Nous ne voulons plus travailler au spectacle de la fin du monde, mais à la fin du monde du spectacle. Guy Debord
C'est la petite affiche punaisée sur un arbre qui tombe sous les yeux en traversant la place de la République pour gagner le terre plein central, seule partie "occupée" de la place, à vrai dire, celle-ci continuant à vivre sa vie de place de Paris avec sa circulation incessante, ses cafés et restaurants pleins, ses piétons indifférents qui ne font que passer pour aller ailleurs.
Il faut donc gagner ce no man's land improbable au milieu de la place pour découvrir qu'il se passe presque quelque chose dans la zone télévisuelle et photogénique, un petit quart du terre-plein, guère plus, plutôt moins. Bizarrement les participants de ces 'nuits debout' sont tous assis, les sérieux du moins, l'âme de ce mouvement, qui rappelle tant celui des veilleurs, dans la forme, mais pas seulement. La gestuelle est la même, on fait les marionnettes avec les mains pour applaudir silencieusement l'orateur et je ne sais plus trop quoi pour manifester sa désapprobation ou son mécontentement, mais pas le pouce tourné vers le sol, on le regrette presque en entendant certains, et même beaucoup. Pas de fauves non plus dans ce cirque, mais une vraie ménagerie répandue un peu partout ailleurs et qui constitue la majeure partie de la foule qui est venue passer son vendredi soir voir ce qui se passe, moi aussi. De nombreux stands ont été approvisionnés par des camionnettes de banlieues pour désaltérer toute cette foule qui ne semble pas tant assoiffée de beaux discours que de bière festive du genre exterminator à haut degré d'alcool, les caisses s'empilent les unes sur les autres, on juge de leur succès au nombre de canettes vides par terre et posées un peu partout, les poubelles étant déjà pleines des mêmes canettes.
On écoute un peu les discours filandreux et autres interventions plus ou moins compréhensibles dont le principal mérite est d'être courts, le temps de parole étant heureusement limité, la contrepartie étant la lassitude vite engendrée par la multiplication des intervenants dont une des caractéristiques récurrentes est de commencer en disant "je ne vais pas vous parler de moi, je me présente etc..." le temps de se présenter il est temps de laisser la place, ça tombe bien on n'avait pas grand chose à dire dans le meilleur des cas... le pouvoir peut dormir sur ses deux oreilles de dictature socialiste nationale, on a l'impression que tout cela est organisé pour canaliser et désamorcer la colère populaire, une impression de déjà vu comme disent les américains, allons faire le tour de la place qui nous rappelle davantage une cour des miracles du moyen-âge qu'un lieu de manifestation contestataire, une sorte de boîte de nuit en plein air a été installée dans l'autre partie et semble connaître un succès d'agitation plus grand que les différentes 'commissions' assises de la nuit debout, on a fait le tour, le tour de la place, il est temps d'aller se promener dans les rues désertes de Paris qui n'en manque pas, il est nuit, je suis debout, il sera toujours temps de se coucher comme ça finit toujours.