Si l'on tient compte des difficultés que présentait au XIIe siècle l'érection d'un vaste édifice dans la Cité, alors populeuse, encombrée de palais, d'églises et de maisons, à cette époque où l'on ne possédait que peu de moyens de transport, où les engins faisaient défaut, on peut s'émerveiller de l'activité des constructeurs de Notre-Dame.
Commencée en 1163, en 1182 le maître-autel était consacré; en 1196, Maurice de Sully, en mourant, laissait 5,000 livres pour couvrir en plomb la toiture de la partie orientale. Alors le chœur était achevé jusqu'au transsept, la nef était fondée.
Continués sous l'épiscopat d'Eudes de Sully et sous celui de Pierre de Nemours, les travaux, à la mort de Philippe Auguste, en 1223, étaient presque achevés, l'église était entièrement voûtée et la partie supérieure du portail seule restait à terminer.
L'œuvre, interrompue pendant quelques années, reprise en 1230, fut complétée vers 1235, sauf les flèches en pierre, qui devaient couronner les deux tours et dont les amorces restent en attente depuis cette époque. Mais le colosse, achevé, subit bientôt des modifications notables. Il faut savoir qu'à la fin du XIIe siècle et au commencement du XIIIe, les cathédrales que l'on reconstruisit dans les provinces du nord de la France, avec une prodigieuse ardeur, n'étaient pas seulement des édifices religieux. Les ordres monastiques bénédictins, sapés par saint Bernard, penchaient vers leur déclin. Les communes déjà riches secouaient le joug féodal et s'insurgeaient.
Les évêques, dont le pouvoir diocésain, si puissant sous les Mérovingiens et les premiers Carlovingiens, avait été singulièrement amoindri par les établissements monastiques de Cluny, cherchaient à ressaisir ce pouvoir dans toute son étendue ; ils comprirent bientôt l'avantage qu'ils pouvaient tirer des tentatives d'affranchissement des communes, et offrirent à celles-ci d'élever dans les villes épiscopales un monument, qui fût à la fois civil et religieux, refuge de la cité, dans lequel pourraient se rassembler les citoyens, sous la protection épiscopale, fût-ce même pour discuter les affaires de la commune. S'appuyant sur un raisonnement médiocre, mais qui eut un plein succès, l'épiscopat prétendait "que l'Église, en vertu du pouvoir que Dieu lui a donné, devait prendre connaissance de tout ce qui est péché, afin de savoir s'il convient de remettre ou de retenir, de lier ou de délier. Dès lors, comme tout procès résulte d'un crime, d'un délit ou d'une fraude, le clergé soutenait avoir le droit de juger toutes les causes, affaires réelles, personnelles ou mixtes, causes féodales ou criminelles."
Le peuple ne voyait pas d'un mauvais œil ces empiétements sur le pouvoir féodal laïque; il trouvait dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales. Le combat n'y avait jamais été admis; l'appel y était reçu ; on y suivait le droit canonique, qui se rapproche, à beaucoup d'égards, du droit romain ; en un mot, toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on était certain de les obtenir dans ces cours ecclésiastiques.
Eugène-Emmanuel VIOLLET-LE-DUC, Les églises de Paris, NOTRE-DAME, Éditeur : C. Marpon et E. Flammarion, Paris, 1883