Nous rentrâmes au couvent. Mille bruits fâcheux s’étaient déjà répandus sur notre compte : on disait que nous avions été tués
par les Arabes ou par lagca ; on me blâmait d’avoir entrepris ce voyage avec une escorte aussi faible ; chose qu’on rejetait sur le caractère imprudent des Français. Les événements qui suivirent
prouvèrent pourtant que si je n’avais pas pris ce parti et mis à profit les premières heures de mon arrivée à Jérusalem, je n’aurais jamais pu pénétrer jusqu’au Jourdain.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, fin de la troisième partie : Voyage de Rhodes, de Jaffa, de Bethléem et de
la mer Morte
Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
Je m’occupai pendant quelques heures à crayonner des notes sur les lieux que je venais de voir ; manière de vivre que je suivis tout
le temps que je demeurai à Jérusalem, courant le jour et écrivant la nuit. Le Père procureur entra chez moi le 7 octobre de très grand matin ; il m’apprit la suite des démêlés du pacha et du Père
gardien.
Nous convînmes de ce que nous avions à faire. On envoya mes firmans à Abdallah. Il s’emporta, cria, menaça, et finit cependant par
exiger des religieux une somme un peu moins considérable Je regrette bien de ne pouvoir donner la copie d’une lettre écrite par le Père Bonaventure de Nola à M. le général Sebastiani ; je tiens
cette copie du Père Bonaventure lui-même. On y verrait, avec l’histoire du pacha, des choses aussi honorables pour la France que pour M. le général Sebastiani. Mais je ne pourrais publier cette
lettre sans la permission de celui à qui elle est écrite, et malheureusement l’absence du général m’ôte tout moyen d’obtenir cette permission.
Il fallait tout le désir que j’avais d’être utile aux Pères de Terre Sainte pour m’occuper d’autre chose que de visiter le
Saint-Sépulcre. Je sortis du couvent le même jour, à neuf heures du matin, accompagné de deux religieux, d’un drogman, de mon domestique et d’un janissaire. Je me rendis à pied à l’église qui
renferme le tombeau de Jésus-Christ.
Tous les voyageurs ont décrit cette église, la plus vénérable de la terre, soit que l’on pense en philosophe ou en chrétien. Ici
j’éprouve un véritable embarras. Dois-je offrir la peinture exacte des lieux saints ? Mais alors je ne puis que répéter ce qu’on a dit avant moi : jamais sujet ne fut peut-être moins connu des
lecteurs modernes, et jamais sujet ne fut plus complètement épuisé. Dois-je omettre le tableau de ces lieux sacrés ? Mais ne sera-ce pas enlever la partie la plus essentielle de mon voyage et en
faire disparaître ce qui en est et la fin et le but ? Après avoir balancé longtemps, je me suis déterminé à décrire les principales stations de Jérusalem, par les considérations suivantes
:
1.Personne ne lit aujourd’hui les anciens pèlerinages à Jérusalem ; et ce qui est très usé paraîtra vraisemblablement tout
neuf à la plupart des lecteurs ;
2.L’église du Saint-Sépulcre n’existe plus ; elle a été incendiée de fond en comble depuis mon retour de Judée ; je suis, pour
ainsi dire, le dernier voyageur qui l’ait vue, et j’en serai par cette raison même le dernier historien.
Mais comme je n’ai point la prétention de refaire un tableau déjà très bien fait, je profiterai des travaux de mes devanciers,
prenant soin seulement de les éclaircir par des observations.
Parmi ces travaux, j’aurais choisi de préférence ceux des voyageurs protestants, à cause de l’esprit du siècle : nous sommes
toujours prêts à rejeter aujourd’hui ce que nous croyons sortir d’une source trop religieuse. Malheureusement je n’ai rien trouvé de satisfaisant sur le Saint-Sépulcre dans Pococke, Shaw,
Maundrell, Hasselquist et quelques autres.
Les savants et les voyageurs qui ont écrit en latin touchant les antiquités de Jérusalem, tels que Adamannus, Bède, Brocard,
Willibaldus, Breydenbach, Sanut, Ludolphe, Reland, son ouvrage, Palestina ex monumentis veteribus illustrata, est un miracle d’érudition ; Andrichomius, Quaresmius, Baumgarten,
Fureri, Bochart, Arias Montaous, Reuwich, Hese, Cotovic, sa description du Saint-Sépulcre va jusqu’à donner en entier les hymnes que les pèlerins chantaient à chaque station, m’obligeraient à des
traductions qui, en dernier résultat, n’apprendraient rien de nouveau au lecteur ; il y a aussi une description de Jérusalem en arménien, et une autre en grec moderne : j’ai vu la dernière. Les
descriptions très anciennes, comme celles de Sanut, de Ludolphe, de Brocard, de Breydenbach, de Willibaldus ou Guillebaud, d’Adamannus ou plutôt d’Arculfe et du vénérable Bède, sont curieuses,
parce qu’en les lisant on peut juger des changements survenus depuis à l’église du Saint-Sépulcre, mais elles seraient inutiles quant au monument moderne.
Je m’en suis donc tenu aux voyageurs français - De Vera, en espagnol, est très concis, et pourtant très clair. Zuallardo, en
italien, est confus et vague ; Pierre de La Vallée est charmant, à cause de la grâce particulière de son style et de ses singulières aventures, mais il ne fait point autorité- et parmi ces
derniers j’ai préféré la description du Saint-Sépulcre par Deshayes ; voici pourquoi :
Belon (1550), assez célèbre d’ailleurs comme naturaliste, dit à peine un mot du Saint-Sépulcre : son style en outre a trop vieilli.
D’autres auteurs, plus anciens encore que lui, ou ses contemporains, tels que Cachernois (1490), Regnault (1522), Salignac (1522), le Huen (1525), Gassot (1536), Renaud (1548), Postel (1553),
Giraudet (1575), se servent également d’une langue trop éloignée de celle que nous parlons ; quelques-uns de ces auteurs ont écrit en latin, mais on a d’anciennes versions françaises de
leurs ouvrages.
Villamont (1588) se noie dans les détails, et il n’a ni méthode ni critique. Le Père Boucher (1610) est si pieusement exagéré, qu’il
est impossible de le citer. Bernard (1616) écrit avec assez de sagesse, quoiqu’il n’eût que vingt ans à l’époque de son voyage ; mais il est diffus, plat et obscur. Le Père Pacifique (1622) est
vulgaire, et sa narration est trop abrégée Monconys (1647) ne s’occupe que de recettes de médecine. Doubdan (1651) est clair, savant, très digne d’être consulté, mais long et sujet à s’appesantir
sur les petites choses. Le frère Roger (1653), attaché pendant cinq années au service des lieux saints, a de la science, de la critique, un style vif et animé : sa description du Saint-Sépulcre
est trop longue ; c’est ce qui me l’a fait exclure. Thévenot (1656), un de nos voyageurs les plus connus, a parfaitement parlé de l’église de Saint-Sauveur, et j’engage les lecteurs à consulter
son ouvrage ( Voyage au Levant, chap. XXXIX) ; mais il ne s’éloigne guère de Deshayes : Le Père Nau, jésuite (1674), joignit à la connaissance des langues de l’Orient l’avantage
d’accomplir le voyage de Jérusalem avec le marquis de Nointel, notre ambassadeur à Constantinople, et le même à qui nous devons les premiers dessins d’Athènes : c’est bien dommage que le savant
jésuite soit d’une intolérable prolixité. La lettre du Père Néret, dans les Lettres édifiantes, est excellente de tous points, mais elle omet trop de choses. J’en dis autant de du Loiret
de La Roque (1687). Quant aux voyageurs tout à fait modernes, Muller, Vanzow, Korte Bscheider, Mariti, Volney, Niebuhr, Brown, ils se taisent presque entièrement sur les saints lieux.
Deshayes (1621), envoyé par Louis XIII en Palestine, m’a donc paru mériter qu’on s’attachât à son récit :
1.Parce que les Turcs s’empressèrent de montrer eux-mêmes Jérusalem à cet ambassadeur, et qu’il serait entré jusque dans la
mosquée du temple s’il l’avait voulu ;
2.Parce qu’il est si clair et si précis dans le style, un peu vieilli, de son secrétaire, que Paul Lucas l’a copié mot à mot,
sans avertir du plagiat, selon sa coutume ;
3.Parce que d’Anville, et c’est la raison péremptoire, a pris la carte de Deshayes pour l’objet d’une dissertation qui est
peut-être le chef-d’œuvre de notre célèbre géographe ; c’était l’opinion du savant M. de Sainte-Croix. La dissertation de d’Anville porte le nom de Dissertation sur l’étendue de
l’ancienne Jérusalem. Deshayes va nous donner ainsi le matériel de l’église du Saint-Sépulcre j’y joindrai ensuite mes observations ; je n’ai point rejeté dans les notes cette
longue citation de Deshayes, parce qu’elle est trop importante et que son déplacement rendrait ensuite inintelligible ce que je dis moi-même de l’église du Saint-Sépulcre :
" Le Saint-Sépulcre et la plupart des saints lieux sont servis par des religieux cordeliers, qui y sont envoyés de trois ans en
trois ans ; et encore qu’il y en ait de toutes nations, ils passent néanmoins tous pour Français, ou pour Vénitiens, et ne subsistent que parce qu’ils sont tous sous la protection du roi. Il y a
près de soixante ans qu’ils demeuraient hors la ville, sur le mont de Sion, au même lieu où Notre-Seigneur fit la Cène avec ses apôtres ; mais leur église ayant été convertie en mosquée, ils ont
toujours depuis demeuré dans la ville sur le mont Gion, où est leur couvent, que l’on appelle Saint-Sauveur. C’est où leur gardien demeure avec le corps de la famille, qui pourvoit de religieux
en tous les lieux de la Terre Sainte où il est besoin qu’il y en ait. L’église du Saint-Sépulcre n’est éloignée de ce couvent que de deux cents pas. Elle comprend le Saint-Sépulcre, le mont
Calvaire et plusieurs autres lieux saints.
" Ce fut sainte Hélène qui en fit bâtir une partie pour couvrir le Saint-Sépulcre ; mais les princes chrétiens qui vinrent après la
firent augmenter pour y comprendre le mont Calvaire, qui n’est qu’à cinquante pas du Saint-Sépulcre. Anciennement le mont Calvaire était hors de la ville, ainsi que je l’ai déjà dit ;
c’était le lieu où l’on exécutait les criminels condamnés à mort ; et afin que tout le peuple y pût assister, il y avait une grande place entre le mont et la muraille de la ville. Le reste du
mont était environné de jardins, dont l’un appartenait à Joseph d’Arimathie, disciple secret de Jésus-Christ, où il avait fait faire un sépulcre pour lui, dans lequel fut mis le corps de
Notre-Seigneur La coutume parmi les Juifs n’était pas d’enterrer les corps comme nous faisons en chrétienté. Chacun, selon ses moyens, faisait pratiquer dans quelque roche une forme de petit
cabinet où l’on mettait le corps, que l’on étendait sur une table du rocher même ; et puis on refermait ce lieu avec une pierre que l’on mettait devant la porte, qui n’avait d’ordinaire que
quatre pieds de haut.
" L’église du Saint-Sépulcre est fort irrégulière ; car l’on s’est assujetti aux lieux que l’on voulait enfermer dedans. Elle est à
peu près faite en croix, ayant six-vingts pas de long, sans compter la descente de l’Invention de la sainte Croix, et soixante et dix de large. Il y a trois dômes, dont celui qui couvre le
Saint-Sépulcre sert de nef à l’église. Il a trente pas de diamètre, et est ouvert par en haut comme la rotonde de Rome. Il est vrai qu’il n’y a point de voûte ; la couverture en est soutenue
seulement par de grands chevrons de cèdre, qui ont été apportés du mont Liban. L’on entrait autrefois en cette église par trois portes, mais aujourd’hui il n’y en a plus qu’une, dont les Turcs
gardent soigneusement les clefs, de crainte que les pèlerins n’y entrent sans payer les neuf sequins, ou trente-six livres, à quoi ils sont taxés ; j’entends ceux qui viennent de chrétienté, car
pour les chrétiens sujets du grand seigneur, ils n’en payent pas la moitié. Cette porte est toujours fermée, et il n’y a qu’une petite fenêtre traversée d’un barreau de fer, par où ceux de dehors
donnent des vivres à ceux qui sont dedans, lesquels sont de huit nations différentes.
" La première est celle des Latins ou Romains, que représentent les religieux cordeliers. Ils gardent le Saint-Sépulcre ; le lieu du
mont Calvaire où Notre-Seigneur fut attaché à la croix ; l’endroit où la sainte Croix fut trouvée ; la pierre de l’onction, et la chapelle où Notre-Seigneur apparut à la Vierge après sa
résurrection.
" La seconde nation est celle des Grecs, qui ont le chœur de l’église, où ils officient, au milieu duquel il y a un petit cercle de
marbre, dont ils estiment que le centre soit le milieu de la terre.
" La troisième nation est celle des Abyssins ; ils tiennent la chapelle où est la colonne d’Impropere.
" La quatrième nation est celle des Cophtes, qui sont les chrétiens d’Égypte ; ils ont un petit oratoire proche du
Saint-Sépulcre.
" La cinquième est celle des Arméniens ; ils ont la chapelle de Sainte-Hélène, et celle où les habits de Notre-Seigneur furent
partagés et joués.
" La sixième nation est celle des Nestoriens ou Jacobites, qui sont venus de Chaldée et de Syrie ; ils ont une petite chapelle
proche du lieu où Notre-Seigneur apparut à la Madeleine, en forme de jardinier, qui pour cela est appelée la Chapelle de la Madeleine.
" La septième nation est celle des Géorgiens, qui habitent entre la mer Majeure et la mer Caspienne ; ils tiennent le lieu du mont
Calvaire où fut dressée la Croix, et la prison où demeura Notre-Seigneur, en attendant que l’on eût fait le trou pour la placer.
" La huitième nation est celle des Maronites, qui habitent le mont Liban ; ils reconnaissent le pape comme nous faisons.
" Chaque nation, outre ces lieux, que tous ceux qui sont dedans peuvent visiter, a encore quelque endroit particulier dans les
voûtes et dans les coins de cette église qui lui sert de retraite, et où elle fait l’office selon son usage : car les prêtres et religieux qui y entrent demeurent d’ordinaire deux mois sans en
sortir, jusqu’à ce que du couvent qu’ils ont dans la ville l’on y en envoie d’autres pour servir en leur place. Il serait malaisé d’y demeurer longuement sans être malade, parce qu’il y a fort
peu d’air, et que les voûtes et les murailles rendent une fraîcheur assez malsaine ; néanmoins nous y trouvâmes un bon ermite, qui a pris l’habit de Saint-François, qui y a demeuré vingt ans sans
en sortir, encore qu’il y ait tellement à
travailler, pour entretenir deux cents lampes et pour nettoyer et parer tous les lieux saints, qu’il ne saurait reposer plus
de quatre heures par jour.
" En entrant dans l’église, on rencontre la pierre de l’ onction, sur laquelle le corps de Notre-Seigneur fut oint de myrrhe et
d’aloès avant que d’être mis dans le sépulcre. Quelques-uns disent qu’elle est du même rocher du mont Calvaire, et les autres tiennent qu’elle fut apportée dans ce lieu par Joseph et Nicodème,
disciples secrets de Jésus-Christ, qui lui rendirent ce pieux office, et qu’elles tire sur le vert. Quoi qu’il en soit, à cause de l’indiscrétion de quelques pèlerins qui la rompaient, l’on a été
contraint de la couvrir de marbre blanc et de l’entourer d’un petit balustre de fer, de peur que l’on ne marche dessus. Elle a huit pieds moins trois pouces de long, et deux pieds moins un pouce
de large, et au-dessus il y a huit lampes qui brûlent continuellement.
" Le Saint-Sépulcre est à trente pas de cette pierre, justement au milieu du grand dôme dont j’ai parlé : c’est comme un petit
cabinet qui a été creusé et pratiqué dans une roche vive, à la pointe du ciseau. La porte qui regarde l’orient n’a que quatre pieds de haut et deux et un quart de large, de sorte qu’il se faut
grandement baisser pour y entrer. Le dedans du sépulcre est presque carré. Il a six pieds moins un pouce de long, et six pieds moins deux pouces de large ; et depuis le bas jusqu’à la voûte, huit
pieds un pouce. Il y a une table solide de la même pierre qui fut laissée en creusant le reste. Elle a deux pieds quatre pouces et demi de haut, et contient la moitié du sépulcre, car elle a six
pieds moins un pouce de long, et deux pieds deux tiers et demi de large. Ce fut sur cette table que le corps de Notre-Seigneur fut mis, ayant la tête vers l’occident et les pieds à l’orient :
mais, à cause de la superstitieuse dévotion des Orientaux, qui croient qu’ayant laissé leurs cheveux sur cette pierre, Dieu ne les abandonnerait jamais, et aussi parce que les pèlerins en
rompaient des morceaux, l’on a été contraint de la couvrir de marbre blanc sur lequel on célèbre aujourd’hui la messe : il y a continuellement quarante-quatre lampes qui brûlent dans ce saint
lieu ; et afin d’on faire exhaler la fumée, l’on a fait trois trous à la voûte. Le dehors du sépulcre est aussi revêtu de tables de marbre et de plusieurs colonnes, avec un dôme au-dessus.
" A l’entrée de la porte du sépulcre, il y a une pierre d’un pied et demi en carré, et relevée d’un pied, qui est du même roc,
laquelle servait pour appuyer la grosse pierre qui bouchait la porte du sépulcre ; c’était sur cette pierre qu’était l’ange lorsqu’il parla aux Marie ; et tant à cause de ce mystère que pour ne
pas entrer d’abord dans le Saint-Sépulcre, les premiers chrétiens firent une petite chapelle au devant, qui est appelée la Chapelle de l’Ange.
" A douze pas du Saint-Sépulcre, en tirant vers le septentrion, l’on rencontre une grande pierre de marbre gris, qui peut avoir
quatre pieds de diamètre, que l’on a mise là pour marquer le lieu où Notre-Seigneur se fit voir à la Madeleine, en forme de jardinier.
" Plus avant est la chapelle de l’Apparition, où l’on tient par tradition que Notre-Seigneur apparut premièrement à la Vierge, après
sa résurrection. C’est le lieu où les religieux cordeliers font leur office, et où ils se retirent : car de là ils entrent en des chambres qui n’ont point d’autre issue que par cette
chapelle.
" Continuant à faire le tour de l’église, l’on trouve une petite chapelle voûtée, qui a sept pieds de long et six de large, que l’on
appelle autrement la Prison de Notre-Seigneur, parce qu’il fut mis dans ce lieu en attendant que l’on eût fait le trou pour planter la croix. Cette chapelle est à l’opposite du mont Calvaire ; de
sorte que ces deux lieux sont comme la croisée de l’église, car le mont est au midi et la chapelle au septentrion.
" Assez proche de là est une autre chapelle, de cinq pas de long et de trois de large, qui est au même lieu où Notre-Seigneur fut
dépouillé par les soldats avant que d’être attaché à la croix, et où ses vêtements furent joués et partagés.
" En sortant de cette chapelle, on rencontre à main gauche un grand escalier, qui perce la muraille de l’église pour descendre dans
une espèce de cave qui est creusée dans le roc. Après avoir descendu trente marches, il y a une chapelle, à main gauche, que l’on appelle vulgairement la Chapelle Sainte-Hélène, à cause qu’elle
était là en prière pendant qu’elle faisait chercher la sainte Croix. L’on descend encore onze marches jusqu’à l’endroit où elle fut trouvée avec les clous, la couronne d’épine et le fer de la
lance, qui avaient été cachés en ce lieu plus de trois cents ans.
" Proche du haut de ce degré, en tirant vers le mont Calvaire, est une chapelle qui a quatre pas de long et deux et demi de large,
sous l’autel de laquelle l’on voit une colonne de martre gris, marqueté de taches noires, qui a deux pieds de haut et un de diamètre. Elle est appelée la colonne d’Impropere, parce que l’on y fit
asseoir Notre-Seigneur pour le couronner d’épines.
" L’on rencontre à dix pas de cette chapelle un petit degré fort étroit, dont les marches sont de bois au commencement et de pierre
à la fin. Il y en a vingt en tout, par lesquelles on va sur le mont Calvaire. Ce lieu, qui était autrefois si ignominieux, ayant été sanctifié par le sang de Notre-Seigneur, les premiers
chrétiens en eurent un soin particulier ; et, après avoir ôté toutes les immondices et toute la terre qui était dessus, ils l’enfermèrent de murailles de sorte que c’est à présent comme une
chapelle haute, qui est enclose dans cette grande église. Elle est revêtue de marbre par dedans, et séparée en deux par une arcade. Ce qui est vers le septentrion est l’endroit où Notre-Seigneur
fut attaché à la croix. Il y a toujours trente-deux lampes ardentes qui sont entretenues par les cordeliers, qui célèbrent aussi tous les jours la messe en ce saint lieu.
" En l’autre partie, qui est au midi, fut plantée la sainte Croix. On voit encore le trou qui est creusé dans le roc environ un pied
et demi, outre la terre qui était dessus. Le lieu où étaient les croix des deux larrons est proche de là. Celle du bon larron était au septentrion et l’autre au midi ; de manière que le premier
était à la main droite de Notre-Seigneur, qui avait la face tournée vers l’occident, et le dos du coté de Jérusalem, qui était à l’orient. Il y a continuellement cinquante lampes ardentes pour
honorer ce saint lieu.
" Au-dessous de cette chapelle sont les sépultures de Godefroy de Bouillon et de Baudouin son frère, où on lit ces inscriptions :
Hic jacet inclytus dux Godefridus de Bulion, qui totam istam terram acquisivit cultui christiano, cujus anima regnet cum Christo, Amen. Rex Balduinus, Judas alter Machabeus, Spes patriae, vigor
Ecclesiae, virtus utriusque, Quem formidabant, cui dona tributa ferebant Cedar et Aegyptus, Dan ac homicida Damascus, Proh dolor ! in modico clauditur hoc tumulo.
" Le mont de Calvaire est la dernière station de l’église du Saint-Sépulcre ; car à vingt pas de là l’on rencontre la pierre de
l’onction, qui est justement à l’entrée de l’église."
Deshayes ayant ainsi décrit par ordre les stations de tant de lieux vénérables, il ne me reste à présent qu’à montrer l’ensemble de
ces lieux aux lecteurs.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
JERUSALEM, Gravure d'Armytage, 1840
" Je m’occupai pendant quelques heures à crayonner des notes sur
les lieux que je venais de voir ; manière de vivre que je suivis tout le temps que je demeurai à Jérusalem, courant le jour et écrivant la nuit."