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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Magnificat

     



Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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Voyages de Benoît XVI

 

SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

Saint Pierre et Saint André

 

BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

Benoît XVI en Terre Sainte  


 

Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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Vicariat hébréhophone en Israël

 


 

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SALVE REGINA

8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 05:00

Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : " Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. "

 

En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d'inquiétude, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d'Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent : "A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem en Judée, tu n'es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d'Israël mon peuple."

 

Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l'étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant. Et quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que j'aille, moi aussi, me prosterner devant lui." Sur ces paroles du roi, ils partirent.


Et voilà que l'étoile qu'ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s'arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l'enfant. Quand ils virent l'étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l'or, de l'encens et de la myrrhe.


Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

 

Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu

 

Adoration des Mages, Jan de Bray

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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 12:30

Jusque dans le sein de l'Eglise et dans le centre du christianisme, avons-nous la même foi que les mages ? ou, si nous croyons comme eux, agissons-nous comme eux, et cherchons-nous Dieu comme eux ? Ils furent,ces saints mages, selon la pensée et l'expression des Pères, les prémices de notre vocation à la foi : c'est par eux que Jésus-Christ voulut commencer à nous transmettre ce précieux trésor de la foi, dont il les fit dépositaires : c'est par eux qu'il commença à substituer les Gentils en la place des Juifs, où plutôt qu'il voulut associer les Gentils et les Juifs dans la même créance.

BOURDALOUE 

 

 

Cum natus esset Jesus in Bethlehem Judœ, in diebus Herodis regis, ecce magi ab Oriente venerunt Jerosolymam, dicentes : Ubi est qui natus est rex Judœorum ? Vidimus enim stellam ejus in Oriente, et venimus adorare eum. Audiens autem Herodes rex, turbatus est, et omnis Jerosolyma cum illo. 

Jésus étant né à Bethléem de Juda, au temps que régnait Hérode, des mages vinrent d'Orient à Jérusalem, et ils demandaient : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né ? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer. Le roi Hérode, ayant appris cela, en fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. (Saint Matthieu, chap. II, 1-3.)

 

Voilà, chrétienne compagnie, l'accomplissement de la parole de Siméon, lorsque, tenant entre ses bras l'enfant Jésus, il disait à Marie, sa mère : Cet enfant que vous voyez sera la ruine et la résurrection de plusieurs : Ecce positus est hic in ruinam et in resurrectionem multorum (Luc, II, 34.). Les mages partis de l'Orient pour venir adorer ce divin Sauveur, ce sont ceux pour la résurrection desquels il commence à paraître au monde, et l'impie Hérode, troublé de sa venue et du seul bruit de sa naissance, nous marque ceux au contraire pour qui il doit être une occasion de ruine. Voilà l'effet de ce que le même Fils de Dieu, après le célèbre miracle de la guérison de l'aveugle-né, dit à ses disciples : In judicium veni in hunc mundum, ut qui non vident, videant ; et qui vident, cœci fiant (Joan., IX, 39.) ; Je suis venu dans le monde pour y exercer un jugement en conséquence duquel les aveugles voient, et ceux qui voient deviennent aveugles. C'est en ce jour que ce jugement s'accomplit à la lettre. Les mages, au milieu des ténèbres de la gentilité, sont éclairés des plus vives lumières de la grâce.

 

La crèche de Jésus-Christ est le tribunal où, en qualité de souverain Juge, il prononce ces deux arrêts, et où par avance il peut dire : In judicium veni in hunc mundum, et qui non vident, videant; et qui vident, cœci fiant. Figurez-vous donc, Chrétiens, ce Sauveur naissant, sous l'idée que Jean-Baptiste son précurseur en concevait, ayant dès aujourd'hui le van à la main : Cujus ventilabrum in manu sua (Joan., IX, 39.); c'est-à-dire faisant dès aujourd'hui le discernement des hommes ; prédestinant les uns, réprouvant les autres ; appelant et éclairant ceux-ci, abandonnant et aveuglant ceux-là ; attirant des étrangers et des infidèles, rejetant les enfants et les héritiers du royaume. Mystère étonnant, où nous devons avec respect adorer les conseils de Dieu. Mystère impénétrable qu'il ne nous est pas permis de sonder, et où je dois néanmoins trouver de quoi vous instruire. Or pour cela, mes chers auditeurs, je m'arrête aux deux premières vues qui se présentent d'abord, et qui semblent partager notre évangile. Nous y voyons, d'une part, les mages qui viennent chercher Jésus-Christ, et, de l'autre, Hérode qui conspire contre Jésus-Christ. C'est à quoi je m'attache, et d'où je veux tirer deux grandes instructions qui vont faire la matière de ce discours. Ave, Maria.

 

Voilà, mes chers auditeurs, les deux idées que je propose, et où je trouve que doit se rapporter toute la morale du grand mystère que nous célébrons : l'idée de la vraie sagesse, et l'idée de la faune sagesse ; l'idée de la vraie sagesse, qui consiste à chercher Dieu ; et l'idée de la fausse sagesse, qui consiste à se chercher soi-même : l'idée de la vraie sagesse, dont nous avons le modèle dans l'exemple des mages ; et l'idée de la fausse sagesse, que je découvre dans l'exemple d'Hérode : comprenez, s'il vous plaît, ces deux pensées.

 

Qu'étaient-ce que les mages, dont nous honorons la mémoire ? C'étaient les sages de la gentilité, et tous les Pères conviennent qu'ils ont été les prémices de notre vocation à la foi. Il était donc naturel que Dieu nous donnât dans eux un parfait modèle de la sagesse chrétienne, et c'est ce qu'il a prétendu, comme je vais vous le montrer dans la première partie. Au contraire, qu'était-ce qu'Hérode ? Un sage politique, un sage mondain, le plus infidèle de tous les hommes envers Dieu. Il était donc plus propre que tout autre à nous faire comprendre le désordre de la fausse prudence, et c'est ce que vous verrez avec étonnement et avec frayeur dans la seconde partie. Ainsi, la solide sagesse des élus et des vrais chrétiens dans la conduite des mages, en cherchant le Fils de Dieu ; et t'aveugle sagesse des réprouvés et des impies dans la conduite d'Hérode, en persécutant le Fils de Dieu : l'une qui nous fait connaître les saintes voies par où nous devons marcher pour arriver au terme du salut ; l'autre, qui nous fait voir sensiblement les voies d'iniquité dont nous devons nous préserver, et qui ne peuvent aboutir qu'à la perdition : c'est tout mon dessein.

 

Non, Chrétiens, jamais la Providence n'a donné au monde un modèle plus achevé de cette véritable sagesse, qui consiste à chercher et à trouver Dieu, que celui qu'elle nous propose dans la personne des mages. Examinons tous les caractères de leur foi, dans son commencement, dans son progrès, et dans sa perfection : dans son commencement, c'est-à-dire dans la promptitude avec laquelle ils se déterminent à suivre la vocation divine qui leur est marquée par l'étoile, et dans le courage qu'ils font paraître en abandonnant tout, pour obéir à l'ordre de Dieu : dans son progrès, c'est-à-dire   dans   la  constance   qu'ils   témoignent lorsque l'étoile vient à s'éclipser, s'informant avec soin du lieu où est né l'enfant qu'ils cherchent, le reconnaissant pour roi des Juifs jusqu'au milieu de Jérusalem, et même au milieu de la cour d'Hérode, et déclarant avec une sainte liberté qu'ils sont venus pour lui rendre leurs hommages : dans sa perfection, je veux dire dans l'admirable discernement qu'ils font de Jésus-Christ, ne se scandalisant point de l'état pauvre et humble où ils le trouvent ; au contraire, concluant de là même qu'il est leur Sauveur ; l'adorant en esprit et en vérité ; et par les mystérieux présents qu'ils lui offrent, lui donnant autant de preuves de leur parfait dévouement et de leur religion.

 

Cherchez-vous Dieu de bonne foi, mes chers auditeurs, et voulez-vous savoir comment on le trouve ? en voilà toute la science et tout le secret. Ne disons plus après cela que les voies de Dieu sont des voies obscures et inconnues : elles nous sont ici révélées trop clairement et trop distinctement, pour avoir droit de tenir désormais un tel langage. Ne nous plaignons plus des difficultés qui s'y rencontrent, et des égarements qui y sont si ordinaires : après l'exemple de ces mages, qui n'y ont marché avant nous que pour nous y servir de guides, nos plaintes seraient également vaines et injustes. Supposez l'excellent modèle que Dieu nous met devant les yeux, nos erreurs, en matière de salut, ne peuvent plus être excusables ; et si, malgré tant de lumières, nous sommes assez malheureux pour ne pas trouver Dieu et pour nous perdre, c'est à notre infidélité, c'est à notre lâcheté, c'est à notre inconstance, c'est à nos respects humains, c'est à notre orgueil, c'est à notre avarice et à un attachement opiniâtre aux biens de ce monde, c'est à nous-mêmes enfin, que nous devons imputer notre malheur. Attention, Chrétiens : ceci me fournit pour vous des leçons bien importantes.

 

Promptitude à suivre la vocation du ciel : ce fut le premier effet de la foi des mages, et le premier trait de cette haute sagesse qui, par un changement divin, d'infidèles qu'ils étaient, les mit en état de trouver le Dieu Sauveur. Dès qu'ils virent son étoile, ils partirent pour aller à lui : Vidimus stellam ejus, et venimus (Matth., II, 2.) ; Ils ne balancèrent point, ils ne délibérèrent point, ils ne s'arrêtèrent point, ni à former de vains projets, ni à prendre de longues mesures. Attentifs à l'étoile qui les éclairait, et uniquement appliqués à chercher celui qu'elle leur annonçait, ils hâtèrent leur marche : pourquoi ? parce qu'ils étaient déjà remplis de cet esprit et de cette sagesse surnaturelle qui conduit les élus de Dieu. Or, comme remarque saint Chrysostome, chercher Dieu de la manière efficace et solide dont le cherche une âme fidèle, ce n'est plus raisonner, ni délibérer, c'est exécuter et agir : d'où il s'ensuit, dit ce saint docteur, que quand on délibère, quand on consulte et qu'on raisonne, quelque intention qu'on ait de trouver Dieu, le cherchant toujours, ou, pour mieux dire, se flattant toujours de le chercher, on ne le trouve jamais. Voilà sur quoi fut fondée la promptitude des mages. Ils virent l'étoile ; et, animés d'une foi vive, pressés d'un désir ardent d'arriver au terme où l'étoile les appelait, ils n'écoutèrent rien de tout ce qui pouvait les retenir : Vidimus et venimus ; Nous avons vu et nous sommes venus.

 

Paroles, ajoute saint Chrysostome, qui expriment admirablement la force et l'opération de la grâce, puisqu'il est vrai que dans l'affaire du salut tout dépend de certaines vues à quoi la grâce est attachée, ou plutôt en quoi consiste la grâce même. Ambulate dum lucem habetis (Joan., XII, 35.) ; Marchez, disait le Fils de Dieu, pendant que vous avez la lumière. Or c'est ce que font à la lettre ces sages prédestinés de la gentilité. Ils marchent, parce qu'une lumière secrète pénètre intérieurement et touche leurs cœurs, tandis qu'un nouvel astre brille extérieurement à leurs yeux. Ils marchent, parce que cette double lumière leur fait connaître la naissance d'un Dieu et d'un Sauveur : d'un Dieu qui, ne se contentant plus d'être connu dans la Judée, veut recevoir les hommages de toutes les nations ; d'un Sauveur qui les a choisis, et qui veut commencer par eux à montrer qu'il n'est pas seulement venu pour Israël, mais pour tous les peuples de la terre. Ils marchent et l'extrême diligence dont ils usent est autant une preuve de leur sagesse que de l'activité de leur zèle ; ils s'empressent de chercher leur salut, en cherchant Celui qui en est l'auteur, et qui en doit être bientôt le consommateur : Vidimus et venimus.

 

Ainsi agissent les mages ; mais nous comparant avec eux, mes chers auditeurs, quel est ici le premier et le grand désordre que nous avons à nous reprocher ? Ne sont ce pas les retardements éternels, les retardements affectés, les retardements téméraires et insensés, que nous apportons tous les jours à l'exécution des ordres de Dieu, et à ce que la grâce nous inspire ? peut-être y a-t-il des années entières que Dieu nous appelle, et que nous lui résistons. Elevés dans le christianisme, nous avons pour marcher plus de lumières que les mages : notre foi est plus établie, plus formée, plus développée ; nous connaissons beaucoup plus distinctement qu'eux les volontés et les desseins de Dieu sur nous. Pour une étoile qu'ils voyaient,   mille raisons nous convainquent, mille exemples nous confondent, toutes les Ecritures nous parlent : tant de docteurs nous instruisent, tant de prédicateurs nous pressent, nous sollicitent, nous exhortent, mais en vain, parce que nous différons toujours. Ne dirons-nous jamais comme les mages : Vidimus et venimus ; Nous avons vu, et nous sommes venus ?

 

Oui, j'ai vu, ou je vois aujourd'hui ce que Dieu demande de moi ; et c'est pour cela que dès aujourd'hui je m'engage et je commence à l'accomplir : car que sais-je si je le pourrai demain ? que sais-je si je serai demain aussi touché de la vue que Dieu m'en donne ? que sais-je si ce rayon de grâce fera dans mon âme la même impression ? que sais-je si la lumière de ma foi, après tant de délais qui l'affaiblissent peu à peu, ne viendra point tout à fait à s'éteindre ? que sais-je si, mettant par là le comble à mes iniquités, je ne tomberai point dans cet aveuglement fatal dont Dieu punit les cœurs rebelles, et si l'habitude que je me fais de temporiser, et de ne jamais rien conclure, ne sera point enfin la source de ma réprobation ? Ah ! suivons cette lumière favorable qui luit encore pour nous. Marchons, de peur que les ténèbres ne nous surprennent, et ne remettons point à un autre temps ce qui doit avoir la préférence dans tous les temps, ou plutôt ce qui doit être l'affaire de tous les temps. Dieu m'éclaire maintenant et je ne puis savoir s'il m'éclairera demain, ni s'il y aura même un lendemain pour moi. Mais quand je le saurais, devrais-je et voudrais-je me prévaloir contre lui de sa patience, et abuser de sa miséricorde pour l'offenser toujours avec plus d'obstination ? Promptitude à suivre la voix de Dieu dès que Dieu nous la fait entendre : c'est la première leçon que nous fait l'exemple des mages ; et courage à  surmonter  pour cela toutes les difficultés qui se présentent : c'est la seconde.

 

Car pour suivre l'étoile et pour répondre à la vocation du ciel, les mages, aussi bien qu'Abraham, furent obligés d'abandonner leur pays, leurs maisons, leurs familles, et, selon la commune tradition, leurs royaumes et leurs états. Ils durent faire dès lors ce que saint Pierre et les apôtres firent dans la suite des années ; c'est-à-dire ils durent quitter tout pour Jésus-Christ, et ils eurent droit les premiers de dire comme saint Pierre, et même dans un sens, avec plus de mérite que saint Pierre : Ecce nos reliquimus omnia, et secuti sumus te (Matth., XIX, 27.). Or, leur courage à prendre une telle résolution, leur détachement héroïque en s'éloignant de ce qu'ils avaient de plus cher, en essuyant les fatigues d'un long voyage, et en sacrifiant de la sorte leur repos, c'est ce que je puis considérer comme une seconde démarche de leur foi naissante, et comme une nouvelle preuve de cette éminente sagesse qui leur fit trouver Jésus-Christ. Car il est aisé, dit saint Chrysostome, de suivre le mouvement de la grâce quand il n'en coûte rien à la nature, et d'obéir à l'inspiration de Dieu quand il ne s'y rencontre nul obstacle de la part du monde. Le mérite de la foi et de la sagesse chrétienne est de renoncer même, quand il le faut, à ce qu'on aime plus tendrement, de quitter ses habitudes, de rompre ses liens, de se priver des commodités et des douceurs de la vie, et de se faire certaines violences, sans lesquelles on ne parvient point au royaume de Dieu. C'est alors, poursuit saint Chrysostome, que la prudence de la chair est encore bien plus subtile et plus artificieuse pour nous détourner de la voie où Dieu veut nous conduire. C'est alors que, prenant le parti de notre amour-propre, elle tâche à nous persuader qu'il y a de l'indiscrétion dans un renoncement si général et si absolu. C'est alors que, tirant avantage de notre faiblesse, elle nous représente ce parfait détachement comme une entreprise au-dessus de nos forces, et que nous sommes incapables de soutenir. En un mot, c'est alors qu'étouffant les saints désirs que Dieu, par les vives lumières de sa grâce, avait excités dans nos cœurs, elle nous rend lâches, froids, languissants dans une affaire qui demande toute notre ardeur et tout notre zèle. S'il s'agissait d'un intérêt du monde, cette prétendue impossibilité que la prudence humaine nous oppose ne nous ferait pas balancer un moment. Pour une fortune temporelle, et pour satisfaire notre ambition, nous serions prêts à tout, nous oserions tout, nous nous exposerions à tout ; mais parce qu'il s'agit de l'œuvre de Dieu et de notre conversion, tout nous effraie, et tout nous devient impraticable. Or c'est cette lâcheté que la foi doit combattre en nous, si nous voulons imiter l'exemple des mages ; et par là même, encore une fois, nous devons juger si la voie où nous marchons est la voie de Dieu. Car l'illusion la plus grossière est de nous flatter d'avoir trouvé cette voie de Dieu, tandis qu'il ne nous en coûte nul effort. Il y a, pour y entrer et pour y demeurer, des sacrifices à faire ; et nulle voie n'est sûre pour nous, qu'autant que nous les faisons à Dieu, ces sacrifices, ou que nous y sommes efficacement et sincèrement disposés. Revenons à notre modèle, et voyons le progrès de la foi des mages.

 

Ils arrivent à Jérusalem, et l'étoile qui jusque-là leur avait servi de guide, par une conduite de Dieu toute particulière, vient tout à coup à disparaître. Que ne pouvaient-ils pas penser ? que ne devaient-ils pas craindre ? leur foi n'en dut-elle pas être ébranlée, troublée, déconcertée ? Mais non, Chrétiens, la tentation la plus dangereuse, l'épreuve la plus subite et la moins attendue, le prétexte le plus spécieux qu'elle leur fournit pour penser à leur retour, rien ne les fait changer de résolution. A quelque prix que ce soit, ils veulent trouver le Dieu qu'ils cherchent ; ils ont vu son étoile, et ils ont senti l'onction de sa grâce ; c'est assez. Si cette étoile ne paraît plus, c'est un secret de la Providence qu'ils adorent, mais dont ils n'ont garde de se faire un sujet de scandale ; c'est une occasion que Dieu leur donne de lui marquer leur fidélité, et ils comprennent qu'il faut en de pareilles conjonctures se soutenir par la constance. Sans donc se troubler, sans se rebuter, ils espéreront, aussi bien qu'Abraham, contre l'espérance même ; ils continueront leur marche, sûrs du Dieu qui les a appelés, et comptant qu'au défaut de l'étoile il leur tracera lui-même le chemin.

 

Or, c'est en cela que paraît le don de sagesse, d'intelligence, de conseil, dont ils sont remplis ; et voilà, mes chers auditeurs, comment notre Dieu tous les jours en use avec nous. Après nous avoir attirés à son service, et nous y avoir engagés, il retire pour un temps certaines grâces sensibles dont il nous avait d'abord prévenus. Nous ne sentons plus ces touches secrètes qui nous rendaient son joug aimable, et qui nous faisaient courir comme David, avec une sainte allégresse, dans la voie de ses commandements. Ainsi délaissés au milieu de notre course, et, pour ainsi dire, abandonnés à nous-mêmes, nous tombons dans des états d'obscurité, de ténèbres, de sécheresse, de dégoût ; et alors non seulement Dieu nous éprouve, mais il veut que nous-mêmes nous nous éprouvions. Car, si ses grâces sensibles nous étaient toujours présentes, si nous ne perdions jamais de vue cette étoile lumineuse qui fut le premier attrait de notre conversion, quoi que nous fissions pour Dieu, nous ne pourrions ni répondre de nous à Dieu, ni, dans le sens que je l'entends, nous assurer de nous-mêmes : c'est-à-dire notre ferveur dans cet état nous devrait être suspecte ; la sensibilité et l'abondance des consolations divines nous donnerait ou devrait nous donner une défiance raisonnable de notre vertu ; au moins est-il vrai que notre foi n'aurait pas cette fermeté qu'elle doit avoir, pour être une foi parfaite et digne de Dieu. Il faut donc qu'elle soit éprouvée : et par où ? par ces délaissements et ces privations si ordinaires aux âmes les plus justes ; et si nous ne sommes pas encore assez forts pour dire à Dieu ce que lui disait le Prophète royal : Proba me, Domine (Psalm., XXV, 2.) ; Eprouvez-moi, Seigneur ; il faut qu'à l'exemple des mages, nous soyons assez saintement disposés pour persévérer dans les épreuves où il lui plaît de nous mettre ; il faut que le souvenir des lumières dont nous avons été touchés nous tienne lieu de ces lumières même, quand Dieu vient à nous les ôter, et qu'il nous suffise de pouvoir dire : Vidimus stellam ejus (Matth., II,2.) ; Je ne vois plus ce qui m'excitait autrefois, et ce qui m'attachait à Dieu : mais je l'ai vu, mais j'en ai connu la vérité et la nécessité, mais j'en ai été persuadé. Or tout ce que j'ai vu subsiste encore ; et puisqu'il subsiste encore, qu'il subsistera toujours, et qu'il aura toujours la même force, pourquoi ne fera-t-il pas toujours sur moi la même impression, et ne me servira-t-il pas toujours de motif pour m'animer, et de règle pour me conduire ? Raisonner de la sorte, et indépendamment des goûts et des consolations intérieures, tenir toujours la même route, et agir de la même façon, c'est là, Chrétiens, que je reconnais la sagesse de l'Evangile, et ce que nous ne pouvons assez admirer dans les mages.

 

Cependant que font-ils pour suppléer à l'étoile qu'ils ne voient plus ? Ils se servent des moyens naturels que leur fournit la Providence ; ils savent que le Dieu qu'ils cherchent se plaît en effet à être cherché, et que c'est à ceux qui le cherchent qu'il se découvre plus volontiers. C'est pour cela qu'ils s'informent exactement du lieu de sa naissance, c'est pour cela qu'ils ont recours aux prêtres et aux docteurs de la loi, comme à ceux qu'ils supposent plus intelligents et plus capables par leur caractère de les instruire ; c'est pour cela qu'ils parlent, qu'ils consultent, qu'ils ne se donnent aucun repos. Autre preuve de leur sagesse, dont il faut que nous profitions ; car en quelque état d'aveuglement et d'obscurité que je tombe, en quelque ignorance des voies de Dieu, que je puisse être, en quelque désordre même que soit ma foi, si je cherche Dieu dans la simplicité du cœur, il est sûr que je le trouverai ; c'est lui-même qui me l'a dit, et sa parole y est expresse : In simplicitate cordas quœrite illum, quoniam invenitur ab iis qui non tentant illum (Sap., 1, 1.) ; c'est-à-dire si je le cherche sincèrement et avec une intention pure et droite, si je  le cherche  avec  humilité, si je le cherche avec confiance, si je le cherche avec persévérance, il est sûr que je ne serai point confondu : Qui sustinent te, non confundentur (Psal., XXIV, 3.), et qu'il ne manquera pas : Non dereliquisti quaerentes te (Psal., IX, 11.). Il est sûr que mon âme, en le cherchant, vivra de la vie des justes : Quœrite Deum et vivet anima vestra (Psal., LXVIII, 33.). Il est sûr qu'à mesure que je le chercherai je m'affermirai dans la pratique du bien et dans l'horreur du vice : Quœrite Dominnm, et confirmamini (Psal., CIV, 4.). Oracles de l'Ecriture dont il n'est pas permis de douter. Or est-il rien de plus propre à m'encourager dans le soin de chercher Dieu et d'étudier les voies de mon salut ? Vous médirez que  vous n'avez point   assez  pour cela de pénétration, et que vos lumières sont trop faibles. Je le veux, mon cher auditeur ; mais vous avez, aussi bien que les   mages, un moyen facile pour éclaircir tous vos doutes, et pour vous tirer de l'incertitude où vous pouvez être. Il y a dans l'Eglise de Dieu des docteurs et des prêtres, comme il y en avait alors ; il y a des hommes établis pour vous conduire, et qu'il ne tient qu'à vous d'écouter.  Interrogez-les comme vos pères, et ils vous diront ce que vous avez à faire : Interroga patrem tuum, et annuntiabit tibi, majores tuos,  et dicent tibi (Deut., XXXII, 7.). Allez à eux comme aux ministres du Seigneur ; leurs lèvres,  dépositaires de la science, vous enseigneront la science des sciences, qui est celle de trouver  Dieu. Pouvez-vous l'ignorer avec cela, et avec cela pouvez-vous même vous y tromper, sans vous rendre absolument inexcusables ?

 

Les mages nous apprennent quelque chose encore de plus : et quoi ? à chercher Dieu avec un généreux mépris de tous les respects humains, et avec une liberté digne de la sainteté du christianisme que nous professons. En fut-il jamais un tel exemple ? Au milieu de Jérusalem et en la présence d'Hérode, ils demandent où est né le nouveau roi des Juifs. Sans nul ménagement de politique, ils déclarent qu'ils sont venus pour l'adorer. Uniquement occupés de cette pensée, ils comptent pour rien toutes les considérations du monde qui pourraient refroidir leur zèle. Qu'Hérode s'en offense et qu'il se trouble ; que la Synagogue s'en scandalise et qu'elle en murmure ; qu'on pense et qu'on dise d'eux tout ce que l'on voudra : ni la censure des pharisiens, ni la malignité d’Hérode, ni la crainte de lui déplaire, ni le danger qui les menace, rien ne les empêchera de rendre à ce Sauveur et à ce Dieu naissant le culte qui lui est dû. Est-ce ainsi, mon cher auditeur, que vous l'honorez ? est-ce ainsi que vous pratiquez les devoirs de votre religion ? est-ce ainsi que vous êtes, quand il le faut être, libre et sincère adorateur de Jésus-Christ ? Combien de fois un respect humain a-t-il retenu votre foi dans l'esclavage ? combien de fois, jusque dans les sacrés mystères, lorsqu'il s'agissait d'adorer le même Dieu qu'adorèrent les mages, avez-vous été un lâche prévaricateur ? combien de fois, à la face des autels, la crainte de passer pour un homme régulier et pieux vous a-t-elle fait oublier que vous étiez chrétien, et, par une faiblesse scandaleuse, vous a-t-elle fait paraître impie ? combien de fois une honte criminelle vous a-t-elle fermé la bouche dans des occasions où il fallait s'expliquer hautement et parler ? où était alors cette liberté chrétienne dont vous deviez vous faire, et devant les hommes et devant Dieu, non-seulement une obligation, mais une gloire ? où était cet esprit de religion qui devait vous élever au-dessus du monde ? Sont-ce là ces saintes victoires que la foi doit remporter ? Et haec est victoria quœ vincit mundum, fides nostra (Joan., V, 4. ) ? Ce point de morale occuperait un discours entier, je le laisse ; et pour vous faire voir la sagesse des mages dans tout son jour, je passe à ce que j'appelle la perfection de leur foi.

 

Perfection de leur foi. Entrons avec eux dans l'étable de Bethléem : car ils y arrivent enfin après tant de peines et tant de périls. Or, quel spectacle pour des rois, qu'un enfant couché sur la paille et dans une crèche ; mais sous des dehors si vils et si méprisables, le discernement qu'ils font de ce Sauveur n'est il pas l'effet de la plus éminente sagesse ? Ils le reconnaissent dans la pauvreté et dans la misère, dans l'enfance et dans l'infirmité, dans l'humiliation et dans le plus profond abaissement. Bien loin que cet état où ils le trouvent altère leur foi, ils en sont touchés, ils en sont édifiés ; et pénétrant le mystère, ils découvrent sous ces voiles obscurs le Messie promis au monde. S'ils n'eussent eu qu'une foi faible et chancelante, l'étable, la crèche, les langes de cet enfant les eussent rebutés, leur raison se serait révoltée, leur sagesse alors toute mondaine leur eût inspiré du mépris pour un Sauveur réduit lui-même en de telles extrémités ; ils auraient dit ce que dirent ensuite les pharisiens : Nolumus hunc regnare super nos (Luc, XIX, 14.) ; Nous ne voulons point d'un maître sans biens, sans forces, sans pouvoir, sans nom, dénué de tout : qu'il paraisse sur le trône, qu'on nous le fasse voir revêtu de gloire et de majesté, et nous nous soumettrons. Voilà comment ils auraient parlé, et ce qu'ils auraient pensé. Mais parce qu'ils sont animés d'une foi vive, d'une foi parfaite, d'une foi divine, ils en jugent tout autrement. Ils concluent que Jésus-Christ est roi par lui-même ; c'est-à-dire que pour se faire rechercher et obéir en cette qualité, il n'a nul besoin de toutes les marques extérieures et de tous les ornements de la pompe humaine. Si les autres rois en étaient dépouillés, auraient-ils autour d'eux ces troupes de clients, et ces cours nombreuses qui remplissent leurs palais ? Ce n'est pas sur cet éclat et sur cette grandeur apparente qu'est fondée leur royauté ; elle vient de Dieu, qui leur a fait part de sa puissance ; mais, après tout, si leur royauté s'attire tant de respects, et si le monde lui rend tant d'honneurs, c'est parce qu'elle est accompagnée d'une splendeur et d'une magnificence qui frappe les yeux ; au lieu que, sans cela, ce roi nouvellement né se fait respecter et honorer par les rois mêmes. Ils concluent qu'il est roi des esprits et des cœurs, puisqu'il les a si miraculeusement éclairés, inspirés, touchés. Les plus grands rois de la terre n'ont pas ce pouvoir : ils règnent sur nous, dit saint Jérôme, mais Jésus-Christ règne dans nous, et il n'appartient qu'à lui de s'insinuer comme il veut dans les âmes, et de leur donner telle impression qu'il lui plaît. Ils concluent qu'il est roi universel, roi du ciel où il vient de faire éclater un nouvel astre, et roi de la terre, où il fait sentir sa souveraineté et sa présence aux nations même les plus reculées ; roi des Juifs et des Gentils, de tous les états et de toutes les conditions, puisque de toutes les conditions et de tous les états il a également appelé à lui et les grands et les petits. C'est, dis-je, ce qu'une sagesse toute céleste leur découvre ; et c'est avec la même sagesse et la même foi qu'une âme qui, par un retour sincère et par une pleine consécration, s'attache désormais à ce Sauveur qu'elle a retrouvé, lui dit comme ces bienheureux mages (car je ne puis douter que ce ne fût là leur sentiment) : Rex regum , et Dominus dominantium (Apoc, XIX, 16.) ; Vous êtes le Roi des rois et le Maître des maîtres ; vous serez le mien en particulier. Trop longtemps le monde a exercé sur moi sa tyrannie ; trop longtemps il m'a tenu dans une dure servitude et soumis à ses lois, ou plutôt à ses bizarreries et à ses caprices ; il faut enfin secouer un joug si pesant et si honteux. Vous régnerez dans mon cœur et sur mon cœur ; vous y régnerez seul, et seul vous en réglerez tous les désirs, toutes les vues, tous les desseins. Ainsi le pensent les mages ; et ainsi, mes chers auditeurs, devez-vous le dire vous-mêmes, et encore plus le penser.

 

Perfection de leur foi : non contents d'honorer Jésus-Christ comme le souverain monarque du monde, ils l'adorent comme leur Dieu ; non contents de lui rendre un culte extérieur en se prosternant devant lui : Et procidentes (Matth., II, 11), ils lui rendent un culte intérieur, et l'adorent en esprit et en vérité : Adoraverunt eum. Car ce fut un culte religieux ; et pour être un culte religieux, il devait partir du cœur. Combien de faux adorateurs dans le christianisme ! c'est le vrai Dieu qu'ils adorent, mais sans l'adorer comme le vrai Dieu le doit être : pourquoi ? parce qu'ils ne l'adorent que par coutume , parce qu'ils ne l'adorent que par cérémonie, parce qu'ils ne l'adorent que par je ne sais quelles bienséances à quoi ils ne veulent pas manquer, tandis que leur cœur porte ailleurs toutes ses pensées et tous ses vœux ; c'est-à-dire qu'ils sont chrétiens en apparence, mais sans l'être en effet, comme les mages commencèrent à le devenir.

 

Perfection de leur foi : que présentent-ils à Jésus-Christ, et, suivant l'explication des Pères et des interprètes, que de mystères sont renfermés dans les trois offrandes qu'ils lui font ! Toute l'idée de Jésus-Christ même y est imprimée d'une manière sensible, sa divinité, son humanité, sa souveraineté : sa divinité, par l'encens, qui n'est dû qu'à Dieu ; son humanité, par la myrrhe, qui servait à embaumer et à conserver les corps ; enfin, sa souveraineté, par l'or, qui est le tribut ordinaire que nous payons aux princes et aux monarques : Et apertis thesauris suis, obtulerunt et munera, aurum, thus et myrrham (Matth., II, 11.). Voilà les grandes vues que leur donna une sagesse supérieure à toute la sagesse du siècle ; et ce fut dès lors que le Sauveur des hommes put bien dire qu'il n'avait point trouvé tant de foi, même dans Israël : Non inveni tantam fidem in Israël (Ibid., VIII, 10.).

 

Jusque dans le sein de l'Eglise et dans le centre du christianisme, avons-nous la même foi que les mages ? ou, si nous croyons comme eux, agissons-nous comme eux, et cherchons-nous Dieu comme eux ? Ils furent,ces saints mages, selon la pensée et l'expression des Pères, les prémices de notre vocation à la foi : c'est par eux que Jésus-Christ voulut commencer à nous transmettre ce précieux trésor de la foi, dont il les fit dépositaires : c'est par eux qu'il commença à substituer les Gentils en la place des Juifs, où plutôt qu'il voulut associer les Gentils et les Juifs dans la même créance. Mais au lieu d'imiter ces Gentils fidèles, nous imitons les pharisiens incrédules. Nous sommes le peuple de Dieu, et à peine connaissons-nous Dieu, ou si nous le connaissons, nous n'y pensons pas ; ou si quelquefois nous y pensons, ce n'est que pour rendre notre malice plus obstinée, en nous éloignant de lui, et ne retournant presque jamais à lui. Il est vrai que nous avons reçu la foi que les pharisiens ne voulurent pas recevoir : mais ce riche héritage, comment l’avons-nous conservé, comment l'avons-nous cultivé, quels fruits en retirons-nous, et comment le faisons-nous profiter ? Car qu'est-ce maintenant que la foi des chrétiens, cette foi si pure, si ferme, si généreuse, si agissante dans les mages ; mais dans nous si languissante, mais dans nous si paresseuse et si lente, mais dans nous si stérile, et dépouillée de toutes les œuvres qui la doivent accompagner, et qui la vivifient dans Dieu ? Or, ne craignons-nous point que Dieu ne prononce enfin contre nous le même arrêt qu'il prononça contre les pharisiens par la bouche de son Apôtre ? Vobis oportebat primum loqui verbum Dei ; sed quoniam repellitis illud , et indignos vos judicatis œternœ vitœ, ecce convertimur ad gentes : sic enim prœcepit nobis Dominus (Act., XIII, 47.). Mes Frères, leur disait saint Paul, c'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole de Dieu, puisque Dieu vous avait spécialement choisis ; mais vous la rejetez, cette divine parole, vous la méprisez, et vous ne voulez pas l'entendre. C'est une parole; de vie ; mais vous renoncez à cette vie éternelle où elle devait vous conduire. Le Seigneur donc nous ordonne de porter aux nations le saint Evangile que vous refusez d'embrasser : Ecce convertimur ad gentes ; sic enim praecepit nobis Dominus.

 

N’avons-nous pas, dis-je, sujet de craindre que Dieu ne nous traite de la sorte ; qu'après nous avoir distingués entre les nations, qu'après avoir fait luire sur nous sa lumière, et nous avoir donné la foi par préférence à tant de peuples qu'il a laissés dans les ténèbres, il ne nous enlève le talent qu'il nous a confié, et qu'il ne le transporte loin de nous dans des terres étrangères ? N'est-ce point déjà même ce qui commence à s'accomplir ? Nous entendons parler des merveilles qu'opère la prédication de l'Evangile au delà des mers ; nous voyons partir d'auprès de nous des ministres de Jésus-Christ, pour aller cultiver une chrétienté naissante au milieu de l'idolâtrie ; le nom du Seigneur est porté aux extrémités du monde. Que votre miséricorde, ô mon Dieu, en soit éternellement bénie ; et malheur à nous, si nous avions sur cela d'autres sentiments ! Mais, Chrétiens, selon la parole expresse du Sauveur des hommes, tandis que les peuples de l'Orient entrent dans le royaume de Dieu, les enfants mêmes du royaume n'en seront-ils point bannis ? La ruine des Pharisiens fit l'abondance et l'élévation des Gentils ; et la richesse de tant de nations, sur qui Dieu répand ses trésors, ne fera-t-elle point notre pauvreté et notre misère ? Si la foi passe en de vastes contrées où elle était inconnue, n'est-ce point qu'elle nous quitte après que nous l'avons si longtemps outragée, si longtemps déshonorée, si longtemps retenue captive dans l'injustice et dans l'iniquité ? Prévenons, mes chers auditeurs, cet affreux châtiment.

 

Ranimons notre foi, et suivons-la ; c'est notre guide, c'est notre étoile ; ne la perdons jamais de vue. Allons à Dieu, et n'y allons pas les mains vides. L'encens, que nous lui devons présenter, c'est, selon l'explication de saint Grégoire, la ferveur de nos prières ; la myrrhe que nous lui devons offrir, c'est, suivant la pensée du même Père, la mortification de nos corps et l'austérité de la pénitence ; l'or qu'il attend de nous, ce sont nos bonnes œuvres. Avec cela, nous le trouverons aussi bien que les mages ; et j'ai dit que c'était le souverain point de la solide sagesse des élus.

 

Voyons maintenant, dans l'exemple d'Hérode, quelle est l'aveugle sagesse des impies et des réprouvés : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON SUR L'EPIPHANIE

   

Adoration des Mages, Gentile da Fabriano, Galleria degli Uffizi, Florence

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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 05:00

Mes bien-aimés, qui donc est vainqueur du monde ? N'est-ce pas celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? C'est lui, Jésus Christ, qui est venu par l'eau et par le sang : pas seulement l'eau, mais l'eau et le sang. Et celui qui rend témoignage, c'est l'Esprit, car l'Esprit est la vérité. Ils sont trois qui rendent témoignage, l'Esprit, l'eau et le sang, et tous les trois se rejoignent en un seul témoignage.

 

Nous acceptons bien le témoignage des hommes ; or, le témoignage de Dieu a plus de valeur, et le témoignage de Dieu, c'est celui qu'il rend à son Fils.
  
Celui qui met sa foi dans le Fils de Dieu possède en lui-même ce témoignage. Celui qui ne croit pas Dieu, celui-là fait de Dieu un menteur, puisqu'il ne croit pas au témoignage que Dieu rend à son Fils. Et ce témoignage, le voici : Dieu nous a donné la vie éternelle, et cette vie est dans son Fils. Celui qui a le Fils possède la vie ; celui qui n'a pas le Fils de Dieu ne possède pas la vie.
 
Je vous ai écrit tout cela pour vous faire savoir que vous avez la vie éternelle, vous qui mettez votre foi dans le nom du Fils de Dieu.
 
Première Lettre de Saint Jean
 
 
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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 05:00

Il y a certains temps de l'année, certaines fêtes et certains jours où la piété des peuples se réveille, et où ils donnent des marques plus sensibles de leur religion : telle est la fête que nous célébrons aujourd'hui. Il semble qu'a ce grand jour tous les cœurs se raniment ; on voit le tombeau de Geneviève entouré et comme investi de troupes innombrables de suppliants qui se relèvent sans cesse et se succèdent. Le temple qui les reçoit, cet auguste et vénérable monument de la pieuse antiquité, les peut à peine contenir. A l'entrée de cette sainte maison, il n'est point d'âmes si indifférentes qui ne se trouvent ou saisies d'une crainte respectueuse, ou remplies d'une confiance toute filiale.

BOURDALOUE

 

 

 Il est de l'honneur de Dieu que ses serviteurs soient honorés, et qu'après les avoir employés à procurer sa gloire, il prenne soin lui-même de les glorifier. C'est sur quoi le Prophète royal lui disait : Seigneur, vous savez bien rendre à vos amis ce que vous en avez reçu ; et s'ils ont eu le bonheur de vous faire connaître parmi les hommes, ils en sont bien payés par le haut degré d'élévation où vous les faites monter dans le ciel, et même par la profonde vénération où leurs noms sont sur la terre : Nimis honorificati sunt amici tui, Deus (Psal., CXXXVIII, 17.). Or, entre les saints , il semble que Dieu s'attache spécialement à élever ceux qui dans le monde se sont trouvés aux plus bas et aux derniers rangs. Les saints rois, tout rois qu'il ont été, sont moins connus et moins révérés que mille autres Saints qui sont sortis des plus viles conditions et qui ont vécu dans l'obscurité et dans l'oubli. Comme si Dieu, jusque dans l'ordre de la sainteté, se plaisait encore à humilier la grandeur du siècle, et à faire voir une prédilection particulière pour les petits : Et exaltavit humiles (Luc., I, 52.). Ainsi, pour ne me point éloigner de mon sujet, Geneviève, quoique bergère, et rien de plus, a-t-elle été jusqu'à présent honorée, et l'est-elle de nos jours par tout ce qu'il y a de plus auguste et de plus grand ; je veux dire, honorée par les princes et les rois, honorée par les évêques et les prélats de l'Eglise, honorée par les saints, enfin honorée par tous les peuples. Je ne prétends pas m'engager dans un long récit des faits que les écrivains ont recueillis ; en voici quelques-uns des plus marqués, et qui pourront me suffire : écoutez-les.

 

Honorée par les princes et les rois. L'histoire nous apprend combien Chilpéric, l'un des premiers rois de notre France, et encore païen, la respecta jusqu'à lui donner un accès libre dans son palais et au milieu de sa cour ; jusqu'à l'entretenir, à la consulter et à suivre ses conseils ; jusqu'à révoquer un arrêt porté contre des criminels qu'il voulait punir sans rémission, et dont il ne put néanmoins se défendre d'accorder la grâce aux sollicitations de Geneviève. Nous savons quel fut son crédit auprès de Clovis, combien elle contribua à la conversion de ce prince infidèle et de tout son royaume, quelles conférences elle eut sur cette importante affaire avec l'illustre Clotilde, quels moyens elle lui fournit pour l'accomplissement de ce grand dessein, et quel succès répondit à ses vœux et consomma heureusement une si sainte entreprise. On a vu, dans le cours de tous les âges suivants, nos rois eux-mêmes venir à son tombeau, et là, déposer toute la majesté royale pour fléchir les genoux en sa présence, pour lui présenter leurs hommages, pour lui adresser leurs prières, pour reconnaître son pouvoir, et pour lui soumettre en quelque sorte leur couronne et leurs états. Ô triomphe de notre religion ! les tombeaux des rois sont foulés aux pieds, et le tombeau d'une bergère est révéré comme un sanctuaire: pourquoi ? parce que Dieu veut couronner son humilité : Et exaltavit humiles.

 

Honorée par les évêques et les prélats de l'Eglise. Quelle idée en conçut saint Germain, évêque d'Auxerre, et en quels termes s'en expliqua-t-il ? Poussé par l'Esprit de Dieu, il passait en Angleterre pour y combattre l'hérésie victorieuse et triomphante, et pour y établir la grâce de Jésus-Christ contre les erreurs de Pelage ; mais sur sa route, combien s'estima-t-il heureux d'avoir trouvé Geneviève encore enfant ? Avec quelle admiration vit-il dans un âge si tendre une raison si avancée, des lumières si pures, des connaissances si justes, des inclinations si saintes, et une piété si solide et si chrétienne ? De quels éloges et de quelles bénédictions la combla-t-il ? sans égard ni à l'obscurité de sa naissance, ni à la pauvreté de sa famille, de quoi félicita-t-il les parents, et qu'annonça-t-il de la fille pour l'avenir ? Il la considéra et la recommanda comme un des plus précieux trésors que possédât la France, et un des plus riches dons que le ciel eût faits à la terre. Quels témoignages lui rendit le généreux et glorieux évêque de Troyes, saint Loup ? Quels sentiments en eut le véritable et zélé archevêque de Reims, saint Rémi, et que ne puis-je parler de tant d'autres qui, tout pasteurs des âmes qu'ils étaient, ne crurent point avilir leur ministère ni se dégrader, en lui communiquant leurs desseins, en recevant ses avis, en écoutant ses humbles et respectueuses remontrances, en entrant dans ses vues, et profitant, si je l'ose dire, de ses instructions ?

 

Honorée des saints. Je n'en veux qu'un exemple, il est mémorable, et c'est celui du fameux Siméon Stylite. Cet homme tout céleste, cet homme, miracle de son siècle par l'austérité de sa pénitence, du fond de l'Orient et du haut de cette colonne où il n'était occupé que des choses divines, aperçut l'éclatante lumière qui brillait dans l'Occident, connut tout le mérite et toute la sainteté de Geneviève, porta vers elle ses regards, la salua en esprit, et l'invoqua.

 

Enfin, honorée de tous les peuples. Où son nom ne s'est-il pas répandu, et dans quel endroit du monde chrétien n'a-t-il pas été parlé d'elle ? Elle n'était pas encore en possession de cette gloire immortelle dont elle jouit dans le séjour bienheureux, que la voix publique la mit au rang des saints, la béatifia et la canonisa. Le jugement des fidèles prévint le jugement de l'Eglise ; et l'événement nous a bien appris que la voix du peuple était dès lors la voix de Dieu même.

 

Ce n'est pas qu'elle n'ait eu des persécutions à soutenir. Dieu, qui l'avait prédestinée pour la couronner dans le ciel, lui fit éprouver sur la terre le sort de ses élus ; et plus il voulut rehausser l'éclat de son triomphe, plus il exerça sa patience et lui laissa essuyer de violents combats. Nous savons qu'il y eut un temps orageux, où ce soleil parut obscurci, où cette âme si innocente et si nette se trouva chargée des plus atroces accusations et des plus noires calomnies ; où tous les ordres ecclésiastiques et séculiers se tournèrent contre elle ; où sa vertu fut traitée d'hypocrisie et d'illusion ; où les merveilleux effets de son pouvoir auprès de Dieu furent attribués aux sortilèges et à la magie. Nous le savons ; mais aussi n'ignorons-nous pas que le soleil, sortant du nuage qui le couvrait, n'en est que plus lumineux ; et que toutes les suppositions de l'envie, toutes ses inventions contre Geneviève, ne servirent qu'à la relever, qu'à la mettre dans un plus grand jour, et à lui donner une splendeur toute nouvelle. Les évêques se firent ses apologistes ; bientôt les esprits furent détrompés ; le mensonge fut confondu, la vérité tirée des ténèbres qui l'enveloppaient, l'innocence hautement confirmée, et l'incomparable vierge, dont l'enfer avait entrepris de flétrir la mémoire, remise dans son premier lustre, et rétablie dans sa première réputation. Depuis cette victoire que remporta Geneviève, quels honneurs lui ont rendus le ciel et la terre ? le ciel, dis-je, qui nous l'a enlevée, mais afin qu'elle nous devînt, pour ainsi parler, encore plus présente par une protection continuelle ; la terre, où elle répand les saintes richesses qu'elle va puiser dans le sein de la Divinité, et qu'elle nous communique si abondamment. C'est de cette terre d'exil que nous faisons monter vers elle, et que nous lui offrons notre encens.

 

Culte le plus solennel : nous voyons pour cela toutes les sociétés de l'Eglise se réunir, les plus augustes compagnies s'assembler, tout le peuple, grands et petits, paraître en foule, et chacun se faire un devoir de contribuer par sa présence à la pompe de ces cérémonies et de ces fêtes, où, comme l'arche du Seigneur, sont portées avec tant d'appareil les précieuses reliques dont nous avons éprouvé mille fois, et dont tous les jours nous éprouvons la vertu.

 

Culte le plus universel : il y a des dévotions particulières, et propres de certaines âmes, de certains états ; celle-ci est la dévotion commune, de tout sexe, de tout âge, de toute condition.

 

Culte le plus ancien et le plus constant. Tout s'altère et tout se ralentit par le nombre des années. Des pieux exercices que nos pères pratiquaient, combien se sont abolis ou par la négligence de ceux qui leur ont succédé, ou par une prétendue force d'esprit dont on s'est piqué, ou par le dangereux penchant que nous avons à la nouveauté ? mais depuis tant de siècles on a toujours conservé, surtout dans cette ville capitale, les mêmes sentiments à l'égard de Geneviève ; ceux qui nous ont précédés nous les ont transmis ; nous les avons, et nous en ferons part à ceux qui viendront après nous, afin qu'ils les fassent eux-mêmes passer aux autres qui les suivront jusqu'à ta dernière consommation des temps. La face des choses a changé bien des fois ; mais dans les différentes situations des affaires et au milieu de toutes les révolutions, le culte dont je parle a toujours subsisté. La face des choses changera encore : car dans la vie humaine y a-t-il rien qui ne soit sujet aux vicissitudes et aux variations ? mais malgré les variations et les vicissitudes, jugeant de l'avenir par le passé, ce culte, si solidement établi et si profondément gravé dans les cœurs, subsistera. L'hérésie l'a combattu, le libertinage en a raillé ; mais tous les efforts de l'hérésie, toutes les impiétés du libertinage ne lui ont pu donner la moindre atteinte ; il s'est maintenu contre toutes les attaques, et jamais les plus violentes attaques ne l'affaibliront.

 

Culte le plus religieux : il y a certains temps de l'année, certaines fêtes et certains jours où la piété des peuples se réveille, et où ils donnent des marques plus sensibles de leur religion : telle est la fête que nous célébrons aujourd'hui. Il semble qu'a ce grand jour tous les cœurs se raniment ; on voit le tombeau de Geneviève entouré et comme investi de troupes innombrables de suppliants qui se relèvent sans cesse et se succèdent. Le temple qui les reçoit, cet auguste et vénérable monument de la pieuse antiquité, les peut à peine contenir. A l'entrée de cette sainte maison, il n'est point d'âmes si indifférentes qui ne se trouvent ou saisies d'une crainte respectueuse, ou remplies d'une confiance toute filiale. Que de sacrifices offerts au Dieu vivant ! que de vœux présentés à Geneviève ! que de cantiques récités en son honneur ! que de larmes répandues à ses pieds ! Ah ! Chrétiens, que ces sentiments de religion, si ardents et si vifs, ne sont-ils d'ailleurs aussi efficaces et aussi parfaits qu'ils le devraient être ! Mais nous en abusons, et nous les corrompons ; nous allons à Geneviève avec des cœurs tendres pour elle, et durs pour Dieu ; nous demandons à Geneviève qu'elle nous conduise au port du salut où Dieu nous appelle, et nous ne voulons pas prendre la voie que Dieu nous a marquée ; nous apportons auprès des cendres de Geneviève nos péchés pour en obtenir la rémission, et nous ne voulons ni les expier par la pénitence, ni même en interrompre le cours par la réformation de nos mœurs ; nous prétendons honorer Geneviève, sans cesser de déshonorer Dieu et de l'outrager. Comment l'entendons-nous, et par où avons-nous cru jusqu'à présent pouvoir faire une si monstrueuse alliance ?

 

Quoi qu'il en soit, vous voyez dans notre sainte l'accomplissement de cette parole du Saint-Esprit, que la mémoire du juste sera éternelle : In memoria œterna erit justus (Psal., CXI, 7.); au lieu que celle des pécheurs périra et périt en effet tous les jours : Periit memoria eorum (Ibid., IX, 7.). Tant de grands idolâtres de leur grandeur et enflés de leur fortune, étaient recherchés, respectés, redoutés sur la terre, tandis que l'humble Geneviève ne pensait qu'à y servir Dieu ; ils n'étaient attentifs qu'à leur propre gloire, et elle n'était attentive qu'à la gloire de Dieu ; ils ne travaillaient qu'à éterniser leur nom dans le monde, et elle ne travaillait qu'à y rendre le nom de Dieu plus célèbre. Qu'est-il arrivé ? Toute la grandeur des uns s'est évanouie, leur fortune dans un moment a été détruite, ils ont disparu ; et la mort en les faisant disparaître aux yeux des hommes, les a effacés de notre souvenir. Où parle-t-on d'eux ? et si l'on parle de quelques-uns, est-ce pour solenniser leurs fêtes ? est-ce pour chanter publiquement leurs louanges ? est-ce pour implorer auprès de Dieu leur secours ? est-ce pour se prosterner devant leurs tombeaux ? je dis, devant ces tombeaux abandonnés et déserts ; ces tombeaux d'où nous ne remportons qu'une triste et lugubre idée de la fragilité humaine, ces tombeaux où souvent, sans nulle réflexion à celui qu'ils couvrent de leur ombre et qu'ils tiennent enseveli dans les ténèbres, nous allons seulement vanter les ornements qui frappent notre vue, et admirer les inventions de l'art dans la matière qui les compose : voilà, grands du siècle, à quoi se termine cette fausse gloire dont vous êtes si jaloux.

 

Mais la gloire des saints, et en particulier la gloire de Geneviève, est une gloire solide et durable : sans avoir jamais cherché à briller dans le monde, elle y est plus connue et plus révérée que tous les monarques et tous les conquérants du monde. Ce n'est pas que, par rapport au monde, Dieu n'ait laissé et ne laisse encore bien des saints, après leur mort, dans l'état obscur où ils ont voulu vivre ; mais que leur importe que leurs noms soient inconnus aux hommes, lorsqu'ils sont marqués avec les caractères les plus glorieux dans le livre de vie ? leur humilité n'est-elle pas abondamment récompensée par ce poids immense d'une gloire immortelle dont ils sont comblés dans le séjour même de la gloire? C'est à cette gloire, Chrétiens, que nous devons aspirer sans cesse ; c'est à l'égard de cette gloire qu'il nous est permis de penser à nous élever, à nous pousser, à nous avancer. Travaillons-y selon les exemples et sous les auspices de l'illustre Geneviève : selon ses exemples, puisque Dieu nous la propose aujourd'hui comme notre modèle ; sous ses auspices, puisque nous l'avons choisie, et que Dieu lui-même nous l'a donnée pour notre avocate auprès de lui, et notre patronne. Imitons ses vertus, pour nous rendre dignes de sa protection, et servons-nous de sa protection, pour nous mettre en état de bien imiter ses vertus.

 

C'est ainsi que nous aurons part à ses faveurs en cette vie, et à son bonheur dans l'autre.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE 

 

Apothéose de sainte Geneviève 

Apothéose de Sainte Geneviève, Joseph-Ferdinand Lancrenon, Musée du Patit Palais, Paris

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4 janvier 2012 3 04 /01 /janvier /2012 05:00

La sage piété de nos pères n'a pas cru pouvoir mieux défendre et conserver cette ville capitale où nous vivons, qu'en la confiant aux soins et la mettant sous la protection de la toute-puissante et glorieuse Geneviève : ceci nous regarde, et demande une réflexion particulière. Dès le temps que la monarchie française prit naissance, Dieu lui désigna cette protectrice. Paris devint dans la suite des siècles une des plus nobles et des plus superbes villes du monde ; et s'il s'est maintenu jusqu'à présent dans cette splendeur, si, malgré les vicissitudes continuelles des choses humaines, il a subsisté et subsiste encore, si mille fois il n'a pas péri ou par le feu ou par le fer, ou par la famine ou par la contagion, ou par la sécheresse ou par l'inondation des eaux, ignorez-vous que c'est à sa bienheureuse patronne qu'il en est redevable ?

BOURDALOUE

 

 

 Je l'ai dit d'abord, Chrétiens, et je dois ici le redire : c'est le propre de Dieu de se servir d'instruments faibles, et souvent même des plus faibles, pour les plus grands ouvrages de sa puissance ; et quand Cassiodore veut faire l'éloge de cette vertu souveraine et sans bornes que nous reconnaissons en Dieu, et qui est un de ses premiers attributs, il ne croit pas en pouvoir donner une plus haute idée, que de s'écrier, en s'adressant à Jésus-Christ : Ô Seigneur ! qui peut douter que vous ne soyez un Dieu, et un Dieu tout-puissant, puisque dans votre sainte humanité, et ensuite dans la personne de vos serviteurs, vous avez rendu les faiblesses et les misères mêmes toutes puissantes ? O vere Omnipotens, qui ipsas miserias fecisti potentes ! Aussi est-ce pour cela que Dieu tant de fois a fait des coups extraordinaires, a opéré des miracles, a triomphé de ses ennemis, non par sa main, mais par la main d'une femme. Est-il question de dompter l'orgueil d'un Holopherne ? il suscite une Judith. Faut-il défaire des armées nombreuses, et les mettre en fuite ? il emploie une Débora. Veut-il sauver tout son peuple, dont on a conjuré la ruine ? il ne lui faut qu'une Esther.

 

Mais voici, Chrétiens, quelque chose de plus surprenant, et qui marque mieux la force de notre Dieu ; car, après tout, ces femmes dont nous parle l'Ecriture, et dont les faits héroïques ont été si hautement loués par le Saint-Esprit, c'étaient des femmes distinguées, des princesses même et des reines, des sujets recommandables selon le monde : Judith possédait de grands biens, Débora jugeait le peuple avec une autorité suprême, Esther se trouvait assise sur le trône. Or, dans ces conditions éminentes, une femme , toute faible qu'elle est, ne laisse pas, sans miracle, de pouvoir beaucoup, et d'être capable d'entreprendre des choses importantes. Mais qu'une bergère, telle qu'était Geneviève, pauvre, dénuée de tout, sans nom, sans crédit, sans appui, demeurant dans son état vil et méprisable, remplisse le monde du bruit de ses merveilles, exerce un empire absolu sur les corps et sur les esprits, dispose, pour ainsi dire, à son gré des puissances du ciel, commande aux puissances de la terre, fasse trembler les puissances de l'enfer, devienne la protectrice des villes et des royaumes, ah ! Chrétiens, c'est un des mystères que saint Paul a voulu nous faire connaître, lorsqu'il a dit: Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia. Et jamais cette parole de l'Apôtre s'est-elle accomplie si visiblement et si authentiquement que dans la personne de cette bienheureuse fille dont nous honorons aujourd'hui la mémoire ?

 

Car, qu'est-ce que la vie de Geneviève, sinon une suite de prodiges et d'opérations surnaturelles, que l'infidélité même est obligée de reconnaître ? Y a-t-il maladie si opiniâtre et si incurable qui n'ait cédé à l'efficacité de sa prière ? et ce don des guérisons, que le maître des Gentils assure avoir été une des grâces communes et ordinaires dans la primitive Eglise, quand et en qui a-t-il paru avec plus d'éclat ? je ne parle pas de ces guérisons secrètes, particulières, faites à la vue d'un petit nombre de témoins, et contre lesquelles un esprit incrédule croit toujours avoir droit de s'inscrire en faux ; mais je parle de ces guérisons publiques, connues, avérées, et que les ennemis mêmes de la foi n'ont pu contester. Ce miracle des ardents, dont l'Eglise de Paris conserve des monuments si certains ; cent autres aussi incontestables que celui-là, qu'il me serait aisé de produire, mais dont je n'ai garde de remplir un discours qui doit servir à votre édification, ne nous marquent-ils pas de la manière la plus sensible quel pouvoir Geneviève avait reçu de Dieu pour tous ces effets de grâces et de bonté qui sont au-dessus de la nature ? Si son corps après sa mort n'a pas prophétisé comme celui d'Elie, ne semble-t-il pas qu'il ait encore fait plus ? n'en est-il pas sorti mille fois une vertu semblable à celle qui sortait de Jésus-Christ même, ainsi que nous l'apprend l'Evangile ? n'est-il pas jusque dans le tombeau une source de vie pour tous ceux qui ont recours à cette précieuse relique ; et les esprits les moins disposés à en convenir, convaincus par leur propre expérience, ne lui ont-ils pas rendu des hommages ? témoin cette action de grâces, en forme d'éloge, qu'Erasme composa, et où il déclara si hautement que notre sainte était après Dieu sa libératrice, et qu'il ne vivait que par le bienfait de son intercession.

 

Il n'y a que pour elle-même, Chrétiens, que Geneviève n'usa jamais de ce don des miracles, qui fut un de ses plus beaux privilèges, ayant passé toute sa vie dans des infirmités continuelles, et voulant en cela se conformer au Sauveur des hommes, à qui l'on reprochait d'avoir sauvé les autres et de ne s'être pas sauvé lui-même. Mais la patience invincible qu'elle fit paraître dans tous les maux dont elle fut accablée, la joie dont elle se sentait comblée en souffrant, cette vigueur de l'esprit qui, dans un corps infirme, la mettait en état de tout entreprendre et de tout exécuter, n'était-ce pas à l'égard d'elle-même un plus grand miracle que tout ce qu'elle opérait de plus merveilleux en faveur des autres ? Et cette vertu de Dieu dont elle était revêtue, ne trouvait-elle pas de quoi éclater, ou , selon le terme de saint Paul, de quoi se perfectionner davantage dans une santé languissante, que dans un corps robuste ? Nam virtus in infirmitate perficitur ( 2 Cor., XII, 9.).

 

A ce don de guérir les corps, ajoutez un autre don mille fois plus excellent, c'est celui de guérir les âmes. Ainsi l'avait prédit le grand évêque d'Auxerre, saint Germain, en disant de Geneviève qu'elle serait un jour la cause du salut de plusieurs ; prédiction vérifiée par l'événement. Combien de pécheurs a-t-elle retirés de leurs voies corrompues, et remis dans les voies de Dieu ? Combien de païens et d'idolâtres a-t-elle éclairés dans un temps où les ténèbres de l'infidélité étaient répandues sur la terre ; et quels fruits ne produisit point son zèle dans ce royaume maintenant très chrétien, mais où l'erreur dominait alors, et était placée jusque sur le trône ? Qui sait combien d'affligés elle consolait, combien de misérables elle soutenait, combien d'ignorants elle instruisait dans ces saintes et fréquentes visites, où tour à tour elle parcourait les prisons, les hôpitaux, les cabanes des pauvres, faisant partout sentir les salutaires effets de sa charité ? Et, sans m'engager dans un détail infini, qui peut dire combien de cœurs, depuis tant de siècles, ont été touchés, pénétrés, gagnés à Dieu, et le sont tous les jours, par la puissante vertu de ses cendres que nous avons conservées, et que nous conserverons comme un des plus riches dépôts ? Vous le savez, Seigneur, vous en avez été témoin, et vous l'êtes sans cesse ; vous savez, dis-je, de quelle onction on est rempli à la vue de ce tombeau, dont vous avez fait notre espérance et notre asile ; vous savez quelles lumières on y reçoit, et quels sentiments on en remporte. Daignez, ô mon Dieu, ne tarir jamais cette source féconde de toutes les bénédictions célestes.

 

Voilà donc, Chrétiens, le miracle que nous ne pouvons assez admirer, et que je vous ai d'abord proposé : Geneviève, assez forte dans sa faiblesse pour fléchir les puissances mêmes du ciel, pour humilier les plus fières puissances de la terre, pour confondre toutes les puissances de l'enfer. Prenez garde : je dis pour fléchir les puissances mêmes du ciel, apaisant, en faveur des hommes, la colère de Dieu, détournant ses fléaux, et l'engageant à suspendre ses foudres prêtes à tomber sur nos têtes ; nous obtenant, après tant de désordres, un pardon que nous n'eussions pas osé demander pour nous-mêmes, et dont l'énormité de nos crimes nous rendait indignes ; nous ouvrant tous les trésors de la divine miséricorde, et la forçant, en quelque sorte, à nous combler de ses richesses.

 

Je dis, pour humilier les plus fières puissances de la terre : le fameux et barbare Attila en fut un exemple mémorable. Ce prince, accoutumé au sang et au carnage, marchait à la tête de la plus nombreuse armée  ; déjà l'Allemagne avait éprouvé les tristes effets de sa fureur ; déjà notre France était inondée de ce torrent impétueux, qui répandait partout devant soi la terreur, et portait le ravage et la désolation. Que lui opposer, et par où conjurer cette affreuse tempête dont tant de provinces étaient menacées ? Sera-ce par les supplications et les remontrances des plus grands hommes, qui, tour à tour, font sans cesse de nouvelles tentatives auprès de ce redoutable conquérant pour le gagner ? Mais, enflé de ses succès, il n'en devient que plus audacieux et plus intraitable. Sera-ce par les menaces et par les promesses ? Mais ses forces, jusque-là invincibles, le mettent en état de ne rien craindre ; et les plus belles promesses ne répondent point encore à son attente, et ne peuvent contenter son insatiable ambition. Sera-ce par la multitude et la valeur des combattants ? Mais tout plie en sa présence, et sur son passage il ne trouve nul obstacle qui l'arrête. Ah ! Chrétiens, l'heure néanmoins approche où ce cruel tyran doit être abattu, et toutes ses forces détruites ; ce tison fumant, pour user de cette expression d'Isaïe, sera éteint : et comment ? C'est assez pour cela de quelques larmes qui couleront des yeux de Geneviève, et qu'elle versera au pied de l'autel. Oui, ces larmes suffisent : l'ennemi se trouble, une subite frayeur le saisit, cette formidable armée est en déroute, et l'orage comme une fumée, se dissipe. Enfin, je dis, pour confondre toutes les puissances de l'enfer : avec quel empire a-t-elle commandé aux démons mêmes, avec quel respect ces esprits de ténèbres ont-ils écouté sa voix, et lui ont-ils obéi ? avec quelle honte ont-ils vu leur domination renversée, et sont-ils sortis des corps, au premier ordre qu'ils en ont reçu ? C'est de quoi nous avons les preuves certaines, et ce qui me fait reprendre avec le Docteur des nations : Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia.

 

C'est pour cela même aussi, mes chers auditeurs, vous le savez, que la sage piété de nos pères n'a pas cru pouvoir mieux défendre et conserver cette ville capitale où nous vivons, qu'en la confiant aux soins et la mettant sous la protection de la toute-puissante et glorieuse Geneviève : ceci vous regarde, et demande une réflexion particulière. Dès le temps que la monarchie française prit naissance, Dieu lui désigna cette protectrice. Paris devint dans la suite des siècles une des plus nobles et des plus superbes villes du monde ; et s'il s'est maintenu jusqu'à présent dans cette splendeur, si, malgré les vicissitudes continuelles des choses humaines, il a subsisté et subsiste encore, si mille fois il n'a pas péri ou par le feu ou par le fer, ou par la famine ou par la contagion, ou par la sécheresse ou par l'inondation des eaux, ignorez-vous que c'est à sa bienheureuse patronne qu'il en est redevable ? Après les secours qu'il en a reçus dans les plus pressantes nécessités, après qu'elle l'a si souvent préservé et des fureurs de la guerre, et de l'ardeur des flammes, et des injures de l'air, et de la stérilité des campagnes, et du débordement des fleuves, les païens auraient érigé Geneviève en divinité : mais vous, mes Frères, mieux instruits, vous vous contentez, et devez en effet vous contenter de la reconnaître pour votre bienfaitrice , de l'honorer et de l'invoquer comme votre avocate auprès du seul Dieu que vous adorez. Protection visible dont nous avons eu et dont nous avons tous les jours les plus éclatants témoignages ; protection invisible, et non moins efficace en mille rencontres sur la personne de nos rois, et sur tout le corps de l'état ; protection, (le dirai-je, mes chers auditeurs, mais n'est-il pas vrai ?) protection d'autant plus nécessaire, que l'iniquité du siècle est plus abondante, et doit plus irriter le ciel contre nous.

 

Car qu'est-ce que cette ville si nombreuse, et quel spectacle présenterais-je à vos yeux, si je vous en faisais voir toutes les abominations ? Qu'est-ce, dis-je, que Paris ? un monstrueux assemblage de tous les vices, qui croissent, qui se multiplient, qui infectent et les petits et les grands, et les pauvres et les riches ; qui profanent même ce qu'il y a de plus sacré, et qui s'établissent jusque dans la maison de Dieu. Ne tirons point le voile qui couvre en partie ces horreurs ; nous n'en connaissons déjà que trop : or, que serait-ce donc, si nous n'avions pas une médiatrice pour prendre nos intérêts auprès de Dieu, et pour arrêter ses coups ? Mais après tout, mes Frères, Dieu ne se lassera-t-il point ? la mesure de nos crimes ne se remplira-t-elle point, et ne pourra-t-il pas arriver que ce secours de Geneviève cesse enfin pour nous ? Quand les Israélites eurent oublié le Seigneur, jusques à faire des sacrifices à un veau d'or, pendant que Moïse était sur la montagne et priait pour eux, l'Ecriture nous apprend que Dieu en fit un reproche à ce législateur : Va, Moïse, lui dit-il, descends de la montagne, et tu verras le désordre de ton peuple ; car c'est ton peuple, et non plus le mien : Vade, descende, peccavit populus tuus (Exod., XXXII, 7.) Ce n'est plus mon peuple, puisqu'il a choisi un autre Dieu, et que, dans l'état de corruption où il est réduit, je ne le connais plus ; mais c'est encore le tien, puisque, tout corrompu qu'il est, tu viens intercéder et me solliciter pour lui. Va donc, et tu seras toi-même témoin de ses dérèglements et de ses excès. Tu te promettais quelque chose de sa piété et de sa religion ; mais tu connaîtras en quelle idolâtrie il est tombé depuis qu'il t'a perdu de vue : après s'être abandonné à l'intempérance, aux jeux, aux festins, à la bonne chère, après s'être plongé dans les débauches les plus impures et les plus abominables, tu verras avec quelle insolence il s'est fait une idole qu'il adore comme le Dieu d'Israël, protestant qu'il n'y a point d'autre divinité que celle-là qui l'ait pu tirer de la servitude ; voilà où en est ce peuple qui t'est si cher : Vade, dascende, peccavit populus tuus. Mais laisse-moi, Moïse, ajoute le Seigneur ; car je vois bien que c'est un peuple indocile et endurci dans son péché : Cerno quod populus iste durœ cervicis sit (Exod., XXXII, 9.) ; ne me parle donc plus en sa faveur, ne t'oppose plus au dessein que j'ai de l'exterminer et de le perdre ; tes prières me font violence : donne-moi trêve pour quelques moments, afin que ma colère éclate : Dimitti me, ut irascatur furor meus (Ibid., 10.). Je sais, Chrétiens, ce que fit Moïse ; qu'il ne se désista pas pour cela de demander grâce ; qu'il conjura Dieu de retenir encore son bras, lui remontrant qu'il y allait de sa gloire, l'intéressant par la considération d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; consentant plutôt à être effacé lui-même du livre de vie, que de voir périr ce peuple, et, par des instances si fortes, faisant enfin changer l'arrêt que la justice divine avait prononcé : mais vous savez que ce ne fut pas sans des suites bien funestes et bien terribles, puisque, outre les vingt-trois mille hommes que Moïse, pour punir ce scandale, fit passer par le fil de l'épée, de tous les autres qui se trouvèrent coupables, il n'y en eut pas un qui entra dans la terre de Chanaan.

 

Faut-il, mes chers auditeurs, que je vous explique cette figure, ou pour mieux dire, cette vérité qui ne vous convient que trop ? n'en faites-vous pas vous-mêmes l'application, et n'en découvrez-vous pas déjà tout le mystère ? Tandis que Geneviève vivait sur la terre, et qu'elle animait le peuple par sa présence et par son exemple, Paris était dans la ferveur, et l'on admirait l'innocence et la sainteté de ce petit nombre de chrétiens qui l'habitaient. Maintenant que la mort nous a ravi ce grand modèle, et que Geneviève est sur la montagne, où elle représente à Dieu nos besoins, nous nous licencions, nous nous faisons des idoles à qui nous présentons notre encens, des idoles d'or, des idoles de chair, et, comme les Israélites, nous nous disons les uns aux autres : Voilà les dieux que nous devons servir : Illi sunt dii tui (Ibid., 7.). Or, sur cela, mes chers auditeurs , le Seigneur, si indignement traité, et si justement courroucé contre nous, n'a-t-il pas le droit de dire à la sainte patronne dont vous implorez auprès de lui l'assistance, ce qu'il disait à Moïse : Vade, descende, peccavit  populus tuus ; Allez, et voyez quel est ce peuple pour qui vous employez avec tant de zèle votre crédit. Que ce soit votre peuple, j'y consens ; mais ce n'est plus le mien, car c'est un peuple idolâtre : idolâtre du monde, qu'il adore comme son Dieu ; idolâtre des faux biens du monde, dont il ne cherche qu'à se remplir par tous les moyens que lui suggère son insatiable convoitise ; idolâtre des grandeurs du monde, où ses ambitieux désirs le font sans cesse aspirer ; idolâtre des plaisirs du monde et des plus infâmes voluptés, où il demeure honteusement plongé. Pourquoi donc vous tenez-vous entre lui et moi ? pourquoi entreprenez-vous de toucher ma miséricorde, et que ne laissez-vous agir ma justice ? Dimitte me, ut irascatur furor meus. Qui doute, encore une fois, Chrétiens, que Dieu ne parle, ou ne puisse parler de le sorte à Geneviève, et qui sait si Geneviève elle-même, indignée que nous secondions si mal ses soins, ne se retirera pas ? si peut-être elle ne se tournera pas contre nous ? car les saints n'ont pas moins de zèle pour la gloire de Dieu, que pour notre salut : qui sait, dis-je, je le répète, qui sait si Geneviève de sa part, ne répondra point à Dieu : Seigneur, vous êtes juste, et tous vos jugements sont équitables ; j'ai veillé sur ce peuple que vous aviez confié à ma garde ; je vous ai mille fois offert pour lui mes vœux, et vous les avez écoutés ; mais c'est toujours un peuple infidèle, un peuple endurci ; j'en ai pris soin, et rien ne le touche, rien ne le guérit : je le remets entre vos mains, et je le livre à vos vengeances ?

 

A Dieu ne plaise, mes chers auditeurs, que nous attirions sur nous une telle malédiction ! Il y a, j'en conviens, une providence de Dieu toute spéciale sur cette ville ; mais aussi cette providence de faveur a ses bornes, qu'elle ne passe point, et hors desquelles elle ne nous suivra point. Geneviève, il est vrai, fait des miracles, mais ces miracles ne doivent point servir à fomenter vos désordres, et à vous autoriser dans votre impénitence. Dès que vous en profiterez pour vous convertir, tout ira bien, et jamais ils ne cesseront ; mais quand vous en abuserez pour pécher avec plus d'impunité, avec plus d'obstination et plus d'audace, ce seraient alors des miracles contre Dieu même ; et qui peut croire que Dieu voulût communiquer à ses saints sa toute-puissance, ou qu'ils voulussent la recevoir, pour en user contre ses propres intérêts ? Que faut-il donc faire ? Imiter la foi de sainte Geneviève, la ranimer dans nos cœurs, la réveiller, cette foi divine : avec cela, si nous ne faisons pas les mêmes miracles que Geneviève a faits, nous en ferons d'autres, c'est-à-dire nous nous convertirons, et nous rentrerons en grâce avec Dieu ; nous guérirons les maladies, non pas celles de nos corps, mais celles de nos âmes, dont les suites sont encore bien plus dangereuses et plus funestes pour nous ; nous confondrons l'enfer, et nous le surmonterons, en nous dégageant, de ses pièges et de la honteuse captivité où il nous tient asservis ; nous chasserons de notre cœur les démons qui nous possèdent, le démon de l'avarice, le démon de l'ambition, le démon de l’impureté ; nous triompherons du monde et de tous ses charmes : car voilà les miracles que Dieu exige de nous, et pour lesquels Jésus-Christ nous a promis sa grâce : Signa autem eos qui crediderint, hœc sequentur : in nomine meo dœmonia ejicient ; super œgros manus importent, et bene habebunt (Marc, XVI, 18.). Aux premiers temps de l'Eglise, tout cela s'accomplissait à la lettre, dans l'ordre de la nature : maintenant que l'Eglise n'a plus besoin de ces témoignages sensibles, tout cela peut s'accomplir en esprit, et dès aujourd'hui s'accomplira, si nous le voulons, dans l'ordre surnaturel. Sans ces miracles, ne comptons point sur la protection de Geneviève : car elle n'est point la protectrice de nos vanités et de notre luxe, de notre mollesse et de nos sensualités, de notre amour-propre et de nos passions.

 

Ah ! grande Sainte, reprenez en ce jour tout votre zèle pour notre sanctification et notre salut ; et dès ce même jour nous reprendrons les voies de notre Dieu, et nous embrasserons une vie toute nouvelle. Comme prédicateur de l'Evangile, je ne viens point ici vous demander pour mes auditeurs, des prospérités temporelles ; c'est ce qui les a perdus en mille rencontres, et ce qui achèverait de les perdre : je ne vous prie point de détourner de nous les fléaux salutaires qui peuvent nous rappeler de nos égarements et nous convertir ; l'effet de cette prière nous serait trop préjudiciable et trop funeste. Mais ce que je vous demande, et ce que doit vous demander tout chrétien éclairé des lumières de la foi, ce sont les grâces de Dieu, ces grâces purement spirituelles, ces grâces fortes et victorieuses, ces grâces propres à nous toucher, à nous avancer, à nous perfectionner. Si les afflictions et les adversités humaines nous sont pour cela nécessaires, j'ose en mon nom et au nom de toutes les âmes vraiment fidèles, vous supplier de nous les obtenir. Agissez contre nous, afin de mieux agir pour nous. Vous connaissez dans Dieu nos véritables intérêts, et nos intérêts sont bien mieux entre vos mains que dans les nôtres.

 

Cependant, Chrétiens, il nous reste à voir comment enfin la bassesse de Geneviève, pour user toujours de cette expression, a été plus honorée que toute la grandeur du monde : c'est le sujet de la troisième partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE 

 

Sainte Geneviève TREVISANI Francesco

SAINTE GENEVIEVE, Francesco Trevisani, Musée des Beaux Arts, Chambéry

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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 05:00

Dieu seul, Chrétiens, est le Père des lumières ; et une créature ne peut être véritablement éclairée, qu'autant qu'elle s'approche de Dieu, et que Dieu se communique à elle. Tel fut aussi le grand principe de l'éminente sagesse qui parut dans la conduite de l'illustre et glorieuse Geneviève.

BOURDALOUE

 

 

Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia, et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, et ea quœ non sunt, ut ea quœ sunt destrueret. 

Dieu a choisi ce qu'il y avait de plus faible dans le monde, pour confondre les forts ; et il a pris ce qu'il y avait de moins noble et de plus méprisable, même les choses qui ne sont point, pour détruire celles qui sont. (Première Epitre aux Corinthiens, chap. I, 28.)

 

Tel est, Chrétiens, l'ordre de la divine Providence, et c'est ainsi que notre Dieu prend plaisir à faire éclater sa grandeur souveraine et sa toute-puissante vertu. Si, pour opérer de grandes choses, il ne choisissait que de grands sujets, on pourrait attribuer ses merveilleux ouvrages ou à la sagesse, ou à l'opulence, ou au pouvoir et à la force des ministres qu'il y aurait employés ; mais, dit l'Apôtre des Gentils, afin que nul homme n'ait de quoi s'enfler d'une fausse gloire devant le Seigneur, ce ne sont communément ni les sages selon la chair, ni les riches, ni les puissants, ni les nobles, qu'il fait servir à l'exécution de ses desseins ; il prend, au contraire, ce qu'il y a de plus petit, pour confondre toutes les puissances humaines ; et, suivant l'expression de l'Apôtre, il va chercher jusque dans le néant ceux qu'il veut élever au-dessus de toutes les grandeurs de la terre : Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia; et ignobilia mundi et contemptibilia elegit Deus, et ea quœ non sunt, ut ea quœ sunt destrueret.

 

Pensée bien humiliante pour les uns, et bien consolante pour les autres : bien humiliante pour vous, grands du siècle ! tout cet éclat qui vous environne, cette autorité, cette élévation, cette pompe, qui vous distinguent à nos yeux, ce n'est point là ce qui attire sur vous les yeux de Dieu ; que dis-je ? c'est même, selon les règles ordinaires de sa conduite, ce qu'il rejette, quand il veut opérer, par le ministère des hommes, ses plus étonnantes merveilles ; mais au même temps, pensée bien consolante pour vous, pauvres, pour vous, que votre condition a placés aux derniers rangs, pour vous, que l'obscurité de votre origine, que la faiblesse de vos lumières rend, ce semble, incapables de tout. Prenez confiance : plus vous êtes méprisables dans l'opinion du monde, plus Dieu aime à vous glorifier, et à se glorifier lui-même en vous : infirma mundi elegit Deus. En voici, mes chers auditeurs, un bel exemple : c'est celui de l'illustre et sainte patronne dont nous solennisons la fête, et dont j'ai à faire le panégyrique. Qu'était-ce, selon le monde, que Geneviève ? Une fille simple, et dépourvue de toutes les lumières de la science, une fille faible et sans pouvoir, une bergère réduite, ou par sa naissance, ou par la chute de sa famille, au plus bas état. Mais en trois mots, qui comprennent trois grands miracles et qui vont partager d'abord ce discours, je vous ferai voir la simplicité de Geneviève plus éclairée que toute la sagesse du monde : c'est la première partie ; la faiblesse de Geneviève plus puissante que toute la force du monde : c'est la seconde partie ; et, si je puis parler de la sorte, la bassesse de Geneviève plus honorée que toute la grandeur du monde : c'est la troisième partie. Quel fonds, Chrétiens, de réflexion et de morale ! Ménageons tout le temps nécessaire pour le creuser et pour en tirer d'utiles et de salutaires leçons, après que nous aurons demandé le secours du ciel par l'intercession de Marie : Ave, Maria.

 

Dieu seul, Chrétiens, est le Père des lumières ; et une créature ne peut être véritablement éclairée, qu'autant qu'elle s'approche de Dieu, et que Dieu se communique à elle. Tel fut aussi le grand principe de l'éminente sagesse qui parut dans la conduite de l'illustre et glorieuse Geneviève. C'était une simple fille, il est vrai ; mais, par un merveilleux effet de la grâce, cette simple fille trouva le moyen de s'unir à Dieu dès l'instant qu'elle fut capable de le connaître, et Dieu réciproquement prit plaisir à répandre sur elle la plénitude de ses dons et de son esprit ; voilà ce qui a relevé sa simplicité, et ce qui lui a donné, dans l'opinion même des hommes, cet ascendant admirable au-dessus de toute la prudence du siècle.

 

Il fallait bien que Geneviève,  toute ignorante et toute grossière qu'elle était d'ailleurs, eût de hautes idées de Dieu,  puisque dès sa première jeunesse elle se dévoua à lui de la manière la plus parfaite. Ce fut peu pour elle de dépendre de Dieu comme sujette ; elle voulut lui appartenir comme épouse. Comprenant que celui qu'elle servait était un pur esprit, pour contracter avec lui une sainte alliance,  elle fit un divorce éternel avec la chair ; sachant que par un amour spécial de la virginité, il s'était fait le fils d'une vierge, elle forma, pour le concevoir dans son cœur, le dessein de demeurer vierge ; et, pour l'être avec plus de mérite, elle voulut l'être par engagement, par vœu, par une profession solennelle : car elle était dès lors instruite et bien persuadée de cette théologie de saint Paul, que quiconque se lie à Dieu devient un même esprit avec lui ; et elle n'ignorait pas qu'une vierge dans le christianisme, je dis une vierge par choix et par état, est autant élevée au-dessus du reste des fidèles, qu'une épouse de Dieu l'est au-dessus des serviteurs, ou, pour m'exprimer encore comme l'Apôtre, au-dessus des domestiques de Dieu. C'est dans ces sentiments que Geneviève voue à Dieu sa virginité, et qu'elle lui fait tout à la fois le sacrifice de son corps et de son âme, ne voulant plus disposer de l'un ni de l'autre, même légitimement ; renonçant avec joie à sa liberté, dans une chose où elle trouve un souverain bonheur à n'avoir plus de liberté ; et ajoutant aux obligations communes de son baptême celle qui devait lui tenir lieu de second baptême, puisque, selon saint Cyprien, l'obligation des vierges est une espèce de sacrement qui met dans elles le comble de la perfection au sacrement de la foi.

 

Mais admirons, mes chers auditeurs, l'ordre qu'elle observe en tout cela. Le Saint-Esprit, dans les Proverbes, dit que la simplicité des justes est la règle sûre et infaillible dont Dieu les a pourvus, pour les diriger dans leurs entreprises et dans leurs actions. Or, c'est ici que vous allez voir l'accomplissement de ces paroles de l'Ecriture : Justorum simplicitas diriget illos (Prov., XI, 3.). Geneviève formait un dessein dont les suites étaient à craindre, non seulement pour tout le cours de sa vie, mais pour son salut et sa prédestination : que fait-elle ? parce qu'elle est humble, elle ne s'en fie pas à elle-même ; et parce qu'elle est docile, elle évite cet écueil dangereux du propre sens et de l'amour propre, qui fait faire tous les jours aux sages du  monde tant de fausses démarches, et qui détourne si souvent de la voie du ciel ceux qui croient la bien connaître et y marcher. Pour ne pas s'engager même  à Dieu par un autre mouvement que celui de Dieu, Geneviève consulte les oracles par qui Dieu s'explique ; elle traite avec les prélats de l'Eglise, qui sont les  interprètes de Dieu et de ses volontés : deux grands évêques qui vivaient alors, celui d'Auxerre et celui de Troyes, passant par Nanterre, sa patrie et le lieu de sa demeure, elle va se jeter à leurs pieds, elle leur ouvre son cœur, elle écoute leurs avis ; et parce qu'elle reconnaît que c'est Dieu qui  l'appelle,  elle s'oblige à suivre une si sainte vocation : non seulement elle s'y oblige, mais elle accomplit fidèlement ce qu'elle a promis ; et quelques années d'épreuve écoulées, elle fait, entre les mains de l'évêque de Chartres, ce qu'elle avait déjà fait dans l'intérieur de son âme, je veux dire le sacré vœu d'une perpétuelle virginité ; n'agissant que par conseil, que par esprit d'obéissance, que par ce principe de soumission qui faisait souhaiter à saint Bernard d'avoir cent pasteurs pour veiller sur lui, bien loin d'affecter, comme on l'affecte souvent dans le monde, de n'en avoir aucun ; belle leçon, Chrétiens, qui nous apprend à chercher et à discerner les voies de Dieu, surtout quand il s'agit de vocation et d'état, où tous les égarements ont des conséquences si terribles, et en quelque manière si irréparables pour le salut ; instruction nécessaire pour notre siècle, où l'esprit de direction abonde, quoiqu'en même temps il soit si rare ; où tant de gens s'ingèrent d'en donner des règles, et où si peu de personnes les veulent recevoir ; où chacun a le talent de gouverner et de conduire, et où l'on en voit si peu qui aient le talent de se soumettre et d'obéir ; mais exemple plus important encore de cet attachement inviolable que nous devons avoir à la conduite de l'Eglise, hors de laquelle, comme disait saint Jérôme, nos vertus mêmes ne sont plus des vertus, la virginité n'est qu'un fantôme, le zèle qu'une illusion, et tout ce que nous faisons pour Dieu se trouve perdu et dissipé.

 

L'élément des vierges et des âmes dévouées à Jésus-Christ en qualité de ses épouses, c'est la retraite et la séparation du monde. Aussi est-ce le parti que Geneviève choisit ; car d'aimer à voir le monde et à en être vu, et prétendre cependant pouvoir répondre à Dieu de soi-même ; vouloir être de l'intrigue, entrer dans les divertissements, avoir part aux belles conversations ; et, quelque idée de piété que l'on se propose, se réserver toujours le droit d'un certain commerce avec le monde ;  en user, dis-je, de la sorte, et croire alors pouvoir garder ce trésor que nous portons dans nos corps comme dans des vases de terre, j'entends le trésor d'une pureté sans tache, c'est ce que la prudence du siècle a de tout temps présumé de faire,  mais c'est ce que la simplicité de Geneviève, plus clairvoyante et plus pénétrante, traita d'espérance chimérique, et ce qui ne lui parut pas possible. Dès le moment qu'elle fit son vœu, elle se couvrit du saint voile qui distinguait ces prédestinés et ces élus que saint Cyprien appelle la plus noble portion du troupeau de Jésus-Christ. Il ne lui fallut point de prédicateur pour renoncer à tous ces vains ornements  qui corrompent   l'innocence   des filles du siècle, et qui servent d'amorce à la cupidité et à la passion. Sans étude et sans lecture, elle connut qu'elle devait faire le sacrifice de toutes les vanités humaines. Une croix apportée du ciel  par le ministère d'un ange, et qui lui fut présentée par saint Germain, lui tint lieu désormais de tout ce que l'envie de paraître lui eût fait ambitionner, si c'eût été une fille mondaine ; et la manière simple dont elle traitait avec Dieu, sans disputer ses droits contre lui, et sans raisonner inutilement sur la rigueur du précepte, lui fit prendre des décisions plus exactes que celles de la théologie la plus sévère.

 

Or, si nous agissions, Chrétiens, dans le même esprit, c'est ainsi que nous ferions voir en nous les fruits d'une sincère et véritable réformation de mœurs : car si les prédicateurs de l'Evangile gagnent si peu à vous remontrer ces vérités importantes ; si, malgré tous leurs discours, vous demeurez encore aussi attachés à je ne sais combien d'amusements et de bagatelles du monde corrompu ; si, par exemple, on peut dire, à la honte de notre religion, que les dames chrétiennes sont maintenant plus païennes que les païennes mêmes en ce qui regarde l'immodestie et le luxe de leurs babils ; si la licence et le désordre sur nulle autres points croissent tous les jours, ce n'est, mes chers auditeurs, que parce que nous voulons nous persuader qu'il y a là-dessus un devoir du monde qui nous autorise ; ce n'est que parce que nous nous hâtions de savoir bien accorder des choses que tous les saints ont jugées incompatibles, et sauver l'essentiel du christianisme au milieu de tout ce qui le détruit ; enfin, ce n'est que parce que nous devenons ingénieux à nous aveugler nous-mêmes, et qu'au lieu de nous étudier à cette bienheureuse simplicité, qui fut toute la science de Geneviève, nous opposons à l'Esprit de Dieu, les fausses maximes d'un esprit mondain qui nous perd.

 

Que fait de plus cette sainte fille ? apprenez-le. Pour conserver le mérite de sa virginité, elle s'engage, par état et par profession de vie, aux emplois les plus bas de la charité et de l'humilité : car d'être vierge et d'être superbe, elle sait que c'est un monstre aux yeux de Dieu ; elle sait, sans que saint Augustin le lui ait appris, qu'autant qu'une vierge humble est préférable, selon l'Evangile, à une femme honnête dans le mariage, autant une femme humble dans le mariage mérite-t-elle la préférence sur une vierge orgueilleuse. C'est pour cela qu'elle s'humilie, et que, par un rare exemple de sagesse, elle se réduit à la condition de servante ; c'est pour cela qu'elle s'attache à une maîtresse fâcheuse, dont elle supporte les mauvais traitements, et à qui elle obéit avec une patience et une douceur dignes de l'admiration des anges ; et c'est par là même aussi qu'elle évite le reproche que saint Augustin faisait à une vierge chrétienne : O tu virgo Dei, nubere noluisti, quod licebat ; et extollis te, quod non licet ; Ô âme insensée ! que faites-vous.? Vous n'avez pas voulu vous allier à un époux de la terre, ce que la loi de Dieu vous permettait ; et vous vous élevez par une fausse et vaine gloire, ce que la loi ne vous permet pas.

 

Mais pourquoi Geneviève ajoute-t-elle à ses exercices d'humilité une si grande austérité de vie ? pourquoi se condamne-t-elle à des jeûnes si continuels, et fait-elle de son corps une victime de pénitence ? C'était une sainte en qui le péché n'avait jamais régné ; c'était une âme pure en qui la grâce du baptême s'était maintenue : pourquoi donc se traiter si rigoureusement elle-même ? Ah! Chrétiens, c'est un mystère que la prudence de la chair ignore, mais qu'il plut encore à Dieu de révéler à la simplicité de Geneviève. Elle était vierge : mais elle avait à préserver sa virginité du plus contagieux de tous les maux, qui est la mollesse des sens. Elle était sainte ; mais elle avait un corps naturellement corps de péché, dont elle devait faire, comme dit saint Paul, une hostie vivante. Elle était soumise à Dieu ; mais elle avait une chair rebelle qu'il fallait dompter et assujettir à l'esprit. Voilà ce qui lui fit oublier qu'elle était innocente, pour embrasser la vie d'une pénitente. Le monde ne raisonne pas ainsi ; mais je vous l'ai dit, la grande sagesse de Geneviève est de raisonner tout autrement que le monde. Le monde, quoique criminel, prétend avoir droit de vivre dans les délices ; et Geneviève, quoique juste, se fait une loi de vivre dans la pratique de la mortification. Excellente pratique, par où elle se dispose aux communications les plus sublimes qu'une créature ait peut-être jamais eues avec Dieu.

 

Nous avons peine à le comprendre , mais c'est la merveille de la grâce : une fille sans instruction et sans lettres, telle qu’était Geneviève, parle néanmoins de Dieu comme un ange du ciel. Elle ne sait rien ; et l'onction qu'elle a reçue d'en-haut lui enseigne toutes choses. Elle demeure sur la terre et dans ce lieu d'exil ; mais toute sa conversation est parmi les bienheureux et dans le séjour de la gloire. Tandis que les doctes peuvent à peine s'occuper une heure dans l'oraison, elle y passe les jours et les nuits. La vue de son troupeau, l'aspect des campagnes, tout ce qui se présente à elle lui fait connaître Dieu et l'élève à Dieu : c'est une fleur champêtre, que la main des hommes a peu cultivée ; mais qui, exposée aux rayons du soleil de justice, en tire tout cet éclat dont brillent les justes, et toute cette bonne odeur de Jésus-Christ dont parle saint Paul. Tant d'explications, de leçons, de discours, de livres, ne servent souvent qu'à nous confondre. Geneviève, sans tous ces secours, découvre ce qu'il y a dans Dieu de plus profond et de plus caché : pourquoi ? parce que notre Dieu, dit Salomon, se plaît à parler aux simples : Et cum simplicibus sermocinatio ejus (Prov., III, 32.). De là ces extases qui la ravissent hors d'elle-même, et ces visions célestes dont elle est éclairée ; ce sont des mystères impénétrables pour nous, et des secrets qu'il ne lui était pas plus permis qu'à l'Apôtre de nous révéler : Arcana verba quœ non licet homini loqui (2 Cor., XII, 4.). Grâces singulières et faveurs divines d'autant moins suspectes, que jamais elles ne produisirent dans cette âme solidement humble ni esprit d'orgueil et de suffisance, ni esprit de censure et d'une réforme outrée, ni esprit de singularité et de distinction, mais modestie et réserve, mais soumission et obéissance, mais charité et douceur, mais discrétion la plus parfaite et prudence la plus consommée. De là ce don de discerner les esprits, de démêler l'illusion et la vérité, les voies détournées et les voies droites, les fausses inspirations de l'ange de ténèbres et la vraie lumière de Dieu, en sorte que de toutes parts on accourt à elle, qu'elle est consultée comme l'oracle, et que les maîtres même les plus éclairés ne rougissent point d'être ses disciples, de recevoir ses conseils et de les suivre. De là cette confiance avec laquelle on lui donne la conduite des vierges et le soin des veuves, pour les préserver des pièges du monde, pour leur inspirer l'amour de la retraite, pour les former aux exercices de la piété chrétienne, pour les instruire de tous leurs devoirs, et pour les leur faire pratiquer. Sainte école où Dieu lui-même préside, parce que c'est, si j'ose parler de la sorte, l'école de la simplicité évangélique.

 

Mais, Chrétiens, qu'oppose le monde à cette simplicité tant recommandée dans l'Ecriture, et maintenant si peu connue dans le christianisme ? Une fausse sagesse que Dieu réprouve. On veut raffiner sur tout, et jusque sur la dévotion : on se dégoûte de ces anciennes pratiques, autrefois si vénérables parmi nos pères, et de nos jours regardées par des esprits présomptueux et remplis d'eux-mêmes, comme de frivoles amusements : on veut de nouvelles routes pour aller à Dieu, de nouvelles méthodes  pour s'entretenir avec Dieu, de nouvelles prières pour célébrer les grandeurs de Dieu : on veut qu'une prétendue raison soit la règle de toute notre perfection ; et tout ce qui peut en quelque manière se ressentir de cette candeur et de cette pieuse innocence, par où tant d'âmes avant nous se sont élevées et distinguées, on le met au rang des superstitions populaires, et on le rejette avec mépris. Toutefois, mes chers auditeurs, comment le Sage nous apprend-il à chercher Dieu ? dans la simplicité de notre cœur : In simplicitate cordis quœrite illum (Sap., I, 1.) ; de quoi Job est-il loué par l'Esprit même de Dieu ? de sa simplicité : Et erat vir ille simplex et rectus (Job, I, 1.) ; par quel moyen Daniel mérita-t-il la protection de Dieu ? par sa simplicité : Daniel in simplicitate sua libera tus est (1 Mach., II, 60.. Je sais ce que le monde en pense ; que c'est une vertu toute contraire à ses maximes, qu'il en fait le sujet ordinaire de ses railleries : mais malgré tout ce qu'en pense le monde, malgré tout ce qu'il en dit et ce qu'il en dira, il me suffit, mon Dieu, de savoir, comme votre Prophète, que vous aimez cette bienheureuse simplicité : Scio quod simplicitatem diligas (1 Paral., XXIX, 17.) ; et c'est assez pour moi que vous en connaissiez le prix : Sciat Deus simplicitatem meam (Job, XXXI, 6).

 

Voilà, mes Frères, ce qui doit nous affermir dans le droit chemin de la justice chrétienne, et ce qui nous y doit faire marcher avec assurance. Le monde parlera, le monde rira ; de faux sages viendront nous dire comme la femme de Job disait à son époux : Adhuc permanes in simplicitate tua (Ibid., II, 9.) ; Eh quoi ! vous vous arrêtez à ces bagatelles ? vous vous laissez aller à ces scrupules, et dans un siècle comme celui-ci, vous prenez garde à si peu de chose ? quelle simplicité et quelle folie ! On nous le dira ; mais nous répondrons : Oui, dans un siècle si dépravé, je m'attacherai à mon devoir, j'irai tête levée, et je ferai gloire de ma simplicité ; j'y vivrai et j'y mourrai dans cette simplicité de la foi, dans cette simplicité de l'espérance, dans cette simplicité de là charité de Dieu et de la charité du prochain, dans cette simplicité d'une conduite équitable, humble, modeste, désintéressée, sans détours, sans artifices, sans intrigues. Par là j'engagerai Dieu à me conduire lui-même ; et avec un tel guide, je ne craindrai point de m'égarer : Qui ambulat simpliciter, ambulat cunfidenter (Prov., X, 9.).

 

Voulez-vous en effet, Chrétiens, que Dieu répande sur vous ses lumières avec la même abondance qu'il les répandit sur Geneviève ? voici pour cela quatre règles que je vous propose, et que me fournit l'exemple de cette sainte vierge. Première règle : suivre le conseil de ceux que Dieu a établis dans son Eglise pour être les pasteurs de vos âmes, et pour vous diriger dans les voies du salut ; ne rien entreprendre d'important, et où votre conscience se trouve en quelque péril, sans les consulter ; aller à eux comme à la source des grâces, et les écouter comme Dieu même, leur ouvrir votre cœur, et leur exposer simplement et avec confiance vos sentiments, vos désirs, vos bonnes et vos mauvaises dispositions : prendre là-dessus leurs avis ; et, quelques vues contraires qui vous puissent survenir à l'esprit, les tenir pour suspectes et les déposer, si ce n'est que vous eussiez d'ailleurs une évidence absolue de l'erreur où l'on vous conduit et de l'égarement où l'on vous jette ; suivant une telle maxime, et la suivant de bonne foi, vous agirez sûrement ; car Dieu est fidèle, dit l'Apôtre ; et puisqu'il vous envoie à ses ministres, il est alors engagé par sa providence à les éclairer eux-mêmes, à leur inspirer ce qui vous convient, et à leur mettre pour vous dans la bouche des paroles de vie. Je vais plus loin, et, pour votre consolation, j'ose dire que si quelquefois ils se trompaient, ou Dieu ferait un miracle pour suppléer à leur défaut et pour vous redresser, ou que jamais il ne vous imputerait une illusion dont vous n'avez pas été l'auteur, et dont vous n'avez pu moralement vous préserver.

 

Seconde règle : fuir le monde et ce que vous savez être, dans le commerce du monde, ou pernicieux, ou seulement même dangereux. Je ne prétends pas que tous doivent se renfermer dans le cloître, et se cacher dans la solitude : Dieu dans le monde a ses serviteurs sur qui il fait reposer son esprit, à qui il fait entendre sa voix, et qu'il comble des trésors de sa miséricorde ; mais pour goûter ces divines communications, il faut qu'ils soient au milieu du monde sans être du monde ; c'est-à-dire, il faut qu'ils vivent séparés au moins d'un certain monde, d'un monde corrompu où le libertinage règne, d'un monde médisant où le prochain est attaqué, d'un monde volage où l'esprit se dissipe, où toute l'onction de la piété se dessèche, où l'on ne peut éviter mille scandales, légers, il est vrai, mais dont la conscience est toujours blessée : il faut que, se réduisant à la simplicité d'une vie retirée, s'éloignant du tumulte et du bruit, renonçant aux vanités et aux pompes humaines, uniquement attentifs à écouter Dieu, ils lui préparent ainsi et leurs esprits et leurs cœurs. Telle fut la prudence de Geneviève, de cette fille si simple selon le monde, mais, selon Dieu, si sage et si bien instruite des mystères de la grâce et des dispositions qu'elle demande.

 

Troisième règle : s'adonner à la pratique des bonnes œuvres, et surtout des œuvres de charité et d'humilité, en faire toute son étude, et y borner toute sa science : et, pendant que les esprits curieux s'arrêtent à raisonner sur les secrets de la prédestination divine, pendant qu'ils en disputent avec chaleur et qu'ils entrent sans cesse là-dessus en de longues et d'éternelles contestations, s'en tenir simplement, mais solidement, à cette courte décision du prince des apôtres : Quapropter, fratres, magis satagite, ut per bona opera certam vestram electionem faciatis (2 Petr., I, 10.) ; point tant de discours, mes Frères, point tant de controverses et de subtilités : vous avez la loi, pratiquez-la ; vous avez tous vos devoirs marqués, observez-les ; vous avez parmi vous des pauvres et des malades, prenez soin de les assister : soyez charitables, soyez humbles, soyez soumis, soyez patients, vigilants, fervents. C'est là tout ce qu'il vous importe de savoir, et dès que vous le saurez bien, vous en saurez plus que ne peuvent vous en apprendre, dans leurs questions curieuses et souvent peu utiles, tous les philosophes et les théologiens : pourquoi ? non seulement parce que c'est en cela qu'est renfermée toute la science du salut, mais parce que Dieu, qui se découvre aux âmes fidèles et humbles, se fera lui-même sur tout le reste votre maître, et vous donnera des connaissances où la plus sublime théologie ne peut atteindre.

 

Quatrième et dernière règle : ajouter à la pratique des bonnes œuvres l'austérité de la pénitence ; et comme votre vie, mes chers auditeurs, est déjà par elle même une pénitence continuelle, puisqu'elle est remplie de souffrances, les prendre, ces peines et ces afflictions de la vie, avec un esprit chrétien, avec un esprit soumis, en un mot, avec un esprit pénitent. Voilà par où vous purifierez votre cœur, en vous acquittant devant Dieu de toutes vos dettes : et où Dieu fait-il plus volontiers sa demeure, que dans les cœurs purs ? Ainsi, quelque dépourvus que vous puissiez être de toute autre lumière, la lumière de Dieu vous conduira, vous touchera, vous élèvera. Il ne lui faudra point de dispositions naturelles ; il ne sera point nécessaire que vous soyez de ces grands génies que le monde admire, et à qui le monde donne un si vain encens. Sans cette doctrine qui enfle ; sans être capables, par la supériorité de vos vues ou la profondeur de vos raisonnements, de pénétrer les secrets de la nature les plus cachés, d'éclaircir les questions de l'école les plus épineuses et les plus obscures, de former de hautes entreprises et de gouverner les états, vous serez capables, dans la ferveur de la prière, de recevoir les dons de Dieu, et d'avoir avec lui le commerce le plus sacré, le plus étroit, le plus sensible, le plus touchant.

 

Vous l'avez vu dans l'exemple de votre illustre patronne. Mais, si la simplicité de Geneviève a été plus éclairée que toute la sagesse du monde, je puis dire encore que sa faiblesse a été plus forte que toute la puissance du monde : c'est la seconde partie.

 

BOURDALOUE, SERMON POUR LA FÊTE DE SAINTE GENEVIÈVE

 

Bréviaire à l'usage de Paris

Sainte Geneviève, Bréviaire de Paris, XVIe s.

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2 janvier 2012 1 02 /01 /janvier /2012 05:00

1. « La porte dela foi » (cf. Ac 14, 27) qui introduit à la vie de communion avec Dieu et permet l’entrée dans son Église est toujours ouverte pour nous. Il est possible de franchir ce seuil quand la Parole de Dieu est annoncée et que le cœur se laisse modeler par la grâce qui transforme. Traverser cette porte implique de s’engager sur ce chemin qui dure toute la vie. Il commence par le baptême (cf. Rm 6, 4), par lequel nous pouvons appeler Dieu du nom de Père, et s’achève par le passage de la mort à la vie éternelle, fruit de la résurrection du Seigneur Jésus qui, par le don de l’Esprit Saint, a voulu associer à sa gloire elle-même tous ceux qui croient en lui (cf. Jn 17, 22). Professer la foi dans la Trinité – Père, Fils et Saint-Esprit – équivaut à croire en un seul Dieu qui est Amour (cf. 1 Jn 4, 8) : le Père, qui dans la plénitude des temps a envoyé son Fils pour notre salut ; Jésus-Christ, qui dans le mystère de sa mort et de sa résurrection a racheté le monde ; le Saint-Esprit, qui conduit l’Église à travers les siècles dans l’attente du retour glorieux du Seigneur.

 

2. Depuis le commencement de mon ministère comme Successeur de Pierre, j’ai rappelé l’exigence de redécouvrir le chemin de la foi pour mettre en lumière de façon toujours plus évidente la joie et l’enthousiasme renouvelé de la rencontre avec le Christ. Dans l’homélie de la messe pour l’inauguration de mon pontificat je disais : "L’Église dans son ensemble, et les pasteurs en son sein, doivent, comme le Christ, se mettre en route, pour conduire les hommes hors du désert, vers le lieu de la vie, vers l’amitié avec le Fils de Dieu, vers celui qui nous donne la vie, la vie en plénitude". Il arrive désormais fréquemment que les chrétiens s’intéressent surtout aux conséquences sociales, culturelles et politiques de leur engagement, continuant à penser la foi comme un présupposé évident du vivre en commun. En effet, ce présupposé non seulement n’est plus tel mais souvent il est même nié. Alors que dans le passé il était possible de reconnaître un tissu culturel unitaire, largement admis dans son renvoi aux contenus de la foi et aux valeurs inspirées par elle, aujourd’hui il ne semble plus en être ainsi dans de grands secteurs de la société, en raison d’une profonde crise de la foi qui a touché de nombreuses personnes.

 

3. Nous ne pouvons accepter que le sel devienne insipide et que la lumière soit tenue cachée (cf. Mt 5, 13-16). Comme la samaritaine, l’homme d’aujourd’hui peut aussi sentir de nouveau le besoin de se rendre au puits pour écouter Jésus qui invite à croire en lui et à puiser à sa source, jaillissante d’eau vive (cf. Jn 4, 14). Nous devons retrouver le goût de nous nourrir de la Parole de Dieu, transmise par l’Église de façon fidèle, et du Pain de la vie, offerts en soutien de tous ceux qui sont ses disciples (cf. Jn 6, 51). L’enseignement de Jésus, en effet, résonne encore de nos jours avec la même force : "Travaillez non pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure en vie éternelle" (Jn 6, 27). L’interrogation posée par tous ceux qui l’écoutaient est la même aussi pour nous aujourd’hui : "Que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu ?" (Jn 6, 28). Nous connaissons la réponse de Jésus : "L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qui l’a envoyé" (Jn 6, 29). Croire en Jésus Christ est donc le chemin pour pouvoir atteindre de façon définitive le salut.

 

4. A la lumière de tout ceci j’ai décidé de promulguer une Année de la foi. Elle commencera le 11 octobre 2012, lors du cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, et se terminera en la solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ Roi de l’univers, le 24 novembre 2013. Le 11 octobre 2012, aura lieu aussi le vingtième anniversaire de la publication du Catéchisme de l’Église catholique, texte promulgué par mon Prédécesseur, le Bienheureux Pape Jean-Paul II, dans le but d’exposer à tous les fidèles la force et la beauté de la foi. Ce document, fruit authentique du Concile Vatican II, fut souhaité par le Synode extraordinaire des Évêques de 1985 comme instrument au service de la catéchèse et fut réalisé grâce à la collaboration de tout l’épiscopat de l’Église catholique. Et j’ai précisément convoqué l’Assemblée générale du Synode des Évêques, au mois d’octobre 2012, sur le thème de La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne. Ce sera une occasion propice pour introduire la structure ecclésiale tout entière à un temps de réflexion particulière et de redécouverte de la foi.

 

Ce n’est pas la première fois que l’Église est appelée à célébrer une Année de la foi. Mon vénéré Prédécesseur, le Serviteur de Dieu Paul VI en avait décidée une semblable en 1967, pour faire mémoire du martyre des Apôtres Pierre et Paul à l’occasion du dix-neuvième centenaire de leur témoignage suprême. Il la pensa comme un moment solennel pour que dans toute l’Église il y eût « une profession authentique et sincère de la même foi » ; en outre, il voulut que celle-ci soit confirmée de manière "individuelle et collective, libre et consciente, intérieure et extérieure, humble et franche". Il pensait que de cette façon l’Église tout entière pourrait reprendre "une conscience plus nette de sa foi, pour la raviver, la purifier, la confirmer et la proclamer". Les grands bouleversements qui se produiront en cette Année, ont rendu encore plus évidente la nécessité d’une telle célébration. Elle s’est conclue par la Profession de foi du Peuple de Dieu, pour attester combien les contenus essentiels qui depuis des siècles constituent le patrimoine de tous les croyants ont besoin d’être confirmés, compris et approfondis de manière toujours nouvelle afin de donner un témoignage cohérent dans des conditions historiques différentes du passé.

 

5. Pour certains aspects, mon Vénéré Prédécesseur a vu cette Année comme une "conséquence et une exigence de l’après-Concile", bien conscient des graves difficultés du temps, surtout en ce qui concerne la profession de la vraie foi et sa juste interprétation. J’ai considéré que faire commencer l’Année de la foi en coïncidence avec le cinquantième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II peut être une occasion propice pour comprendre que les textes laissés en héritage par les Pères conciliaires, selon les paroles du bienheureux Jean Paul II, "ne perdent rien de leur valeur ni de leur éclat. Il est nécessaire qu’ils soient lus de manière appropriée, qu’ils soient connus et assimilés, comme des textes qualifiés et normatifs du Magistère, à l’intérieur de la Tradition de l’Église. Je sens plus que jamais le devoir d’indiquer le Concile comme la grande grâce dont l’Église a bénéficié au vingtième siècle : il nous offre une boussole fiable pour nous orienter sur le chemin du siècle qui commence". Moi aussi j’entends redire avec force tout ce que j’ai eu à dire à propos du Concile quelques mois après mon élection comme Successeur de Pierre : "Si nous le lisons et le recevons guidés par une juste herméneutique, il peut être et devenir toujours davantage une grande force pour le renouveau, toujours nécessaire, de l’Église".

 

6. Le renouveau de l’Église passe aussi à travers le témoignage offert par la vie des croyants : par leur existence elle-même dans le monde les chrétiens sont en effet appelés à faire resplendir la Parole de vérité que le Seigneur Jésus nous a laissée. Justement le Concile, dans la Constitution dogmatique Lumen gentium affirmait : "Tandis que le Christ, ‘saint, innocent, sans tâche’ (He 7, 26), n’a pas connu le péché (cf. 2 Co 5, 21), venant seulement expier les péchés du peuple (cf. He 2, 17), l’Église, elle, qui enferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement. ‘L’Église avance dans son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu’, annonçant la croix et la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne (cf. 1 Co 11, 26). La vertu du Seigneur ressuscité est sa force pour lui permettre de vaincre dans la patience et la charité les afflictions et les difficultés qui lui viennent à la fois du dehors et du dedans, et de révéler fidèlement au milieu du monde le mystère du Seigneur, encore enveloppé d’ombre, jusqu’au jour où, finalement, il éclatera dans la pleine lumière".

 

Dans cette perspective, l’Année de la foi est une invitation à une conversion authentique et renouvelée au Seigneur, unique Sauveur du monde. Dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, Dieu a révélé en plénitude l’Amour qui sauve et qui appelle les hommes à convertir leur vie par la rémission des péchés (cf. Ac 5, 31). Pour l’Apôtre Paul, cet Amour introduit l’homme à une vie nouvelle : "Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle" (Rm 6, 4). Grâce à la foi, cette vie nouvelle modèle toute l’existence humaine sur la nouveauté radicale de la résurrection. Dans la mesure de sa libre disponibilité, les pensées et les sentiments, la mentalité et le comportement de l’homme sont lentement purifiés et transformés, sur un chemin jamais complètement terminé en cette vie. La "foi opérant par la charité" (Ga 5, 6) devient un nouveau critère d’intelligence et d’action qui change toute la vie de l’homme (cf. Rm 12, 2; Col 3, 9-10; Ep 4, 20-29; 2 Co 5, 17).

  

7. « Caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14): c’est l’amour du Christ qui remplit nos cœurs et nous pousse à évangéliser. Aujourd’hui comme alors, il nous envoie par les routes du monde pour proclamer son Évangile à tous les peuples de la terre (cf. Mt 28, 19). Par son amour, Jésus-Christ attire à lui les hommes de toutes générations : en tous temps il convoque l’Église lui confiant l’annonce de l’Évangile, avec un mandat qui est toujours nouveau. C’est pourquoi aujourd’hui aussi un engagement ecclésial plus convaincu en faveur d’une nouvelle évangélisation pour redécouvrir la joie de croire et retrouver l’enthousiasme de communiquer la foi est nécessaire. L’engagement missionnaire des croyants, qui ne peut jamais manquer, puise force et vigueur dans la redécouverte quotidienne de son amour. En effet, la foi grandit quand elle est vécue comme expérience d’un amour reçu et quand elle est communiquée comme expérience de grâce et de joie. Elle rend fécond, parce qu’elle élargit le cœur dans l’espérance et permet d’offrir un témoignage capable d’engendrer : en effet elle ouvre le cœur et l’esprit de tous ceux qui écoutent à accueillir l’invitation du Seigneur à adhérer à sa Parole pour devenir ses disciples. Les croyants, atteste saint Augustin, "se fortifient en croyant". Le saint Évêque d’Hippone avait de bonnes raisons pour s’exprimer de cette façon. Comme nous le savons, sa vie fut une recherche continuelle de la beauté de la foi jusqu’à ce que son cœur trouve le repos en Dieu. Ses nombreux écrits, dans lesquels sont expliquées l’importance de croire et la vérité de la foi, demeurent jusqu’à nos jours comme un patrimoine de richesse inégalable et permettent encore à de nombreuses personnes en recherche de Dieu de trouver le juste parcours pour accéder à la "porte de la foi".

 

Donc, la foi grandit et se renforceseulement en croyant ; il n’y a pas d’autre possibilité pour posséder une certitude sur sa propre vie sinon de s’abandonner, dans un crescendo continu, entre les mains d’un amour qui s’expérimente toujours plus grand parce qu’il a son origine en Dieu.

 

8. En cette heureuse occasion, j’entends inviter les confrères Évêques du monde entier à s’unir au Successeur de Pierre, en ce temps de grâce spirituelle que le Seigneur nous offre, pour faire mémoire du don précieux de la foi. Nous voudrons célébrer cette Année de manière digne et féconde. La réflexion sur la foi devra s’intensifier pour aider tous ceux qui croient au Christ à rendre plus consciente et à revigorer leur adhésion à l’Évangile, surtout en un moment de profond changement comme celui que l’humanité est en train de vivre. Nous aurons l’opportunité de confesser la foi dans le Seigneur ressuscité dans nos cathédrales et dans les églises du monde entier; dans nos maisons et auprès de nos familles, pour que chacun ressente avec force l’exigence de mieux connaître et de transmettre aux générations futures la foi de toujours. Les communautés religieuses comme celles des paroisses, et toutes les réalités ecclésiales anciennes et nouvelles, trouveront la façon, en cette Année, de rendre une profession publique du Credo.

 

9. Nous désirons que cette Année suscite en chaque croyant l’aspiration à confesser la foi en plénitude et avec une conviction renouvelée, avec confiance et espérance. Ce sera aussi une occasion propice pour intensifier la célébration de la foi dans la liturgie, et en particulier dans l’Eucharistie, qui est "le sommet auquel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa force". En même temps, nous souhaitons que le témoignage de vie des croyants grandisse en crédibilité. Redécouvrir les contenus de la foi professée, célébrée, vécue et priée, et réfléchir sur l’acte lui-même par lequel on croit, est un engagement que chaque croyant doit faire sien, surtout en cette Année.

 

Ce n’est pas par hasard que dans les premiers siècles les chrétiens étaient tenus d’apprendre de mémoire le Credo. Ceci leur servait de prière quotidienne pour ne pas oublier l’engagement pris par le baptême. Avec des paroles denses de signification, saint Augustin le rappelle quand dans une Homélie sur la redditio symboli, la remise du Credo, il dit : "Le symbole du saint témoignage qui vous a été donné à tous ensemble et que vous avez récité aujourd’hui chacun en particulier, est l’expression de la foi de l’Église notre mère, foi établie solidement sur le fondement inébranlable, sur Jésus-Christ Notre Seigneur. On vous a donc donné à apprendre et vous avez récité ce que vous devez avoir toujours dans l’âme et dans le cœur, répéter sur votre couche, méditer sur les places publiques, ne pas oublier en prenant votre nourriture, murmurer même intérieurement durant votre sommeil".

 

10. Je voudrais, à ce point, esquisser un parcours qui aide à comprendre de façon plus profonde non seulement les contenus de la foi, mais avec ceux-ci aussi l’acte par lequel nous décidons de nous en remettre totalement à Dieu, en pleine liberté. En effet, il existe une unité profonde entre l’acte par lequel on croit et les contenus auxquels nous donnons notre assentiment. L’Apôtre Paul permet d’entrer à l’intérieur de cette réalité quand il écrit : "La foi du cœur obtient la justice, et la confession des lèvres le salut" (Rm 10, 10). Le cœur indique que le premier acte par lequel on vient à la foi est don de Dieu et action de la grâce qui agit et transforme la personne jusqu’au plus profond d’elle-même.

 

L’exemple de Lydie est tout à fait éloquent à ce sujet. Saint Luc raconte que Paul, alors qu’il se trouvait à Philippes, alla un samedi annoncer l’Évangile à quelques femmes ; parmi elles se trouvait Lydie et "le Seigneur lui ouvrit le cœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul" (Ac 16, 14). Le sens renfermé dans l’expression est important. Saint Luc enseigne que la connaissance des contenus à croire n’est pas suffisante si ensuite le cœur, authentique sanctuaire de la personne, n’est pas ouvert par la grâce qui permet d’avoir des yeux pour regarder en profondeur et comprendre que ce qui a été annoncé est la Parole de Dieu.

 

Professer par la bouche, à son tour, indique que la foi implique un témoignage et un engagement publics. Le chrétien ne peut jamais penser que croire est un fait privé. La foi, c’est décider d’être avec le Seigneur pour vivre avec lui. Et ce "être avec lui" introduit à la compréhension des raisons pour lesquelles on croit. La foi, parce qu’elle est vraiment un acte de la liberté, exige aussi la responsabilité sociale de ce qui est cru. L’Église au jour de la Pentecôte montre avec toute évidence cette dimension publique du croire et du fait d’annoncer sans crainte sa propre foi à toute personne. C’est le don de l’Esprit Saint qui habilite à la mission et fortifie notre témoignage, le rendant franc et courageux.

 

La profession de la foi elle-même est un acte personnel et en même temps communautaire. En effet, l’Église est le premier sujet de la foi. Dans la foi de la communauté chrétienne chacun reçoit le baptême, signe efficace de l’entrée dans le peuple des croyants pour obtenir le salut. Comme atteste le Catéchisme de l’Église catholique : ‘Je crois’ ; c’est la foi de l’Église professée personnellement par chaque croyant, principalement lors du Baptême. ‘Nous croyons’ : c’est la foi de l’Église confessée par les Évêques assemblés en Concile ou, plus généralement, par l’assemblée liturgique des croyants. ‘Je crois’ : c’est aussi l’Église, notre Mère, qui répond à Dieu par sa foi et qui nous apprend à dire : ‘Je crois’, ‘Nous croyons’.

 

Comme on peut l’observer, la connaissance des contenus de foi est essentielle pour donner son propre assentiment, c'est-à-dire pour adhérer pleinement avec l’intelligence et la volonté à tout ce qui est proposé par l’Église. La connaissance de la foi introduit à la totalité du mystère salvifique révélé par Dieu. L’assentiment qui est prêté implique donc que, quand on croit, on accepte librement tout le mystère de la foi, parce que Dieu lui-même qui se révèle et permet de connaître son mystère d’amour, est garant de sa vérité.

 

D’autre part, nous ne pouvons pas oublier que, dans notre contexte culturel, de nombreuses personnes, bien que ne reconnaissant pas en soi le don de la foi, sont quand même dans une recherche sincère du sens ultime et de la vérité définitive sur leur existence et sur le monde. Cette recherche est un authentique "préambule" à la foi, parce qu’elle met en mouvement les personnes sur le chemin qui conduit au mystère de Dieu. La raison de l’homme elle-même, en effet, porte innée l’exigence de "ce qui a de la valeur et demeure toujours". Cette exigence constitue une invitation permanente, inscrite de façon indélébile dans le cœur humain, à se mettre en chemin pour trouver Celui que nous ne chercherions pas s’il n’était pas déjà venu à notre rencontre. La foi nous invite justement à cette rencontre et nous y ouvre pleinement.

 

11. Pour accéder à une connaissance systématique des contenus de la foi, tous peuvent trouver dans le Catéchisme de l’Église catholique une aide précieuse et indispensable. Il constitue un des fruits les plus importants du Concile Vatican II. Dans la Constitution apostolique Fidei depositum signée, et ce n’est pas par hasard, à l’occasion du trentième anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, le Bienheureux Jean-Paul II écrivait : "Ce Catéchisme apportera une contribution très importante à l’œuvre de renouveau de toute la vie ecclésiale. Je le reconnais comme un instrument valable et autorisé au service de la communion ecclésiale et comme une norme sûre pour l’enseignement de la foi".

 

C’est justement sur cet horizon que l’Année de la foi devra exprimer un engagement général pour la redécouverte et l’étude des contenus fondamentaux de la foi qui trouvent dans le Catéchisme de l’Église catholique leur synthèse systématique et organique. Ici, en effet, émerge la richesse d’enseignement que l’Église a accueilli, gardé et offert au cours de ses deux mille ans d’histoire. De la sainte Écriture aux Pères de l’Église, des Maîtres de théologie aux Saints qui ont traversé les siècles, le Catéchisme offre une mémoire permanente des nombreuses façons dans lesquelles l’Église a médité sur la foi et produit un progrès dans la doctrine pour donner certitude aux croyants dans leur vie de foi.

 

Dans sa structure elle-même, le Catéchisme de l’Église catholique présente le développement de la foi jusqu’à toucher les grands thèmes de la vie quotidienne. Page après page, on découvre que tout ce qui est présenté n’est pas une théorie, mais la rencontre avec une Personne qui vit dans l’Église. À la profession de foi, en effet, succède l’explication de la vie sacramentelle, dans laquelle le Christ est présent, agissant et continue à construire son Église. Sans la liturgie et les sacrements, la profession de foi n’aurait pas d’efficacité, parce qu’elle manquerait de la grâce qui soutient le témoignage des chrétiens. De la même manière, l’enseignement du Catéchisme sur la vie morale acquiert toute sa signification s’il est mis en relation avec la foi, la liturgie et la prière.

 

12. En cette Année, par conséquent, le Catéchisme de l’Église catholique, pourra être un véritable instrument pour soutenir la foi, surtout pour tous ceux qui ont à cœur la formation des chrétiens, si déterminante dans notre contexte culturel. Dans ce but, j’ai invité la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, en accord avec les Dicastères compétents du Saint-Siège, à rédiger une Note, par laquelle offrir à l’Église et aux croyants quelques indications pour vivre cette Année de la foi de manière plus efficace et appropriée, au service du croire et de l’évangélisation.

 

En effet, la foi, se trouve être soumise plus que dans le passé à une série d’interrogations qui proviennent d’une mentalité changée qui, particulièrement aujourd’hui, réduit le domaine des certitudes rationnelles à celui des conquêtes scientifiques et technologiques. Toutefois, l’Église n’a jamais eu peur de montrer comment entre foi et science authentique il ne peut y avoir aucun conflit parce que les deux, même si c’est par des chemins différents, tendent à la vérité.

 

13. Il sera décisif au cours de cette Année de parcourir de nouveau l’histoire de notre foi, laquelle voit le mystère insondable de l’entrelacement entre sainteté et péché. Alors que la première met en évidence le grand apport que les hommes et les femmes ont offert à la croissance et au développement de la communauté par le témoignage de leur vie, le second doit provoquer en chacun une sincère et permanente œuvre de conversion pour faire l’expérience de la miséricorde du Père qui va à la rencontre de tous.

 

En ce temps, nous tiendrons le regard fixé sur Jésus Christ "à l’origine et au terme de la foi" (He 12, 2) : en lui trouve son achèvement tout tourment et toute aspiration du cœur humain. La joie de l’amour, la réponse au drame de la souffrance et de la douleur, la force du pardon devant l’offense reçue et la victoire de la vie face au vide de la mort, tout trouve son achèvement dans le mystère de son Incarnation, du fait qu’il s’est fait homme, qu’il a partagé avec nous la faiblesse humaine pour la transformer par la puissance de sa résurrection. En lui, mort et ressuscité pour notre salut, trouvent pleine lumière les exemples de foi qui ont marqué ces deux mille ans de notre histoire de salut.

 

Par la foi, Marie a accueilli la parole de l’Ange et elle a cru à l’annonce qu’elle deviendrait Mère de Dieu dans l’obéissance de son dévouement (cf. Lc 1, 38). Visitant Elisabeth, elle éleva son cantique de louange vers le Très-Haut pour les merveilles qu’il accomplissait en tous ceux qui s’en remettent à lui (cf. Lc 1, 46-55). Avec joie et anxiété elle met au jour son fils unique, maintenant intacte sa virginité (cf. Lc 2, 6-7). Comptant sur Joseph son époux, elle porta Jésus en Égypte pour le sauver de la persécution d’Hérode (cf. Mt 2, 13-15). Avec la même foi, elle suivit le Seigneur dans sa prédication et demeura avec lui jusque sur le Golgotha (cf. Jn 19, 25-27). Avec foi Marie goûta les fruits de la résurrection de Jésus et, conservant chaque souvenir dans son cœur (cf. Lc 2, 19.51), elle les transmit aux Douze réunis avec elle au Cénacle pour recevoir l’Esprit Saint (cf. Ac 1, 14; 2, 1-4).

 

Par la foi, les Apôtres laissèrent tout pour suivre le Maître (cf. Mc 10, 28). Ils crurent aux paroles par lesquelles il annonçait le Royaume de Dieu présent et réalisé dans sa personne (cf. Lc 11, 20). Ils vécurent en communion de vie avec Jésus qui les instruisait par son enseignement, leur laissant une nouvelle règle de vie par laquelle ils seraient reconnus comme ses disciples après sa mort (cf. Jn 13, 34-35). Par la foi, ils allèrent dans le monde entier, suivant le mandat de porter l’Évangile à toute créature (cf. Mc 16, 15) et, sans aucune crainte, ils annoncèrent à tous la joie de la résurrection dont ils furent de fidèles témoins. *

 

Par la foi, les disciples formèrent la première communauté regroupée autour de l’enseignement des Apôtres, dans la prière, dans la célébration de l’Eucharistie, mettant en commun tout ce qu’ils possédaient pour subvenir aux besoins des frères (cf. Ac 2, 42-47).

 

Par la foi, les martyrs donnèrent leur vie, pour témoigner de la vérité de l’Évangile qui les avait transformés et rendus capables de parvenir au don le plus grand de l’amour avec le pardon de leurs propres persécuteurs.

 

Par la foi, des hommes et des femmes ont consacré leur vie au Christ, laissant tout pour vivre dans la simplicité évangélique l’obéissance, la pauvreté et la chasteté, signes concrets de l’attente du Seigneur qui ne tarde pas à venir. Par la foi, de nombreux chrétiens ont promu une action en faveur de la justice pour rendre concrète la parole du Seigneur venu annoncer la libération de l’oppression et une année de grâce pour tous (cf. Lc 4, 18-19).

 

Par la foi, au cours des siècles, des hommes et des femmes de tous les âges, dont le nom est inscrit au Livre de vie (cf. Ap 7, 9; 13, 8), ont confessé la beauté de suivre le Seigneur Jésus là où ils étaient appelés à donner le témoignage de leur être chrétiens : dans la famille, dans la profession, dans la vie publique, dans l’exercice des charismes et des ministères auxquels ils furent appelés.

 

Par la foi, nous vivons nous aussi : par la reconnaissance vivante du Seigneur Jésus, présent dans notre existence et dans l’histoire.

 

14. L’Année de la foi sera aussi une occasion propice pour intensifier le témoignage de la charité. Saint Paul rappelle : "Maintenant donc demeurent foi, espérance, charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la charité" (1 Co 13, 13). Avec des paroles encore plus fortes – qui depuis toujours engagent les chrétiens – l’Apôtre Jacques affirmait : "A quoi sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : ‘J’ai la foi’, s’il n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise : ‘Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous’, sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire, on dira : ‘Toi, tu as la foi, et moi, j’ai les œuvres ? Montre-moi ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi’ (Jc 2, 14-18).

 

La foi sans la charité ne porte pas de fruit et la charité sans la foi serait un sentiment à la merci constante du doute. Foi et charité se réclament réciproquement, si bien que l’une permet à l’autre de réaliser son chemin. En effet de nombreux chrétiens consacrent leur vie avec amour à celui qui est seul, marginal ou exclus comme à celui qui est le premier vers qui aller et le plus important à soutenir, parce que justement en lui se reflète le visage même du Christ. Grâce à la foi nous pouvons reconnaître en tous ceux qui demandent notre amour, le visage du Seigneur ressuscité. "Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait" (Mt 25, 40) : ces paroles du Seigneur sont un avertissement à ne pas oublier et une invitation permanente à redonner cet amour par lequel il prend soin de nous. C’est la foi qui permet de reconnaître le Christ et c’est son amour lui-même qui pousse à le secourir chaque fois qu’il se fait notre prochain sur le chemin de la vie. Soutenus par la foi, regardons avec espérance notre engagement dans le monde, en attente "d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelleoù résidera la justice" (2 Pi 3, 13; cf. Ap 21, 1).

 

15. Parvenu désormais au terme de sa vie, l’Apôtre Paul demande à son disciple Timothée de "rechercher la foi" (2 Tm 2, 22) avec la même constance que lorsqu’il était jeune (cf. 2 Tm 3, 15). Entendons cette invitation adressée à chacun de nous, pour que personne ne devienne paresseux dans la foi. Elle est une compagne de vie qui permet de percevoir avec un regard toujours nouveau les merveilles que Dieu réalise pour nous. Engagée à saisir les signes des temps dans l’aujourd’hui de l’histoire, la foi incite chacun de nous à devenir signe vivant de la présence du Ressuscité dans le monde. Ce dont le monde aujourd’hui a particulièrement besoin, c’est du témoignage crédible de tous ceux qui, éclairés dans l’esprit et dans le cœur par la Parole du Seigneur, sont capables d’ouvrir le cœur et l’esprit de beaucoup au désir de Dieu et de la vraie vie, celle qui n’a pas de fin.

 

" Que la Parole du Seigneur accomplisse sa course et soit glorifiée " (2 Th 3, 1) : puisse cette Année de la foi rendre toujours plus solide la relation avec le Christ Seigneur, puisque seulement en lui se trouve la certitude pour regarder vers l’avenir et la garantie d’un amour authentique et durable. Les paroles de l’Apôtre Pierre jettent un dernier rayon de lumière sur la foi : "Vous en tressaillez de joie, bien qu’il vous faille encore quelque temps être affligés par diverses épreuves, afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l’or périssable que l’on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d’honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ. Sans l’avoir vu, vous l’aimez ; sans le voir encore, mais en croyant, vous tressaillez d’une joie indicible et pleine de gloire, sûrs d’obtenir l’objet de votre foi : le salut des âmes" (1 Pi 1, 6-9). La vie des chrétiens connaît l’expérience de la joie et celle de la souffrance. Combien de saints ont vécu la solitude ! Combien de croyants, même de nos jours, sont éprouvés par le silence de Dieu alors qu’ils voudraient écouter sa voix consolante ! Les épreuves de la vie, alors qu’elles permettent de comprendre le mystère de la croix et de participer aux souffrances du Christ (cf. Col 1, 24), sont un prélude à la joie et à l’espérance où conduit la foi : "Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort" (2 Co 12, 10).

 

Nous croyons avec une ferme certitude que le Seigneur Jésus a vaincu le mal et la mort. Avec cette confiance assurée nous nous en remettons à lui : présent au milieu de nous, il vainc le pouvoir du malin (cf. Lc 11, 20) et l’Église, communauté visible de sa miséricorde, subsiste en lui comme signe de la réconciliation définitive avec le Père.

 

Confions à la Mère de Dieu, proclamée "bienheureuse parce qu’elle a cru" (Lc 1, 45), ce temps de grâce.

 

Porta Fidei, Lettre Apostolique, Motu Proprio,11 octobre 2011, Benoît XVI 

 

The Baptism of the Multitude (panel of the south doors), Baptistry, Florence

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