Non contente d’offrir au public les fiacres et les voitures qu’on appelait autrefois de régie, la Compagnie générale, appréciant les besoins variés du monde parisien, a créé des voitures dites de grande remise ; ce sont celles qu’on loue à l’année, au mois ou à la journée, sans tarif fixe, à prix débattu. Elle a compris que ce dépôt particulier et tout à fait spécial devait être placé dans un quartier très riche, très fréquenté, en un mot dans le quartier de l’oisiveté et du luxe ; elle a fait construire cet établissement rue Basse-du-Rempart ; il est curieux et unique, je crois, en son genre.
Deux étages d’écuries superposées contiennent environ 260 chevaux carrossiers d’une valeur moyenne de 1 200 francs ; les cloisons des stalles sont mobiles, peuvent se détacher subitement à l’aide d’une simple sauterelle, et permettent ainsi d’éviter les accidents fréquents dans les écuries lorsqu’un cheval trop vif, se défendant, ou mal attaché, enjambe le bat-flanc de son box. Ces écuries immenses, fournies d’eau à chaque extrémité, balayées avec soin, où les cuivres reluisent comme sur un vaisseau de ligne, où le foin abonde, où la litière est haute, n’ont rien à envier aux belles écuries d’Angleterre.
Elles sont alimentées par d’énormes greniers, d’où le foin bottelé s’échappe par un soupirail et d’où l’avoine s’écoule toute vannée à l’aide d’un tuyau ventilé par un double courant d’air. Non loin s’ouvre l’infirmerie, qu’un vétérinaire à demeure visite plusieurs fois par jour. Les deux étages d’écuries aboutissent de plain-pied, par une pente douce, dans une cour de 920 mètres carrés, couverte d’un vitrage, et qu’anime le mouvement des cochers sifflant et chantant. C’est là, en effet, la remise proprement dite et l’atelier de lavage. On n’y ménage pas l’eau, ni le tripoli pour le cuivre, ni le blanc d’Espagne pour le plaqué, ni le cirage pour les harnais. Derrière ce vaste hangar vitré s’arrondit une petite cour, où souffle la forge, où les maréchaux visitent et ferrent les chevaux.
Au premier étage s’étendent les magasins, d’où les voitures sont descendues à l’aide d’un treuil puissant facile à manœuvrer. Dans de larges salles sont langés les carrosses, ainsi qu’on eût dit autrefois : calèches à huit ressorts, berlines, coupés Dorsay, landaus, sont pressés les uns contre les autres, tout luisants de vernis et prêts à aller briller aux Champs Élysées. À côté, la sellerie renferme les harnachements et les chaînes de fer poli. C’est là que l’on vient choisir sa voiture, quand on veut se donner ce luxe sans en avoir l’embarras. On habille le cocher au goût le plus nouveau, on lui fait au besoin une livrée spéciale que l’on peut broder sur chaque couture.
Tout se paye, spécialement la vanité ; sur les panneaux, on peint toutes les armoiries, toutes les couronnes imaginables ; avec quelques écus on se donne facilement l’air d’un prince du saint-empire.
Maxime Du Camp, Les voitures publiques dans la ville de Paris, Revue des Deux Mondes, 1867