"Je vous donne un commandement nouveau : c'est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c'est l'amour que vous aurez les uns pour les autres."
Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
" Le Défenseur, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit."
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
Saint Père François
1er mai 2011 Béatification de Jean-Paul II
Béatification du Serviteur de Dieu Jean-Paul II
Béatification du Père Popieluszko
à Varsovie, 6 juin 2010, Dimanche du Corps et du Sang du Christ
Varsovie 2010
Basilique du
Sacré-Cœur de Montmartre
Sanctuaire de l'Adoration Eucharistique et de la Miséricorde
Divine
La miséricorde de Dieu
est comme un torrent débordé. Elle entraîne les cœurs sur son passage.
(Saint Curé d'Ars)
Le côté du Christ a été transpercé et tout le mystère de Dieu sort de là. C’est tout le mystère de Dieu qui aime, qui se livre jusqu’au bout, qui se donne jusqu’au bout. C’est le don le plus
absolu qui soit. Le don du mystère trinitaire est le cœur ouvert. Ce n’est pas une image, c’est une réalité. C’est la réalité la plus profonde qui soit, la réalité de
l’amour.
Père Marie-Joseph Le
Guillou
Dans le cœur transpercé
de Jésus sont unis
le Royaume du Ciel
et la terre d'ici-bas
la source de la vie
pour nous se trouve là.
Ce cœur est cœur divin
Cœur de la Trinité
centre de convergence
de tous les cœur humains
il nous donne la vie
de la Divinité.
Sainte Thérèse Bénédicte de la Croix
(Edith Stein)
Le Sacré-Cœur représente toutes les puissances d'aimer, divines et humaines, qui sont en
Notre-Seigneur.
Père Marie-Eugène de l'Enfant
Jésus
feuille d'annonces de la Basilique du Sacré-Coeur de
Montmartre
Notre Dame de Grâce
Cathédrale Notre Dame de Paris
Ordinations du
samedi 27 juin 2009 à Notre Dame de Paris
la vidéo sur
KTO
Magnificat
Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie à Notre-Dame de
Paris
NOTRE DAME DES VICTOIRES
Notre-Dame des
Victoires
... ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !
SAINT PIERRE ET SAINT ANDRÉ
BENOÎT XVI à CHYPRE
Salutation avec l'Archevêque Chrysostomos à l'église d' Agia Kyriaki Chrysopolitissa de Paphos, le vendredi 4 juin 2010
Benoît XVI en Terre Sainte
Visite au chef de l'Etat, M. Shimon Peres
Visite au mémorial de la Shoah, Yad Vashem
Yahad-In Unum
Vicariat hébréhophone en Israël
Mgr Fouad Twal
Vierge de Vladimir
Le 10, de grand matin, je sortis de Jérusalem par la porte d’Ephraïm, toujours accompagné du fidèle Ali, dans le dessein d’examiner les champs de bataille immortalisés par le Tasse.
Arrivé au nord de la ville, entre la grotte de Jérémie et les sépulcres des rois, j’ouvris La Jérusalem délivrée, et je fus
sur-le-champ frappé de la vérité de l’exposition du Tasse :
Gerusalem sevro due colli è posta, etc.
Je me servirai d’une traduction qui dispense de l’original :
" Solime est assise sur deux collines opposées et de hauteur inégale ; un vallon les sépare et partage la ville : elle a de trois
côtés un accès difficile. Le quatrième s’élève d’une manière douce et presque insensible ; c’est le côté du nord : des fossés profonds et de hautes murailles l’environnent et la défendent.
" Au dedans sont des citernes et des sources d’eau vive ; les dehors n’offrent qu’une terre aride et nue, aucune fontaine, aucun ruisseau ne l’arrose ; jamais on n’y vit éclore de fleurs ; jamais arbre, de son superbe ombrage, n’y forma un asile contre les rayons du soleil. Seulement, à plus de six milles de distance, s’élève un bois dont l’ombre funeste répand l’horreur et la tristesse.
" Du côté que le soleil éclaire de ses premiers rayons, le Jourdain roule ses ondes illustres et fortunées. A l’occident, la mer Méditerranée mugit sur le sable qui l’arrête et la captive. Au nord est Béthel, qui éleva des autels au veau d’or, et l’infidèle Samarie. Bethléem, le berceau d’un Dieu, est du côté qu’attristent les pluies et les orages."
Rien de plus net, de plus clair, de plus précis que cette description ; elle eut été faite sur les lieux qu’elle ne serait pas plus exacte. La forêt placée à six milles du camp, du côté de l’Arabie, n’est point une invention du poète : Guillaume de Tyr parle du bois où le Tasse fait naître tant de merveilles. Godefroy y trouva des poutres et des solives pour la construction de ses machines de guerre. On verra combien le Tasse avait étudié les originaux quand je traduirai les historiens des croisades.
E’l capitano,
Poi ch’intorno ha mirato, a i suoi discende.
" Cependant Godefroy, après avoir tout reconnu, tout examiné, va rejoindre les siens : il sait qu’en vain il attaquerait Solime par les côtés escarpés et d’un difficile abord. Il fait dresser les tentes vis-à-vis la porte septentrionale et dans la plaine qu’elle regarde de là il les prolonge jusqu’au-dessous de la tour angulaire.
" Dans cet espace il renferme presque le tiers de la ville. Jamais il n’aurait pu en embrasser toute l’enceinte : mais il ferme tout accès aux secours et fait occuper tous les passages."
On est absolument sur les lieux. Le camp s’étend depuis la porte de Damas jusqu’à la tour angulaire, à la naissance du torrent de
Cédron et de la vallée de Josaphat. Le terrain entre la ville et le camp est tel que le Tasse l’a représenté, assez uni et propre à devenir un champ de bataille au pied des murs de Solime. Aladin
est assis avec Herminie sur une tour bâtie entre deux portes d’où ils découvrent les combats de la plaine et le camp des chrétiens. Cette tour existe avec plusieurs autres entre la porte de Damas
et la porte d’Ephraïm.
Au second livre, on reconnaît, dans l’épisode d’Olinde et de Sophronie, deux descriptions de lieu très exactes :
Nel tempio de’cristiani occulto giace, etc.
" Dans le temple des chrétiens, au fond d’un souterrain inconnu, s’élève un autel ; sur cet autel est l’image de celle que ce peuple révère comme une déesse et comme la mère d’un Dieu mort et enseveli."
C’est l’église appelée aujourd’hui le Sépulcre de la Vierge ; elle est dans la vallée de Josaphat, et j’en ai parlé plus haut. Le
Tasse, par un privilège accordé aux poètes, met cette église dans l’intérieur de Jérusalem.
La mosquée où l’image de la Vierge est placée d’après le conseil du magicien est évidemment la mosquée du Temple :
Io là, donde riceve
L’alta vostra meschita e l’aura e’l die, etc.
" La nuit, j’ai monté au sommet de la mosquée, et, par l’ouverture qui reçoit la clarté du jour, je me suis fait une route inconnue à tout autre."
Le premier choc des aventuriers, le combat singulier d’Argant, d’Othon, de Tancrède, de Raimond de Toulouse, a lieu devant la porte
d’Ephraïm. Quand Armide arrive de Damas, elle entre, dit le poète par l’extrémité du camp. En effet, c’était près de la porte de Damas que se devaient trouver, du côté de l’ouest, les dernières
tentes des chrétiens.
Je place l’admirable scène de la fuite d’Herminie vers l’extrémité septentrionale de la vallée de Josaphat. Lorsque l’amante de
Tancrède a franchi la porte de Jérusalem avec son fidèle écuyer, elle s’enfonce dans des vallons, et prend des sentiers obliques et détournés (cant. VI, stanz. 96). Elle n’est donc pas
sortie par la porte d’Ephraïm ; car le chemin qui conduit de cette porte au camp des croisés passe sur un terrain uni : elle a préféré s’échapper par la porte de l’orient, porte moins suspecte et
moins gardée.
Herminie arrive dans un lieu profond et solitaire : in solitaria ed ima parte.
Elle s’arrête et charge son écuyer d’aller parler à Tancrède : ce lieu profond et solitaire est très bien marqué au haut de la
vallée de Josaphat, avant de tourner l’angle septentrional de la ville. Là, Herminie pouvait attendre en sûreté le retour de son messager, mais elle ne peut résister à son impatience : elle monte
sur la hauteur, et découvre les tentes lointaines. En effet, en sortant de la ravine du torrent de Cédron, et marchant au nord, on devait apercevoir, à main gauche, le camp des chrétiens.
Viennent alors ces stances admirables :
Era la notte, etc.
" La nuit régnait encore : aucun nuage n’obscurcissait son front chargé d’étoiles : la lune naissante répandait sa douce clarté : l’amoureuse beauté prend le ciel à témoin de sa flamme ; le silence et les champs sont les confidents muets de sa peine.
Elle porte ses regards sur les tentes des chrétiens : O camp des Latins, dit-elle, objet cher à ma vue ! Quel air on y respire !
Comme il ranime mes sens et les récrée ! Ah ! si jamais le ciel donne un asile à ma vie agitée, je ne le trouverai que dans cette enceinte : non, ce n’est qu’au milieu des armes que m’attend le
repos !
" O camp des chrétiens ! reçois la triste Herminie ! Qu’elle obtienne dans ton sein cette pitié que l’amour lui promit ; cette
pitié que jadis captive elle trouva dans l’âme de son généreux vainqueur ! Je ne redemande point mes États, je ne redemande point le sceptre qui m’a été ravi : ô chrétiens ! je serai trop
heureuse si je puis seulement servir sous vos drapeaux !
" Ainsi parlait Herminie. Hélas ! elle ne prévoit pas les maux que lui apprête la fortune ! Des rayons de lumière réfléchis sur ses armes vont au loin frapper les regards : son habillement blanc, ce tigre d’argent qui brille sur son casque, annoncent Clorinde.
" Non loin de là est une garde avancée ; à la tête sont deux frères, Alcandre et Polipherne."
Alcandre et Polipherne devaient être placés à peu près vers les sépulcres des rois. On doit regretter que le Tasse n’ait pas décrit
ces demeures souterraines ; le caractère de son génie l’appelait à la peinture d’un pareil monument.
Il n’est pas aussi aisé de déterminer le lieu où la fugitive Herminie rencontre le pasteur au bord du fleuve cependant, comme il n’y
a qu’un fleuve dans le pays, qu’Herminie est sortie de Jérusalem par la porte d’orient, il est probable que le Tasse a voulu placer cette scène charmante au bord du Jourdain. Il est inconcevable,
j’en conviens, qu’il n’ait pas nommé ce fleuve, mais il est certain que ce grand poète ne s’est pas assez attaché aux souvenirs de l’Ecriture, dont Milton a tiré tant de beautés.
Quant au lac et au château où la magicienne Armide enferme les chevaliers qu’elle a séduits, le Tasse déclare lui-même que ce lac
est la mer Morte :
Al fin giungemmo al loto, ove già scese
Fiamma dal cielo, etc.
Un des plus beaux endroits du poème, c’est l’attaque du camp des chrétiens par Soliman. Le sultan marche la nuit au travers des plus
épaisses ténèbres ; car, selon l’expression sublime du poète,
Voto Pluton gli abissi, e la sua notte
Tutta verso dalle Tartaree grotte.
Le camp est assailli du côté du couchant ; Godefroy, qui occupe le centre de l’armée vers le nord, n’est averti qu’assez tard du
combat qui se livre à l’aile droite. Soliman n’a pas pu se jeter sur l’aile gauche, quoiqu’elle soit plus près du désert, parce qu’il y a des ravines profondes de ce côté. Les Arabes, cachés
pendant le jour dans la vallée de Térébinthe, en sont sortis avec les ombres pour tenter la délivrance de Solime.
Soliman, vaincu, prend seul le chemin de Gaza. Ismen le rencontre, et le fait monter sur un char qu’il environne d’un nuage. Ils
traversent ensemble le camp des chrétiens et arrivent à la montagne de Solime. Cet épisode, admirable d’ailleurs, est conforme aux localités jusqu’à l’extérieur du château de David, près la porte
de Jaffa ou de Bethléem ; mais il y a erreur dans le reste. Le poète a confondu ou s’est plu à confondre la tour de David avec la tour Antonia : celle-ci était bâtie loin de là, au bas de la
ville, à l’angle septentrional du temple.
Quand on est sur les lieux, on croit voir les soldats de Godefroy partir de la porte d’Ephraïm, tourner à l’orient, descendre dans
la vallée de Josaphat, et aller, comme de pieux et paisibles pèlerins, prier l’Eternel sur la montagne des Oliviers. Remarquons que cette procession chrétienne rappelle d’une manière sensible la
pompe des Panathénées, conduite à Eleusis au milieu des soldats d’Alcibiade. Le Tasse, qui avait tout lu, qui imite sans cesse Virgile, Homère et les autres poètes de l’antiquité, a mis ici en
beaux vers une des plus belles scènes de l’histoire. Ajoutons que cette procession est d’ailleurs un fait historique raconté par l’Anonyme, Robert moine, et Guillaume de Tyr.
Nous venons au premier assaut. Les machines sont plantées devant les murs du septentrion. Le Tasse est exact ici jusqu’au scrupule
:
Non era il fosso di palustre limo
(Che nol consente il loco) o d’acqua molle.
C’est la pure vérité. Le fossé au septentrion est un fossé sec, ou plutôt une ravine naturelle, comme les autres fossés de la
ville.
Dans les circonstances de ce premier assaut, le poète a suivi son génie sans s’appuyer sur l’histoire ; et comme il lui convenait de
ne pas marcher aussi vite que le chroniqueur, il suppose que la principale machine fut brûlée par les infidèles et qu’il fallut recommencer le travail. Il est certain que les assiégés mirent le
feu à une des tours des assiégeants. Le Tasse a étendu cet accident selon le besoin de sa fable.
Bientôt s’engage le terrible combat de Tancrède et de Clorinde, fiction la plus pathétique qui soit jamais sortie du cerveau d’un
poète.
Le lieu de la scène est aisé à trouver. Clorinde ne peut rentrer avec Argant par la porte Dorée : elle est donc sous le temple, dans
la vallée de Siloé. Tancrède la poursuit ; le combat commence ; Clorinde mourante demande le baptême ; Tancrède, plus infortuné que sa victime, va puiser de l’eau à une source voisine ; par cette
source le lieu est déterminé :
Poco quindi lontan nel sen del monte,
Scaturia mormorando un picciol rio.
C’est la fontaine de Siloé, ou plutôt la source de Marie, qui jaillit ainsi du pied de la montagne de Sion.
Je ne sais si la peinture de la sécheresse, dans le treizième chant, n’est pas le morceau du poème le mieux écrit : le Tasse y
marche l’égal d’Homère et de Virgile. Ce morceau, travaillé avec soin, a une fermeté et une pureté de style qui manquent quelquefois aux autres parties de l’ouvrage :
Spenta è del cielo ogni benigna lampa, etc.
" Jamais le soleil ne se lève que couvert de vapeurs sanglantes, sinistre présage d’un jour malheureux ; jamais il ne se couche que des taches rougeâtres ne menacent d’un aussi triste lendemain. Toujours le mal présent est aigri par l’affreuse certitude du mal qui doit le suivre.
" Sous les rayons brûlants, la fleur tombe desséchée ; la feuille pâlit, l’herbe languit altérée ; la terre s’ouvre et les sources tarissent. Tout éprouve la colère céleste, et les nues stériles répandues dans les airs n’y sont plus que des vapeurs enflammées.
" Le ciel semble une noire fournaise ; les yeux ne trouvent plus où se reposer ; le zéphyr se tait, enchaîné dans ses grottes obscures : l’air est immobile ; quelquefois seulement la brûlante haleine d’un vent qui souffle du côté du rivage maure l’agite et l’enflamme encore davantage.
" Les ombres de la nuit sont embrasées de la chaleur du jour : son voile est allumé du feu des comètes et chargé d’exhalaisons funestes. O terre malheureuse ! le ciel te refuse sa rosée ; les herbes et les fleurs mourantes attendent en vain les pleurs de l’aurore.
" Le doux sommeil ne vient plus sur les ailes de la nuit verser ses pavots aux mortels languissants. D’une voix éteinte, ils implorent ses faveurs, et ne peuvent les obtenir. La soif, le plus cruel de tous les fléaux, consume les chrétiens : le tyran de la Judée a infecté toutes les fontaines de mortels poisons, et leurs eaux funestes ne portent plus que les maladies et la mort.
" Le Siloé, qui, toujours pur, leur avait offert le trésor de ses ondes appauvri maintenant, roule lentement sur des sables qu’il mouille à peine : quelle ressource, hélas ! l’Eridan débordé, le Gange, le Nil même, lorsqu’il franchit ses rives et couvre l’Égypte de ses eaux fécondes, suffiraient à peine à leurs désirs.
" Dans l’ardeur qui les dévore, leur imagination leur rappelle ces ruisseaux argentés qu’ils ont vus couler au travers des gazons, ces sources qu’ils ont vues jaillir du sein d’un rocher et serpenter dans des prairies : ces tableaux jadis si riants ne servent plus qu’à nourrir leurs regrets et à redoubler leur désespoir.
" Ces robustes guerriers qui ont vaincu la nature et ses obstacles, qui jamais n’ont ployé sous leur pesante armure, que n’ont pu dompter le fer ni l’appareil de la mort, faibles maintenant, sans courage et sans vigueur, pressent la terre de leur poids inutile : un feu secret circule dans leurs veines, les mine et les consume.
" Le coursier, jadis si fier, languit auprès d’une herbe aride et sans saveur ; ses pieds chancellent, sa tête superbe tombe négligemment penchée ; il ne sent plus l’aiguillon de la gloire, il ne se souvient plus des palmes qu’il a cueillies : ces riches dépouilles dont il était autrefois si orgueilleux ne sont plus pour lui qu’un odieux et vil fardeau.
" Le chien fidèle oublie son maître et son asile ; il languit étendu sur la poussière, et, toujours haletant, il cherche en vain à calmer le feu dont il est embrasé : l’air lourd et brûlant pèse sur les poumons qu’il devait rafraîchir."
Voilà de la grande, de la haute poésie. Cette peinture, si bien imitée dans Paul et Virginie, a le double mérite de
convenir au ciel de la Judée et d’être fondée sur l’histoire : les chrétiens éprouvèrent une pareille sécheresse au siège de Jérusalem. Robert nous en a laissé une description que je ferai
connaître aux lecteurs.
Au quatorzième chant, nous chercherons un fleuve qui coule auprès d’Ascalon, et au fond duquel demeure l’ermite qui révéla à Ubalde
et au chevalier danois les destinées de Renaud. Ce fleuve est le torrent d’Ascalon ou un autre torrent plus au nord, qui n’a été connu qu’au temps des croisades, comme le témoigne
d’Anville.
Quant à la navigation des deux chevaliers, l’ordre géographique y est merveilleusement suivi. Partant d’un port entre Jaffa et
Ascalon et descendant vers l’Égypte, ils durent voir successivement Ascalon, Gaza, Raphia et Damiette. Le poète marque la route au couchant, quoiqu’elle fut d’abord au midi ; mais il ne pouvait
entrer dans ce détail. En dernier résultat, je vois que tous les poètes épiques ont été des hommes très instruits ; surtout ils étaient nourris des ouvrages de ceux qui les avaient précédés dans
la carrière de l’épopée : Virgile traduit Homère ; le Tasse imite à chaque stance quelque passage d’Homère, de Virgile, de Lucain, de Stace ; Milton prend partout et joint à ses propres trésors
les trésors de ses devanciers.
Le seizième chant, qui renferme la peinture des jardins d’Armide, ne fournit rien à notre sujet. Au dix-septième chant nous trouvons
la description de Gaza et le dénombrement de l’armée égyptienne : sujet épique traité de main de maître, et où le Tasse montre une connaissance parfaite de la géographie et de l’histoire. Lorsque
je passai de Jaffa à Alexandrie, notre caïque descendit jusqu’en face de Gaza, dont la vue me rappela ces vers de La Jérusalem :
" Aux frontières de la Palestine, sur le chemin qui conduit à Péluse, Gaza voit au pied de ses murs expirer la mer et son courroux :
autour d’elle s’étendent d’immenses solitudes et des sables arides. Le vent qui règne sur les flots exerce aussi son empire sur cette mobile arène ; et le voyageur voit sa route incertaine
flotter et se perdre au gré des tempêtes."
Le dernier assaut, au dix-neuvième chant, est absolument conforme à l’histoire. Godefroy fit attaquer la ville par trois endroits.
Le vieux comte de Toulouse battit les murailles entre le couchant et le midi, en face du château de là ville, près de la porte de Jaffa. Godefroy força au nord la porte d’Ephraïm. Tancrède
s’attacha à la tour angulaire, qui prit dans la suite le nom de Tour de Tancrède.
Le Tasse suit pareillement les chroniques dans les circonstances et le résultat de l’assaut. Ismen, accompagné de deux sorcières,
est tué par une pierre lancée d’une machine : deux magiciennes furent en effet écrasées sur le mur à la prise de Jérusalem. Godefroy lève les yeux, et voit les guerriers célestes qui combattent
pour lui de toutes parts. C’est une belle imitation d’Homère et de Virgile, mais c’est encore une tradition du temps des croisades :
" Les morts y entrèrent avec les vivants, dit le père Nau ; car plusieurs des illustres croisés qui étaient morts en diverses
occasions devant que d’arriver, et entre autres Adémar, ce vertueux et zélé évêque du Puy en Auvergne, y parurent sur les murailles, comme s’il eût manqué à la gloire qu’ils possédaient dans la
Jérusalem céleste celle de visiter la terrestre et d’adorer le Fils de Dieu dans le trône de ses ignominies et de ses souffrances, comme ils l’adoraient dans celui de sa majesté et de sa
puissance."
La ville fut prise, ainsi que le raconte le poète, au moyen de ponts qui s’élançaient des machines et s’abattaient sur les remparts.
Godefroy et Gaston de Foix avaient donné le plan de ces machines, construites par des matelots pisans et génois. Ainsi dans cet assaut, où le Tasse a déployé l’ardeur de son génie chevaleresque,
tout est vrai, hors ce qui regarde Renaud : comme ce héros est de pure invention, ses actions doivent être imaginaires. Il n’y avait point de guerrier appelé Renaud d’Est au siège de Jérusalem ;
le premier chrétien qui s’élança sur les murs ne fut point un chevalier du nom de Renaud, mais Létolde, gentilhomme flamand de la suite de Godefroy. Il fut suivi de Guicher et de Godefroy
lui-même. La stance où le Tasse peint l’étendard de la croix ombrageant les tours de Jérusalem délivrée est sublime.
" L’étendard triomphant se déploie dans les airs ; les vents, respectueux, soufflent plus mollement ; le soleil, plus serein, le
dore de ses rayons ; les traits et les flèches se détournent ou reculent à son aspect. Sion et la colline semblent s’incliner et lui offrir l’hommage de leur joie."
Tous les historiens des croisades parlent de la piété de Godefroy, de la générosité de Tancrède, de la justice et de la prudence du
comte de Saint-Gilles ; Anne Comnène elle-même fait l’éloge de ce dernier : le poète nous a donc peint les héros que nous connaissons. Quand il invente des caractères, il est du moins fidèle aux
mœurs. Argant est le véritable mameluck :
L’altro è Circasso Argante, uom che straniero…
" L’autre, c’est Argant le Circassien : aventurier inconnu à la cour d’Égypte, il s’y est assis au rang des satrapes. Sa valeur l’a porté aux premiers honneurs de la guerre Impatient, inexorable, farouche, infatigable, invincible dans les combats, contempteur de tous les dieux, son épée est sa raison et sa loi."
Soliman est un vrai sultan des premiers temps de l’empire turc. Le poète, qui ne néglige aucun souvenir, fait du sultan de Nicée un
des ancêtres du grand Saladin ; et l’on voit qu’il a eu l’intention de peindre Saladin lui-même sous les traits de son aïeul. Si jamais l’ouvrage de dom Berthereau voyait le jour, on connaîtrait
mieux les héros musulmans de La Jérusalem. Dom Berthereau avait traduit les auteurs arabes qui se sont occupés de l’histoire des croisés. Cette précieuse traduction devait faire partie de la
collection des historiens de France.
Je ne saurais guère assigner le lieu où le féroce Argant est tué par le généreux Tancrède ; mais il le faut chercher dans les
vallées, entre le couchant et le septentrion. On ne le peut placer à l’orient de la tour angulaire qu’assiégeait Tancrède, car alors Herminie n’eût pas rencontré le héros blessé, lorsqu’elle
revenait de Gaza avec Vafrin.
Quant à la dernière action du poème, qui, selon la vérité, se passa près d’Ascalon, le Tasse, avec un jugement exquis, l’a
transportée sous les murs de Jérusalem. Dans l’histoire, cette action est très peu de chose ; dans le poème, c’est une bataille supérieure à celles de Virgile et égale aux plus grands combats
d’Homère.
Je vais maintenant donner le siège de Jérusalem tiré de nos vieilles chroniques : les lecteurs pourront comparer le poème et
l’histoire.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Cinquième partie : Suite du Voyage de Jérusalem
Tancrède blessé soigné par Herminie après le duel avec Argant, Pietro Ricci
" Je ne saurais guère assigner le lieu où le féroce Argant est tué par le généreux Tancrède ; mais il le faut chercher dans les vallées, entre le couchant et le septentrion. On ne le peut placer à l’orient de la tour angulaire qu’assiégeait Tancrède, car alors Herminie n’eût pas rencontré le héros blessé, lorsqu’elle revenait de Gaza avec Vafrin."
Je pourrais composer des volumes entiers de témoignages semblables consignés dans les Voyages en Palestine ; je n’en produirai
plus qu’un, et il sera sans réplique.
Je le trouve, ce témoignage, dans un monument d’iniquité et d’oppression peut-être unique sur la terre, monument d’une autorité
d’autant plus grande, qu’il était fait pour demeurer dans un éternel oubli.
Les Pères m’avaient permis d’examiner la bibliothèque et les archives de leur couvent. Malheureusement ces archives et cette
bibliothèque furent dispersées il y a près d’un siècle : un pacha fit mettre aux fers les religieux, et les emmena captifs à Damas. Quelques papiers échappèrent à la dévastation, en particulier
les firmans que les Pères ont obtenus, soit de la Porte, soit des souverains de l’Égypte, pour se défendre contre l’oppression des peuples et des gouverneurs.
Ce carton curieux est intitulé :
Registro delli Capitolazioni, Cattiscerifi, Baratti, Comandamenti, Ogetti, Attestazioni, Sentenze, Ordini dei Bascia’, Giudici e
Polizze, che si trovano nell’Archivio di questa procura generale di Terra Santa.
Sous la lettre H, N o 1, p. 369, on lit :
Instrumento del re saraceno Muzafar contiene : che non sia dimandato del vino da i religiosi franchi. Dato alli 13 della luna di
Regeb del anno 414.
Sous le N o 2 :
Instrumento del re saraceno Matamad contiene : che li religiosi franchi non siano molestati. Dato alli 2 di Sciava del anno
501.
Sous le N o 5, p. 370 :
Instrumento con la sua copia del re saraceno Amed Ciakmak contiene : che li religiosi franchi non paghino a quei ministri, che
non vengono per gli affari dei frati… possino sepelire i loro morti, possino fare vino, provizione… non siano obligati a montare cavalli per forza in Rama ; non diano visitare loro possessioni ;
che nessuno pretenda d’esser drogloromanno, se non alcuno appoggio. Dato alli 10 di Sefer 609.
Plusieurs firmans commencent ainsi :
Copia autenticata d’un commendamento ottenuto ad instanza dell’ambasciadore di Francia, etc.
On voit donc les malheureux Pères gardiens du tombeau de Jésus-Christ, uniquement occupés pendant plusieurs siècles à se défendre,
jour par jour, de tous les genres d’insultes et de tyrannie. Il faut qu’ils obtiennent la permission de se nourrir, d’ensevelir leurs morts, etc. ; tantôt on les force de monter à cheval, sans
nécessité, afin de leur faire payer des droits ; tantôt un Turc se déclare leur drogman malgré eux, et exige un salaire de la communauté. On épuise contre ces infortunés moines les inventions les
plus bizarres du despotisme oriental. En vain ils obtiennent à prix d’argent des ordres qui semblent les mettre à couvert de tant d’avanies ; ces ordres ne sont point exécutés : chaque année voit
une oppression nouvelle et exige un nouveau firman. Le commandant prévaricateur, le prince, protecteur en apparence, sont deux tyrans qui s’entendent, l’un pour commettre une injustice avant que
la loi soit faite, l’autre pour vendre à prix d’or une loi qui n’est donnée que quand le crime est commis. Le registre des firmans des Pères est un livre bien précieux, bien digne à tous égards
de la bibliothèque de ces apôtres, qui au milieu des tribulations gardent avec une constance invincible le tombeau de Jésus-Christ.
Les Pères ne connaissaient pas la valeur de ce catalogue évangélique ; ils ne croyaient pas qu’il pût m’intéresser ; ils n’y
voyaient rien de curieux : souffrir leur est si naturel qu’ils s’étonnaient de mon étonnement. J’avoue que mon admiration pour tant de malheurs si courageusement supportés était grande et sincère
; mais combien aussi j’étais touché en retrouvant sans cesse cette formule : Copie d’un firman obtenu à la sollicitation de M. l’Ambassadeur de France, etc. ! Honneur à un pays qui du sein de
l’Europe veille jusqu’au fond de l’Asie à la défense du misérable et protège le faible contre le fort ! Jamais ma patrie ne m’a paru plus belle et plus glorieuse que lorsque j’ai retrouvé les
actes de sa bienfaisance cachés à Jérusalem dans le registre où sont inscrites les souffrances ignorées et les iniquités inconnues de l’opprimé et de l’oppresseur.
J’espère que mes sentiments particuliers ne m’aveugleront jamais au point de méconnaître la vérité : il y a quelque chose qui marche
avant toutes les opinions ; c’est la justice. Si un philosophe faisait aujourd’hui un bon ouvrage ; s’il faisait quelque chose de mieux, une bonne action ; s’il montrait des sentiments nobles et
élevés, moi chrétien, je lui applaudirais avec franchise. Et pourquoi un philosophe n’en agirait-il pas ainsi avec un chrétien ? Faut-il, parce qu’un homme porte un froc, une longue barbe, une
ceinture de corde, ne lui tenir compte d’aucun sacrifice ? Quant à moi, j’irais chercher une vertu aux entrailles de la terre, chez un adorateur de Wishnou ou du grand Lama, afin d’avoir le
bonheur de l’admirer : les actions généreuses sont trop rares aujourd’hui pour ne pas les honorer sous quelque habit qu’on les découvre, et pour regarder de si près à la robe du prêtre ou au
manteau du philosophe.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
Last Turkish celebration of the Nebi Musa Feast, Jérusalem 1917
" On voit donc les malheureux Pères gardiens du tombeau de Jésus-Christ, uniquement occupés pendant plusieurs siècles à se défendre, jour par jour, de tous les genres d’insultes et de tyrannie."
Hérode, prince de Galilée, avait fait arrêter Jean et l'avait mis en prison. En effet, il avait épousé Hérodiade, la femme de son frère Philippe, et Jean lui disait : "Tu n'as pas le droit de prendre la femme de ton frère". Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mettre à mort. Mais elle n'y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c'était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l'avait entendu, il était très embarrassé, et pourtant, il aimait l'entendre.
Cependant, une occasion favorable se présenta lorsque Hérode, pour son anniversaire, donna un banquet à ses dignitaires, aux chefs de l'armée et aux notables de la Galilée. La fille d'Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : "Demande-moi tout ce que tu veux, je te le donnerai". Et il lui fit ce serment : "Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c'est la moitié de mon royaume". Elle sortit alors pour dire à sa mère : "Qu'est-ce que je vais demander ?" Hérodiade répondit : "La tête de Jean le Baptiste". Aussitôt la jeune fille s'empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : "Je veux que tout de suite tu me donnes sur un plat la tête de Jean Baptiste". Le roi fut vivement contrarié ; mais à cause du serment fait devant les convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l'ordre d'apporter la tête de Jean.
Le garde s'en alla, et le décapita dans la prison. Il apporta la tête sur un plat, la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
Lorsque les disciples de Jean apprirent cela, ils vinrent prendre son corps et le déposèrent dans un tombeau.
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc
Parlons à présent des pèlerins.
Les relations modernes ont un peu exagéré les richesses que les pèlerins doivent répandre à leur passage dans la Terre Sainte. Et
d’abord, de quels pèlerins s’agit-il ? Ce n’est pas des pèlerins latins, car il n’y en a plus, et l’on en convient généralement. Dans l’espace du dernier siècle, les Pères de Saint-Sauveur n’ont
peut-être pas vu deux cents voyageurs catholiques, y compris les religieux de leurs ordres et les missionnaires au Levant. Que les pèlerins latins n’ont jamais été nombreux, on le peut prouver
par mille exemples. Thévenot raconte qu’en 1656 il se trouva, lui vingtdeuxième, au Saint-Sépulcre. Très souvent les pèlerins ne montaient pas au nombre de douze, puisqu’on était obligé de
prendre des religieux pour compléter ce nombre dans la cérémonie du lavement des pieds, le mercredi saint. En effet, en 1589, soixante-dix-neuf ans avant Thévenot, Villamont ne rencontra que six
pèlerins francs à Jérusalem. Si, en 1589, au moment où la religion était si florissante, on ne vit que sept pèlerins latins en Palestine, qu’on juge combien il y en devait avoir en 1806 ! Mon
arrivée au couvent de Saint-Sauveur fut un véritable événement. M. Seetzen, qui s’y trouvait à Pâques de la même année, c’est-à-dire sept mois avant moi, dit qu’il était le seul
catholique.
Les richesses dont le Saint-Sépulcre doit regorger n’étant point apportées à Jérusalem par les pèlerins catholiques, le sont donc
par des pèlerins juifs, grecs et arméniens ? Dans ce cas-là même je crois les calculs très enflés.
La plus grande dépense des pèlerins consiste dans les droits qu’ils sont obligés de payer aux Turcs et aux Arabes, soit pour
l’entrée des saints lieux, soit pour les caffari ou permissions de passage. Or, tous ces objets réunis ne montent qu’à soixante-cinq piastres vingt-neuf paras. Si vous portez la piastre à son
maximum, à cinquante sous de France, et le para à cinq liards ou quinze deniers, cela vous donnera cent soixante-quatre livres six sous trois deniers ; si vous calculez la piastre à son minimum,
c’est-à-dire à trente-trois sous de France et quatre deniers, et le para à trois liards et un denier, vous aurez cent huit livres neuf sous six deniers. Enfin, j’ai pensé que dans une discussion
de faits il y a des lecteurs qui verraient avec plaisir les détails de ma propre dépense à Jérusalem. Si l’on considère que j’avais des chevaux, des janissaires, des escortes à mes ordres ; que
je vivais comme à Paris quant à la nourriture, aux temps des repas, etc. ; que j’entrais sans cesse au Saint-Sépulcre à des heures inusitées ; que je revoyais dix fois les mêmes lieux, payais dix
fois les droits, les caffari et mille autres exactions des Turcs, on s’étonnera que j’en aie été quitte à si bon marché.
Il faut donc d’abord réduire ce grand nombre de pèlerins, du moins quant aux catholiques, à très peu de chose, ou à rien du tout : car sept, douze, vingt, trente, même cent pèlerins, ne valent pas la peine d’être comptés. Mais si cette douzaine de pèlerins qui paraissaient chaque année au Saint-Sépulcre il y a un ou deux siècles étaient de pauvres voyageurs, les Pères de Terre Sainte ne pouvaient guère s’enrichir de leur dépouille.
Ecoutons le sincère Doubdan :
" Les religieux qui y demeurent (au couvent de Saint-sauveur) militants sous la règle de saint François y gardent une pauvreté très
étroite, et ne vivent que des aumônes et charités qu’on leur envoie de la chrétienté et que les pèlerins leur donnent, chacun selon ses facultés ; mais comme ils sont éloignés de leur pays et
savent les grandes dépenses qui leur restent à faire pour le retour, aussi n’y laissent-ils pas de grandes aumônes ; ce qui n’empêche pas qu’ils n’y soient reçus et traites avec grande
charité."
Ainsi les pèlerins de Terre Sainte qui doivent laisser des trésors à Jérusalem ne sont point des pèlerins catholiques ; ainsi la
partie de ces trésors qui devient l’héritage des couvents ne tombe point entre les mains des religieux latins. Si ces religieux reçoivent des aumônes de l’Europe, ces aumônes, loin de les
enrichir, ne suffisent pas à la conservation des lieux saints, qui croulent de toutes parts, et qui seront bientôt abandonnés faute de secours. La pauvreté de ces religieux est donc prouvée par
le témoignage unanime des voyageurs. J’ai déjà parlé de leurs souffrances ; s’il en faut d’autres preuves, les voici :
" Tout ainsi, dit le père Roger, que ce fut un religieux français qui eut possession des saints lieux de Jérusalem, aussi le premier
religieux qui a souffert le martyre fut un Français nommé frère Limin, de la province de Touraine, lequel fut décapité au Grand-Caire. Peu de temps après, frère Jacques et frère Jérémie furent
mis à mort hors des portes de Jérusalem. Frère Conrad d’Alis Barthélemy, du mont Politian, de la province de Toscane, fut fendu en deux, depuis la tête jusqu’en bas, dans le Grand-Caire. Frère
Jean d’Ether, Espagnol de la province de Castille, fut taillé en pièces par le bacha de Casa. Sept religieux furent décapités par le sultan d’Égypte. Deux religieux furent écorchés tout vifs en
Syrie.
" L’an 1637, les Arabes martyrisèrent toute la communauté des frères qui étaient au sacré mont de Sion, au nombre de douze. Quelque
temps après, seize religieux, tant clercs que laïques, furent menés de Jérusalem en prison à Damas (ce fut lorsque Chypre fut pris par le roi d’Alexandrie), et y demeurèrent cinq ans, tant que
l’un après l’autre y moururent de nécessité. Frère Cosme de Saint-François fut tué par les Turcs à la porte du Saint-Sépulcre, où il prêchait la foi chrétienne. Deux autres frères, à Damas,
reçurent tant de coups de bâton qu’ils moururent sur la place. Six religieux furent mis à mort par les Arabes, une nuit qu’ils étaient à matines au couvent bâti à Anathot, en la maison du
prophète Jérémie, qu’ils brûlèrent ensuite. Ce serait abuser de la patience du lecteur, de déduire en particulier les souffrances et les persécutions que nos pauvres religieux ont souffertes
depuis qu’ils ont eu en garde les saints lieux. Ce qui continue avec augmentation depuis l’an 1627 que nos religieux y ont été établis, comme on pourra connaître par les choses qui suivent, etc.
"
L’ambassadeur Deshayes tient le même langage sur les persécutions que les Turcs font éprouver aux Pères de Terre Sainte :
" Les pauvres religieux qui les servent sont aussi réduits aucunes fois à de si grandes extrémités, faute d’être assistés de
la chrétienté, que leur condition est déplorable. Ils n’ont pour tout revenu que les aumônes qu’on leur envoie, qui ne suffisent pas pour faire la moitié de la dépense à laquelle ils sont obligés
; car, outre leur nourriture et le grand nombre de luminaires qu’ils entretiennent, il faut qu’ils donnent continuellement aux Turcs, s’ils veulent vivre en paix ; et quand ils n’ont pas le moyen
de satisfaire à leur avarice, il faut qu’ils entrent en prison.
" Jérusalem est tellement éloignée de Constantinople, que l’ambassadeur du roi qui y réside ne saurait avoir nouvelles des oppressions qu’on leur fait que longtemps après. Cependant ils souffrent et endurent s’ils n’ont de l’argent pour se rédimer ; et bien souvent les Turcs ne se contentent pas de les travailler en leurs personnes, mais encore ils convertissent leurs églises en mosquées."
Je pourrais composer des volumes entiers de témoignages semblables consignés dans les Voyages en Palestine ; je n’en produirai plus
qu’un, et il sera sans réplique.
Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Quatrième partie : Voyage de Jérusalem
Russian pilgrims lunching on the wayside, approximately 1900 to 1920
" Dans l’espace du dernier siècle, les Pères de Saint-Sauveur n’ont peut-être pas vu deux cents voyageurs catholiques, y compris les religieux de leurs ordres et les missionnaires au Levant."