« Mon Père est toujours à l’œuvre, et moi aussi, je suis à l’œuvre. »
ÉVANGILE DE SAINT JEAN
mercredi de la quatrième semaine
Par rapport au monde, il n'y a point de mérite que le temps n'efface.
Tout ce que nous faisons pour Dieu, du moment que nous l'avons fait, est écrit dans le livre de vie, mais avec des caractères qui ne s'effaceront jamais. Les hommes, non seulement oublient, mais souvent sont bien aises d'oublier les services qu'on leur rend ; et Dieu nous déclare lui-même que tous nos services sont comme scellés dans les trésors de sa miséricorde : Nonne hœc condita sunt apud me, et signata in thesauris meis (Deut., XXXII, 34.). Il nous dit en termes exprès que nos sacrifices sont toujours devant ses yeux : Holocausta autem tua in conspectu meo sunt semper (Psal., XLIX, 8.) ; que nos prières et nos aumônes montent jusques à lui, et qu'elles sont toujours présentes à sa mémoire : Orationes tuœ et elecmosynœ ascenderunt in memoriam in conspectu Dei (Ad., X, 4.). Il se fait même comme un honneur de s'en souvenir, et il ne peut non plus les oublier qu'il peut oublier qu'il est notre Dieu, et que nous sommes ses créatures.
Tout cela, Chrétiens, le croyons-nous ?
Mais, si nous ne le croyons pas, nous ne connaissons pas le maître que nous servons ; ou, si nous le croyons, comment sommes-nous si tièdes et si négligents dans son service ?
Ajoutez, pour goûter encore davantage le bonheur des Justes, ce que j'ai marqué comme le second principe de la disgrâce des mondains et de l'incertitude de leurs récompenses : des mérites, quoique connus, qui ne plaisent pas. Qu'y a-t-il dans le monde de plus ordinaire ? et combien par là ne voit-on pas parmi les hommes de mérites malheureux, de mérites rebutés, et, si j'ose ainsi dire, réprouvés : de mérites qui, par l'aliénation des cœurs, ou par la contrariété des intérêts, bien loin d'attirer la bienveillance et l'amour, excitent plutôt la jalousie et la haine ? C'est à quoi ne sont point sujets ceux qui travaillent à acquérir des mérites auprès de Dieu. Comme Dieu hait nécessairement le péché, et que, tout Dieu qu'il est, il ne peut pas ne le point haïr, et en le haïssant ne le point réprouver ; aussi, tout Dieu qu'il est, ne peut-il pas ne point aimer le mérite des œuvres chrétiennes, et en l'aimant ne le point couronner et ne le point glorifier.
Il y a dans les élus de Dieu différentes espèces de sainteté ; mais il n'y en a pas une, dit saint Chrysostome, qui ne soit du goût de Dieu, qui ne soit l'objet des complaisances de Dieu, parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit une émanation de cette sainteté originale et exemplaire, qui est Dieu ; parce qu'il n'y en a pas une qui ne soit l'ouvrage de Dieu et le don de Dieu. Avoir du mérite ou en avoir trop, c'est souvent dans le monde une exclusion pour les emplois et pour les places, qui y tiennent lieu de récompenses. Devant Dieu, plus on a de mérite, plus on est aimé. Or, être aimé d'un Dieu dont l'amour fait les bienheureux, les prédestinés, les Saints, c'est être déjà récompensé.
BOURDALOUE, TOUS LES SAINTS ; SUR LA RÉCOMPENSE DES SAINTS