La même Providence divine qui n'a pas permis que l'Eglise fût privée de la consolation de fêter quelques-uns des Apôtres qui ont
annoncé la venue du Verbe aux Gentils, a voulu aussi qu'à la même époque, les saints Docteurs qui ont défendu la vraie Foi contre les hérétiques, fussent pareillement représentés dans cette
importante fraction du Cycle catholique. Deux d'entre eux, saint Ambroise et saint Pierre Chrysologue, resplendissent au ciel de la sainte Eglise comme deux astres éclatants. Il est digne de
remarque que tous deux ont été les vengeurs du Fils de Dieu que nous attendons. Le premier a vaillamment combattu les Ariens, dont le dogme impie voudrait faire du Christ, objet de nos
espérances, une créature et non un Dieu ; le second s'est opposé à Eutychés, dont le système sacrilège détruit toute la gloire de l'Incarnation du Fils de Dieu, osant enseigner que, dans ce
mystère, la nature humaine a été absorbée par la divinité.
C'est ce second Docteur, le pieux Pontife de Ravenne, que nous honorons aujourd'hui. Son éloquence
pastorale lui acquit une haute réputation, et il nous est resté un grand nombre de ses Sermons. On y recueille une foule de traits de la plus exquise beauté, bien qu'on y sente quelquefois la
décadence de la littérature au Ve siècle. Le mystère de l'Incarnation y est souvent traité, et toujours avec une précision et un enthousiasme qui révèlent la science et la piété du saint évêque.
Son admiration et son amour envers Marie Mère de Dieu qui avait, en ce siècle, triomphé de ses ennemis par le décret du concile d'Éphèse, lui inspirent les plus beaux mouvements et les plus
heureuses pensées. Nous citerons quelques lignes sur l'Annonciation :
" A la Vierge Dieu envoie un messager ailé. C'est lui qui sera le porteur de la grâce ; il présentera les arrhes et en recevra
le retour. C'est a lui qui rapportera la foi donnée, et qui, après avoir conféré la récompense à une si haute vertu, remontera en hâte porteur de la promesse virginale. L'ardent messager s'élance
d'un vol rapide vers la Vierge ; il vient suspendre les droits de l'union humaine ; sans enlever la Vierge à Joseph, il la restitue au Christ à qui elle fut fiancée dès l'instant même où elle
était créée. C'est donc son épouse que le Christ reprend, et non celle d'un autre ; ce n'est pas une séparation qu'il opère, c'est lui qui se donne à sa créature en s'incarnant en elle.
" Mais écoutons ce que le récit nous raconte de l'Ange. Etant entré près d'elle, il lui dit : Salut, ô pleine de grâce !
le Seigneur est avec vous. De telles paroles annoncent déjà le don céleste ; elles n'expriment pas un salut ordinaire. Salut ! c'est-à-dire : recevez la grâce, ne tremblez pas, ne songez
pas à la nature. Pleine de grâce, c'est-à-dire : en d'autres réside la grâce, mais en vous résidera la plénitude de la grâce. Le Seigneur est avec vous : qu'est-ce à dire ? sinon que le
Seigneur n'entend pas seulement vous visiter, mais qu'il descend en vous, pour naître de vous par un mystère tout nouveau. L'Ange ajoute : Vous êtes bénie entre toutes les femmes : pourquoi ?
parce que celles dont Eve la maudite déchirait les entrailles, ont maintenant Marie la bénie qui se réjouit en elles, qui les honore , qui devient leur type. Eve, par la nature, n'était plus que
la mère des mourants ; Marie devient, par la grâce, la mère des vivants."
Dans le discours suivant, le saint Docteur nous enseigne avec quelle profonde vénération nous devons contempler Marie en ces
jours où Dieu réside encore en elle. Quand il s'agit, dit-il, de l'appartement intime du roi, de quel mystère, de quelle révérence, de quels profonds égards ce lieu n'est-il pas entouré ?
L'accès en est interdit à tout étranger, à tout immonde, à tout infidèle. Les usages des cours disent assez combien doivent être dignes et fidèles les services que l'on y rend ; l'homme vil,
l'homme indigne seraient-ils soufferts à se rencontrer seulement aux portes du palais ? Lors donc qu'il s'agit du sanctuaire secret de l'Epoux divin, qui pourrait être admis, s'il n'est
intime, si sa conscience n'est pure, si sa renommée n'est honorable, si sa vie n'est vertueuse ? Dans cet asile sacré, où un Dieu possède la Vierge, la virginité sans tache a seule le droit de
pénétrer. Vois donc, ô homme, ce que tu as, ce que tu peux valoir, et demande-toi si tu pourrais sonder le mystère de l'Incarnation du Seigneur, si tu as mérité d'approcher de l'auguste asile où
repose encore en ce moment la majesté tout entière du Roi suprême, de la Divinité en personne."
Mais il nous faut étudier l'éloquent Docteur dans le récit que la sainte Eglise nous fait de ses oeuvres saintes :
Pierre, surnommé Chrysologue, pour l'or de son éloquence, naquit à Forum Cornelii, dans l'Emilie, de parents honnêtes. Dès
l'enfance, tournant son esprit vers la religion, il s'attacha à l'Evêque de cette ville, Cornelius, romain, qui le forma rapidement à la science et à la sainteté de la vie, et l'ordonna Diacre.
Peu après, l'Archevêque de Ravenne étant mort, comme les habitants de cette ville envoyèrent, selon l'usage, à Rome, le successeur qu'ils avaient élu solliciter du saint
Pape Sixte III la confirmation de cette élection, Cornélius se joignit aux députés de Ravenne, et emmena avec lui son diacre. Cependant l'Apôtre saint Pierre et le Martyr saint
Apollinaire apparurent en songe au Pontife romain, ayant au milieu d'eux un jeune lévite, et lui ordonnant de ne pas placer un autre que lui sur le siège archiépiscopal de Ravenne. Le Pontife
n'eut pas plus tôt vu Pierre, qu'il reconnut en lui l'élu du Seigneur. Rejetant donc celui qu'on lui présentait, il promut, l'an de Jésus-Christ 433, le jeune lévite au gouvernement de cette
Eglise métropolitaine. Les députés de Ravenne, offensés d'abord, ayant appris la vision, se soumirent sans peine à la volonté divine et acceptèrent avec le plus grand respect le nouvel
Archevêque.
Ainsi consacré Archevêque contre son gré, Pierre fut conduit à Ravenne où l'empereur Valentinien, Galla Placidia sa mère, et
tout le peuple, l'accueillirent avec les plus grandes réjouissances. Pour lui, il déclara qu'ayant consenti à porter un si lourd fardeau pour leur salut, il n'exigeait d'eux, en compensation,
qu'une seule chose, qui était de les voir obéir à ses avis avec zèle, et ne pas résister aux préceptes du Seigneur. Il ensevelit, après les avoir embaumés des parfums les plus excellents, les
corps de deux saints morts en cette ville, le prêtre Barbatien, et aussi Germain, évêque d'Auxerre, dont il retint comme héritage la cuculle et le cilice. Il ordonna Evêques Projectus et
Marcellin. Il fit creuser à Classe une fontaine d'une merveilleuse grandeur, et il bâtit quelques églises magnifiques au bienheureux Apôtre André et à d'autres saints. On célébrait, aux calendes
de janvier, des jeux, accompagnés de représentations théâtrales et de danses, il les abolit par la force de ses exhortations. Il dit alors entre autres choses remarquables : "Qui veut
rire avec le diable, ne se réjouira pas avec le Christ". Par l'ordre de saint Léon le Grand, il écrivit au Concile de Chalcédoine contre l'hérésie d'Eutychès, et adressa à l'hérésiarque lui-même
une autre lettre qu'on a jointe aux Actes du Concile dans les dernières éditions, et qui est consignée dans les Annales Ecclésiastiques.
Dans ses homélies à son peuple, son éloquence était si véhémente, que parfois la parole lui manquait dans l'ardeur de sa
prédication, comme il arriva à son sermon sur l'Hémorrhoïsse ; et il y eut dans l'assemblée émue tant de larmes, d'acclamations et de ferventes prières, que, depuis, le Saint rendait grâces à
Dieu de ce que l'interruption de son discours eût tourné au profit de la charité. Il gouvernait très saintement cette Eglise, depuis environ dix-huit ans, lorsqu'ayant connu, par une lumière
divine, que la fin de ses travaux approchait, il passa dans sa ville natale, se rendit à l'église de Saint-Cassien, et déposa sur le grand autel, en offrande, un grand diadème d'or enrichi de
pierres précieuses, une coupe également d'or, et une patène d'argent qui donne à l'eau qu'on y répand, comme on l'a souvent éprouvé, la vertu de guérir les morsures de la rage et de calmer la
fièvre. Cependant il renvoya à Ravenne ceux qui l'avaient suivi, en leur recommandant de veiller attentivement au choix d'un excellent pasteur. Puis, adressant d'humbles prières à Dieu, priant
saint Cassien, son protecteur, de recevoir avec bonté son âme, il trépassa doucement, vers l'an 450, le trois des nones de décembre. Son corps, qui fut enseveli avec pompe, au milieu des larmes
et des prières de toute la ville, auprès de celui du même saint Cassien, y est encore de nos jours religieusement vénéré. L'un de ses bras, enchâssé dans l'or et les pierreries, a été transporté
à Ravenne, où on l'honore dans la basilique Ursicane.
Saint Pontife, dont la bouche d'or s'est ouverte dans l'assemblée des fidèles, pour faire connaître Jésus-Christ, daignez
considérer d'un œil paternel le peuple chrétien qui veille dans l'attente de cet Homme-Dieu dont vous avez si hautement confessé la double nature. Obtenez-nous la grâce de le recevoir avec le
souverain respect dû à un Dieu qui descend vers sa créature, et avec la tendre confiance que l'on doit à un frère qui vient s'offrir en sacrifice pour ses frères indignes.
Fortifiez notre foi, ô très saint Docteur ! car l'amour qu'il nous faut procède de la foi. Détruisez les hérésies qui dévastent
le champ du Père de famille ; confondez surtout l'odieux Panthéisme, dont l'erreur d'Eutychès est une des plus funestes semences. Eteignez-le enfin dans ces nombreuses chrétientés d'Orient qui ne
connaissent l'ineffable mystère de l'Incarnation que pour le blasphémer, et poursuivez aussi parmi nous ce système monstrueux qui, sous une forme plus repoussante encore, menace de tout dévorer.
Inspirez aux fidèles enfants de l'Eglise cette parfaite obéissance aux jugements du Siège Apostolique, dont vous donniez à l'hérésiarque Eutychès, dans votre immortelle Epître, une si belle et si
utile leçon, quand vous lui disiez : "Sur toutes choses, nous vous exhortons, honorable frère, de recevoir avec obéissance les choses qui ont été écrites par le bienheureux Pape de la ville
de Rome ; car saint Pierre, qui vit et préside toujours sur son propre Siège, y manifeste la vérité de la foi à tous ceux qui la lui demandent. "
DOM GUÉRANGER
L'Année Liturgique
Saint Pierre Chrysologue, Estampe, Album Louis-Philippe, Musée de Versailles,
Réunion des musées nationaux