Quelque confiance que nous devions avoir dans la miséricorde et dans le secours de Dieu, il est toujours vrai que nous pouvons
nous démentir de nos plus fermes résolutions, et que nos infidélités peuvent nous faire déchoir de cet état de pureté où la pénitence nous a rétablis.
BOURDALOUE
Cependant n'en demeurons pas là : j'ai dit que le Sauveur du monde, après être sorti du tombeau, n'avait plus vécu en homme mortel,
mais en homme céleste et ressuscité ; et que c'est une loi pour nous de mener après notre conversion une vie nouvelle, et conforme à l'heureux état où sont élevés par la grâce des hommes vraiment
convertis : Ut quomodo surrexit a mortuis, ita et nos in novitate vitœ ambulemus (Rom., VI, 4.). Mais en quoi consiste cette nouvelle vie ?
Retournons à notre modèle. Le voici. Jésus-Christ, en qualité d'homme, était composé d'un corps et d'une âme, mais son corps, au
moment qu'il ressuscita, par un merveilleux changement, de matériel et de terrestre qu'il était dans sa substance, devint un corps tout spirituel dans ses qualités ; et son âme, en vertu de la
même résurrection, se trouva, par un autre prodige, parfaitement séparée du monde, quoiqu'elle fût encore au milieu du monde : deux traits de ressemblance que Jésus-Christ ressuscité doit nous
imprimer pour faire en nous ce renouvellement, qui est la preuve nécessaire mais infaillible de notre conversion. Il avait un corps, et ce corps, revêtu de gloire, semblait être de la nature et
de la condition des esprits ; vérité si constante que saint Paul, envisageant le mystère que nous célébrons, ne craignait point de dire aux Corinthiens : Itaque, etsi cognovimus secundum
carnem Christum, sed nunc jam non novimus (1 Cor ,V, III.).
C'est pourquoi, mes Frères, quoique autrefois nous ayons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est ressuscité d'entre
les morts, nous ne le connaissons plus de la même sorte, ni selon cette même chair. Que dites-vous, grand Apôtre ? reprend là-dessus saint Chrysostome ; quoi ! vous ne connaissez plus votre Dieu
selon cette chair adorable dans laquelle il a opéré votre salut ? cette chair formée par le Saint-Esprit, conçue par une vierge, unie et associée au Verbe divin ; cette chair qu'il a immolée pour
vous au Calvaire, qu'il vous a laissée pour nourriture dans son sacrement, et qui doit être un des objets de votre béatitude dans le ciel, vous ne la connaissez plus ? Non, répond l'Apôtre sans
hésiter ; depuis que cet Homme-Dieu, dégagé des liens de la mort, a pris possession de sa vie glorieuse, je ne le connais plus selon la chair : Etsi cognovimus secundum carnem Christian, sed
nunc jam non novimus (Ibid.). Ainsi le disait le Maître des Gentils ; et n'en faites-vous pas d'abord l'application ?
C'est-à-dire que si vous êtes vraiment convertis, il faut que l'on ne vous connaisse plus, ou plutôt que vous ne vous connaissiez
plus vous-mêmes selon la chair ; que vous ne cherchiez plus à satisfaire les désirs déréglés de la chair ; que vous ne soyez plus esclaves de cette chair qui vous a jusques à présent dominés ;
que cette chair, purifiée par la pénitence, ne soit plus désormais sujette à la corruption du péché ; et que nous, les ministres du Seigneur, qui gémissions autrefois de ne pouvoir vous regarder
que comme des hommes sensuels et charnels, maintenant nous ayons la consolation, non seulement de ne vous plus connaître tels que vous étiez, mais de vous connaître là-dessus divinement changés
et transformés ; en sorte que nous puissions dire de vous par proportion : Etsi cognovimus vos secundum carnem, sed nunc jam non novimus.
Car c'est par là, mes chers auditeurs, que nos corps, selon la doctrine de saint Paul, participent dès cette vie à la gloire de
Jésus-Christ ressuscité ; c'est par là qu'ils deviennent spirituels, incorruptibles, pleins de vertu, de force, d'honneur : mais souvenons-nous qu'ils ne sont rien de tout cela qu'autant que nous
y coopérons, et que, par une pleine correspondance, nous travaillons, selon la règle du Saint-Esprit, à en faire des hosties pures et agréables aux yeux de Dieu. Les corps glorieux possèdent
toutes ses qualités par une espèce de nécessité ; mais ces qualités ne conviennent aux nôtres que dépendamment de notre liberté : c'est ce qui fait sur la terre notre mérite ; mais c'est aussi ce
qui doit redoubler notre crainte, et ce qui demande toute notre vigilance. Car, quelque affermis que nous puissions être dans le bien, nous ne sommes pas inébranlables : les grâces qui nous ont
fortifiés dans notre conversion ne sont point des grâces à fomenter notre paresse, beaucoup moins à autoriser notre présomption. Quelque confiance que nous devions avoir dans la miséricorde et
dans le secours de Dieu, il est toujours vrai que nous pouvons nous démentir de nos plus fermes résolutions, et que nos infidélités peuvent nous faire déchoir de cet état de pureté où la
pénitence nous a rétablis.
Que faut-il donc faire, et comment devons-nous vivre désormais dans le monde ? comme Jésus-Christ après sa résurrection. Il était
dans le monde, mais sans y être, c'est-à-dire sans prendre part aux affaires du monde, aux intérêts du monde, aux assemblées du monde, aux conversations du monde ; ne s'entretenant qu'avec ses
disciples, et ne leur parlant que du royaume de Dieu.
Vous donc, mes Frères, concluait saint Paul, et je le conclus après lui, si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ : Si
consurrexistis cum Christo ; n'ayez plus désormais de goût que pour les choses du ciel : Quœ sursum sunt sapite ; ne cherchez plus désormais que les choses du ciel : Quœ sursum
sunt quœrite (Colos., III, 1, 2.). Séparez-vous du monde, vivez hors du monde, non pas toujours en sortant du monde,
puisque votre condition vous y retient, mais n'y soyez ni d'esprit ni de cœur : surtout si vous vous montrez clans le monde, que ce soit pour l'édifier par votre changement.
Etre converti, c'est le premier devoir, et c'a été le sujet de la première partie. Paraître converti, c'est l'autre devoir, dont j'ai
à vous parler dans la seconde partie.
BOURDALOUE
SERMON POUR LA FÊTE DE PÂQUES SUR LA
RÉSURRECTION DE JÉSUS-CHRIST
Icône de la
Résurrection, Russie, XVIe s.