtre comme une raison que nous supposons devoir couvrir nos dérèglements, et nous tenir lieu de justification ; c'est-à-dire, parce que nous sommes faibles, et que nous avons été conçus dans le péché, nous voulons que Dieu dissimule nos crimes, qu'il les tolère, et qu'il ne les recherche pas dans toute la rigueur de sa justice. Mieux instruits que lui-même de l'équité de ses jugements, nous prétendons que, parce qu'il connaît notre fragilité, il soit moins en droit de nous condamner et de nous punir ; et à force de le prétendre, nous nous accoutumons à le penser et à le croire. Dieu qui, selon les oracles de l'Ecriture, est le vengeur inexorable du péché, nous paraît, pour des créatures aussi fragiles que nous le sommes, un Dieu trop sévère et trop rigide : ou plutôt, selon notre caprice et notre sens, nous nous en faisons un Dieu plus humain, un Dieu plus condescendant à nos inclinations, un Dieu moins ennemi de nos désordres ; parce qu'étant, disons-nous, l'auteur de notre être, il sait de quelle masse il nous a tirés, et qu'il n'exige pas de nous une sainteté si parfaite. Car, ne sont-ce pas la les téméraires et pernicieux raisonnements que forme tous les jours l'impiété ? et voilà ce que j'appelle abuser de notre misère même.
La malignité de notre misère, c'est que le péché dans lequel nous sommes conçus, par une funeste qualité qui lui est propre, infecte en nous tout ce qui vient de Dieu, et tout ce que nous avons reçu de Dieu : talents de l'esprit, forces du corps, capacité, santé, noblesse, beauté, dons de la nature, et par conséquent du Créateur ; prospérités, honneurs, dignités, richesses, dons de la fortune, c'est-à-dire de la Providence ; mais tout cela, par le malheur de notre conception, occasion de péché, instrument de péché, source de péché. Voilà ce qui perd l'homme chrétien, mais ce que l'homme charnel et mondain ne sent pas et ne comprend pas. Permettez-moi de vous le faire comprendre, et d'en tirer la preuve de vous-mêmes. Dans l'ordre naturel des choses, plus vous êtes heureux selon le monde, plus vous devriez être soumis à Dieu et reconnaissants envers Dieu : mais parce que le péché a renversé dans vous ce bel ordre, plus Dieu vous comble de ses biens, plus il semble que vous soyez nés pour lui être ingrats et rebelles. Jusqu'à ses grâces et à ses faveurs, tout vous pervertit : la prospérité vous corrompt, les honneurs vous enflent, les richesses entretiennent votre luxe, la santé vous fait oublier le soin du salut. Si Dieu, par des moyens tout contraires, veut vous forcer de retourner à lui, les remèdes qu'il y emploie se tournent pour vous en poison : l'adversité vous irrite, l'humiliation vous désespère, la disette (car où n'est-elle pas, et quelles conditions en sont exemptes ?) la disette vous fait tomber dans l'injustice, et l'infirmité dans le relâchement et la tiédeur. Ce qui devrait vous sanctifier vous endurcit ; et ce qui devrait vous convertir et vous rapprocher de Dieu vous en éloigne. Tant il est vrai que le péché a comme anéanti, ou plutôt a corrompu dans vous tous les dons de Dieu, et ruiné pleinement et absolument l'œuvre de Dieu. Peut-on rien ajouter à ceci ? Oui, mes chers auditeurs, et ce que j'y ajoute est encore infiniment plus digne de nos larmes.
L'abomination de notre misère, c'est que, non contents d'être enfants de colère par nature, nous le sommes et nous voulons bien l'être par notre choix. Avoir péché dans autrui, et naître ennemi de Dieu par la nécessité inévitable de notre origine, c'est la malédiction commune où nous nous plaignons d'avoir été enveloppés : mais nous en plaignons-nous de bonne foi, tandis que nous y joignons celle d'être encore ennemis de Dieu par un libre consentement de notre volonté ? Or, vous le savez, hommes mondains à qui je parle ; vous savez jusqu'où sur ce point va le libertinage du siècle, et souvent jusqu'à quel excès vous l'avez vous-mêmes porté. Avoir été conçue dans le péché, c'est le sort de toute la postérité d'Adam ; mais vivre impunément dans le péché, mais se plaire dans le péché, mais faire gloire du péché, mais s'endurcir dans le péché, mais persévérer avec obstination dans le péché, mais s'exposer sans crainte au danger prochain de mourir dans l'état de péché, mais vouloir bien actuellement mourir dans son péché, c'est le sort particulier, mais le sort affreux de je ne sais combien d'âmes perverties, que le torrent du monde entraîne : et Dieu veuille qu'entre ceux qui m'écoutent, il n'y en ait point de ce nombre ! Job demandait à Dieu que le jour pérît, où il avait été conçu : il souhaitait que ce jour eût été changé en ténèbres, que jamais le soleil ne l'eût éclairé, et qu'il eût pu être effacé du nombre des jours : et il avait raison, dit saint Augustin, puisque c'était le jour malheureux où il avait commencé d'être pécheur, et, sans le vouloir même, ennemi de Dieu. Que fait le libertin ? Par un sentiment bien contraire, il compte parmi les beaux jours de sa vie certains jours où, librement et sans remords, il s'est livré à l'esprit impur : ces jours infortunés qu'il a passés dans le crime ; ces jours où pour se satisfaire, il a renoncé à son Dieu ; ces jours, en eux-mêmes pleins d'horreur, ne laissent pas, parce qu'il est sensuel et voluptueux, de se représenter à lui comme des jours agréables : il en conserve le souvenir, il en souhaiterait le retour ; bien loin de pleurer parce qu'ils ont été, son chagrin est qu'ils ne sont plus. Mais, sans parler précisément du libertin, et sans l'être, mes chers auditeurs, le honteux reproche que nous avons aujourd'hui à nous faire, c'est qu'à ce péché d'origine, contracté par une autre volonté que la nôtre, nous ajoutons de notre chef mille autres péchés personnels, d'autant plus punissables devant Dieu, que nous les commettons souvent de dessein formé, et que nous ne pouvons les imputer qu'à nous-mêmes. Péchés qui ne sont ni d'ignorance, ni de surprise ; mais qui, procédant d'une malice pure, ont encore plus d'opposition à la sainteté de Dieu, et par là doivent beaucoup plus outrager Dieu ; péchés qu'il nous serait facile d'éviter, et auxquels nous ne succombons que parce que nous ne comptons pour rien d'y succomber ; péchés dont nous recherchons l'occasion, dont nous attirons la tentation, dont nous ne craignons point de courir le risque, et qui, par toutes ces circonstances, portent avec eux un caractère particulier de réprobation, puisqu'il est vrai alors que nous sommes enfants de colère, non plus par nature et par nécessité, mais par notre propre volonté. Ai-je pu mieux vous exprimer l'abomination de notre misère ? Ne nous lassons point d'en sonder l'abîme profond, et sur cela écoutez ce qui me reste à vous dire.
L'abomination de désolation dans notre misère, c'est qu'au lieu que la grâce, qui sanctifia la conception de Marie, a parfaitement et absolument triomphé dans sa personne du péché originel, nous, au contraire, malgré la grâce du baptême, qui efface en nous ce péché, par un dernier désordre qui ne peut être attribué qu'à la dépravation de notre cœur, nous suscitons encore tous les jours dans le christianisme, si j'ose ainsi m'exprimer, de nouveaux péchés originels, pires que le premier, et d'une conséquence pour nous plus pernicieuse. Qu'est-ce à dire, nouveaux péchés originels ? C'est-à-dire certains péchés dont nous sommes les auteurs, et qui, par une fatale propagation, se communiquant et se répandant, passent de nos personnes dans celles des autres. J'appelle péchés originels, ces péchés de scandale contre lesquels le Fils de Dieu a prononcé dans l'Evangile de si foudroyants anathèmes : j'appelle péchés originels, certains péchés des pères et des mères à l'égard de leurs enfants ; d'un père qui, par succession, inspire à son fils ses inimitiés et ses vengeances ; d'une mère qui, oubliant qu'elle est chrétienne, pervertit sa fille en lui inspirant la vanité et l'amour du monde : j'appelle péchés originels, certains péchés des chefs de famille à l'égard de leurs domestiques ; d'un maître qui, pire qu'un infidèle, fait des siens les ministres de ses débauches ; d'une femme qui, abusant de son autorité, engage la conscience d'une jeune personne que Dieu lui a confiée, et la perd en l'obligeant à être la confidente de ses intrigues : j'appelle péchés originels, certains péchés des grands à l'égard des peuples, des prêtres à l'égard des laïques, des supérieurs à l'égard de leurs inférieurs. En quoi le péché d'Adam fut-il énorme devant Dieu ? en ce qu'il ne fut pas le péché d'un seul, mais de plusieurs ; en ce qu'Adam violant le précepte, nous comprit tous dans le malheur de sa désobéissance ; en ce qu'étant notre chef, il ne put commettre ce péché sans nous en rendre coupables. C'est un mystère de foi que nous révérons ; mais ce qui nous paraît mystère dans le péché d'Adam est évident et sensible dans les espèces de péchés que je viens de vous marquer : car je dis toujours que la désolation de notre misère est de répandre sur autrui notre iniquité ; est de ne nous pas contenter d'être pécheurs, mais de pervertir avec nous des âmes innocentes, de les rendre complices de nos désordres, et de les en charger ; est d'être, aussi bien qu'Adam, le principe et la source de leur damnation. Ah ! Chrétiens, n'est-ce pas ici que je pourrais m'écrier avec le prophète Jérémie, et conclure avec lui : Quis dabit capiti meo aquam, et oculis meis fontem lacrymarum (Jerem., IX, 1.) ? Qui donnera à mes yeux une fontaine de larmes pour pleurer jour et nuit de pareils malheurs ! malheurs qui sont les suites du premier péché, mais malheurs infiniment plus déplorables que ce péché-là même, dont nous ressentons les tristes effets.
Vous seule, ô glorieuse Vierge, avez été préservée de celte corruption et de cette malédiction originelle ; vous seule dans votre conception avez paru devant Dieu pure et sans tache ; mais c'est pour cela même que nous recourons à vous, et que nous implorons votre protection toute-puissante : car le privilège que vous avez reçu de Dieu pour être exempte de nos misères, ne peut vous inspirer pour nous que de la compassion. Vous êtes la mère de miséricorde ; mais vous ne pouvez l'être que pour nous, et pour nous comme pécheurs. Votre gloire dépendait en quelque façon de notre disgrâce : et s'il n'y avait eu des pécheurs, vous n'auriez jamais mis au monde Celui qui les a sauvés, et par conséquent jamais vous n'auriez été mère de Dieu. C'est donc avec une ferme confiance que nous nous prosternons devant vous. Malheureuse postérité d'une mère pécheresse, mais trouvant en vous une mère sainte et une mère charitable, nous vous adressons nos prières et nos vœux, nous poussons vers vous des soupirs ; et les secours que nous vous demandons, c'est pour apprendre à nous humilier dans la vue de notre misère, à la déplorer, à n'en pas tirer au moins une vaine gloire, à n'en pas abuser, à ne la pas augmenter ; enfin, à connaître non seulement ce que nous sommes sans la grâce, mais aussi ce que vous avez été et ce que nous sommes par la grâce.
BOURDALOUE, SERMON SUR LA CONCEPTION DE LA VIERGE
Vierge à l'Enfant, Nicolas Mignard, Musée des Beaux-Arts, Marseille
Dieu a voulu et veut encore sauver tous les hommes ; mais de tous les hommes combien y en a-t-il qui veuillent leur propre salut : qui le veuillent, dis-je, sincèrement, efficacement ?
BOURDALOUE
Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccatum mundi.
Voilà l'Agneau de Dieu, voilà celui qui efface le péché du monde. (Joan., I, 29.)
S'immoler à Dieu comme la victime du monde, en cette qualité de victime, effacer les péchés du monde et être le rédempteur du monde : tout cela c'est, en différents termes, le même sens. Dès là donc que Jésus-Christ est venu nous délivrer du péché, il est venu nous sauver ; pouvons-nous concevoir une rédemption plus parfaite, de quelque manière que nous la regardions, soit dans son principe, soit dans son mérite, soit dans son étendue ? Arrêtons-nous à ces trois points. Rédemption dans son principe la plus gratuite : premier point. Rédemption dans son mérite la plus abondante : second point. Rédemption dans son étendue la plus universelle : troisième point. De là nous tirerons autant de motifs pour exciter notre confiance en ce Dieu-Homme, dont nous nous disposons à célébrer la glorieuse nativité ; et, sans présumer de ses miséricordes, nous nous sentirons portés à le réclamer dans tous nos besoins, et à implorer auprès de son Père sa toute-puissante médiation.
Premier point. — Rédemption dans son principe la plus gratuite. Quand saint Paul veut relever et nous donner à connaître l'amour extrême que Dieu nous a témoigné dans la rédemption du monde, il nous marque deux circonstances, savoir, que nous n'avions mérité cette grâce en aucune sorte, ni par aucune de nos œuvres ; et de plus, que le péché même nous en rendait formellement indignes, puisque nous étions dans la disgrâce de Dieu et ennemis de Dieu. D'où l'Apôtre conclut que si nous avons été rachetés par un Dieu Sauveur, cela a été de sa part une pure miséricorde et une pure grâce.
1° Qu'avions-nous fait et que pouvions-nous faire qui dût nous attirer du ciel un don aussi excellent et aussi grand que celui du Fils unique de Dieu, pour être le médiateur de notre salut et le prix de notre rançon ? Voilà, dit Jésus-Christ lui-même dans saint Jean, voilà comment Dieu a aimé le monde. Il a donné son Fils pour le monde, afin que ceux qui croiront en lui ne périssent point, mais qu'ils parviennent à la vie éternelle (Joan., III, 15.). Paroles remarquables. Ce divin Maître ne dit pas : Voilà comment Dieu a récompensé le monde, voilà comment il a eu égard aux vœux et aux bonnes œuvres du monde ; mais : Voilà comment il l'a aimé ; c'est-à-dire qu'il ne s'est intéressé pour nous que par amour, qu'il n'a compati à nos maux que par amour, qu'il ne nous a sauvés que parce qu'il est bon, et que par amour.
2° Ce n'est point encore assez, poursuit le docteur des nations. Car, une autre circonstance où notre Dieu a fait éclater, ne disons plus simplement sa charité, mais les richesses infinies, mais l'excessive condescendance, mais le comble de sa charité, c'est de l'avoir exercée envers nous, lors même que nous étions pécheurs, et que, participant à la désobéissance de notre premier père et à la malédiction tombée sur lui, nous n'étions à ses yeux que des enfants de colère et des sujets de haine. Du moins si nous n'avions eu que ce péché d'origine : mais combien d'autres péchés prévoyait-il, dont nous sommes devenus dans la suite des temps, et nous devenons sans cesse coupables ? Péchés actuels et personnels, péchés énormes et de toutes les espèces, péchés sans nombre, et péchés toutefois qui n'ont pu, ni par leur malice et leur grièveté, ni par leur innombrable multitude, rétrécir ces entrailles de miséricorde avec lesquelles il a plu au Seigneur de venir d'en-haut nous visiter, pour éclairer ceux qui demeuraient ensevelis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et pour nous mettre dans le chemin de la paix (Luc, 1, 79.). Après cela, que n'avons-nous pas droit d'attendre d'un Dieu qui nous a ainsi prévenus ? Craindrons-nous d'aller à lui ? Tout offensé qu'il était et tout égarés que nous étions, il n'a pas dédaigné de nous chercher lui-même,et de faire tontes les avances pour nous ramener et nous retirer de la voie de perdition : nous rejettera-t-il quand nous nous présenterons à son trône, que nous nous jetterons à ses pieds, que nous lui adresserons nos demandes dans un esprit d'humilité et avec un cœur droit et contrit ? Cessera-t-il de nous aimer dans le temps où, par notre confiance et par des dispositions chrétiennes, nous travaillerons à nous rendre moins indignes de son amour ?
Second point. — Rédemption dans son mérite la plus abondante. Elle a eu deux effets : l'un d'effacer pleinement le péché, l'autre de nous enrichir d'un trésor de grâces inépuisable.
1° Rédemption abondante, parce qu'elle a effacé pleinement le péché : comment cela ? C'est que la vertu des mérites de Jésus-Christ est au-dessus de toute la malice du péché, et que ces mérites ont été plus que suffisants pour laver les péchés, non seulement du monde entier, mais de mille mondes. Car la malice du péché, quelle qu'elle puisse être, et à quelque excès qu'elle soit montée, n'est, après tout, infinie que dans son objet, c'est-à-dire qu'elle n'est infinie que parce qu'elle s'attaque à Dieu, qui est le premier être, un être infiniment grand : au lieu que les mérites de Jésus-Christ sont infinis en eux-mêmes et par eux-mêmes : pourquoi ? parce que ce sont les mérites d'un homme-Dieu, les mérites du Fils de Dieu, les mérites d'un Dieu.
2° Rédemption abondante par le trésor de grâces dont elle nous a enrichis. Trésor dont l'Eglise est dépositaire, et qui lui est resté des mérites de son Epoux. De là cette belle et consolante parole de l'Apôtre, que là où le péché était abondant, la grâce a été surabondante (I Tim., I, 14.). De là même ce raisonnement si juste et si solide que faisait aux Romains le Maître des Gentils pour affermir leur espérance : Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous. Or, en nous le donnant, ne nous a-t-il pas tout donné avec lui et en lui (Rom., VIII, 32.) ? En effet, c'est de ce don essentiel, de ce premier don, comme d'une source intarissable, que sont venus et que viennent sans interruption tous les autres dons qui se répandent sur la terre, et qui servent à la sanctification des âmes ; c'est de la que partent toutes les grâces renfermées dans les sacrements de l'Eglise, et de là qu'ils tirent toute leur vertu ; c'est de là que nous sont communiqués tous les secours intérieurs et spirituels qui nous fortifient, toutes les lumières qui nous éclairent, toutes les vues qui nous conduisent, tous les sentiments qui nous touchent, tout ce qui nous approche de Dieu, qui nous convertit à Dieu, qui nous élève et nous unit à Dieu.
Ah ! Seigneur, il est bien vrai que vous êtes le Sauveur du monde (Joan., IV, 42.). Nul autre que vous ne pouvait l'être, puisque nul autre ne pouvait satisfaire pour les péchés du monde, ni ne pouvait sanctifier le monde. Vous avez fait l'un et l'autre, et comment l'avez-vous fait ? avec quelle effusion de vos miséricordes ! avec quelle plénitude et quelle perfection ! Mais hélas ! s'il ne manque rien à notre rédemption de la part de ce Dieu Sauveur, n'y manque-t-il rien de notre part ? Car ne nous flattons point, dit saint Augustin : le même Dieu qui nous a créés sans nous ne veut point nous sauver sans nous. En effaçant le péché, il n'a point prétendu nous dégager de l'obligation d'effacer nous-mêmes nos péchés et de les expier, autant que nous le pouvons et que nous le devons. Et en nous comblant de ses grâces, il nous a ordonné de ne pas les recevoir en vain, mais d'y être fidèles et de les faire valoir. Selon ces deux devoirs si indispensables, jugeons-nous nous-mêmes, et voyons si notre espérance en Jésus-Christ est bien fondée, et si ce n'est point une espérance présomptueuse.
Troisième point. — Rédemption la plus universelle dans son étendue. Tous les hommes y sont compris : tous en général, chacun en particulier.
1° Tous en général : ce n'est point seulement pour une nation que Jésus-Christ est venu et qu'il a été envoyé, mais pour tous les peuples et toutes les contrées de la terre. Car auprès du Seigneur, dit l'apôtre saint Paul, il n'y a ni Juif, ni Gentil, ni circoncis, ni incirconcis, ni Scythe, ni Barbare ; mais Jésus-Christ est tout (Col., III, 11.), et tout est en Jésus-Christ. Ce n'est point seulement pour certaines conditions. Le Dieu que nous adorons n'a acception de personne (Ephes., VI, 9.) : ni de celui qui est dans la grandeur, ni de celui qui est dans l'abaissement, ni du riche , ni du pauvre, ni du monarque, ni du sujet, ni de l'affranchi, ni de l'esclave. Ce n'est point seulement pour les fidèles et pour un petit nombre de prédestinés, mais pour les infidèles et les idolâtres, mais pour les pécheurs, mais même pour les réprouvés. Le Père des miséricordes a fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants ; et sans exception, il a fait couler sur les uns et sur les autres la rosée du ciel (Matth., V, 45.), et les saintes influences de sa grâce.
2° Chacun en particulier. C'est ce que nous enseigne expressément le Prince des apôtres dans sa seconde Epître, où nous lisons ces paroles si claires et si décisives : Le Seigneur use de patience à cause de vous, ne voulant point que pas un périsse, mais que tous aient recours à la pénitence (2 Petr., III, 9.). D'où vient que saint Jérôme n'a pas craint d'avancer cette proposition : que Jean-Baptiste, en disant de Jésus-Christ : Voilà celui qui efface les péchés du monde, eût été dans l'erreur et nous eût trompés avec lui, s'il y avait un seul homme dont les péchés n'eussent pas été effacés par la médiation de ce divin Sauveur. Sur quoi saint Bernard ajoute (et ceci est bien remarquable) que comme tous les êtres créés peuvent dire chacun à Dieu : Vous êtes mon Créateur ; ainsi tous les hommes peuvent chacun lui dire : Vous êtes mon Rédempteur.
Vérités constantes dans l'Eglise chrétienne; vérités fondées sur les sacrés oracles du Saint-Esprit, sur les écrits des apôtres, sur la tradition des Pères, sur la créance commune et orthodoxe, sur la raison même éclairée de la foi et dirigée par la foi. Car, sans cela, quels fonds pourrions-nous faire sur la Providence divine, et qui pourrait s'assurer qu'elle ne lui a pas manqué ? Non, elle n'a manqué à personne ; mais voici le renversement. Dieu a voulu et veut encore sauver tous les hommes ; mais de tous les hommes combien y en a-t-il qui veuillent leur propre salut : qui le veuillent, dis-je, sincèrement, efficacement ? Tous sont appelés à ce salut éternel, tous pour cela ont eu le même Rédempteur, et néanmoins il n'y a que très peu d'élus : pourquoi ? parce qu'il n'y en a que très peu qui veuillent l'être, que très peu qui travaillent à l'être, que très peu qui prennent les moyens de l'être.
Confions-nous en Jésus-Christ et en ses mérites ; mais souvenons-nous qu'on n'y participe qu'en participant à ses souffrances et à ses travaux, qu'en observant ses préceptes, qu'en se conformant à ses exemples, qu'en imitant ses vertus.
BOURDALOUE, SERMON SUR LA RÉDEMPTION DES HOMMES PAR JÉSUS-CHRIST
Il était écrit dans le livre du prophète Isaïe : Voici que j'envoie mon messager devant toi, pour préparer la route. À travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route.
Et Jean le Baptiste parut dans le désert.
Il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés. Toute la Judée, tout Jérusalem, venait à lui. Tous se faisaient baptiser par lui dans les eaux du Jourdain, en reconnaissant leurs péchés.
Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
Il proclamait :
« Voici venir derrière moi celui qui est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de me courber à ses pieds pour défaire la courroie de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés dans l'eau ; lui vous baptisera dans l'Esprit Saint. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Dieu a fait des prodiges par le ministère de saint François-Xavier, et souvent il ne fait rien ou presque rien par le nôtre. D'où vient cette différence ? Il est bien juste que nous en recherchions la cause, et que nous examinions si notre zèle a les mêmes caractères que celui de Xavier ; s'il est aussi pur, s'il est aussi désintéressé, s'il nous détache aussi parfaitement du monde et de nous-mêmes ; car vous le savez mieux que moi, mes Frères, toute sorte de zèle n'est pas le véritable zèle de la charité, et il n'y a rien qui demande plus de discernement que le vrai zèle, parce qu'il n'y a rien en général de plus sujet que le zèle à l'illusion et à la passion. On a quelquefois trop de zèle, disait le grand évêque de Genève, saint François de Sales, et en même temps, ajoutait-il, l'on n'en a pas assez. On en a trop d'apparent, et l'on n'en a pas assez de solide ; on en a trop pour les créatures, et l'on n'en a pas assez pour Dieu ; on en a trop pour les autres, et l'on n'en a pas assez pour soi-même ; on en a trop pour les riches et pour les grands, et l'on n'en a pas assez pour les pauvres et pour les petits : or tout cela, ce sont des fantômes de zèle.
BOURDALOUE
Miracle de l'Evangile, renouvelé par François-Xavier dans la conversion des peuples de l'Orient, mais ce qui y met, ce me semble, le comble, c'est que Xavier l'ait renouvelé par les mêmes moyens dont se sont servis les apôtres dans la conversion du monde. Encore quelque attention, s'il vous plaît, pour cette seconde partie.
Faire de grandes choses, ce n'est point précisément et uniquement en quoi consiste la toute-puissance de Dieu ; mais faire de grandes choses de rien, c'est le propre de la vertu divine, et le caractère particulier qui la distingue. Ainsi Dieu en a-t-il usé dans la création et dans l'incarnation, qui sont, par excellence les deux chefs-d'œuvre de sa main. Dans la création, il a tiré tous les êtres du néant, c'est sur le néant qu'il a travaillé ; et parce qu'il agissait en Dieu, il a donné à ce néant une fécondité infinie : dans l'incarnation, il a réparé, renouvelé, réformé toute la nature, et, pour cela, il a eu besoin d'un Homme-Dieu ; mais il a fallu que cet Homme-Dieu s'anéantît, afin que Dieu pût s'en servir pour l'accomplissement du grand mystère de la rédemption du monde
Or, voilà aussi l'idée que Jésus-Christ a suivie dans l'établissement de l'Evangile. Il voulait convaincre l'univers que c'était l'œuvre de Dieu, et que Dieu seul en était l'auteur. Qu'a-t-il fait ? Il a choisi des sujets vils et méprisables, des hommes sans appui, sans crédit, sans talent ; des disciples qui furent la faiblesse même, des apôtres qui n'eurent point d'autres armes que la patience, point d'autres trésors que la pauvreté, point d'autre conseil que la simplicité : Non multi potentes, non multi nobiles, sed quœ stulta sunt mundi, elegit Deus (1 Cor., I, 27.). Eh quoi ! Seigneur, eût pu lui dire un sage du siècle, sont-ce là ceux que vous destinez à une si haute entreprise ? Avec des hommes aussi dépourvus de tous les secours humains, que prétendez-vous et qu'attendez-vous ? Mais : vous vous trompez, lui eût répondu ce Dieu Sauveur, vous raisonnez en homme, et j'agis en Dieu. Ces simples et ces faibles, ce sont les ministres que je demande, parce que j'ai de quoi les conduire et les soutenir. S'ils avaient d'autres qualités, ils feraient paraître leur puissance, et non la mienne. Pour faire réussir mon dessein, il me faut des hommes qui ne soient rien selon le monde, ou qui ne soient que le rebut du monde ; et la première condition requise dans un apôtre et un prédicateur de mon Evangile, c'est qu'il soit mort au monde et à lui-même.
Tel était, si je puis parler de la sorte, la politique de Jésus-Christ : politique sur laquelle il a fondé tout l'édifice de sa religion, et politique dont saint François-Xavier a suivi exactement les maximes dans toute sa conduite. Comment cela ? me direz-vous. Xavier n'avait-il pas tous les avantages du monde ? n'était-il pas de la première noblesse de Navarre ? ne s'était-il pas distingué dans l'université de Paris ? ne possédait-il pas des talents extraordinaires ? et quelque profession qu'il eût embrassée, lui manquait-il aucune des dispositions nécessaires pour s'y avancer, et même pour y exceller ? Tout cela est vrai ; mais je prétends que rien de tout cela n'a contribué au miracle que Dieu a opéré par son ministère : pourquoi ? parce qu'il a fallu que François-Xavier quittât tout cela et qu'il s'en dépouillât, pour travailler avec succès à la propagation de l'Evangile. Oui, il a fallu qu'il renonçât à ce qu'il était, qu'il oubliât ce qu'il savait ; qu'il devînt, par son choix, tout ce qu'avaient été les apôtres par leur condition, afin de se disposer comme eux aux fonctions apostoliques, et de pouvoir s'employer efficacement et heureusement à étendre le royaume de Jésus-Christ.
Par quel moyen est-il donc venu à bout de ce grand ouvrage, dont il se trouvait chargé ? Ah ! Chrétiens, que n'ai-je le loisir de vous le faire bien comprendre ! que n'ai-je des couleurs assez vives pour vous tracer ici le portrait de cet apôtre ! vous y verriez la parfaite image d'un saint Paul, c'est-à-dire un homme détaché de tout par le renoncement le plus universel à tous les biens de la vie, à tous les honneurs du siècle, à tous les plaisirs des sens ; un homme crucifié, et portant sur son corps toute la mortification du Dieu pauvre et du Dieu souffrant qu'il annonçait ; un homme immolé comme une victime, et sacrifié au salut du prochain ; un homme anathème pour ses frères, ou voulant l'être, et toujours prêt à se livrer lui-même, pourvu qu'il pût les affranchir de l'esclavage de l'enfer et les sauver.
Mais encore par quelle vertu a-t-il fait tant de merveilles dans la conversion de l'Orient ? est-il croyable que ce soit par tout ce que nous lisons dans son histoire ? je veux dire par une abnégation totale et sans réserve, par une humilité sans mesure, par un désir ardent du mépris, par une patience à l'épreuve de tous les outrages, par la plus rigoureuse pauvreté, par l'amour le plus passionné des croix et des souffrances : en un mot, par un abandon général de tout ce qui s'appelle douceurs, commodités, intérêts propres ? Est-ce ainsi qu'il s'est insinué dans les esprits, et sont-ce là les ressorts par où il a remué les cœurs pour les tourner vers Dieu ? Je vous l'ai dit, Chrétiens, et je le répète ; c'est par là même, et jamais il n'y employa d'autres moyens. En voulez-vous la preuve ? la voici en quelques points où je me renferme : car, dans un sujet si étendu, je dois me prescrire des bornes, et me contenter de quelques faits plus marqués, qui vous feront juger de tous les autres.
Il était d'une complexion délicate, et la vue seule d'une plaie lui faisait horreur : mais rien n'en doit faire à un apôtre ; il faut qu'il surmonte cette délicatesse, et qu'il apprenne à triompher de ses sens avant que d'aller combattre les ennemis de son Dieu. Sur cela que lui inspire son zèle ? vous l'avez cent fois entendu ; mais pouvez-vous assez l'entendre pour la gloire de Xavier et pour votre édification ? Retiré dans un hôpital, et employé auprès des malades, quel objet il aperçoit devant ses yeux ! et n'est-ce pas là que tout son courage est mis à l'épreuve, et que, pour vaincre les révoltes de la nature, il a besoin de toute sa ferveur et de toute sa force ? C'était un malade ; disons mieux, c'était un cadavre vivant, dont l'infection et la pourriture auraient rebuté la plus héroïque vertu. Que fera Xavier ? Au premier aspect son cœur malgré lui se soulève ; mais bientôt à ce soulèvement imprévu succède une sainte indignation contre lui-même : Eh quoi ! dit-il, faut-il que mes yeux trahissent mon cœur, et qu'ils aient peine à voir ce que Dieu m'oblige à aimer ? Touché de ce reproche, il s'attache à cet homme couvert d'ulcères, il embrasse ce cadavre que la foi lui fait envisager comme un des membres mystiques de Jésus-Christ, et mille fois il baise ses plaies avec le même respect et le même amour que Madeleine pénitente baisa les pieds de son Sauveur : il fait plus ; mais je ménage votre faiblesse, et je veux bien y avoir égard, pour vous épargner un récit où peut-être vous m'accusez de ne m'être déjà que trop arrêté. Or, qui pourrait dire combien cette victoire qu'il remporta sur lui-même lui valut pour la conquête des âmes ? De là et par ce seul effort, il devint insensible à tout le reste, pour n'être plus sensible qu'aux impressions de la charité. De là, les hôpitaux, dont il avait un éloignement naturel, devinrent pour lui une demeure ordinaire et agréable ; de là, il apprit à vivre parmi les pauvres, à converser et à se familiariser avec les barbares, à les visiter dans leurs cabanes, à les assister dans leurs besoins, à les aider de ses conseils dans leurs affaires, et à s'attirer ainsi toute leur confiance : car ces sauvages, tout sauvages qu'ils étaient , se trouvaient forcés de l'aimer, voyant qu'il aimait jusqu'à leurs misères : et, témoins des secours qu'ils en recevaient dans les infirmités de leurs corps et dans toutes les nécessités temporelles, ils lui abandonnaient au même temps le soin de leurs intérêts éternels et la conduite de leurs âmes.
Ce n'est pas assez : il faut qu'un apôtre soit pauvre lui-même, selon l'ordre que donna le Sauveur du monde à ces premiers prédicateurs de l'Evangile, qu'il envoya dans toutes les contrées de la terre, sans biens, sans revenus, sans héritage, et à qui même il marqua en termes exprès, s'ils avaient deux habits, de n'en garder qu'un, et de n'être point en peine de leur entretien et de leur subsistance. Dans les entreprises humaines, pour peu qu'elles soient importantes, on a besoin de grandes ressources, et ce n'est souvent qu'à force de libéralités et de profusions qu'on les fait réussir : mais n'avoir rien, ne posséder rien, et dans cette extrême disette exécuter des desseins à quoi d'immenses trésors et les plus amples largesses ne suffiraient pas, c'est là que paraît évidemment le pouvoir et la vertu de Dieu. Autre moyen qu'employa Xavier à la conversion des peuples. Il part de Rome pour se rendre à Lisbonne ; c'est un roi qui l'invite, c'est le souverain pontife qui l'envoie, c'est de la dignité même de légat du Saint-Siège, aussi éminente que sacrée, qu'il est revêtu : mais quelle pompe l'accompagne, ce ministre d'un grand roi et ce légat apostolique ? en deux mots, mes chers auditeurs, vous allez l'apprendre : un habit usé et un bréviaire, voilà tout l'appareil de sa marche et toutes les richesses qu'il porte avec soi. Peut-être, lorsqu'il s'agira d'entrer dans le champ du Seigneur, et que de Lisbonne il faudra passer dans les Indes, pensera-t-il à se pourvoir ? Que dis-je ! il se croira toujours abondamment pourvu de toutes choses, tant qu'il mettra sa confiance en Dieu, et qu'il s'abandonnera aux soins de sa providence ; tout autre secours, il le refusera, se tenant plus riche de sa pauvreté que de tous les biens du monde.
C'est avec le signe de cette sainte pauvreté qu'il arrive à Mozambique, qu'il se fait voir à Mélinde, à Socotora, à Goa ; qu'il va mouiller à la côte de la Pêcherie, qu'il parcourt le royaume de Travancor ; qu'il visite les îles de Manar, d'Amboine, de Ceylan, les Moluques ; vivant de ce qu'il a soin de mendier, et, du reste, aussi peu attentif à sa nourriture, à sa demeure, à son vêtement, que s'il n'avait point de corps à soutenir. Mais quoi ! n'était-ce pas avilir son caractère ? n'était-ce pas tenter Dieu ? Non, Chrétiens, ce n'était ni l'un ni l'autre ; car, d'une part, les dignités ecclésiastiques n'en deviendraient que plus vénérables, et ne seraient, en effet, que plus respectées et plus révérées, si la pauvreté de Jésus-Christ et la simplicité de l'Evangile en bannissaient l'abondance, le luxe et le faste ; et d'ailleurs, Xavier n'ignorait pas que Dieu ne manque jamais à ses ministres, dès qu'ils ne cherchent que lui-même et que sa gloire, et qu'il fait même servir leur pauvreté au succès de leur ministère : aussi combien fut efficace le désintéressement de notre apôtre auprès de ces infidèles, qui en furent tout à la fois et les témoins et les admirateurs ? Pourquoi, disaient-ils, et comment un homme si réglé et si sage dans toute sa conduite a-t-il quitté sa patrie, traversé tant de mers, essuyé tant de périls, pour venir ici mener une vie pauvre et misérable ? est-ce la nature, est-ce l'amour de soi-même qui inspire un tel dessein ? il faut donc qu'il y ait dans son entreprise quelque chose de particulier, et au-dessus de nos connaissances ; il faut que ce soit un Dieu qui l'ait envoyé, et que la loi qu'il nous annonce ait une vertu supérieure et toute céleste qui nous est cachée. Ce raisonnement était comme le préliminaire de leur conversion, et bientôt la grâce achevait, parmi ces Indiens, ce que la pauvreté volontaire de Xavier avait commencé.
Et par quelle voie pénétra-t-il jusque dans la capitale du Japon ? Ô providence de mon Dieu ! que vous êtes admirable et adorable, lorsque vous employez ainsi la faiblesse même, la bassesse même, l'humilité même, et l'humilité la plus profonde, à soumettre les forts, les puissants, les grands ! Oui, glorieux apôtre, c'est sur le fondement de votre humilité , comme sur la pierre ferme, que Dieu établit cette Eglise du Japon, si célèbre par ses combats pour la foi de Jésus-Christ, et plus célèbre encore par ses triomphes. Le Sauveur des hommes, descendant sur la terre, s'humilia pour nous, dit saint Paul, et pour notre rédemption, jusqu'à prendre la forme d'esclave : Exinanivit semetipsum, formam servi accipiens (Philip., II, 7.). Permettez-moi, mes chers auditeurs, d'en dire par proportion autant de François-Xavier, lorsque, pour entrer dans Méaco, le siège de ce grand empire où Dieu l'appelait, et dont il voyait les avenues fermées, il voulut bien, par le plus prodigieux abaissement, se réduire à la condition d'un vil serviteur ; que, dans cette vue, il se donna à un cavalier, qu'il se chargea de son équipage, qu'il le suivit durant près d'une journée par des chemins raboteux et semés d'épines qui lui déchiraient les pieds ; et que, malgré toutes ces difficultés qu'il eut à surmonter, malgré l'extrême défaillance où le firent tomber tant de fatigues, il parvint enfin au terme d'une course si humiliante et si pénible : Exinanivit semetipsum, formam servi accipiens. Le voilà donc selon ses vœux, mais, du reste, seul et sans autre escorte que deux compagnons qu'il s'est associés ; le voilà, dis-je, au milieu d'une terre ennemie; et que prétend-il ? la conquérir tout entière, c'est-à-dire la purger de ses anciennes erreurs, l'instruire et la sanctifier. Et de quelles armes veut-il pour cela se servir ? point d'autres armes que celles dont usèrent avant lui les apôtres, les armes des vertus. Mais encore de quelles vertus ? non point tant de ces vertus éclatantes qui frappent les yeux et qui brillent devant les hommes, que des vertus les plus obscures, ce semble, et les plus capables de le dégrader, de le rabaisser, de l'anéantir : d'un amour du mépris qui lui fait aimer et rechercher les opprobres et les ignominies ; d'une patience inaltérable, qui lui fait supporter, sans se plaindre, les plus sensibles affronts et les injures les plus sanglantes ; d'une constance inébranlable au milieu des plus cruelles persécutions que l'enfer lui suscite ; d'une condescendance infatigable qui le fait descendre à tout, prenant soin lui-même de l'instruction des enfants, parcourant les rues la clochette à la main pour les rassembler, et se faisant comme enfant avec eux pour en faire des enfants de Dieu.
Combien d'esprits profanes et imbus des maximes du monde le méprisèrent, et combien encore le mépriseraient, en le voyant au milieu de ces enfants qui le suivaient en foule, et qu'il recevait avec une bonté de père ! Mais, chose admirable, et que nous devons regarder comme le plus visible témoignage de la présence et de l'opération miraculeuse de l'Esprit divin qui présidait à ces saintes assemblées ! c'est de ces enfants mêmes que Xavier formait des troupes auxiliaires, plus terribles à l'enfer que toutes les puissances de la terre ; c'est de ces enfants mêmes qu'il faisait des apôtres ; c'est à ces enfants qu'il donnait des missions, qu'il communiquait le pouvoir de guérir les malades, de chasser les démons, de prêcher la foi. Confiteor tibi, Pater, Domine cœliet terrœ, quia abscondisti haie a sapientibus, et revelasti ea parvulis (Matth., XI, 25.) : Ô mon Dieu, disait ce saint homme dans une de ses épîtres, j'adore votre providence éternelle, d'avoir attaché à de si faibles moyens un de vos plus grands ouvrages ! Mais je ne m'en étonne point, Seigneur ; car vous ne voulez pas que le prix de votre mort soit anéanti : or, si l'éloquence des hommes pouvait exécuter cette entreprise, l'humilité de la croix serait inutile et sans effet : Non in sapientia verbi, ut non evacuetur crux Christi (1 Cor., I, 17.). Ensuite, s'adressant à Ignace, à qui, par une confiance filiale, il déclarait tous les mouvements de son cœur : Plût à Dieu, poursuivait-il, que tels et tels que nous avons connus dans l'université de Paris, remplis de science et des plus belles qualités de l'esprit, fussent ici pour admirer avec moi la force de la parole de Dieu, quand elle n'est point déguisée par l'artifice, ni corrompue par l'intention ! Ils oublieraient tout ce qu'ils savent, pour ne savoir plus que Jésus-Christ crucifié ; et au lieu de ces discours qu'ils préparent avec tant d'étude et qu'ils débitent avec si peu de fruit, ils se réduiraient à l'état des enfants, afin de devenir les pères des peuples. Ainsi parlait Xavier, et de là cette belle leçon qu'il faisait à un de ses plus illustres compagnons, recteur du nouveau collège de Goa : Barzée, lui disait-il, que le soin du catéchisme soit le premier soin de votre charge. C'a été l'emploi des apôtres, et c'est le plus important de notre compagnie. Ne croyez pas avoir rien fait, si vous le négligez ; et comptez sur tout le reste, tandis que l'on s'acquittera avec fidélité d'un exercice si utile et si nécessaire. Or, ce que Xavier conseillait là-dessus aux autres, c'est ce qu'il pratiquait lui-même avec d'autant plus de zèle, qu'il y trouvait tout ensemble et de quoi s'humilier, et de quoi avancer plus sûrement et plus efficacement la gloire de Dieu.
Vous me direz qu'il s'est vu comblé d'honneurs dans les cours des rois, qu'ils l'ont reçu avec distinction dans leurs palais, qu'ils l'ont invité à leurs tables, qu'ils l'ont admis dans leurs entretiens les plus familiers et les plus intimes. Je le sais ; mais c'est en cela même que nous découvrons la conduite de Dieu, qui élève les petits, qui donne à leurs paroles un attrait dont les âmes les plus hautaines et les plus indociles se sentent touchées ; et qui, tout méprisables qu'ils paraissent selon le monde, leur fait trouver grâce auprès des princes et des monarques. Vous me direz qu'il faisait des miracles, et que ces miracles si surprenants et si fréquents prévenaient les peuples en sa faveur, et le rendaient célèbre dans l'Inde et dans le Japon. J'en conviens ; mais pourquoi Dieu lui mit-il de la sorte son pouvoir dans les mains ? parce que c'était un homme qui, sans se confier jamais en lui-même, ne se confiait qu'en Dieu ; un homme qui, sans jamais s'attribuer rien à lui-même, référait tout à Dieu ; un homme qui, ennemi de sa propre gloire et de lui-même, ne cherchait pour lui-même dans tous ses travaux que le travail, et ne pensait qu'à faire adorer et aimer Dieu ; enfin, un homme qui, dans le dénûment entier et le parfait dépouillement où il s'était réduit, donnait à connaître que tout ce qu'il opérait de plus merveilleux et de plus grand n'était l'effet ni de la prudence, ni de l'opulence, ni de la puissance humaine, mais uniquement et incontestablement l'ouvrage de Dieu.
N'en disons pas davantage, mes chers auditeurs ; car je n'ai pas le temps de m'étendre ici plus au long, et il faut finir. Mais soit que nous considérions le succès de François-Xavier dans le cours de sa mission, soit que nous ayons égard aux moyens qu'il y a fait servir, nous pouvons conclure que depuis saint Paul, le docteur des nations, jamais homme n'a pu dire avec plus de vérité, ni plus de sujet que Xavier : Existimo nihil me minus fecisse a maquis apostolis (2 Cor., XI, 5). Je crois n'en avoir pas moins fait que les plus grands apôtres. Quand saint Paul parlait de la sorte, c'était sans préjudice de son humilité, puisque dans le fond il se regardait comme le dernier des apôtres : Ego enim sum minimus apostolorum (I Cor., XV, 9.). Et quand je mets ce glorieux témoignage dans la bouche de Xavier, ce n'est pas pour exprimer ce qu'il pensait de lui-même, mais ce que nous en devons penser. Une chose lui a manqué, c'est de verser son sang comme les apôtres, et de joindre à la gloire de l'apostolat la couronne du martyre. Mais, mon Dieu, vous savez quels furent sur cela les sentiments et les dispositions de son cœur. Vous savez quel sacrifice il eut à vous faire, et il vous fit, sur ce rivage où il plut à votre providence de l'arrêter et de terminer sa course. Si le désir peut devant vous suppléer à l'effet, ah ! Seigneur, souhaita-t-il rien plus ardemment que de sacrifier pour vous sa vie ? Et même ne la sacrifia-t-il pas ; et une vie volontairement exposée pour l'honneur de votre nom, et pour la propagation de votre Eglise, à tant de fatigues sur la terre, à tant d'orages sur la mer, à tant de traverses de la part de vos ennemis, à tant de souffrances et de misères, ne fut-ce pas une mort continuelle et un martyre ?
Quoi qu'il en soit, mes Frères, voilà le modèle que cette sainte solennité nous met aujourd'hui devant les yeux ; et quand je dis mes Frères, j'entends ceux que Dieu a choisis pour les mêmes emplois et le même ministère que François-Xavier, ceux qu'il a destinés à la conduite des âmes, à la prédication de l'Evangile, à toutes les fonctions du sacerdoce, tels qu'il s'en trouve ici plusieurs, séculiers et religieux, de tous les états et de tous les ordres. C'est, dis-je, à vous, mes Frères, que je m'adresse présentement, à vous qui êtes les prêtres de Jésus-Christ, qui êtes les coopérateurs du salut des hommes, qui êtes établis pour la sanctification des peuples. Il ne m'appartient pas de vous apprendre vos devoirs ; mais encore est-il bon que nous nous instruisions quelquefois les uns les autres ; et puisque nous honorons en ce jour la sainteté d'un prêtre, d'un missionnaire, d'un prédicateur, d'un confesseur, d'un directeur des consciences, et que nous participons à toutes ces qualités, n'est-il pas convenable que nous fassions quelque retour sur nous-mêmes, pour voir comment nous les soutenons ? Dieu a fait des prodiges par le ministère de saint François-Xavier, et souvent il ne fait rien ou presque rien par le nôtre. D'où vient cette différence ? Il est bien juste que nous en recherchions la cause, et que nous examinions si notre zèle a les mêmes caractères que celui de Xavier ; s'il est aussi pur, s'il est aussi désintéressé, s'il nous détache aussi parfaitement du monde et de nous-mêmes ; car vous le savez mieux que moi, mes Frères, toute sorte de zèle n'est pas le véritable zèle de la charité, et il n'y a rien qui demande plus de discernement que le vrai zèle, parce qu'il n'y a rien en général de plus sujet que le zèle à l'illusion et à la passion. On a quelquefois trop de zèle, disait le grand évêque de Genève, saint François de Sales, et en même temps, ajoutait-il, l'on n'en a pas assez. On en a trop d'apparent, et l'on n'en a pas assez de solide ; on en a trop pour les créatures, et l'on n'en a pas assez pour Dieu ; on en a trop pour les autres, et l'on n'en a pas assez pour soi-même ; on en a trop pour les riches et pour les grands, et l'on n'en a pas assez pour les pauvres et pour les petits : or tout cela, ce sont des fantômes de zèle.
Mais le point important, mes Frères, c'est ce que j'ai dit, et ce que Xavier nous a si bien appris, savoir, que nous ne serons jamais des instruments dignes de Dieu, et propres à l'avancement de sa gloire, si nous ne mourons à nous-mêmes, et si nous n'entrons dans cet esprit d'anéantissement, qui fut l'esprit du Sauveur des hommes et l'esprit de tous les apôtres. Voilà de quoi nous devons être persuadés comme d'un principe de foi : avec cela, Dieu se servira de nous ; sans cela, Dieu n'agréera jamais nos soins. Nous pourrons bien faire des actions éclatantes, mais nous ne gagnerons point d'âmes à Jésus-Christ ; le monde nous applaudira, mais le monde ne se convertira pas ; nous établirons notre réputation, mais Dieu n'en sera pas plus glorifié : et pourquoi voudrait-on que les choses allassent autrement ? sur quoi l'espérerait-on ? Dieu a prétendu sauver le monde par l'humilité :le sauverons-nous par la recherche d'une vaine estime et d'un faux honneur ? le Fils de Dieu s'est anéanti lui-même pour opérer le salut des pécheurs : y coopérerons-nous en nous élevant et en nous faisant valoir ? Non, non, mes Frères, cela ne sera jamais : Dieu n'a point pris cette voie et il ne la prendra jamais. Les apôtres ont converti le monde par l'opprobre de la croix, et c'est par là que nous le devons convertir.
De là vient que quand je vois les ouvriers évangéliques dans l'élévation et dans l'éclat, favorisés, honorés, approuvés du monde, je tremble, et je me défie de ces avantages trompeurs ; pourquoi ? parce que je dis : ce n'est point de la sorte que le monde a été sanctifié. Au contraire, quand je les vois en butte à la censure et à la malignité du monde, dans l'abjection, dans la persécution, dans le mépris et la haine du monde, j'en augure bien : car je sais que ce sont là les moyens dont Jésus-Christ et les premiers ministres de son Eglise se sont servis. Pardonnez-moi, mes Frères, si je vous explique ainsi mes sentiments ; je le fais plus pour ma propre instruction que pour la vôtre.
Pour vous, mes chers auditeurs, qui n'êtes point appelés de Dieu à ces fonctions apostoliques, tout ce que j'ai à vous demander, c'est que vous soyez les apôtres de vous-mêmes, et que vous ayez pour votre âme, chacun en particulier, le même zèle que François-Xavier a eu pour celle des autres. Est-ce trop exiger de vous ? Tout ce que j'ai à vous demander, c'est que vous soyez les apôtres de vos familles et que vous fassiez au moins servir Dieu dans vos maisons, et par vos domestiques, par vos proches, par vos enfants, comme François-Xavier l'a fait servir dans des terres étrangères, et par des sauvages et des barbares. Cela n'est-il pas raisonnable ? Ah ! Chrétiens, si nous venons à nous perdre, et si nous négligeons le salut de quelques âmes qui nous sont confiées, qu'aurons-nous à répondre, quand Dieu nous mettra devant les yeux des apôtres, qui, non contents de se sauver eux-mêmes, ont encore sauvé avec eux des nations entières ? Prévenons un si terrible reproche, et, par une ferveur toute nouvelle, mettons-nous en état de parvenir un jour à cette souveraine béatitude que la foi nous propose comme le plus précieux de tous les biens, et que je vous souhaite.
BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS-XAVIER
Mort de Saint François Xavier
C'est par le ministère d'un seul prédicateur que Dieu, jusqu'au milieu de l'idolâtrie, a opéré ces miracles de conversion ; et dans le centre de la foi tant de prédicateurs suffisent à peine pour convertir un pécheur. Xavier prêchait à des infidèles, et il les touchait ; nous prêchons à des chrétiens, et ils demeurent insensibles. A quoi attribuerons-nous cette monstrueuse opposition ?
BOURDALOUE
Ecce non est abbreviata manus Domini, ut salonre nequeat.
Voici un miracle de la vertu de Dieu, qui fait bien voir que le bras du Seigneur n'est pas raccourci, et qu'il peut encore sauver son peuple. (Isaïe, chap. LIX, 1.)
Monseigneur, (Messire François Faure, évêque d'Amiens)
Quel est ce miracle dont nous avons été nous-mêmes témoins, et en quel sens peuvent convenir ces paroles du Prophète à l'homme apostolique dont nous solennisons la fête ? Est-ce l'éloge de François-Xavier que j'entreprends, ou n'est-ce pas l'éloge de la foi qu'il a prêchée ? et si le Seigneur, dans ces derniers siècles, a fait éclater sa toute puissante vertu par la conversion d'un nouveau monde, est-ce au ministre de ce grand ouvrage qu'il en faut attribuer la gloire, ou n'est-ce pas plutôt au Maître qui l'avait choisi, et qui l'a si heureusement conduit dans l'exercice de son ministère ? Parlons donc, Chrétiens, non pas pour exalter le mérite de l'apôtre des Indes et du Japon, mais pour reconnaître la force de l'Evangile qu'il a porté à tant de nations barbares et des merveilleux succès de sa prédication, une preuve sensible et toute récente de l'incontestable vérité de la foi à laquelle il a soumis les plus fières puissances de l'Orient : Ecce non est abbreviata manus Domini. Voici un prodige que Dieu nous a mis devant les yeux, pour nous convaincre et pour confirmer notre foi peut-être chancelante, toujours au moins faible et languissante : c'est la propagation du christianisme en de vastes pays d'où l'infidélité l'avait banni, et où Xavier, sur les ruines de l'idolâtrie et malgré tous les efforts de l'enfer, a eu le bonheur de le rétablir. Je ne prétends point égaler par là cet ouvrier évangélique aux premiers apôtres. Je sais quelles furent les prérogatives de ces douze princes de l'Eglise, et quelle supériorité le ciel leur donna, soit par l'avantage de la vocation, soit par l'étendue du pouvoir, soit par la plénitude de la science. Mais après tout, comme saint Augustin a remarqué que ce n'était point déroger à la dignité de Jésus-Christ, de dire que saint Pierre a fait de plus grands miracles que lui : aussi ne crois-je rien diminuer de la prééminence des apôtres, quand je dis que Dieu, pour l'amplification de son Eglise, a employé saint François-Xavier à faire un miracle non moins surprenant ni moins divin que tout ce que nous admirons dans ces glorieux fondateurs de la religion chrétienne.
C'est, Monseigneur, ce que nous allons voir ; et je ne puis douter qu'entre les honneurs que reçoit de la part des hommes l'illustre saint dont nous célébrons la mémoire, il n'agrée surtout le culte et le témoignage de piété que Votre Grandeur vient ici lui rendre. On sait quel fut son respect et sa profonde vénération pour les évêques, légitimes pasteurs du troupeau de Jésus-Christ, et les dépositaires de l'autorité de Dieu ; on sait avec quelle soumission il voulut dépendre d'eux ; que c'était sa grande maxime ; que c'était, disait-il lui-même, la bénédiction de toutes ses entreprises, et que c'est enfin une des plus belles vertus que l'histoire de sa vie nous ait marquées.
Mais, Monseigneur, si Xavier eût vécu de nos jours, et qu'il eût eu à travailler sous la conduite et sous les ordres de Votre Grandeur, combien, outre ce caractère sacré qui vous est commun avec plusieurs, eût-il encore honoré dans vous d'autres grâces qui vous sont particulières. Aussi zélé qu'il était pour l'honneur de l'Evangile, combien eût-il révéré dans votre personne un des plus célèbres prédicateurs qu'ait formé notre France ; un homme dont le mérite semble avoir eu du ciel le même partage que celui de Moïse, et à qui nous pouvons si bien appliquer ce qui est dit de ce fameux législateur : Glorificavit illum in conspectu regum, et jussit illi coram populo suo (Eccli., XLV, 3.) ; Dieu l'a glorifié devant les têtes couronnées par le ministère de sa sainte parole, et lui a donné ensuite l'honorable commission de gouverner son peuple. Voilà, Monseigneur, ce qui eût sensiblement touché le cœur de Xavier : et Votre Grandeur n'ignore pas comment les nôtres sur cela même sont disposés. Que n'ai-je, pour traiter dignement le grand sujet qui me fait aujourd'hui monter dans cette chaire, et paraître en votre présence, ce don de la parole et cette éloquence vive et sublime qui vous est si naturelle ! mais le secours du Saint-Esprit suppléera à ma faiblesse, et je le demande par la médiation de Marie : Ave, Maria.
Une des difficultés les plus ordinaires que formaient autrefois les païens contre notre religion, c'était, si nous en croyons le vénérable Bède, qu'on n'y voyait plus ces miracles dont leur parlaient les chrétiens, et qu'ils produisaient comme les preuves certaines de sa divinité : ce qui faisait conclure à ces ennemis du christianisme, ou qu'il avait dégénéré de ce qu'il était, ou qu'il n'avait jamais été ce qu'on prétendait. A cela, les Pères répondaient diversement. Il est vrai, disait saint Grégoire, pape, que ce don des miracles n'est plus aujourd'hui si commun qu'il l'a été dans la primitive Eglise ; mais aussi n'est-il plus désormais si nécessaire qu'il l'était alors : car la foi, naissante encore, n'était, dans ces premiers temps, qu'une jeune plante qui, pour croître et pour se fortifier, devait être arrosée et nourrie de ces grâces extraordinaires ; mais maintenant qu'elle a jeté de profondes racines, et qu'elle est en état de se soutenir, elle n'a plus besoin de ce secours. Cette réponse est solide, mais celle de saint Augustin me paraît plus sensible et plus convaincante, lorsqu'il raisonnait de la sorte, en disputant contre les infidèles : Ou vous croyez les miracles sur quoi nous appuyons la vérité de la religion chrétienne, ou vous ne les croyez pas : si vous les croyez, c'est en vain que vous nous en demandez de nouveaux, puisque Dieu s'est assez expliqué par ceux qu'il a opérés d'abord dans l'établissement du christianisme : si vous ne les croyez pas, du moins faut-il que vous en reconnaissiez un, bien authentique et plus fort que tous les autres, savoir, que, sans miracles, le monde ait été converti à la foi de Jésus-Christ : Si Christi miraculis non creditis, saltem huic miraculo credendum est, mundum sine miraculis fuisse conversum. En effet, qu'y a-t-il de plus miraculeux qu'une telle conversion ? Mais permettez-moi, mes chers auditeurs, d'ajouter ma pensée à celle de ces grands hommes : car je dis que les miracles de l'Eglise naissante n'ont point cessé ; je prétends qu'ils subsistent encore, et que Dieu les a continués jusque dans ces derniers siècles ; et je puis toujours m'écrier, avec le Prophète, que le bras tout-puissant du Seigneur n'est point raccourci : Ecce non est abbreviata manus Domini.
Pour vous en faire convenir avec moi, je vous demande quel est, de tous les miracles qui se sont faits dans l'établissement de l'Eglise, le plus merveilleux et le plus grand ? n'est-ce pas, comme dit saint Ambroise, l'établissement de l'Eglise même ? Rappelez dans votre esprit de quelle manière la loi chrétienne s'est répandue dans le monde ; la sublimité de ses mystères incompréhensibles, et même opposés, en apparence, à la raison humaine ; la sévérité de sa morale, contraire à toutes les inclinations de l'homme et à ses sens ; les violents assauts et les combats qu'elle a eu à essuyer ; la faiblesse des apôtres dont Dieu s'est servi pour la prêcher, et toutefois les succès étonnants de leur prédication dans les royaumes, dans les empires, dans tous les états. Il n'y a point d'esprit droit et équitable qui, pesant bien tout cela, n'y découvre un miracle visible, et qui n'avoue, avec Pic de la Mirande, que c'est une extrême folie de ne pas croire à l'Evangile : Maximœ insaniœ est Evangelio non credere. Or, je soutiens que saint François-Xavier a renouvelé ce miracle, et je soutiens qu'il l'a renouvelé par les mêmes moyens que les apôtres de Jesus-Christ y ont employés : en deux mots, Xavier, pour la propagation de la foi, a fait des choses infiniment au-dessus de toutes les forces humaines : c'est la première partie ; Xavier, comme les apôtres, a fait ces prodiges de zèle par des moyens qui ne tiennent rien de la prudence et de la sagesse humaine : c'est la seconde partie. Un monde converti par François-Xavier, voilà le succès de l'Evangile ; Xavier travaillant à convertir tout un monde par les abaissements et les souffrances, voilà la conduite de l'Evangile : le succès et la conduite joints ensemble, c'est ce que j'appelle le miracle de l'Evangile, et voilà le partage de ce discours et le sujet de votre attention.
Saint Augustin, expliquant ces paroles du psaume quarante-quatrième : Pro patribus tuis nati sunt tibi filii (Psal., XLIV, 17.), en fait une application bien juste, lorsque, s'adressant à l'Eglise, il lui parle de cette sorte : Sainte épouse du Sauveur, ne vous plaignez pas que le ciel vous ait abandonnée, parce que vous ne voyez plus Pierre et Paul, ces grands apôtres dont vous avez pris naissance, et qui ont été vos pères : Non ergo te putes esse desertam , quia non vides Petrum, quia non vides Paulum, quia non vides eos per quos nata es ; car vous avez formé des enfants héritiers de leur esprit, et qui vous rendront aussi glorieuse et aussi féconde que vous le fûtes jamais : Ecce pro patribus tuis nati sunt tibi filii. Or, entre ces enfants de l'Eglise, successeurs des apôtres et comme les dépositaires de leur zèle, il me semble, Chrétiens, que je puis mettre François-Xavier dans le premier rang ; et le miracle qu'il a plu à Dieu d'opérer par son ministère en est la preuve évidente : Ecce non est abbreviata manus Domini.
Examinons-le, ce miracle. Après l'avoir étudié avec soin, pour ne rien dire qui ne soit autorisé et par la voix publique, et par le témoignage même de l'Eglise qui l'a reconnu ; sans rien exagérer dans une chaire consacrée à la vérité, mais à ne prendre que la substance de la chose, et à considérer le fait précisément en lui-même, dénué de toutes les circonstances qui le relèvent, le voici tel que je le conçois et que vous le devez concevoir. Xavier, par la seule vertu de la divine parole, a soumis un monde entier à l'empire du vrai Dieu, a répandu en plus de trois mille lieues de pays la lumière de l'Evangile, a fondé un nombre presque innombrable d'Eglises dans l'Orient ; est entré en possession de cinquante-deux royaumes, pour y faire régner Jésus-Christ ; a dompté partout l'infidélité du paganisme, l'obstination de l'hérésie, le libertinage de l'impiété ; a conféré de sa main le baptême à plus d'un million d'idolâtres, et les a présentés à Dieu comme de fidèles adorateurs de son nom : voilà le miracle de notre foi. Miracle au-dessus de tout ce que nous lisons de ces héros, ou vrais, ou prétendus , que l'histoire profane a tant vantés ; miracle où je puis dire, en me servant de la belle expression de saint Ambroise, que François-Xavier a fait réellement ce que la philosophie humaine, dans ses plus hautes et ses plus vaines idées, n'a pu même imaginer : Minus est quod illa finxit, quam quod iste gessit ; et miracle enfin qui seul suffirait pour m'attacher inviolablement à la religion que je professe, et pour me faire connaître que c'est l'œuvre du Seigneur : Ecce non est abbreviata manus Domini.
Vous savez, mes chers auditeurs, par quelle occasion et quel dessein fut appelé l'homme apostolique dont je parle, pour passer aux Indes : car je laisse ce qu'il fit en Europe, et je viens d'abord à ce qu'il y a dans mon sujet d'essentiel et de capital. Certes, ce furent deux entreprises bien différentes que celle de Jean III, roi de Portugal, et celle de Xavier ; et il est bien à croire que, selon la politique mondaine, l'une ne fut que l'accessoire de l'autre. En effet, si la piété du prince lui fit souhaiter d'avoir un homme de Dieu pour aller combattre la superstition, le soin de sa propre grandeur lui fit équiper une flotte entière pour étendre ses conquêtes, et pour établir en de nouvelles et de vastes contrées sa domination. Telles étaient les vues de ce monarque ; telle était la fin que se proposaient les ministres de son Etat : mais le ciel en avait tout autrement disposé. Le dessein du roi de Portugal ne fut qu'une occasion ménagée par la Providence pour ouvrir le chemin à Xavier, et pour le faire entrer dans la moisson qu'il devait recueillir. Il ne faut que lui pour cet important ouvrage ; lui seul, il fera plus que ce pompeux et terrible appareil d'armes et de vaisseaux, et il portera plus loin les bornes du christianisme que Jean les limites de son empire.
Déjà je l'entends, ce saint apôtre, qui rallumant toute l'ardeur de sa charité, et rappelant toutes les forces de son âme à la vue de l'immense carrière qu'on lui donne à fournir, s'encourage lui-même, et s'excite à tout entreprendre pour la gloire du souverain Maître qui l'envoie. Allons, Xavier, dit-il en de fervents et de secrets colloques, puisque ton Dieu est partout, il faut qu'il soit partout connu et adoré ; ce serait un reproche pour toi, que l'auteur de ton être fût loué dans tous les lieux du monde par les créatures insensibles, et qu'il y eût un endroit de l'univers où il ne le fût pas des créatures intelligentes et raisonnables. Et pourquoi mettrais-tu entre les hommes quelque différence, et voudrais-tu en faire le choix, puisque le Créateur qui les a formés les embrasse tous dans le sein de sa miséricorde ? Non, non : souviens-toi qu'en te confiant son Evangile, il t'en a rendu redevable à tous, et que c'est pour tous qu'il t'a communiqué sans restriction tout son pouvoir. Ce ne sont point là, Chrétiens, mes propres pensées, ni mes expressions ; mais celles de Xavier, qu'il nous a laissées dans ses épîtres, fidèles interprètes de son cœur, et lettres sacrées que nous conservons comme les précieuses reliques et les monuments de son zèle.
C'est donc en de telles dispositions et avec de si nobles sentiments qu'il s'embarque à Lisbonne, qu'il traverse deux fois la zone torride, qu'il échappe heureusement le fameux cap de Bonne-Espérance, qu'il aborde dans l'Inde, qu'il passe dans l'île de la Pêcherie. Je serais infini, si j'entreprenais de faire le dénombrement de ces longues et fréquentes courses qui n'ont pu lasser son courage, et qui peut-être lasseraient votre patience. Mais un peu de réflexion, s'il vous plaît : le voilà rendu au cap de Comorin, et d'abord vingt mille idolâtres viennent le reconnaître pour l'ambassadeur du vrai Dieu. D'où l'ont-ils appris, et qui le leur a dit ! Ah ! voici le miracle : Xavier ne sait ni la langue ni les coutumes du pays ; et cependant il persuade tous les esprits et gagne tous les cœurs. Chaque jour toute une bourgade est initiée au saint baptême. Les prêtres des faux dieux en conçoivent le plus violent dépit, et s'y opposent ; les chefs du peuple, les magistrats, en sont transportés jusqu'à la fureur ; mais, pour user des termes de saint Prosper sur un sujet à peu près semblable, c'est de ces ennemis mêmes, de ces emportés et de ces furieux, qu'il compose une nouvelle Eglise : Sed de his resistentibus, sœvientibus, populum christianum augebat. A peine ces sages Indiens l'ont-ils eux-mêmes entendu, qu'ils veulent devenir enfants, pour se faire instruire des mystères qu'il leur enseigne. A la seule présence de ce prédicateur inspiré d'en-haut, toute leur sagesse s'évanouit ; et par là ils semblent vérifier la parole de l'Ecriture, selon le sens que lui donne saint Augustin : Absorpti sunt juncti petrœ judices eorum (Psal., CXL, 6.) ; Leurs juges, c'est-à-dire les savants de leur loi et les maîtres du paganisme, mis auprès de Jésus-Christ, qui est la pierre angulaire, ou des ministres de son Evangile, ont été entraînés, ont été comme engloutis et absorbés : Absorpti sunt.
N'était-ce pas un spectacle digne de l'admiration des anges et des hommes, de voir ce conquérant des âmes former dans les plaines de Travancor des milliers de catéchumènes, faire autant de chrétiens qu'il assemblait autour de lui d'auditeurs, s'épuiser de forces dans cet exercice tout divin ; et, comme autrefois Moïse, ne pouvoir plus lever les bras par la défaillance où il tombe, et avoir besoin qu'on les lui soutienne, non point pour exterminer les Amalécites, mais pour ressusciter des troupes d'infidèles à la vie de la grâce ? Quel triomphe pour la foi qu'il venait de leur annoncer, quand il marchait à la tête de ces néophytes, qu'il les conduisait dans les temples des idoles, qu'il les animait à les briser, à les fouler aux pieds, et, comme parle saint Cyprien, à faire de la matière du sacrilège un sacrifice au Dieu du ciel ?
Il n'en demeure pas là. Bientôt il paraît chez les Maures, fameux insulaires, d'autant plus chers à Xavier qu'ils sont plus connus par leur barbarie, et qu'il en attend de plus rigoureux et de plus cruels traitements ; car voilà ce qui l'attire, voilà ce qu'il cherche. Mais, providence de mon Dieu, que vos vues sont au-dessus des nôtres, et que vous savez conduire efficacement, quoique secrètement, vos impénétrables et adorables desseins ! Qui l'eût cru ? cette brebis au milieu des loups, sans rien craindre de leur férocité, leur communique toute sa douceur. Ces tremblements de terre si communs parmi eux lui donnent occasion de les entretenir des grandeurs du Dieu qu'il leur prêche, et de la sévérité de ses jugements. Ces montagnes de feu qui sortent du sein des abîmes lui servent d'images, mais d'images affreuses, pour leur représenter les flammes éternelles, et pour leur en inspirer une horreur salutaire. Il les cultive, il les rend traitables, il les transforme en d'autres hommes. Toute l'Inde est dans l'étonnement, et ne peut comprendre qu'en peu de jours il ait réduit sous le joug de la foi chrétienne jusqu'à trente villes. Vous diriez que, comme les cœurs des rois sont dans la main de Dieu, tous les cœurs de ces peuples sont dans celle de Xavier. Il entre dans Malaque, et d'une Babylone il en fait une Jérusalem, c'est-à-dire d'une ville abandonnée à tous les vices il en fait une ville sainte. Le grand obstacle aux progrès de l'Evangile, c'est l'amour du plaisir et la pluralité des femmes : honteux dérèglement que la coutume avait introduit, et que la coutume autorisait. Il l'attaque et il l'abolit ; mais comment ? avec un ascendant sur les esprits et un empire si absolu, que nul homme engagé dans ce libertinage n'oserait paraître devant lui. Et parce qu'ils l'aiment tous comme leur père, parce qu'ils veulent tous traiter avec le saint apôtre, de là vient qu'ils renoncent tous à ce désordre. Plus de quatre cents mariages prétendus , cassés par son ordre, les liens les plus forts et les plus étroits engagements rompus, toutes les familles dans la règle : qu'y eut-il jamais de plus merveilleux ? et si ce ne sont pas autant de miracles, qu'est-ce donc, et à quel autre qu'à Dieu même attribuerons-nous un changement si difficile, si prompt, si universel ?
Cependant, Chrétiens, un nouveau champ se présente à cet ouvrier infatigable ; et, sans nous arrêter, suivons-le partout où l'ardeur de son zèle porte ses pas. Le Japon l'attend, et c'est là, pour m'exprimer de la sorte, que Dieu a placé le siège de son apostolat ; dans l'Inde il a travaillé sur un fond où d'autres avant lui s'étaient exercés ; il a marché sur les traces des apôtres ; mais ici il peut dire comme saint Paul : Sic autem prœdicaci Evangelium hoc, non ubi nominatus est Christus, ne super alienum fundamentum œdificarem; sed sicut scriptum est, quibus non est unnuntiatum de eo (Rom., XV, 21.) ; oui, mes Frères, j'ai prêché Jésus-Christ, mais dans des lieux où jamais ce nom vénérable n'avait été prononcé ; et Dieu m'a fait cet honneur de vouloir que j'édifiasse là où personne avant moi n'avait bâti. Xavier en effet est le premier qui ait porté à cette nation le flambeau de l'Evangile ; je dis, à cette nation si fière et si jalouse de ses anciennes pratiques et de la religion de ses pères ; à cette nation où le prince des ténèbres dominait en paix depuis tant de siècles, et qu'une licence effrénée plongeait dans tous les désordres. Il s'agissait de leur annoncer les vérités les plus dures, et d'ailleurs les moins compréhensibles ; une doctrine la plus humiliante pour l'esprit et la plus mortifiante pour les sens ; une foi aveugle, sans raisonnement, sans discours ; une espérance des biens futurs et invisibles, fondée sur le renoncement actuel à tous les biens présents ; en un mot, une loi formellement opposée à tous les préjugés et à toutes les inclinations de l'homme. Voilà ce qu'il fallait leur faire embrasser, à quoi il était question de les amener, sur quoi Xavier entreprend de les éclairer : quel projet ! et quel en sera l'issue ? Ne craignons point, mes chers auditeurs : c'est au nom de Dieu qu'il agit ; c'est Dieu qui le députe comme le Prophète, et qui lui ordonne d'arracher et de planter, de dissiper et d'amasser, de renverser et d'élever. Il arrachera les erreurs les plus profondément enracinées, et jusque dans le sein de l'idolâtrie il plantera le signe du salut, il dissipera les légions infernales conjurées contre lui, et malgré tous leurs efforts il rassemblera les élus du Seigneur ; il renversera ce fort armé qui s'était introduit dans l'héritage du Dieu vivant, et de ses dépouilles il érigera un trophée à la grâce victorieuse qui l'accompagne, et qui se répandra avec abondance.
Parlons sans figure, et ne cherchons point de magnifiques et de pompeuses expressions pour soutenir un sujet qui par lui-même est au-dessus de toute expression. François-Xavier se présente, il montre le crucifix, il proteste que ce crucifié est son Dieu et le Dieu de tous les hommes : cela suffit ; sur sa parole il est cru comme un oracle ; les rois l'écoutent et le respectent, celui de Bungo reçoit le baptême ; de mille sectes répandues dans le Japon, il n'y en a pas une qu'il ne confonde ; les bonzes les plus opiniâtres se font non seulement ses disciples, mais ses ministres et ses coadjuteurs. Tous les jours, nouvelles Eglises ; et quelles Eglises ? disons-le, mes chers auditeurs, à la gloire de Dieu, auteur de tant de merveilles : des Eglises dont les ferveurs ne cèdent en rien à celles du christianisme naissant ; des Eglises où l'on a vu toute la pureté des mœurs, toute l'austérité de vie, toute la perfection que demande la plus sublime et la plus étroite morale, de l'Evangile ; des Eglises éprouvées par les plus cruelles persécutions que la tyrannie ait jamais suscitées contre Jésus-Christ et son troupeau ; qui, bien loin de se scandaliser de la croix et d'en rougir comme l'imposture a voulu nous le persuader, se sont immolées pour la croix et par la croix, se sont exposées pour elle à toutes les rigueurs de la captivité, à toutes les ardeurs du feu, à toutes les horreurs de la mort ; enfin, des Eglises où l'on a pu presque compter autant de martyrs qu'elles ont eu de fidèles. Tels sont les fruits de la mission de Xavier. Qui les a fait naître, ces fruits de sainteté ? C'est Xavier coopérant avec Dieu ; c'est Dieu agissant dans Xavier. Nous pouvons dire l'un et l'autre, comme nous le voudrons, pourvu que nous reconnaissions là le miracle de notre foi : Ecce non est abbreviata manus Domini.
Cependant, au milieu de ses victoires, ce héros chrétien en voit tout à coup le cours interrompu. Insatiable dans ses désirs, il tourne son zèle vers le vaste empire de la Chine, et la Chine lui échappe. Quelle subite et triste révolution ? Ainsi vous l'aviez ordonné, Seigneur. Mais s'il m'est permis de pénétrer dans un de ces secrets que votre providence tient cachés à nos yeux, et qu'il n'appartient qu'à votre sagesse de bien connaître, pourquoi, mon Dieu, arrêtez-vous un apôtre uniquement occupé du soin de votre gloire, et pourquoi lui refusez-vous l'entrée d'une terre où il ne pense qu'à faire célébrer vos grandeurs ? Vous ne permîtes pas à Moïse d'entrer dans la terre de Chanaan, parce qu'il avait manqué à vos ordres, et qu'il n'avait pas sanctifié votre nom parmi le peuple : Quia prœvaricati estis contra me, et non sanctificastis me inter filios Israël (Deut., XXXII, 51.). Mais voici un homme soumis à votre parole, un homme selon votre cœur, et vous le retenez dans une île déserte ! Lorsqu'il médite une conquête si glorieuse pour vous, et après laquelle il soupire depuis si longtemps, vous l'abandonnez à la mort, qui fait échouer toutes ses espérances ! Je me trompe, Chrétiens, Xavier est entré dans la Chine ; au défaut de son corps, son esprit y a percé ; il y est encore vivant, et il y soutient tant de prédicateurs de tous les états et de tous les ordres de l'Eglise ; c'est lui qui les dirige par ses leçons, lui qui les anime par ses exemples, lui qui les console dans leurs fatigues par le souvenir de ses travaux, et lui enfin qui, du haut de la gloire, fait descendre sur eux ces secours de grâces dont ils tirent toutes leurs forces, et qui achève ainsi dans le ciel ce qu'il n'a pu accomplir sur la terre.
Or revenons, et, sans vous faire un détail plus exact de tant de nations qu'il a instruites, de tant de provinces et de royaumes qu'il a parcourus, de tant de mers qu'il a traversées, et où si souvent il s'est vu exposé aux tempêtes et aux naufrages, tenons-nous-en à l'idée générale que je viens de vous tracer, et qui n'est encore qu'une ébauche très légère des progrès de la foi par le ministère de cet homme vraiment apostolique. Pour peu que nous raisonnions, et qu'examinant avec attention toutes les circonstances de ce grand miracle dont Dieu même fut l'auteur, et dont Xavier n'a été que l'instrument, nous considérions le caractère des peuples avec qui il eut à traiter, l'obstination de leurs esprits et leur attachement à de fausses divinités, la corruption de leurs mœurs et leurs habitudes vicieuses et profondément enracinées, leur férocité ou leur fierté naturelle ; d'ailleurs, la sublimité de la loi qu'il leur a prêchée, son obscurité dans les mystères, sa sévérité dans la morale ; et avec cela ce consentement universel, cette soumission prompte et cette étonnante docilité avec laquelle ils l'ont reçue, ne sommes-nous pas obligés de nous écrier que le doigt du Seigneur était là ? Digitus Dei est hic (Exod., VIII, 19.). Et quelles marques plus sensibles pourrions-nous avoir de la vertu divine qui l'accompagnait ? Ecce non est abbreviata manus Domini.
Il est vrai : tandis ou presque au même temps que François-Xavier sanctifiait l'Orient, des hommes suscités de l'enfer, je veux dire un Luther et un Calvin, pervertissaient l'Occident et le Septentrion. Ils publiaient que Dieu les avait choisis et inspirés pour réformer l'Eglise, qu'un esprit particulier leur avait dicté ce qu'il fallait croire, qu'ils étaient les dépositaires du sens de l'Ecriture, et qu'on le devait apprendre de leur bouche. Ainsi ces faux prophètes s'érigeaient-ils de leur propre autorité, en maîtres de la doctrine : et, par le plus déplorable aveuglement, les peuples les écoutèrent, les grands les appuyèrent, les Etats changèrent de lois et de coutumes : tel fut, si j'ose m'exprimer de la sorte, le miracle de l'hérésie. Mais entre ce prétendu miracle et celui dont je parle, quelle différence ! Je ne dis point que Xavier avait reçu sa mission de l'Eglise, et que les autres s'étaient ingérés d'eux-mêmes ; je ne dis point que Xavier était irréprochable dans sa vie, et que ces hérésiarques furent constamment aussi corrompus dans toute leur conduite que dans leur foi ; je ne dis point que Xavier, revêtu d'un pouvoir tout divin, commandait aux éléments, calmait les flots de la mer, paraissait à la fois en divers lieux, voyait l'avenir, lisait dans les cœurs, chassait les démons, guérissait les malades, ressuscitait les morts ; et que jamais ces docteurs de l'erreur ne firent rien voir qui marquât en eux une vocation spéciale et propre, et qui donnât à connaître que le Seigneur était avec eux. Je ne dis point tout cela ; mais voici à quoi je m'en tiens, et ce qui me suffit : c'est qu'ils prêchaient une religion favorable à la nature, commode aux sens, qui retranchait tous les préceptes de l'Eglise, qui dégageait de l'obligation des vœux, qui délivrait du joug de la confession, qui, sous prétexte d'une impossibilité imaginaire dans la pratique des commandements et d'un défaut de grâce, conduisait les hommes au libertinage. Or, pour établir une telle religion dans le monde, il ne faut point de miracle, puisque le monde n'y est déjà que trop disposé de lui-même : au lieu que le saint apôtre des Indes et du Japon apportait une loi contraire à tous les sentiments naturels ; une loi qui déclarait la guerre aux passions, qui condamnait les plaisirs, qui prescrivait des règles de continence, capables de rebuter tous les esprits ; qui obligeait à verser son sang, à donner sa vie, à endurer les plus cruels supplices pour la défendre et la soutenir. Or, d'avoir fait agréer cette loi à une multitude presque infinie d'idolâtres de tout sexe, de tout âge, de tout caractère, de tout état, aux grands et aux petits, aux sages et aux simples, à des voluptueux et à des sensuels, à des opiniâtres et à des présomptueux, n'est-ce pas là le plus évident de tous les miracles, et quel autre que Dieu même l'a pu opérer ? Miracle par où Xaxier réparait les ruines de l'Eglise et les brèches qu'y faisait le schisme de l'hérésie, puisqu'il est certain que, par ses prédications apostoliques, il a plus gagné de sujets à la vraie religion que Luther et Calvin ne lui en ont dérobé, et n'en ont porté à la rébellion. Tellement que nous pouvons lui appliquer le bel éloge que saint Basile donnait autrefois à saint Grégoire de Nazianze et l'appeler le supplément de l'Eglise : Supplementum Ecclesiœ, parce qu'il a suppléé avantageusement, par son zèle, à toutes les pertes qu'elle avait faites par la division des hérétiques.
Ah ! Chrétiens, que la charité est généreuse dans ses entreprises, qu'elle est ferme et constante dans ses poursuites ! mais surtout qu'elle est heureuse dans ses succès ! Que ne peut point un homme possédé de l'Esprit divin, libre de tous les intérêts de la terre, et uniquement passionné pour la gloire du Seigneur ? Ne faut-il pas que l'ambition humaine fasse ici l'aveu de sa faiblesse et qu'elle cède au zèle d'un apôtre qui ne cherche qu'à faire connaître et honorer Dieu ? Si Xavier eût embrassé la profession des armes, comme sa naissance semblait l'y engager, ou s'il eût borné ses vues à se distinguer dans les lettres, selon son inclination particulière et le caractère, de son esprit, qu'eût-il fait ? et quoi qu'il eût fait, son nom vivrait-il encore dans la mémoire des hommes, et ne serait-il pas peut-être enseveli avec tant d'autres dans une profonde obscurité ? Mais maintenant on publie partout ses merveilles ; les siècles entiers n'en peuvent effacer le souvenir, et jusqu'à la dernière consommation des temps, il sera parlé de Xavier dans toutes les parties du monde. Je dis plus : car, pour me servir de la noble et admirable figure de saint Grégoire, pape, comment paraîtra-t-il dans cette assemblée générale de l'univers, où Dieu viendra couronner ses saints, surtout ses apôtres, et leur rendre gloire pour gloire ? C'est là, dit le saint docteur dont j'ai emprunté cette pensée, que les apôtres traîneront après eux, et comme en triomphe, toutes les nations qu'ils ont conquises à Jésus-Christ ; là que Pierre se montrera à la tète de la Judée qu'il a convertie ; là qu'André conduira l'Achaïe ; Jean, l'Asie ; Thomas, toute l'Inde : Ibi Petrus cum Judœa conversa apparebit ; ibi Andreas Achaiam, Joannes Asiam, Thomas Indiam in conspectu Judicis , regi conversam ducet. Et moi j'ajoute : c'est là que Xavier produira, pour fruits de son apostolat, des troupes sans nombre de toutes nations, de tous peuples, de toutes tribus, de toutes langues, qu'il a réduites sous le joug de l'Evangile, et tout un monde dont il a été la lumière : Ex omnibus gentibus, et tribubus, et populis, et linguis (Apoc, VII, 9.).
Mais sur cela même, mes chers auditeurs, quels reproches n'avez-vous pas à vous faire ? C'est par le ministère d'un seul prédicateur que Dieu, jusqu'au milieu de l'idolâtrie, a opéré ces miracles de conversion ; et dans le centre de la foi tant de prédicateurs suffisent à peine pour convertir un pécheur. Xavier prêchait à des infidèles, et il les touchait ; nous prêchons à des chrétiens, et ils demeurent insensibles. A quoi attribuerons-nous cette monstrueuse opposition ? est-ce que Xavier était saint, et que nous, ministres de la divine parole, ne le sommes pas ? mais notre foi ne serait plus ce qu'elle est, si elle dépendait ainsi des ministres qui l'annoncent ; ils ne prêchent pas et ils ne convertissent pas comme saints, mais comme députés de Dieu, et comme envoyés de Dieu : or, quelles que soient les qualités de la personne, cette députation et cette mission n'est pas moins légitime. Quand donc vous dites : "Si c'étaient des saints, je les écouterais et ils me persuaderaient", vous commettez, selon saint Bernard, trois grandes injustices : une, par rapport à la grâce, dont vous bornez l'efficace et le pouvoir à la vertu, ou plutôt à la faiblesse d'un homme ; l'autre, par rapport au prochain, en imputant aux ouvriers évangéliques ce qui ne vient pas d'eux, savoir, votre impénitence et votre obstination ; la dernière, par rapport à vous-mêmes, en cherchant de vaines excuses dans vos désordres, et des prétextes pour vous y autoriser. Quoi donc ! est-ce que Xavier avait un autre Evangile à prêcher que nous ? est-ce qu'il faisait connaître un autre Dieu ? est-ce qu'il enseignait d'autres vérités ? est-ce qu'il proposait d'autres peines et d'autres récompenses ? rien de tout cela : mais c'est qu'il instruisait des peuples qui, quoique nés et quoique élevés dans l'infidélité, suivaient les impressions de la grâce ; et que vous, dans le christianisme, vous la combattez, vous la rejetez, vous l'étouffez. De là des millions d'athées ou d'idolâtres étaient tout à coup changés en de vrais chrétiens, et tous les jours des chrétiens deviennent des impies et des athées. Je dis des athées ; car il n'y en a que trop et de toutes les manières : athées de créance et athées de volonté ; athées qui ne reconnaissent point de Dieu, et athées qui voudraient n'en point reconnaître, et qu'en effet il n'y en eût point ; athées dans les cours des princes, athées dans la profession des armes, athées dans les académies des savants, athées dans tous les lieux et tous les états où règne la dissolution du vice.
Ah ! mes Frères, n'est-ce pas ainsi que s'accomplit la parole du Sauveur du monde, cette parole si terrible pour nous, que plusieurs viendraient de l'Orient : Multi ab Oriente venient (Matth., VIII, 11.) ; qu’ils prendraient place dans te gloire avec Abraham et tous les saints habitants de ce séjour bienheureux : Et recumbent cum Abraham, Isaac et Jacob (Ibid.) ; mais que, pour les enfants et les héritiers du royaume, ils seraient chassés et précipités dans les ténèbres de l'enfer : Filii autem regni ejicientur in tenebras exteriores (Matth., VIII, 12.) ? Ne soyons pas du nombre de ces chrétiens réprouvés ; et pour cela, réveillons notre foi, ranimons-la, rendons-la fervente et agissante.
BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS-XAVIER