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"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.

 

Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.

 

Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."

 

Evangile de Jésus-Christ selon  saint Jean 

   

 

Pentecôte

" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean  

 

   

 

 El Papa es argentino. Jorge Bergoglio                 

Saint Père François

 

 

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1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II

Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II

 

 

  Béatification du Père Popieluszko

beatification Mass, in Warsaw, Poland

à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ

 

 

presidential palace in Warsaw

Varsovie 2010

 

 

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde Divine

La miséricorde de Dieu est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
 

 


Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de l’amour.
Père Marie-Joseph Le Guillou




Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.

Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.


Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)



Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant Jésus

 



feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre

 

 

 

 

 

 

 

     

The Cambrai Madonna

Notre Dame de Grâce

Cathédrale de Cambrai

 

 

 

Cathédrale Notre Dame de Paris 

   

Ordinations du samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris


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Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de Paris


NOTRE DAME DES VICTOIRES

Notre-Dame des Victoires




... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !

 

 

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SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ

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BENOÎT XVI à CHYPRE 

 

Benedict XVI and Cypriot Archbishop Chrysostomos, Church of 

Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010

 

     

 

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Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem




 






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SALVE REGINA

31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 08:00

L’Incarnation nous présente le Souverain des cieux dans une bergerie, celui qui lance la foudre, entouré de bandelettes de lin, celui que l’univers ne peut contenir, renfermé dans le sein d’une femme.

 

L’antiquité eût bien su tirer parti de cette merveille. Quels tableaux Homère et Virgile ne nous auraient-ils pas laissés de la nativité d’un Dieu dans une crèche, des pasteurs accourus au berceau, des mages conduits par une étoile, des anges descendant dans le désert, d’une vierge mère adorant son nouveau-né, et de tout ce mélange d’innocence, d’enchantement et de grandeur !

 

En laissant à part ce que nos mystères ont de direct et de sacré, on pourrait retrouver encore sous leurs voiles les vérités les plus ravissantes de la nature. Ces secrets du ciel, sans parler de leur partie mystique, sont peut-être le type des lois morales et physiques du monde : cela serait très digne de la gloire de Dieu, et l’on entreverrait alors pourquoi il lui a plu de se manifester dans ces mystères, de préférence à tout autre qu’il eût pu choisir. Jésus-Christ (par exemple, ou le monde moral) prenant naissance dans le sein d’une vierge nous enseignerait le prodige de la création physique, et nous montrerait l’univers se formant dans le sein de l’amour céleste. Les paraboles et les figures de ces mystères seraient ensuite gravées dans chaque objet autour de nous. Partout en effet la force naît de la grâce : le fleuve sort de la fontaine ; le lion est d’abord nourri d’un lait pareil à celui que suce l’agneau ; et parmi les hommes, le Tout-Puissant a promis la gloire du ciel à ceux qui pratiquent les plus humbles vertus.

 

Ceux qui ne découvrirent dans la chaste Reine des anges que des mystères d’obscurité sont bien à plaindre. Il nous semble qu’on pourrait dire quelque chose d’assez touchant sur cette femme mortelle devenue une mère immortelle d’un Dieu rédempteur, sur cette Marie à la fois vierge et mère, les deux états les plus divins de la femme, sur cette jeune fille de l’antique Jacob, qui vient au secours des misères humaines et sacrifie un fils pour sauver la race de ses pères. Cette tendre médiatrice entre nous et l’Eternel ouvre avec la douce vertu de son sexe un cœur plein de pitié à nos tristes confidences, et désarme un Dieu irrité : dogme enchanté, qui adoucit la terreur d’un Dieu en interposant la beauté entre notre néant et la majesté divine !

 

Les cantiques de l’Église nous peignent la bienheureuse Marie assise sur un trône de candeur, plus éclatant que la neige ; elle brille sur ce trône comme une rose mystérieuse, Rosa mystica, ou comme l’étoile du matin, précurseur du soleil de la grâce, Stella matutina ; les plus beaux anges la servent, les harpes et les voix célestes forment un concert autour d’elle ; on reconnaît dans cette fille des hommes le refuge des pécheurs, Refugium peccatorum, la consolation des affligés, Consolatrix afflictorum ; elle ignore les saintes colères du Seigneur, elle est toute bonté, toute compassion, toute indulgence.

 

Marie est la divinité de l’innocence, de la faiblesse et du malheur. La foule de ses adorateurs dans nos églises se compose de pauvres matelots qu’elle a sauvés du naufrage, de vieux invalides qu’elle a arrachés à la mort, sous le fer des ennemis de la France, de jeunes femmes dont elle a calmé les douleurs. Celles-ci apportent leurs nourrissons devant son image, et le cœur du nouveau-né, qui ne comprend pas encore le Dieu du ciel, comprend déjà cette divine mère qui tient un enfant dans ses bras.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre V - De l’Incarnation

 

Vierge à l'Enfant, Duccio di Buoninsegna (Sienne, 1255 - 1319)

Vierge à l'Enfant, Duccio di Buoninsegna (Sienne, 1255 - 1319)

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30 janvier 2015 5 30 /01 /janvier /2015 12:00

De même que la Trinité renferme les secrets de l’ordre métaphysique, la Rédemption contient les merveilles de l’homme et l’histoire de ses fins et de son cœur.

 

Avec quel étonnement, si l’on s’arrêtait un peu dans de si hautes méditations, ne verrait-on pas s’avancer ces deux mystères qui cachent dans leurs ombres les premières intentions de Dieu et le système de l’univers ! La Trinité confond notre petitesse, accable nos sens de sa gloire, et nous nous retirons anéantis devant elle. Mais la touchante Rédemption, en remplissant nos yeux de larmes, les empêche d’être trop éblouis, et nous permet du moins de les fixer un moment sur la croix.

 

On voit d’abord sortir de ce mystère la doctrine du péché originel, qui explique l’homme. Sans l’admission de cette vérité, connue par tradition de tous les peuples, une nuit impénétrable nous couvre. Comment sans la tache primitive rendre compte du penchant vicieux de notre nature, combattu par une voix qui nous annonce que nous fûmes formés, pour la vertu ? Comment ! aptitude de l’homme à la douleur, comment ses sueurs qui fécondent un sillon terrible, comment les larmes, les chagrins, les malheurs du juste, comment les triomphes et les succès impunis du méchant, comment, dis-je, sans une chute première, tout cela pourrait-il s’expliquer ? C’est pour avoir méconnu, cette dégénération que les philosophes de l’antiquité tombèrent en d’étranges erreurs et qu’ils inventèrent le dogme de la réminiscence. Pour nous convaincre de la fatale vérité d’où naît le mystère qui nous rachète, nous n’avons pas besoin d’autres preuves que la malédiction prononcée contre Eve, malédiction qui s’accomplit chaque jour sous nos yeux. Que de choses dans ces brisements d’entrailles ! et pourtant dans ce bonheur de la maternité quelles mystérieuses annonces de l’homme et de sa double destinée, prédite à la fois par la douleur et par la joie de la femme qui l’enfante ! On ne peut se méprendre sur les voies du Très-Haut, en retrouvant les deux grandes fins de l’homme dans le travail de sa mère, et il faut reconnaître un Dieu jusque dans une malédiction.

 

Après tout, nous voyons chaque jour le fils puni pour le père, et le contrecoup du crime d’un méchant aller frapper un descendant vertueux : ce qui ne prouve que trop la doctrine du péché originel. Mais un Dieu de bonté et d’indulgence, sachant que nous périssons par cette chute, est venu nous sauver. Ne le demandons point à notre esprit, mais à notre cœur, nous tous faibles et coupables, comment un Dieu peut mourir. Si ce parfait modèle du bon fils, cet exemple des amis fidèles ; si cette retraite au mont des Oliviers, ce calice amer, cette sueur de sang, cette douceur d’âme, cette sublimité d’esprit, cette croix, ce voile déchiré, ce rocher fendu, ces ténèbres de la nature ; si ce Dieu, enfin, expirant pour les hommes, ne peut ni ravir notre cœur ni enflammer nos pensées, il est à craindre qu’on ne trouve jamais dans nos ouvrages, comme dans ceux du poète, des miracles éclatants, speciosa miracula.

 

" Des images ne sont pas des raisons, dira-t-on peut-être : nous sommes dans un siècle de lumière, qui n’admet rien sans preuves. "

Que nous soyons dans un siècle de lumière, c’est ce dont quelques personnes ont douté ; mais nous ne serons point étonné, si l’on nous fait l’objection précédente. Quand on a voulu argumenter sérieusement contre le christianisme, les Origène, les Clarke, les Bossuet, ont répondu. Pressé par ces redoutables adversaires, on cherchait à leur échapper, en reprochant au christianisme ces mêmes disputes métaphysiques dans lesquelles on voudrait nous entraîner. On disait, comme Arius, Celse et Porphyre, que notre religion est un tissu de subtilités qui n’offrent rien à l’imagination ni au cœur, et qui n’ont pour sectaires que des fous et des imbéciles. Se présente-t-il quelqu’un qui, répondant à ces derniers reproches, cherche à démontrer que le culte évangélique est celui du poète, de l’âme tendre, on ne manquera pas de s’écrier : Eh ! qu’est-ce que tout cela prouve, sinon que vous savez plus ou moins bien faire un tableau ? Ainsi, voulez-vous peindre et toucher, on vous demande des axiomes et des corollaires. Prétendez-vous raisonner, il ne faut plus que des sentiments et des images. Il est difficile de joindre des ennemis aussi légers, et qui ne sont jamais au poste où ils vous défient. Nous hasarderons quelques mots sur la Rédemption, pour montrer que la théorie du christianisme n’est pas aussi absurde qu’on affecte de le penser.

 

Une tradition universelle nous apprend que l’homme a été créé dans un état plus parfait que celui où il existe à présent, et qu’il y a eu une chute. Cette tradition se fortifie de l’opinion des philosophes de tous temps et de tous pays, qui n’ont jamais pu se rendre compte de l’homme moral sans supposer un état primitif de perfection d’où la nature humaine est ensuite déchue par sa faute.

 

Si l’homme a été créé, il a été créé pour une fin quelconque : or, étant créé parfait, la fin à laquelle il était appelé ne pouvait être que parfaite.

 

Mais la cause finale de l’homme a-t-elle été altérée par sa chute ? Non, puisque l’homme n’a pas été créé de nouveau ; non, puisque la race humaine n’a pas été anéantie, pour faire place à une autre race.

 

Ainsi l’homme, devenu mortel et imparfait par sa désobéissance, est resté toutefois avec ses fins immortelles et parfaites. Comment parviendra-t-il à ses fins dans son état actuel d’imperfection ? Il ne le peut plus par sa propre énergie, par la même raison qu’un homme malade ne peut s’élever à la hauteur des pensées à laquelle un homme sain peut atteindre. Il y a donc disproportion entre la force et le poids à soulever par cette force : ici l’on entrevoit déjà la nécessité d’une aide ou d’une rédemption.

 

" Ce raisonnement, dira-t-on, serait bon pour le premier homme ; mais nous, nous sommes capables de nos fins. Quelle injustice et quelle absurdité de penser que nous soyons tous punis de la faute de notre premier père !"

 

Sans décider ici si Dieu a tort ou raison de nous rendre solidaires, tout ce que nous savons et tout ce qu’il nous suffit de savoir à présent, c’est que cette loi existe. Nous voyons que partout le fils innocent porte le châtiment dû au père coupable ; que cette loi est tellement liée au principe des choses, qu’elle se répète jusque dans l’ordre physique de l’univers. Quand un enfant vient à la vie, gangrené des débauches de son père, pourquoi ne se plaint-on pas de la nature ? car, enfin, qu’a fait cet innocent pour porter la peine des vices d’autrui ? Eh bien ! les maladies de l’âme se perpétuent comme les maladies du corps, et l’homme se trouve puni dans sa dernière postérité de la faute qui lui fit prendre le premier levain du crime.

 

La chute ainsi avérée par la tradition universelle, par la transmission ou la génération du mal moral et physique ; d’une autre part les fins de l’homme étant restées aussi parfaites qu’avant la désobéissance, quoique l’homme lui-même soit dégénéré, il suit qu’une rédemption ou un moyen quelconque de rendre l’homme capable de ses fins est une conséquence naturelle de l’état où est tombée la nature humaine.

 

La nécessité d’une rédemption une fois admise, cherchons l’ordre où nous pourrons la trouver. Cet ordre peut être pris ou dans l’homme ou au-dessus de l’homme.

 

Dans l’homme. Pour supposer une rédemption, il faut que le prix soit au moins en raison de la chose à racheter. Or, comment supposer que l’homme imparfait et mortel se pût offrir lui-même pour regagner une fin parfaite et immortelle ? Comment l’homme, participant à la faute primitive, aurait-il pu suffire, tant pour la portion du péché qui le regarde que pour celle qui concerne le reste du genre humain ? Un tel dévouement ne demandait-il pas un amour et une vertu au-dessus de la nature ? Il semble que le Ciel ait voulu laisser s’écouler quatre mille années depuis la chute jusqu’au rétablissement, afin de donner le temps aux hommes de juger par eux-mêmes combien leurs vertus dégradées étaient insuffisantes pour un pareil sacrifice.

 

Il ne reste donc que la seconde supposition : à savoir que la rédemption devait procéder d’une condition au-dessus de l’homme.

 

Voyons si elle pouvait venir des êtres intermédiaires entre lui et Dieu.

 

Milton eut une belle idée lorsqu’il supposa qu’après le péché l’Eternel demanda au ciel consterné s’il y avait quelque puissance qui voulût se dévouer pour le salut de l’homme. Les divines hiérarchies demeurèrent muettes, et parmi tant de séraphins, de trônes, d’ardeurs, de dominations, d’anges et d’archanges, nul ne se sentit assez de force pour s’offrir au sacrifice. Cette pensée du poète est d’une rigoureuse vérité en théologie. En effet, où les anges auraient-ils pris pour l’homme l’immense amour que suppose le mystère de la croix ? Nous dirons en outre que la plus sublime des puissances créées n’aurait pas même eu assez de force pour l’accomplir. Aucune substance angélique ne pouvait, par la faiblesse de son essence, se charger de ces douleurs, qui, selon Massillon, unirent sur la tête de Jésus-Christ toutes les angoisses physiques que la punition de tous les péchés commis depuis le commencement des races pouvait supposer, et toutes les peines morales, tous les remords qu’avaient dû éprouver les pécheurs en commettant le crime. Si le Fils de l’homme lui-même trouva le calice amer, comment un ange l’eût-il porté à ses lèvres ? Il n’aurait jamais pu boire la lie, et le sacrifice n’eût point été consommé.

 

Nous ne pouvions donc avoir pour rédempteur qu’une des trois personnes existantes de toute éternité : or, de ces trois divines personnes, on voit que le Fils, par sa nature même, devait être le seul à nous racheter. Amour qui lie entre elles les parties de l’univers, Milieu qui réunit les extrêmes, Principe vivifiant de la nature, il pouvait seul réconcilier Dieu avec l’homme. Il vint, ce nouvel Adam, homme selon la chair par Marie, homme selon la morale par son Evangile, homme selon Dieu par son essence. Il naquit d’une vierge, pour ne point participer à la faute originelle et pour être une victime sans tache ; il reçut le jour dans une étable, au dernier degré des conditions humaines, parce que nous étions tombés par l’orgueil : ici commence la profondeur du mystère ; l’homme se trouble et les voiles s’abaissent.

 

Ainsi le but que nous pouvions atteindre avant la désobéissance nous est proposé de nouveau, mais la route pour y parvenir n’est plus la même. Adam innocent y serait arrivé par des chemins enchantés : Adam pécheur n’y peut monter qu’au travers des précipices. La nature a changé depuis la faute de notre premier père, et la rédemption n’a pas eu pour objet de faire une création nouvelle, mais de trouver un salut final pour la première. Tout donc est resté dégénéré avec l’homme ; et ce roi de l’univers, qui, d’abord né immortel, doit s’élever, sans changer d’existence, au bonheur des puissances célestes, ne peut plus maintenant jouir de la présence de Dieu sans passer par les déserts du tombeau, comme parle saint Chrysostome. Son âme a été sauvée de la destruction finale par la rédemption ; mais son corps, joignant à la fragilité naturelle de la matière la faiblesse accidentelle du péché, subit la sentence primitive dans toute sa rigueur : il tombe, il se fond, il se dissout. Dieu, après la chute de nos premiers pères, cédant à la prière de son Fils, et ne voulant pas détruire tout l’homme, inventa la mort comme un demi-néant, afin que le pécheur sentît l’horreur de ce néant entier, auquel il eût été condamné sans les prodiges de l’amour céleste.

 

Nous osons présumer que, s’il y a quelque chose de clair en métaphysique, c’est la chaîne de ce raisonnement. Ici point de mots mis à la torture, point de divisions et de subdivisions, point de termes obscurs ou barbares. Le christianisme n’est point composé de ces choses, comme les sarcasmes de l’incrédulité voudraient nous le faire croire. L’Evangile a été prêché au pauvre d’esprit, et il a été entendu du pauvre d’esprit ; c’est le livre le plus clair qui existe : sa doctrine n’a point son siège dans la tête, mais dans le cœur ; elle n’apprend point à disputer, mais à bien vivre. Toutefois, elle n’est pas sans secrets. Ce qu’il y a de véritablement ineffable dans l’Ecriture, c’est ce mélange continuel des plus profonds mystères et de la plus extrême simplicité, caractère où naissent le touchant et le sublime. Il ne faut donc plus s’étonner que l’œuvre de Jésus-Christ parle si éloquemment ; et telles sont encore les vérités de notre religion, malgré leur peu d’appareil scientifique, qu’un seul point admis vous force d’admettre tous les autres. Il y a plus : si vous espérez échapper en niant le principe, tel, par exemple, que le péché originel, bientôt, poussés de conséquence en conséquence, vous serez forcés d’aller vous perdre dans l’athéisme : dès l’instant où vous reconnaissez un Dieu, la religion chrétienne arrive malgré vous avec tous ses dogmes, comme l’ont remarqué Clarke et Pascal. Voilà, ce nous semble, une des plus fortes preuves en faveur du christianisme.

 

Au reste, il ne faut pas s’étonner que celui qui fait rouler, sans les confondre, ces millions de globes sur nos têtes, ait répandu tant d’harmonie dans les principes d’un culte établi par lui ; il ne faut pas s’étonner qu’il fasse tourner les charmes et les grandeurs de ses mystères dans le cercle d’une logique inévitable, comme il fait revenir les astres sur eux-mêmes pour nous ramener ou les fleurs ou les foudres des saisons. On a peine à concevoir le déchaînement du siècle contre le christianisme. S’il est vrai que la religion soit nécessaire aux hommes, comme l’ont cru tous les philosophes, par quel culte veut-on remplacer celui de nos pères ?

 

On se rappellera longtemps ces jours où des hommes de sang prétendirent élever des autels aux vertus sur les ruines du christianisme. D’une main ils dressaient des échafauds ; de l’autre, sur le frontispice de nos temples, ils garantissaient à Dieu l’éternité, et à l’homme la mort ; et ces mêmes temples où l’on voyait autrefois ce Dieu qui est connu de l’univers, ces images de Vierge qui consolaient tant d’infortunés, ces temples étaient dédiés à la Vérité, qu’aucun homme ne connaît, et à la Raison, qui n’a jamais séché une larme !

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre IV - De la Rédemption

 

Crucifixion, Alonso Cano (Grenade, 1601 - 1667)

Crucifixion, Alonso Cano (Grenade, 1601 - 1667)

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29 janvier 2015 4 29 /01 /janvier /2015 12:00

On découvre au premier coup d’œil, dans la partie des mystères, un grand avantage de la religion chrétienne sur les religions de l’antiquité. Les mystères de celles-ci n’avaient aucun rapport avec l’homme, et ne formaient tout au plus qu’un sujet de réflexion pour le philosophe, ou de chants pour le poète. Nos mystères, au contraire, s’adressent à nous ; ils contiennent les secrets de notre nature. Il ne s’agit plus d’un futile arrangement de nombres, mais du salut et du bonheur du genre humain. L’homme qui sent si bien chaque jour son ignorance et sa faiblesse pourrait-il rejeter les mystères de Jésus-Christ ? ce sont ceux des infortunés !

 

La Trinité, premier mystère des chrétiens, ouvre un champ immense d’études philosophiques, soit qu’on la considère dans les attributs de Dieu, soit qu’on recherche les vestiges de ce dogme autrefois répandu dans l’Orient. C’est une très méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu’on ne peut comprendre. A partir des choses les plus simples dans la vie, il serait aisé de prouver que nous ignorons tout : et nous voulons pénétrer dans les ruses de la Sagesse !

 

La Trinité fut peut-être connue des Egyptiens : l’inscription grecque du grand obélisque du Cirque majeur, à Rome, portait :

le grand Dieu, l’Engendré de Dieu, et le Tout Brillant (Apollon, l’Esprit).

 

Héraclide de Pont et Porphyre rapportent un fameux oracle de Sérapis :

Tout est Dieu dans l’origine ; puis le Verbe et l’Esprit : trois Dieux coengendrés ensemble et se réunissant dans un seul.

 

Les Mages avaient une espèce de Trinité dans leur Métris, Oromasis et Araminis, ou Mitra, Oromase et Aramine.

 

Platon semble parler de ce dogme dans plusieurs endroits de ses ouvrages.

" Non seulement, dit Dacier, on prétend qu’il a connu le Verbe, fils éternel de Dieu, on soutient même qu’il a connu le Saint-Esprit, et qu’ainsi il a eu quelque idée de la très sainte Trinité, car il écrit au jeune Denys :

" Il faut que je déclare à Archédémas ce qui est beaucoup plus précieux et plus divin, et que vous avez grande envie de savoir, puisque vous me l’avez envoyé exprès : car, selon ce qu’il m’a dit, vous ne croyez pas que je vous aie suffisamment expliqué ce que je pense sur la nature du premier principe : il faut vous l’écrire par énigmes, afin que, si ma lettre est interceptée sur terre ou sur mer, celui qui la lira n’y puisse rien comprendre. Toutes choses sont autour de leur roi ; elles sont à cause de lui et il est seul la cause des bonnes choses, second pour les secondes, et troisième pour les troisièmes."

" Dans l’Epinomis et ailleurs, il établit pour principe le premier bien, le Verbe ou l’entendement, et l’âme. Le premier bien, c’est Dieu ; le Verbe, ou l’entendement, c’est le fils de ce premier bien, qui l’a engendré semblable à lui ; et l’âme, qui est le terme entre le Père et le Fils, c’est le Saint-Esprit."

 

Platon avait emprunté cette doctrine de la Trinité de Timée de Locres, qui la tenait lui-même de l’École italique. Marsile Ficin, dans une de ses remarques sur Platon, montre, d’après Jamblique, Porphyre, Platon et Maxime de Tyr, que les pythagoriciens connaissaient aussi l’excellence du Ternaire ; Pythagore l’a même indiqué dans ce symbole :

Honorato in primis habitum, tribunal et Triobolum.

 

Aux Indes la Trinité est connue.

" Ce que j’ai vu de plus marqué et de plus étonnant dans ce genre, dit le père Calmette, c’est un texte tiré de Lamaastambam, l’un de leurs livres. Il commence ainsi : Le Seigneur, le bien, le grand Dieu ; dans sa bouche est la parole. (Le terme dont ils se servent la personnifie.) Il parle ensuite du Saint-Esprit en ces termes : Ventu, seu Spiritus perfectus, et finit par la création, en l’attribuant à un seul Dieu."

 

Au Tibet.

" Voici ce que j’appris de la religion du Tibet : ils appellent Dieu Konciosa, et ils semblent avoir quelque idée de l’adorable Trinité : car tantôt ils le nomment Koncikocick, Dieu-un, et tantôt Koncioksum, Dieu-trin. Ils se servent d’une espèce de chapelet, sur lequel ils prononcent ces paroles, om, ha, hum. Lorsqu’on leur en demande l’explication, ils répondent que om signifie intelligence, ou bras, c’est-à-dire puissance ; que ha est la parole ; que hum est le cœur ou l’amour, et que ces trois mots signifient Dieu."

 

Les missionnaires anglais à Otaïti ont trouvé quelques traces de la Trinité parmi les dogmes religieux des habitants de cette île.

 

Nous croyons d’ailleurs entrevoir dans la nature même une sorte de preuve physique de la Trinité. Elle est l’archétype de l’univers, ou, si l’on veut, sa divine charpente. Ne serait-il pas possible que la forme extérieure et matérielle participât de l’arche intérieure et spirituelle qui la soutient, de même que Platon représentait les choses corporelles comme l’ombre des pensées de Dieu ? Le nombre de Trois semble être dans la nature le terme par excellence. Le Trois n’est point engendré, et engendre toutes les autres fractions, ce qui le faisait appeler le nombre sans mère par Pythagore.

 

On peut découvrir quelque tradition obscure de la Trinité jusque dans les fables du polythéisme.

Les Grâces l’avaient prise pour leur terme ; elle existait au Tartare, pour la vie et la mort de l’homme, et pour la vengeance céleste ; enfin, trois dieux frères composaient, en se réunissant, la puissance entière de l’univers.

 

Les philosophes divisaient l’homme moral en trois parts, et les Pères de l’Église ont cru retrouver l’image de la Trinité spirituelle dans l’âme de l’homme.

" Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps au fond de notre âme, c’est-à-dire dans cette partie où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée du Fils de Dieu conçu éternellement dans l’intelligence du Père céleste. C’est pourquoi ce fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu’il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons, quand nous contemplons la vérité.

" Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure, et l’esprit où elle naît ; et en l’aimant nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l’un et de l’autre, qui les unit, qui s’unit à eux, et ne fait avec eux qu’une même vie.

Ainsi, autant qu’il se peut trouver de rapport entre Dieu et l’homme, ainsi, dis-je, se produit en Dieu l’amour éternel, qui sort du Père qui pense, et du Fils qui est sa pensée, pour faire avec lui et sa pensée une même nature, également heureuse et parfaite."

 

Voilà un assez beau commentaire, à propos d’un seul mot de la Genèse : Faisons l’homme.

Tertullien, dans son Apologétique, s’exprime ainsi sur le grand mystère de notre religion :

" Dieu a créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance. Vos philosophes mêmes conviennent que logos, le verbe et la raison, est le créateur de l’univers. Les chrétiens ajoutent seulement que la propre substance du verbe et de la raison, cette substance par laquelle Dieu a tout produit, est esprit ; que cette parole, ou le verbe, a dû être prononcé par Dieu ; que Dieu, l’ayant prononcé, l’a engendré ; que conséquemment il est Fils de Dieu, et Dieu, à cause de l’unité de substance. Si le soleil prolonge un rayon, sa substance n’est pas séparée, mais étendue. Ainsi le verbe est esprit d’un esprit, et Dieu de Dieu, comme une lumière allumée d’une autre lumière. Ainsi ce qui procède de Dieu est Dieu, et les deux avec leur esprit ne font qu’un, différant en propriété, non en nombre ; en ordre, non en nature : le Fils est sorti de son principe sans le quitter. Or, ce rayon de Dieu est descendu dans le sein d’une vierge ; il s’est revêtu de chair ; il s’est fait homme uni à Dieu. Cette chair, soutenue de l’esprit, se nourrit, croît, parle, enseigne, opère : c’est le Christ."

 

Cette démonstration de la Trinité peut être comprise par les esprits les plus simples. Il se faut souvenir que Tertullien parlait à des hommes qui persécutaient Jésus-Christ, et qui n’auraient pas mieux aimé que de trouver moyen d’attaquer la doctrine, et même la personne de ses défenseurs. Nous ne pousserons pas plus loin ces preuves, et nous les abandonnons à ceux qui ont étudié la secte italique et la haute théologie chrétienne.

 

Quant aux images qui soumettent à la faiblesse de nos sens le plus grand des mystères, nous avons peine à concevoir ce que le redoutable triangle de feu imprimé dans la nue peut avoir de ridicule en poésie. Le Père, sous la figure d’un vieillard, ancêtre majestueux des temps, ou représenté comme une effusion de lumière, serait-il donc une peinture si inférieure à celles de la mythologie ? N’est-ce pas une chose merveilleuse de voir l’Esprit saint, l’esprit sublime de Jéhovah, porté par l’emblème de la douceur, de l’amour et de l’innocence ? Dieu se sent-il travaillé du besoin de semer sa parole, l’Esprit n’est plus cette Colombe qui couvrait les hommes de ses ailes de paix, c’est un verbe visible, c’est une langue de feu qui parle tous les dialectes de la terre, et dont l’éloquence élève ou renverse des empires.

 

Pour peindre le Fils divin, il nous suffira d’emprunter les paroles de celui qui le contempla dans sa gloire : Il était assis sur un trône, dit l’Apôtre, son visage brillait comme le soleil dans sa force, et ses pieds comme de l’airain fondu dans la fournaise ; ses yeux étaient deux flammes. Un glaive à deux tranchants sortait de sa bouche ; dans la main droite il tenait sept étoiles ; dans la gauche, un livre scellé de sept sceaux. Un fleuve de lumière était devant ses lèvres. Les sept esprits de Dieu brillaient devant lui comme sept lampes ; et de son marchepied sortaient des voix, des foudres et des éclairs.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre III - Des Mystères chrétiens. De la Trinité

 

La Vallée de Narni, Richard Wilson (1714, Penegoes - 1782, Colommendy)

La Vallée de Narni, Richard Wilson (1714, Penegoes - 1782, Colommendy)

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28 janvier 2015 3 28 /01 /janvier /2015 12:00

Il n’est rien de beau, de doux, de grand dans la vie, que les choses mystérieuses.

 

Les sentiments les plus merveilleux sont ceux qui nous agitent un peu confusément : la pudeur, l’amour chaste, l’amitié vertueuse, sont pleins de secrets. On dirait que les cœurs qui s’aiment s’entendent à demi-mot, et qu’ils ne sont que comme entrouverts. L’innocence, à son tour, qui n’est qu’une simple ignorance, n’est-elle pas le plus ineffable des mystères ? L’enfance n’est si heureuse que parce qu’elle ne sait rien, la vieillesse si misérable que parce qu’elle sait tout ; heureusement pour elle, quand les mystères de la vie finissent, ceux de la mort commencent.

 

S’il en est ainsi des sentiments, il en est ainsi des vertus : les plus angéliques sont celles qui, découlant immédiatement de Dieu, telles que la charité, aiment à se cacher au regard, comme leur source.

 

En passant aux rapports de l’esprit, nous trouvons que les plaisirs de la pensée sont aussi des secrets. Le secret est d’une nature si divine, que les premiers hommes de l’Asie ne parlaient que par symboles. A quelle science revient-on sans cesse ? A celle qui laisse toujours quelque chose à deviner et qui fixe nos regards sur une perspective infinie. Si nous nous égarons dans le désert, une sorte d’instinct nous fait éviter les plaines, où tout est vu d’un coup d’œil ; nous allons chercher ces forêts, berceau de la religion, ces forêts dont l’ombre, les bruits et le silence sont remplis de prodiges, ces solitudes où les corbeaux et les abeilles nourrissaient les premiers Pères de l’Église, et où ces saints hommes goûtaient tant de délices, qu’ils s’écriaient : Seigneur, c’est assez : je mourrai de douceurs, si vous ne modérez ma joie !

 

Enfin, on ne s’arrête pas au pied d’un monument moderne dont l’origine est connue ; mais que dans une île déserte, au milieu de l’Océan, on trouve tout à coup une statue de bronze dont le bras déployé montre les régions où le soleil se couche, et dont la base soit chargée d’hiéroglyphes et rongée par la mer et le temps, quelle source de méditation pour le voyageur ! Tout est caché, tout est inconnu dans l’univers. L’homme lui-même n’est-il pas un étrange mystère ? D’où part l’éclair que nous appelons existence, et dans quelle nuit va-t-il s’éteindre ? L’Éternel a placé la Naissance et la Mort, sous la forme de deux fantômes voilés, aux deux bouts de notre carrière : l’un produit l’inconcevable moment de notre vie, que l’autre s’empresse de dévorer.

 

Il n’est donc point étonnant, d’après le penchant de l’homme aux mystères, que les religions de tous les peuples aient eu leurs secrets impénétrables. Les Selles étudiaient les paroles prodigieuses des colombes de Podone ; l’Inde, la Perse, l’Ethiopie, la Scythie, les Gaules, la Scandinavie, avaient leurs cavernes, leurs montagnes saintes, leurs chênes sacrés, où le brahmane, le mage, le gymnosophiste, le druide, prononçaient l’oracle inexplicable des Immortels.

 

A Dieu ne plaise que nous voulions comparer ces mystères aux mystères de la véritable religion, et les immuables profondeurs du Souverain qui est dans le ciel aux changeantes obscurités de ces dieux, ouvrage de la main des hommes. Nous avons seulement voulu faire remarquer qu’il n’y a point de religion sans mystères ; ce sont eux qui, avec le sacrifice, constituent essentiellement le culte : Dieu même est le grand secret de la nature ; la divinité était voilée en Égypte, et le sphinx s’asseyait sur le seuil de ses temples.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre II - De la nature du Mystère

 

Vue sur les chutes à Tivoli, Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758, Carpentras - 1846, Montmorency)

Vue sur les chutes à Tivoli, Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758, Carpentras - 1846, Montmorency)

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27 janvier 2015 2 27 /01 /janvier /2015 12:00

Les défenseurs des chrétiens tombèrent dans une faute qui les avait déjà perdus : ils ne s’aperçurent pas qu’il ne s’agissait plus de discuter tel ou tel dogme, puisqu’on rejetait absolument les bases. En parlant de la mission de Jésus-Christ, et remontant de conséquence en conséquence, ils établissaient sans doute fort solidement les vérités de la foi ; mais cette manière d’argumenter, bonne au XVIIe siècle, lorsque le fond n’était point contesté, ne valait plus rien de nos jours. Il fallait prendre la route contraire : passer de l’effet à la cause, ne pas prouver que le christianisme est excellent parce qu’il vient de Dieu, mais qu’il vient de Dieu parce qu’il est excellent.

 

C’était encore une autre erreur que de s’attacher à répondre sérieusement à des sophistes, espèce d’hommes qu’il est impossible de convaincre, parce qu’ils ont toujours tort. On oubliait qu’ils ne cherchent jamais de bonne foi la vérité, et qu’ils ne sont même attachés à leur système qu’en raison du bruit qu’il fait, prêts à en changer demain avec l’opinion.

 

Pour n’avoir pas fait cette remarque, on perdit beaucoup de temps et de travail. Ce n’étaient pas les sophistes qu’il fallait réconcilier à la religion, c’était le monde qu’ils égaraient. On l’avait réduit en lui disant que le christianisme était un culte né du sein de la barbarie, absurde dans ses dogmes, ridicule dans ses cérémonies, ennemi des arts et des lettres, de la raison et de la beauté ; un culte qui n’avait fait que verser le sang, enchaîner les hommes et retarder le bonheur et les lumières du genre humain ; on devait donc chercher à prouver au contraire que de toutes les religions qui ont jamais existé la religion chrétienne est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ; que le monde moderne lui doit tout, depuis l’agriculture jusqu’aux sciences abstraites, depuis les hospices pour les malheureux jusqu’aux temples bâtis par Michel-Ange et décorés par Raphaël. On devait montrer qu’il n’y a rien de plus divin que sa morale, rien de plus aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte ; on devait dire qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, donne de la vigueur à la pensée, offre des formes nobles à l’écrivain, et des moules parfaits à l’artiste ; qu’il n’y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Racine ; enfin, il fallait appeler tous les enchantements de l’imagination et tous les intérêts du cœur au secours de cette même religion contre laquelle on les avait armés.

 

Ici le lecteur voit notre ouvrage. Les autres genres d’apologies sont épuisés, et peut-être seraient-ils inutiles aujourd’hui. Qui est-ce qui lirait maintenant un ouvrage de théologie ? Quelques hommes pieux qui n’ont pas besoin d’être convaincus, quelques vrais chrétiens déjà persuadés. Mais n’y a-t-il pas de danger à envisager la religion sous un jour purement humain ? Et pourquoi ? Notre religion craint-elle la lumière ? Une grande preuve de sa céleste origine, c’est qu’elle souffre l’examen le plus sévère et le plus minutieux de la raison. Veut-on qu’on nous fasse éternellement le reproche de cacher nos dogmes dans une nuit sainte, de peur qu’on n’en découvre la fausseté ? Le christianisme sera-t-il moins vrai quand il paraîtra plus beau ? Bannissons une frayeur pusillanime ; par excès de religion, ne laissons pas la religion périr. Nous ne sommes plus dans le temps où il était bon de dire : Croyez, et n’examinez pas ; on examinera malgré nous ; et notre silence timide, en augmentant le triomphe des incrédules, diminuera le nombre des fidèles. Il est temps qu’on sache enfin à quoi se réduisent ces reproches d’absurdité, de grossièreté, de petitesse, qu’on fait tous les jours au christianisme ; il est temps de montrer que, loin de rapetisser la pensée, il se prête merveilleusement aux élans de l’âme, et peut enchanter l’esprit aussi divinement que les dieux de Virgile et d’Homère. Nos raisons auront du moins cet avantage qu’elles seront à la portée de tout le monde, et qu’il ne faudra qu’un bon sens pour en juger. On néglige peut-être un peu trop, dans les ouvrages de ce genre, de parler la langue de ses lecteurs : il faut être docteur avec le docteur, et poète avec le poète. Dieu ne défend pas les routes fleuries quand elles servent à revenir à lui, et ce n’est pas toujours par les sentiers rudes et sublimes de la montagne que la brebis égarée retourne au bercail.

 

Nous osons croire que cette manière d’envisager le christianisme présente des rapports peu connus : sublime par l’antiquité de ses souvenirs, qui remontent au berceau du monde, ineffable dans ses mystères, adorable dans ses sacrements, intéressant dans son histoire, céleste dans sa morale, riche et charmant dans ses pompes, il réclame toutes les sortes de tableaux. Voulez-vous le suivre dans la poésie ? le Tasse, Milton, Corneille, Racine, vous retracent ses miracles. Dans les belles-lettres, l’éloquence, l’histoire, la philosophie ? que n’ont point fait par son inspiration Bossuet, Fénelon, Massillon, Bourdaloue, Bacon, Pascal, Euler, Newton, Leibnitz ! Dans les arts ? que de chefs-d’œuvre ! Si vous l’examinez dans son culte, que de choses ne vous disent point et ses vieilles églises gothiques, et ses prières admirables, et ses superbes cérémonies ! Parmi son clergé, voyez tous ces hommes qui vous ont transmis la langue et les ouvrages de Rome et de la Grèce, tous ces solitaires de la Thébaïde, tous ces lieux de refuge pour les infortunés, tous ces missionnaires à la Chine, au Canada, au Paraguay, sans oublier les ordres militaires, d’où va naître la chevalerie ! Mœurs de nos aïeux, peinture des anciens jours, poésie, romans même, choses secrètes de la vie, nous avons tout fait servir à notre cause.

 

Nous demandons des sourires au berceau et des pleurs à la tombe ; tantôt, avec le moine maronite, nous habitons les sommets du Carmel et du Liban ; tantôt, avec la fille de la Charité, nous veillons au lit du malade ; ici deux époux américains nous appellent au fond de leurs déserts ; là nous entendons gémir la vierge dans les solitudes du cloître ; Homère vient se placer auprès de Milton, Virgile à côté du Tasse ; les ruines de Memphis et d’Athènes contrastent avec les ruines des monuments chrétiens, les tombeaux d’Ossian avec nos cimetières de campagne ; à Saint-Denis nous visitons la cendre des rois ; et quand notre sujet nous force de parler du dogme de l’existence de Dieu, nous cherchons seulement nos preuves dans les merveilles de la nature ; enfin, nous essayons de frapper au cœur de l’incrédule de toutes les manières, mais nous n’osons nous flatter de posséder cette verge miraculeuse de la religion, qui fait jaillir du rocher les sources d’eau vive.

 

Quatre parties, divisées chacune en six livres, composent notre ouvrage. La première traite des dogmes et de la doctrine.

 

La seconde et la troisième renferment la poétique du christianisme, ou les rapports de cette religion avec la poésie, la littérature et les arts.

 

La quatrième contient le culte, c’est-à-dire tout ce qui concerne les cérémonies de l’Église et tout ce qui regarde le clergé séculier et régulier.

 

Au reste, nous avons souvent rapproché les dogmes et la doctrine des autres cultes des dogmes, de la doctrine et du culte évangéliques : pour satisfaire toutes les classes de lecteurs, nous avons aussi touché de temps en temps la partie historique et mystique de la religion. Maintenant que le lecteur connaît le plan général de l’ouvrage, entrons dans l’examen des Dogmes et de la Doctrine ; et, afin de passer aux mystères chrétiens, commençons par nous enquérir de la nature des choses mystérieuses.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre I - Introduction

 

Chapelle gothique, Charles-Marie Bouton (Paris 1781-1853)

Chapelle gothique, Charles-Marie Bouton (Paris 1781-1853)

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26 janvier 2015 1 26 /01 /janvier /2015 12:00

Depuis que le christianisme a paru sur la terre, trois espèces d’ennemis l’ont constamment attaqué : les hérésiarques, les sophistes, et ces hommes, en apparence frivoles, qui détruisent tout en riant. De nombreux apologistes ont victorieusement répondu aux subtilités et aux mensonges ; mais ils ont été moins heureux contre la dérision. Saint Ignace d’Antioche, saint Irénée, évêque de Lyon, Tertullien, dans son Traité des Prescriptions que Bossuet appelle divin, combattirent les novateurs, dont les interprétations superbes corrompaient la simplicité de la foi.

 

La calomnie fut repoussée d’abord par Quadrat et Aristide, philosophes d’Athènes : on ne connaît rien de leurs apologies, hors un fragment de la première, conservé par Eusèbe. Saint Jérôme et l’évêque de Césarée parlent de la seconde comme d’un chef-d’œuvre.

 

Les païens reprochaient aux fidèles l’athéisme, l’inceste, et certains repas abominables où l’on mangeait, disait-on, la chair d’un enfant nouveau-né. Saint Justin plaida la cause des chrétiens après Quadrat et Aristide : son style est sans ornement, et les actes de son martyre prouvent qu’il versa son sang pour sa religion avec la même simplicité qu’il écrivit pour elle.

 

Athénagore a mis plus d’esprit dans sa défense ; mais il n’a ni la manière originale de Justin, ni l’impétuosité de l’auteur de l’Apologétique. Tertullien est le Bossuet africain et barbare. Théophile, dans les trois livres à son ami Autolyque, montre de l’imagination et du savoir ; et l’Octave de Minucius Félix présente le beau tableau d’un chrétien et de deux idolâtres qui s’entretiennent de la religion et de la nature de Dieu en se promenant au bord de la mer.

 

Arnobe le rhéteur, Lactance, Eusèbe, saint Cyprien, ont aussi défendu le christianisme ; mais ils se sont moins attachés à en relever la beauté qu’à développer les absurdités de l’idolâtrie.

 

Origène combattit les sophistes ; il semble avoir eu l’avantage de l’érudition, du raisonnement et du style, sur Celse, son adversaire. Le grec d’Origène est singulièrement doux ; il est cependant mêlé d’hébraïsmes et de tours étrangers, comme il arrive assez souvent aux écrivains qui possèdent plusieurs langues.

 

L’Église, sous l’empereur Julien, fut exposée à une persécution du caractère le plus dangereux. On n’employa pas la violence contre les chrétiens, mais on leur prodigua le mépris. On commença par dépouiller les autels ; on défendit ensuite aux fidèles d’enseigner et d’étudier les lettres. Mais l’empereur, sentant l’avantage des institutions chrétiennes, voulut, en les abolissant, les imiter : il fonda des hôpitaux et des monastères, et, à l’instar du culte évangélique, il essaya d’unir la morale à la religion, en faisant prononcer des espèces de sermons dans les temples.

 

Les sophistes dont Julien était environné se déchaînèrent contre le christianisme ; Julien même ne dédaigna pas de se mesurer avec les galiléens. L’ouvrage qu’il écrivit contre eux ne nous est pas parvenu ; mais saint Cyrille, patriarche d’Alexandrie, en cite des fragments dans la réfutation qu’il en a faite et que nous avons encore. Lorsque Julien est sérieux, saint Cyrille triomphe du philosophe ; mais lorsque l’empereur a recours à l’ironie, le patriarche perd ses avantages. Le style de Julien est vif, animé, spirituel ; saint Cyrille s’emporte, il est bizarre, obscur et contourné. Depuis Julien jusqu’à Luther, l’Église, dans toute sa force, n’eut plus besoin d’apologistes. Quand le schisme d’Occident se forma, avec les nouveaux ennemis parurent de nouveaux défenseurs. Il le faut avouer, les protestants eurent d’abord la supériorité sur les catholiques, du moins par les formes, comme le remarque Montesquieu. Erasme même fut faible contre Luther, et Théodore de Bèze eut une légèreté de style qui manqua trop souvent à ses adversaires.

 

Mais, lorsque Bossuet descendit dans la carrière, la victoire ne demeura pas longtemps indécise ; l’hydre de l’hérésie fut de nouveau terrassée. L’Histoire des Variations et l’Exposition de la Doctrine catholique sont deux chefs-d’œuvre qui passeront à la postérité.

 

Il est naturel que le schisme mène à l’incrédulité, et que l’athéisme suive l’hérésie. Bayle et Spinoza s’élevèrent après Calvin ; ils trouvèrent dans Clarke et Leibnitz deux génies capables de réfuter leurs sophismes. Abbadie écrivit en faveur de la religion une apologie remarquable par la méthode et le raisonnement. Malheureusement le style en est faible, quoique les pensées n’y manquent pas d’un certain éclat. Si les philosophes anciens, dit Abbadie, adoraient les vertus, ce n’était après tout qu’une belle idolâtrie.

 

Tandis que l’Église triomphait encore, déjà Voltaire faisait renaître la persécution de Julien. Il eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode. Il enrôla tous les amours-propres dans cette ligue insensée ; la religion fut attaquée avec toutes les armes, depuis le pamphlet jusqu’à l’in-folio, depuis l’épigramme jusqu’au sophisme. Un livre religieux paraissait-il, l’auteur était à l’instant couvert de ridicule, tandis qu’on portait aux nues des ouvrages dont Voltaire était le premier à se moquer avec ses amis : il était si supérieur à ses disciples, qu’il ne pouvait s’empêcher de rire quelquefois de leur enthousiasme irréligieux.

 

Cependant le système destructeur allait s’étendant sur la France. Il s’établissait dans ces académies de province, qui ont été autant de foyers de mauvais goût et de factions. Des femmes de la société, de graves philosophes, avaient leurs chaires d’incrédulité. Enfin, il fut reconnu que le christianisme n’était qu’un système barbare, dont la chute ne pouvait arriver trop tôt pour la liberté des hommes, le progrès des lumières, les douceurs de la vie et l’élégance des arts. Sans parler de l’abîme où ces principes nous ont plongés, les conséquences immédiates de cette haine contre l’Evangile furent un retour plus affecté que sincère vers ces dieux de Rome et de la Grèce, auxquels on attribua les miracles de l’antiquité. On ne fut point honteux de regretter ce culte, qui ne faisait du genre humain qu’un troupeau d’insensés, d’impudiques, ou de bêtes féroces. On dut nécessairement arriver de là au mépris des écrivains du siècle de Louis XIV, qui ne s’élevèrent toutefois à une si haute perfection que parce qu’ils furent religieux. Si l’on n’osa pas les heurter de front, à cause de l’autorité de leur renommée, on les attaqua d’une manière indirecte. On fit entendre qu’ils avaient été secrètement incrédules, ou que du moins ils fussent devenus de bien plus grands hommes, s’ils avaient vécu de nos jours. Chaque auteur bénit son destin de l’avoir fait naître dans le beau siècle des Diderot et des d’Alembert, dans ce siècle où les documents de la sagesse humaine étaient rangés par ordre alphabétique dans l’Encyclopédie, cette babel des sciences et de la raison.

 

Des hommes d’une grande doctrine et d’un esprit distingué essayèrent de s’opposer à ce torrent ; mais leur résistance fut inutile : leur voix se perdit dans la foule, et leur victoire fut ignorée d’un monde frivole, qui cependant dirigeait la France, et que par cette raison il était nécessaire de toucher.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme ; Première Partie - Dogmes et doctrines ; Livre 1 - Mystères et Sacrements ; Chapitre I - Introduction

 

Ruines de l'Abbaye de Villers, François Stroobant (Bruxelles 1819 - 1916)

Ruines de l'Abbaye de Villers, François Stroobant (Bruxelles 1819 - 1916)

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25 janvier 2015 7 25 /01 /janvier /2015 16:00

Lorsque le Génie du Christianisme parut, la France sortait du chaos révolutionnaire ; tous les éléments de la société étaient confondus : la terrible main qui commençait à les séparer n’avait point encore achevé son ouvrage ; l’ordre n’était point encore sorti du despotisme et de la gloire.

 

Ce fut donc, pour ainsi dire, au milieu des débris de nos temples que je publiai le Génie du Christianisme, pour rappeler dans ces temples les pompes du culte et les serviteurs des autels. Saint-Denis était abandonné : le moment n’était pas venu où Buonaparte devait se souvenir qu’il lui fallait un tombeau ; il lui eût été difficile de deviner le lieu où la Providence avait marqué le sien. Partout on voyait des restes d’églises et de monastères que l’on achevait de démolir : c’était même une sorte d’amusement d’aller se promener dans ces ruines.

 

Si les critiques du temps, les journaux, les pamphlets, les livres, n’attestaient l’effet du Génie du Christianisme, il ne me conviendrait pas d’en parler ; mais n’ayant jamais rien rapporté à moi-même, ne m’étant jamais considéré que dans mes relations générales avec les destinées de mon pays, je suis obligé de reconnaître des faits qui ne sont contestés de personne : ils ont pu être différemment jugés ; leur existence n’en est pas moins avérée.

 

La littérature se teignit en partie des couleurs du Génie du Christianisme : des écrivains me firent l’honneur d’imiter les phrases de René et d’Atala, de même que la chaire emprunta et emprunte encore tous les jours ce que j’ai dit des cérémonies, des missions et des bienfaits du christianisme.

 

Les fidèles se crurent sauvés par l’apparition d’un livre qui répondait si bien à leurs dispositions intérieures : on avait alors un besoin de foi, une avidité de consolations religieuses, qui venait de la privation même de ces consolations depuis longues années. Que de force surnaturelle à demander pour tant d’adversités subies ! Combien de familles mutilées avaient à chercher auprès du Père des hommes les enfants qu’elles avaient perdus ! Combien de cœurs brisés, combien d’âmes devenues solitaires, appelaient une main divine pour les guérir ! On se précipitait dans la maison de Dieu comme on entre dans la maison du médecin le jour d’une contagion. Les victimes de nos troubles (et que de sortes de victimes !) se sauvaient à l’autel, de même que les naufragés s’attachent au rocher sur lequel ils cherchent leur salut.

 

Rempli des souvenirs de nos antiques mœurs, de la gloire et des monuments de nos rois, le Génie du Christianisme respirait l’ancienne monarchie tout entière : l’héritier légitime était pour ainsi dire caché au fond du sanctuaire dont je soulevais le voile, et la couronne de saint Louis suspendue au-dessus de l’autel du Dieu de saint Louis. Les Français apprirent à porter avec regret leur regard sur le passé ; les voies de l’avenir furent préparées, et des espérances presque éteintes se ranimèrent.

 

Buonaparte, qui désirait alors fonder sa puissance sur la première base de la société, et qui venait de faire des arrangements avec la cour de Rome, ne mit aucun obstacle à la publication d’un ouvrage utile à la popularité de ses desseins. Il avait à lutter contre les hommes qui l’entouraient, contre des ennemis déclarés de toutes concessions religieuses : il fut donc heureux d’être défendu au dehors par l’opinion que le Génie du Christianisme appelait. Plus tard il se repentit de sa méprise, et au moment de sa chute il avoua que l’ouvrage qui avait le plus nui à son pouvoir était le Génie du Christianisme.

 

Mais Buonaparte, qui aimait la gloire, se laissait prendre à ce qui en avait l’air ; le bruit lui imposait, et quoiqu’il devînt promptement inquiet de toute renommée, il cherchait d’abord à s’emparer de l’homme dans lequel il reconnaissait une force. Ce fut par cette raison que l’Institut n’ayant pas compris le Génie du Christianisme dans les ouvrages qui concouraient pour le prix décennal, reçut l’ordre de faire un rapport sur cet ouvrage ; et, bien qu’alors j’eusse blessé mortellement Buonaparte, ce maître du monde entretenait tous les jours M. de Fontanes des places qu’il avait l’intention de créer pour moi, des choses extraordinaires qu’il réservait à ma fortune.

 

Ce temps est passé : vingt années ont fui, des générations nouvelles sont survenues, et un vieux monde qui était hors de France y est rentré.

 

Ce monde a joui des travaux achevés par d’autres que par lui, et n’a pas connu ce qu’ils avaient coûté : il a trouvé le ridicule que Voltaire avait jeté sur la religion effacé, les jeunes gens osant aller à la messe, les prêtres respectés au nom de leur martyre, et ce vieux monde a cru que cela était arrivé tout seul, que personne n’y avait mis la main.

 

Bientôt même on a senti une sorte d’éloignement pour celui qui avait rouvert la porte des temples en prêchant la modération évangélique, pour celui qui avait voulu faire aimer le christianisme par la beauté de son culte, par le génie de ses orateurs, par la science de ses docteurs, par les vertus de ses apôtres et de ses disciples. Il aurait fallu aller plus loin. Dans ma conscience je ne le pouvais pas.

 

Depuis vingt-cinq ans ma vie n’a été qu’un combat entre ce qui m’a paru faux en religion, en philosophie, en politique, contre les crimes ou les erreurs de mon siècle, contre les hommes qui abusaient du pouvoir pour corrompre ou pour enchaîner les peuples. Je n’ai jamais calculé le degré d’élévation de ces hommes ; et depuis Buonaparte, qui faisait trembler le monde, et qui ne m’a jamais fait trembler, jusqu’aux oppresseurs obscurs qui ne sont connus que par mon mépris, j’ai osé tout dire à qui osait tout entreprendre. Partout où je l’ai pu j’ai tendu la main à l’infortune ; mais je ne comprends rien à la prospérité : toujours prêt à me dévouer aux malheurs, je ne sais point servir les passions dans leur triomphe.

 

Aurait-on bien fait de suivre le chemin que j’avais tracé pour rendre à la religion sa salutaire influence ? Je le crois. En entrant dans l’esprit de nos institutions, en se pénétrant de la connaissance du siècle, en tempérant les vertus de la foi par celle de la charité, on serait arrivé sûrement au but. Nous vivons dans un temps où il faut beaucoup d’indulgence et de miséricorde. Une jeunesse généreuse est prête à se jeter dans les bras de quiconque lui prêchera les nobles sentiments qui s’allient si bien aux sublimes préceptes de l’Evangile ; mais elle fait la soumission servile, et, dans son ardeur de s’instruire, elle a un goût pour la raison tout à fait au-dessus de son âge.

 

Le Génie du Christianisme paraît maintenant dégagé des circonstances auxquelles on aurait pu attribuer une partie de son succès. Les autels sont relevés, les prêtres sont revenus de la captivité, les prélats sont revêtus des premières dignités de l’État. L’espèce de défaveur qui en général s’attache au pouvoir devrait pareillement s’attacher à tout ce qui a favorisé le rétablissement de ce pouvoir : on est ému du combat, on porte peu d’intérêt à la victoire.

 

Peut-être aussi l’auteur nuirait-il à présent, dans un certain monde, à l’ouvrage. Je ne sais comment il arrive que les services que j’ai eu le bonheur de rendre aient rarement été une cause de bienveillance pour moi auprès de ceux à qui je les ai rendus, tandis que les hommes que j’ai combattus ont toujours, au contraire, montré du penchant pour mes écrits et même pour ma personne : ce ne sont pas mes ennemis qui m’ont calomnié. Y aurait-il dans les opinions que j’ai appuyées, parce. que sous beaucoup de rapports elles sont les miennes, y aurait-il un certain fond d’ingratitude naturelle ? Non, sans doute, et toute faute est de mon côté.

 

Par les diverses considérations de temps, de lieux, de personnes, je suis obligé de conclure que, si le Génie du Christianisme continue à trouver des lecteurs, on ne peut plus en chercher les raisons dans celles qui firent son premier succès : autant les chances lui furent favorables autrefois, autant elles lui sont contraires aujourd’hui.

 

Cependant l’ouvrage se réimprime malgré la multitude des anciennes éditions, et je le regarde toujours comme mon premier titre à la bienveillance du public.

 

 

CHATEAUBRIAND, Génie du Christianisme - Préface de l’édition de 1828

 

Vierge à l'Enfant, William Dyce (1845)

Vierge à l'Enfant, William Dyce (1845)

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