Si Dieu veut écouter nos prières, c'est à certaines conditions nécessaires et essentielles : mais de quelque manière, Chrétiens, que Dieu en use avec nous, et qu'il ait plu à sa providence de disposer les choses, ce serait une erreur, et une grossière erreur, de se persuader que les conditions de la prière fussent un obstacle à l'accomplissement de nos vœux, et un prétexte dont Dieu se servît pour avoir droit de nous refuser ses dons.
Ah ! mes Frères, disait saint Augustin, à Dieu ne plaise que nous entrions jamais dans ce sentiment, puisqu'il n'est rien de plus opposé à la conduite de notre Dieu ! Lui qui, selon l’Écriture, ne peut arrêter le cours de ses miséricordes, lors même que nous irritons sa colère : Numquid continebit in ira sua misericordias suas ? lui qui n'attend pas qu'on le prie, mais qui, dans la pensée du Prophète royal, se plaît à exaucer les simples désirs : Desiderium pauperimi exaudivit Dominus ; lui dont l'oreille est si délicate, qu'il entend jusqu'à la préparation des cœurs : Prœparationem cordis eorum audivit auris tua ; il n'a garde, si j'ose parler ainsi, d'être de si difficile composition quand on l'invoque de bonne foi ; et bien loin qu'il se prévale de sa grandeur, dans le commerce qu'il nous permet d'avoir avec lui par la prière, on pourrait plutôt douter s'il ne s'y relâche point trop de ce qui lui est dû, et s'il ne supporte point avec trop de condescendance nos faiblesses et nos imperfections. J'avoue que la prière, pour être efficace, doit être revêtue de certaines qualités : mais en cela je soutiens qu'on ne peut accuser Dieu, ni de restreindre ses promesses, ni d'enchérir ses grâces. Pourquoi ? parce qu'à bien examiner ses qualités, il n'y en a aucune qui ne soit aisée dans la pratique, aucune dont la raison ne nous justifie la nécessité, aucune que les hommes même n'exigent par proportion les uns des autres ; et ce que je vous ai déjà fait remarquer, aucune dont cette femme de notre évangile ne nous ait donné l'exemple, et dont elle ne soit pour nous le plus sensible modèle.
Car enfin, demande saint Chrysostome, dans l'excellente homélie qu'il a composée sur ce sujet, quelles conditions exige notre Dieu pour l'infaillibilité de la prière ? l'humilité, la confiance, la persévérance, l'attention de l'esprit, l'affection du cœur. Or y a-t-il rien là, je ne dis pas d'impraticable et d'impossible, mais de pénible et d'onéreux ? Prier dans la disposition d'un esprit humble, quoi de plus raisonnable et même de plus naturel ? Peut-on avoir une juste idée de la prière, et oublier en priant cette règle fondamentale ? Prie-t-on autrement les princes et les monarques de la terre ? Se fait-on une peine de leur rendre des hommages et des respects, lorsqu'on a des requêtes à leur présenter ? et si, par ces respects et par ces hommages, on vient à bout de ses prétentions, se plaint-on qu'il en ait trop coûté ? Dit-on qu'ils fassent acheter trop cher leurs grâces, quand ils les refusent à un téméraire qui les demande avec hauteur ? et pourquoi le dirait-on de Dieu, devant qui il est d'ailleurs bien plus raisonnable et par conséquent bien plus facile de s'humilier que devant les hommes ?
La Chananéenne dont parle saint Matthieu fit-elle difficulté de se prosterner en la présence de Jésus-Christ, et de l'adorer ? Fut-ce un grand effort pour elle de confesser à ses pieds son indignité, et compta-t-elle pour beaucoup d'essuyer les rebuts auxquels elle se vit d'abord exposée ? Non, non, lui dit le Sauveur du monde, il ne faut pas donner le pain des enfants aux chiens : Non est bonum numere panem filiorum, et mittere canibus. Est-il une comparaison plus humiliante ? mais tout humiliante qu'elle pût être, cette Chananéenne en parut-elle touchée et contrastée ? que dis-je ? ne reconnut-elle pas elle-même la vérité de ces paroles, en se les appliquant ? Il est vrai, Seigneur : Etiam, Domine. Ce fut ainsi qu'elle pria.
Mais comment prions-nous ? Elle était païenne, et cette païenne s'humilie ; nous sommes chrétiens, et nous apportons à la prière un esprit d'orgueil dont nous ne pouvons nous défaire, lors même que nous sommes forcés à reconnaître nos misères et nos besoins; et parce que cet esprit nous domine, nous prions avec présomption, comme si Dieu devait avoir des égards pour nous, comme s'il devait nous distinguer, comme s'il devait nous tenir compte de nos prières. Sans parler de ce faste extérieur qui souvent accompagne nos sacrifices, et qui, bien loin d'engager Dieu à nous écouter, l'engage à nous punir ; sans parler de ce luxe que nous portons jusque dans le sanctuaire, de cet air de grandeur et de suffisance que nous y retenons, de ces postures vaines et négligées que nous y affectons ; états bien contraires à l'action d'un suppliant, et qui, selon l'Ecriture, rendent nos prières abominables devant Dieu, puisque Dieu ne hait rien davantage qu'un pauvre orgueilleux : Pauperem superbum ; sans en venir à ce détail, nous demandons à Dieu des grâces, mais comment ? non point comme des grâces, mais comme des dettes, prêts à nous élever et à nous enfler s'il nous les accorde, prêts à murmurer et à nous plaindre s'il ne nous les accorde pas. Nous les demandons, pour oublier, après les avoir reçues, que nous les tenons de lui ; pour les posséder et en user sans les rapporter à lui. Or, devons-nous être surpris alors que Dieu nous ferme son sein ? voulons-nous qu'il nous exauce aux dépens de sa propre gloire ? et ne serait-ce pas prodiguer ses biens que de les répandre indifféremment et sur les superbes et sur les humbles ?
Prier dans le sentiment d'une vive confiance, quoi de plus juste ? C'est notre souverain et notre Dieu qui, par un effet de sa miséricorde, non seulement veut être prié de la sorte, mais se tient même honoré de cette confiance, qui, dans mille endroits de l’Écriture, lui attribue plutôt qu'à sa miséricorde (ne vous offensez pas de ma proposition, elle est saine et orthodoxe), qui, dis-je, en mille endroits de l’Écriture, attribue à cette confiance, plutôt qu'à sa miséricorde même, la vertu miraculeuse de la prière ; ne disant pas à ceux qui ont recours à lui et qui le réclament : C'est ma bonté et ma puissance, mais c'est votre foi et votre confiance qui vous a sauvés : Fides tua te salvam fecit. Pouvait-il nous proposer un parti plus avantageux ? Tout infidèle qu'était la Chananéenne, n'est-ce pas celui qu'elle embrassa d'abord ? Cette ouverture de cœur qu'elle marqua à Jésus-Christ, en lui portant elle-même la parole : Seigneur, ayez pitié de moi : Miserere mei, Domine ; ce motif tendre et affectueux par où elle l'intéressa, en l'appelant fils de David : Filii David ; ces cris qu'elle redoubla à mesure que les apôtres la reprenaient et lui ordonnaient de se taire : Dimitte eam, quia clamat post nos ; cette assurance qu'elle eut de renoncer volontiers au pain de la table, pourvu qu'on lui donnât seulement les miettes qui en tombaient ; c'est-à-dire, selon l'explication de saint Jérôme, de se contenter des moindres efforts de la puissance du Sauveur, convaincue que ce serait assez pour opérer le miracle qu'elle demandait : Nam et catelli edunt de micis quœ cadunt de mensa dominorum suorum.
Tout cela n'était-il pas d'une âme bien sûre du Dieu qu'elle invoquait ? Qu'eût-elle fait, si déjà chrétienne, elle eût connu Jésus-Christ aussi parfaitement que nous ; si, comme nous, au lieu de le connaître pour fils de David, elle l'eût connu pour Fils du Dieu vivant ? Et n'est-il pas néanmoins vrai qu'avec toutes les idées que notre religion nous donne de cet Homme-Dieu, nous ne le prions presque jamais de cette manière simple, mais héroïque, qui nous est marquée par l'Apôtre, je veux dire avec foi et sans aucun doute ? Postulet autem in fide, nihil hœsitans. Quoique Jésus-Christ ait pu faire pour nous y aider, et quoique, pour vaincre notre incrédulité et notre défiance, il se soit engagé à nous par le serment le plus solennel, et qu'il en ait juré par lui-même, lui, comme dit saint Paul, qui n'avait point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, notre défiance et notre incrédulité l'emportent. Nous croyons un homme sur sa parole, et nous ne croyons pas un Dieu ; nous prions, mais en même temps nous nous troublons, nous nous entretenons dans de vaines inquiétudes, nous nous abandonnons à de secrets désespoirs ; nous avons recours à Dieu, mais toujours dans l'extrémité, et quand tout le reste nous manque ; nous comptons moins sur Dieu que sur nous-mêmes, et nous faisons plus de fond sur notre prudence que sur nos prières. Aveuglement que déplorait saint Ambroise, et qui justifie bien la conduite de Dieu quand il raccourcit son bras à notre égard, et qu'il ne daigne pas l'étendre pour nous secourir.
Prier avec persévérance, quoi de plus convenable ? Dieu, maître de ses dons, et à qui seul il appartient d'en disposer, ne peut-il pas les mettre à tel prix qu'il lui plaît ; et ses grâces ne sont-elles pas en effet assez précieuses pour les demander souvent et longtemps ? Quand Jésus-Christ, par son silence, éprouva cette mère de l'Evangile, et qu'il ne lui répondit pas même une parole : Et non respondit ei verbum ; quand il sembla vouloir l'éloigner par un refus sévère et mortifiant, et que devant elle il déclara aux apôtres qu'il n'était point envoyé pour elle : Non sum missus, nisi ad oves quœ perierunt domus Israël, cessa-t-elle pour cela de prier, de solliciter, de presser ? Non, Chrétiens ; la résistance de Jésus-Christ augmenta sa persévérance, et sa persévérance triompha de la résistance de Jésus-Christ. Elle comprit d'abord le mystère et les inclinations de ce Dieu Sauveur ; et dans l'engagement où elle se trouva d'entrer, pour ainsi dire, en lice avec lui, opposant à une dureté apparente les empressements véritables d'une sainte opiniâtreté, elle força en quelque sorte les lois de la Providence ; elle mérita, quoique étrangère, d'être traitée en Israélite : elle obtint le double miracle, et de la délivrance de sa fille, et de sa propre conversion.
Ô charité de mon Dieu, s'écrie un Père, que vous êtes adorable dans vos dissimulations, et dans les stratagèmes dont vous usez pour combattre en apparence contre ceux mêmes pour qui vous combattez en effet! O dissimulatrix clementia, quœ duritiem te simulas, quanta pietate pugnas adversus eos pro quibus pugnas ! Ne désespérez donc point, ajoutait-il, ô âme chrétienne, vous qui avez commencé dans la prière à lutter avec votre Dieu ! car il aime que vous lui fassiez violence ; il se plaît à être désarmé par vous : Noli igitur desperare, o anima, quœ cum Leo luctari cœpisti ; amat utique vim abs te pati, desiderat a te superari. Et ne craignons pas, mes Frères, conclut-il, que ce Dieu de miséricorde puisse, être fort et invincible contre nous, lui qui, par le plus étonnant prodige, a voulu jusques à la mort être faible pour nous : Et absit, Fratres, ut fortis sit adversum nos, qui pro nobis usque ad mortem infirmatus est.
Ainsi le concevaient les Saints : mais nous, vous le savez, prévenus d'une erreur toute contraire, et emportés par un esprit volage et léger, nous cédons à Dieu malgré lui-même ; nous lui cédons lorsqu'il voudrait lui-même nous céder ; nous nous ennuyons de lui dire que nous sommes pauvres et que nous attendons son secours, et il veut être importuné. Cette assiduité nous fatigue, nous gêne, nous cause des dégoûts et des impatiences. Nous voudrions en être quittes, pour nous être une fois présentés à la porte ; et nous oublions la grande maxime du Sage, qui nous avertit de supporter les lenteurs de Dieu : Sustine sustentationes Dei. Nous ne pouvons nous accommoder de cette parole d'Isaïe : Expecta, attendez ; Reexpecta, attendez encore. Le moindre délai nous rebute ; et souvent sur le point même de voir nos vœux remplis, nous en perdons tout le mérite et tout le profit. A qui nous en devons-nous prendre ? Est-ce à Dieu ? ou n'est-ce pas à nous-mêmes ?
Enfin, prier avec attention, avec affection, je dis avec attention de l'esprit, avec affection du cœur, quoi de plus nécessaire et de plus essentiel à la prière? Je finis par ce point, le plus important de tous.
Attention de l'esprit, affection du cœur, c'est ce que j'appelle, après saint Thomas, l'âme de la prière, et sans quoi elle ne peut pas plus subsister qu'un corps sans l'esprit qui le vivifie et qui l'anime. Car qu'est-ce que la prière ? ne consultons point ici la théologie, mais le seul bon sens, et l'idée commune que nous avons de ce saint exercice ; qu'est-ce, encore une fois, que la prière ? un entretien avec Dieu, où l'âme admise, pour m'exprimer de la sorte, et introduite dans le sanctuaire, expose à Dieu ses besoins, lui représente ses faiblesses, lui découvre ses tentations, lui demande grâce pour ses infidélités. Or, tout cela ne suppose-t-il pas un recueillement et un sentiment intérieur ? Si donc il arrive qu'au moment que je traite avec Dieu, mon esprit s'égare jusques à perdre absolument et volontairement cette attention intérieure et cette dévotion, quoi que je fasse du reste, ce n'est plus une prière. Quand je chanterais les louanges du Seigneur, quand j'emploierais les nuits entières au pied des autels ; quand mon corps, selon l'expression et l'exemple de David, demeurerait comme attaché et collé à la terre ; dès que je cesse de m'appliquer, je cesse de prier. Et de là, Chrétiens, le Docteur angélique tirait trois grandes conséquences auxquelles je n'ajouterai rien, mais que je vous prie de bien méditer pour votre édification ; conséquences terribles, et qui vous feront pleinement connaître pourquoi nos prières ont si peu d'efficace auprès de Dieu.
Première conséquence. Puisqu'il est vrai que l'attention est de l'essence de la prière, on peut dire avec sujet, mais encore avec plus de douleur, que l'exercice de la prière est comme anéanti dans le christianisme ; pourquoi ? parce que si l'on y prie encore quelquefois, c'est sans réflexion. A quoi se réduit toute notre piété ? à quelques prières que nous récitons, mais du reste avec un esprit dissipé et presque toujours distrait. Nous remuons les lèvres, non pas comme cette mère de Samuel, dont le grand-prêtre Héli jugea témérairement ; mais comme les pharisiens, à qui Dieu reprochait que leur cœur était bien loin de lui, tandis qu'ils le glorifiaient de bouche. Ainsi nos prières ne sont plus communément qu'hypocrisie ; et Jésus-Christ pourrait bien nous redire ce qu'il disait aux pharisiens : Hypocrites, bene prophetavit de vobis Isaias : Populus hic labiis me honorat, cor autem eorum longe est a me.
Ce n'est pas seulement le peuple qui tombe dans ce désordre, et qui, par une fatale grossièreté, prie tous les jours sans prier, c'est-à-dire sans penser à qui il parle, ni à ce qu'il demande. Ce n'est pas seulement le sexe dévot, qui, plus adonné à la prière, fait son capital de dire beaucoup, mais sans fixer sa légèreté naturelle, et en l’appliquant très peu. Ce sont même les hommes les plus éclairés et les mieux instruits ; ce sont les personnes mêmes consacrées à Dieu, les ministres mêmes de Dieu, qui, par le plus déplorable renversement, à force de prier ne prient point du tout ; et au lieu de perfectionner une si sainte pratique par l'habitude, la corrompent et la détruisent.
Seconde conséquence. Puisque la prière renferme essentiellement l'attention, il s'ensuit que, dans les prières qui nous sont commandées, l'attention est elle-même de précepte, en sorte qu'il ne suffit point alors de prononcer, mais qu'une distraction notable et volontaire doit être considérée comme une offense griève et mortelle. Or, je dis surtout ceci, mes Frères, et pour vous et pour moi, parce que c'est en cela que consiste un des premiers engagements de votre profession et de la mienne, et que la prière vocale est comme le sacré tribut que l’Église chaque jour exige de nous. Car il serait bien étrange que cette action, si sainte d'elle-même, et qui doit nous-mêmes nous sanctifier, ne servît qu'à nous condamner ; et que ce qui doit être pour nous la source des grâces, devînt une des sources de notre réprobation. Souvenons-nous qu'en nous obligeant à l'office divin, nous nous sommes obligés à un acte de religion ; qu'un acte de religion n'est point une pratique purement extérieure ; et que, comme l’Église, en nous commandant la confession, nous commande la contrition du cœur, aussi nous commande-t-elle l'attention de l'esprit, en nous commandant la prière. Soit que cette obligation naisse immédiatement et directement du précepte de l’Église même, comme l'estiment de très habiles théologiens ; soit qu'elle vienne du précepte naturel qui accompagne celui de l’Église, en vertu duquel Dieu nous ordonne de faire saintement et dignement ce qui nous est prescrit, comme veulent quelques autres : quoi qu'il en soit, cette différence de sentiments n'est qu'une subtilité de l'école ; et dans l'une et l'autre opinion, l'on pèche toujours également.
Ah ! mes Frères, n'attirons pas sur nous cette malédiction dont le Prophète, dans l'excès de son zèle, menaçait le pécheur, quand il disait : Que sa prière devienne un péché pour lui : Oratio ejus fiat in peccatum. Or, à combien de ministres, ou de combien de ministres n'est-il pas à craindre qu'on en puisse dire autant ? Si saint Augustin s'accusait sur cela de négligence, nous avons bien encore plus lieu de nous en accuser nous-mêmes.
Troisième et dernière conséquence. Ce n'est donc pas sans raisons que Dieu rejette nos prières, puisque ce ne sont rien moins que des prières, et que, bien loin de l'honorer, nous l'offensons et l'irritons contre nous. Car quelle injustice, mon cher auditeur ? Vous voulez que Dieu s'applique à vous quand il vous plaît de le prier, et vous ne voulez pas, en le priant, vous appliquer vous-même à Dieu. Vous dites à Dieu comme le Prophète : Seigneur, prêtez l'oreille à mes paroles : Verba mea auribus percipe ; Seigneur, écoulez mes cris : Intellige clamorem meam ; Seigneur, soyez attentif à mes vœux : Intende voci orationis meœ ; mais au même temps vous portez votre esprit ailleurs. Vous demandez que Dieu vous parle, et vous ne lui parlez pas ; vous demandez que Dieu vous écoute, et vous ne l'écoutez pas, vous ne vous écoutez pas vous-même, vous ne vous comprenez pas.
Réformons-nous, Chrétiens, sur ce seul article, et nous réformerons toute notre vie ; car on sait bien vivre, dit saint Augustin, quand on sait bien prier : Recte novit vivere, qui novit orare. Pourquoi sommes-nous sujets à tant de désordres ? c'est parce que nous ne prions point, ou que nous prions mal ; et par un retour trop ordinaire, pourquoi ne prions-nous point, ou pourquoi prions-nous mal ? c'est parce que nous ne voulons pas sortir de nos désordres, et que nous craignons de guérir. Demandons à Dieu des choses dignes de lui et dignes de nous. Demandons-les d'une manière digne de lui et digne de nous. En deux mots, demandons-lui ses grâces, et demandons-les bien ; nous les obtiendrons : mais entre les autres grâces, demandons-lui surtout le don de la prière. Disons-lui comme les apôtres : Domine, doce nos orare.
Ah ! Seigneur, notre faiblesse est telle, que nous ne pouvons pas même, sans vous, vous bien exposer nos besoins, ni bien implorer votre secours. C'est à vous à nous faire sentir efficacement nos misères ; c'est à vous à nous attirer au pied de votre autel pour vous les représenter ; c'est à vous à nous inspirer ce que nous devons vous dire pour vous toucher.
Donnez-nous donc vous-même, ô mon Dieu, cette science si nécessaire, et par une grâce où sont en quelque sorte renfermées, comme dans leur source, toutes les autres grâces, apprenez-nous à nous servir de la prière pour faire descendre sur nous des grâces de conversion, des grâces de sanctification, des grâces de salut, qui nous conduisent à la gloire éternelle.
BOURDALOUE, SUR LA PRIÈRE
ŒUVRES COMPLÈTES DE BOURDALOUE
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